Chapitre III De la gestion des digues et de la défense contre la mer

Le chapitre III comporte quatre articles relatifs à la gestion des digues, qui reprennent les propositions 55, 57, 58 et 61 de la mission sénatoriale.

Article 7 (Articles L. 3114-1 à L. 3114-3 [nouveaux] du code de l'environnement) Transfert de propriété d'ouvrages de défense contre la mer

Commentaire : cet article permet le transfert de propriété d'ouvrages de défense contre la mer au profit d'une collectivité territoriale de la part de l'État ou d'une autre personne publique à titre gratuit.

I. Le droit en vigueur

Tout en renvoyant aux longs développements consacrés par le rapport de la mission sénatoriale 27 ( * ) à la question des digues, votre rapporteur rappellera ici le cadre juridique de leur propriété et de leur gestion, les problèmes posés par le morcellement de celles-ci et les questions de financement.

1° La réglementation applicable aux digues

a) La responsabilité des propriétaires

Depuis la loi du 16 septembre 1807 28 ( * ) et en vertu d'une jurisprudence constante, la protection des propriétés contre l'action naturelle des eaux incombe aux propriétaires intéressés.

Les propriétaires fonciers se regroupent au sein d'une association qui assure l'exécution et l'entretien des travaux et prélève sur les propriétés les ressources nécessaires. Les associations syndicales sont des personnes morales régies par leur statut particulier, fixé par la loi du 21 juin 1865 et simplifié par l'ordonnance du 1 er juillet 2004 29 ( * ) . Elles peuvent être :

- des associations syndicales libres (ASL), personnes morales de droit privé constituées par le consentement unanime des propriétaires associés ;

- des associations syndicales autorisées (ASA), établissements publics administratifs jouissant de prérogatives de puissance publique comme la capacité d'exproprier et de percevoir des redevances obligatoires de leurs adhérents ; celles-ci sont proportionnelles à l'intérêt des adhérents aux travaux et recouvrées comme en matière de contributions directes ;

- des associations syndicales constituées d'office (ASCO), établissements publics créés d'autorité par l'État lorsqu'une association autorisée n'a pu être formée pour exécuter certains travaux : leur constitution s'impose aux propriétaires ;

- les unions d'associations syndicales, qui peuvent être constituées lorsque l'exécution et l'entretien de travaux présentent un intérêt commun à plusieurs ASA ou ASCO.

b) Le rôle de la puissance publique

Aux termes des articles 30 et 40 de l'ordonnance précitée, le préfet dispose d'importants pouvoirs d'intervention.

L'article 30 prévoit qu'il peut, après mise en demeure infructueuse :

1° Faire procéder d'office, aux frais de l'association, à l'accomplissement des opérations correspondant à son objet, dans le cas où la carence de l'association nuirait gravement à l'intérêt public ;

2° Constater que l'importance des ouvrages ou des travaux à réaliser excède les capacités de l'association.

Dans ce dernier cas, l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent décider de se substituer, en tout ou partie, à l'association dans ses droits et obligations.

L'article 40 précise en outre que le préfet peut dissoudre d'office une association syndicale autorisée par acte motivé :

a) Soit en cas de disparition de l'objet pour lequel elle a été constituée ;

b) Soit lorsque, depuis plus de trois ans, elle est sans activité réelle en rapport avec son objet ;

c) Soit lorsque son maintien fait obstacle à la réalisation de projets d'intérêt public dans un périmètre plus vaste que celui de l'association ;

d) Soit lorsqu'elle connaît des difficultés graves et persistantes entravant son fonctionnement.

S'agissant des collectivités territoriales , l'article L. 211-7 du code de l'environnement prévoit que ces collectivités, leurs groupements et des syndicats mixtes peuvent utiliser les articles L. 151-36 à L. 151-40 du code rural pour entreprendre l'étude, l'exécution et l'exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence visant notamment la défense contre les inondations et contre la mer.

L'article L. 151-36 du code rural précise que les départements, les communes et leurs groupements et les syndicats mixtes peuvent prescrire ou exécuter les travaux en les prenant en charge. Elles peuvent toutefois faire participer aux dépenses de premier établissement, d'entretien et d'exploitation des ouvrages les personnes qui ont rendu les travaux nécessaires ou qui y trouvent intérêt.

Enfin, les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales prévoient que « le maire est chargé, (...) de la police municipale (...) qui a pour objet d'assurer (...) la sécurité publique. Elle comprend notamment (...) le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux (...) tels que (...) les inondations, les ruptures de digues » .

2° Les problèmes soulevés par la structure de la propriété et de la gestion des digues

Comme le montre le tableau ci-après, la propriété et la gestion des digues sont aujourd'hui problématiques, du fait de l'existence de nombreuses digues sans propriétaire ou sans gestionnaire et du morcellement de la propriété.

Plusieurs propriétaires

Un propriétaire

Aucun propriétaire

Global

Avec

Sans

Total

Avec

Sans

Total

Avec

Sans

Total

Avec

Sans

Total

gestionnaire

gestionnaire

gestionnaire

gestionnaire

gestionnaire

gestionnaire

Gestionnaire

gestionnaire

Ouvrage fluvial (km)

1870

255

2125

3715

60

3775

1190

1230

2420

6775

1545

8320

en %

88 %

12 %

26 %

98 %

2 %

45 %

49 %

51 %

29 %

81 %

19 %

Ouvrage maritime (km)

35

5

40

250

20

270

135

95

230

420

120

540

en %

88 %

12 %

7 %

93 %

7 %

50 %

59 %

41 %

43 %

78 %

22 %

Tout ouvrage (km)

1905

260

2165

3965

80

4045

1325

1325

2650

7195

1665

8860

en %

88 %

12 %

24 %

98 %

2 %

46 %

50 %

50 %

30 %

81 %

19 %

Source : ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, d'après les informations saisies dans Bardigues arrêtées au 15 décembre 2010 .

L'ensemble des parties prenantes à la concertation sur le plan submersions rapides (PSR) a souligné la faiblesse des maîtres d'ouvrage du point de vue technique et financier, estimant que c'était le point le plus essentiel pour son application. Celui-ci relève ainsi :

- la difficulté à réunir un consensus suffisant pour agir de façon efficace du fait du morcellement des intervenants ;

- l'impossibilité d'intervenir au voisinage des ouvrages dont un acteur a la charge ;

- la complexité des financements pour les travaux d'établissement ou de confortement mais aussi de surveillance, d'entretien ou d'exploitation courante.

3° Le financement du « plan digues »

Le PSR indique que, sur la période 2011-2016, l'État devrait pouvoir mobiliser de l'ordre de 500 millions d'euros pour soutenir l'engagement d'environ 1 200 km de travaux de confortement d'ouvrages (de l'État et des autres gestionnaires). Pour atteindre ces objectifs, le plan repose sur les hypothèses financières suivantes :

- mobilisation des ressources budgétaires de l'État pour les volets prévision-vigilance, ainsi que la part État des ouvrages domaniaux (en plus des fonds de concours des collectivités territoriales) ;

- mobilisation du FPRNM, à son niveau actuel de recettes, pour environ 70 à 80 millions d'euros par an en moyenne ;

- intervention du FPRNM à 40 % dans les communes à PPRN approuvé ;

- mobilisation éventuelle du FEDER sur la période restante des programmes 2007-2013.

Sur ces bases financières, le rythme d'investissement annuel de renforcement des ouvrages pourra être doublé.

II. Le dispositif des propositions de loi

Cet article crée dans le code général de la propriété des personnes publiques une nouvelle section intitulée « Transfert de propriété d'ouvrages de défense contre la mer », et composée de trois articles.

L'article L. 3114-1 prévoit que, à la demande d'une collectivité territoriale ou d'un groupement, la propriété d'ouvrages de défense contre la mer peut être transférée de l'État ou d'une autre personne publique à une collectivité territoriale. Ce transfert s'effectue à titre gratuit et ne donne lieu au paiement d'aucune indemnité. Il prévoit que la collectivité territoriale succède dans l'ensemble des droits et obligations à l'égard des tiers à la personne publique gestionnaire des ouvrages.

Il précise que le préfet communique aux collectivités territoriales qui en font la demande les informations sur les ouvrages de défense contre la mer susceptibles de leur être transférés dans un délai de six mois, en ajoutant un diagnostic sur la nature et l'état des ouvrages et les coûts annuels de leur gestion et de leur entretien.

L'article L. 3114-2 permet une expérimentation de six ans maximum, pendant laquelle la collectivité territoriale a la compétence d'entretien et de gestion des ouvrages seulement. Le transfert de propriété deviendrait effectif à l'issue de cette période, sauf renoncement de la collectivité. Dans le cadre de cette expérimentation, une convention serait passée entre l'État et la collectivité.

L'article L. 3114-3 exclut du champ d'application de ces dispositions les ouvrages de défense contre la mer situés à l'intérieur d'un port maritime.

III. La position de votre commission

Comme le relève le PSR, le point majeur concerne la constitution, pour chaque zone importante soumise à submersion, d'un maître d'ouvrage et d'un responsable disposant des capacités financières lui permettant d'assumer ses responsabilités : diagnostic et remise en état des ouvrages, entretien et surveillance, notamment en période de crise.

Une réflexion a été engagée, sur les questions de propriété et de gestion des digues, dans le cadre du Centre européen de prévention du risque d'inondation (CEPRI). Celui-ci a remis très récemment un rapport sur la gestion des digues de protection contre les inondations, rédigé à l'aide d'un groupe de travail constitué de parlementaires volontaires.

Les débats retranscrits intégralement dans le document montrent la difficulté à définir une solution au niveau national, qui serait valable sur l'ensemble du territoire. Son président M. Eric Doligé, relève tout d'abord que le parc de digues et son état ne sont pas encore suffisamment connus et que la base de données nationales Bardigues doit être mise à disposition de tous, ce que votre rapporteur ne peut qu'approuver. Il donne ensuite des orientations, notamment sur l'importance d'identifier les propriétaires et la nécessité de trouver un responsable sur un ensemble d'ouvrages hydrauliquement cohérents.

A cet égard, s'agissant des digues dites « orphelines », votre rapporteur juge essentiel, comme le préconise le rapport, de mieux faire connaître auprès des maires la procédure prévue par les articles L. 1122-1 et L. 1122-2 du code général de la propriété des personnes publiques sur les biens vacants et sans maître, décrite dans l'encadré ci-après.

La procédure des biens vacants et sans maître

Les articles L. 1122-1 et L. 1122-2 du code général de la propriété des personnes publiques permettent d'incorporer dans le domaine communal les biens qui :

- font partie d'une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s'est présenté ;

- sont des immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu et pour lesquels depuis plus de trois ans les taxes foncières n'ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers.

Un arrêté du maire constate que l'immeuble satisfait à ces conditions. Il est procédé par les soins du maire à une publication et à un affichage de cet arrêté et, s'il y a lieu, à une notification aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu. Une notification est également adressée, si l'immeuble est habité ou exploité, à l'habitant ou à l'exploitant ainsi qu'au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières. Cet arrêté est, dans tous les cas, notifié au représentant de l'État dans le département.

Dans le cas où un propriétaire ne s'est pas fait connaître dans un délai de six mois à dater de l'accomplissement de la dernière des mesures de publicité, l'immeuble est présumé sans maître. La commune dans laquelle est situé ce bien peut, par délibération du conseil municipal, l'incorporer dans le domaine communal. Cette incorporation est constatée par arrêté du maire.

A défaut de délibération prise dans un délai de six mois à compter de la vacance présumée du bien, la propriété de celui-ci est attribuée à l'État. Le transfert du bien dans le domaine de l'État est constaté par un acte administratif.

S'agissant du morcellement de la propriété, le PSR renvoie à la coopération et à la concertation : « il est donc proposé d'agir, par la concertation la plus large possible entre les acteurs intéressés par la prévention des risques dans une même zone ou dans un ensemble cohérent de zones exposées à des risques de submersion marine ou d'inondation fluviale, afin de constituer la structure de gestion adaptée à la gestion de chaque système ou ensemble de systèmes. Ainsi, la pratique actuelle a déjà mis en évidence différents systèmes de concertation et de coopération entre les collectivités concernées. Le principal facteur de succès réside dans la définition explicite des règles de fonctionnement et la délimitation des domaines d'intervention. Le deuxième facteur clé réside dans le niveau élevé de coopération et de concertation ».

Dans ce contexte, le présent article présente l'intérêt d'offrir un outil supplémentaire aux collectivités qui souhaiteraient se rendre propriétaires des ouvrages. Votre commission l'approuve donc et a adopté, outre trois amendements rédactionnels présentés par M. Dominique de Legge :

- un amendement supprimant la possibilité de transférer les biens appartenant à l'État ;

- un amendement précisant que la procédure sera ouverte en cas de carence d'entretien des ouvrages ;

- un amendement présenté par M. Dominique de Legge prévoyant l'accord de la personne publique propriétaire au transfert en propriété de l'ouvrage de défense contre la mer à l'issue de l'expérimentation.

Par ailleurs, elle regrette fortement que les communes ayant prescrit un PPR ne puissent pas bénéficier d'un taux d'intervention du FPRNM à hauteur de 40 % . Quand le PPR n'est que prescrit, le taux est de 25 %, ce qui rend en pratique impossibles les opérations, faute de cofinancements suffisants. Or même si des efforts conséquents sont engagés depuis la tempête pour accélérer les prescriptions et les adoptions de PPR, il n'est pas possible de rattraper en si peu de temps le retard accumulé. Votre rapporteur souligne ainsi que, faute d'extension du taux de 40 % aux communes à PPR prescrit, le programme de rénovation des digues maritimes prendra du retard, avec le risque que les financements ne soient plus disponibles lorsque les PPR auront été approuvés. C'est pourquoi votre rapporteur interpellera avec force le Gouvernement en séance publique sur ce point, et souhaite qu'un amendement soit déposé par ce dernier permettant un financement jusqu'à 40 % si un PPR est prescrit, sous réserve, le cas échéant, que celui-ci soit adopté dans un délai qui pourrait être fixé à deux ans.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 27 Xynthia : une culture du risque pour éviter de nouveaux drames ; rapport d'information en deux tomes de M. Alain ANZIANI, fait au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia, n° 647 (2009-2010) p. 59 à 61, et 134 à 150.

* 28 Loi relative au dessèchement des marais, aux travaux de navigation, aux routes, aux ponts, aux rues, places et quais dans les villes, aux digues et aux travaux de salubrité dans les communes.

* 29 Ordonnance n° 2004-632 du 1 er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires fonciers (ASP).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page