Rapport n° 436 (2011-2012) de M. Thierry REPENTIN , fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, déposé le 28 février 2012

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N° 436

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 février 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relatif à la majoration des droits à construire ,

Par M. Thierry REPENTIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Daniel Raoul , président ; MM. Martial Bourquin, Gérard César, Gérard Cornu, Daniel Dubois, Pierre Hérisson, Mme Élisabeth Lamure, M. Gérard Le Cam, Mme Renée Nicoux, MM. Thierry Repentin, Raymond Vall , vice-présidents ; MM. Claude Bérit-Débat, Ronan Dantec, Mme Valérie Létard, MM. Rémy Pointereau, Bruno Retailleau, Bruno Sido, Michel Teston , secrétaires ; M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Michel Bécot, Joël Billard, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, MM. François Calvet, Pierre Camani, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Alain Chatillon, Jacques Cornano, Roland Courteau, Philippe Darniche, Marc Daunis, Marcel Deneux, Mme Évelyne Didier, MM. Claude Dilain, Michel Doublet, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Philippe Esnol, Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Francis Grignon, Didier Guillaume, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Alain Houpert, Benoît Huré, Joël Labbé, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Jean-Claude Lenoir, Philippe Leroy, Alain Le Vern, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-François Mayet, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Louis Nègre, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Mmes Laurence Rossignol, Mireille Schurch, Esther Sittler, MM. Henri Tandonnet, Robert Tropeano, Yannick Vaugrenard, François Vendasi, Paul Vergès, René Vestri.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

4335 , 4351 et T.A. 863

Sénat :

422 , 435 et 437 (2011-2012)

INTRODUCTION

Mesdames, messieurs,

Le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire a été présenté en Conseil des ministres le 8 février 2012 et déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale. Examiné dans le cadre de la procédure accélérée, il a été discuté par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 14 février, puis adopté en séance publique le 22 février 2012. Votre commission du l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire déplore que ce texte n'ait pas été examiné en premier lieu au Sénat car, même s'il ne concerne pas l'organisation des collectivités territoriales stricto sensu , il concerne directement l'exercice d'une de leurs compétences fondamentales, à savoir l'urbanisme et la détermination du droit des sols.

Ce projet de loi entend donner corps à la volonté exprimée par le Chef de l'État à l'occasion d'une allocution télévisée, le 30 janvier dernier, de mettre en place rapidement des mesures fortes pour répondre à la crise du logement, qui est une des préoccupations majeures de nos compatriotes. Cette volonté a été exprimée de manière récurrente au cours des dix dernières années et a déjà donné lieu à une accumulation de textes. Le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire s'inscrit ainsi à la suite de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi MOLLE, et même, dans la mesure où l'un de ses principaux objectifs était de densifier les zones urbaines, de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

À travers toutes ces lois, on notera une continuité du Gouvernement dans les intentions affichées et les outils mis en place mais malheureusement aussi, dans les résultats.

Les textes précédents n'ayant manifestement pas répondu à leur objectif, il aurait été intéressant, avant de proposer un nouveau dispositif qui, on le verra, s'inspire fortement de ceux déjà existants, de disposer d'une évaluation sérieuse et approfondie des mesures mises en oeuvre précédemment et des raisons pour lesquelles elles ont échoué. C'est cependant dans la précipitation qu'une nouvelle fois le Parlement est amené à légiférer. Cela laisse craindre que ce texte ne soit finalement qu'un nouveau coup d'épée dans l'eau.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UN DISPOSITIF IMPROVISÉ, RÉDONDANT, INEFFICACE ET PORTEUR D'INSÉCURITÉ JURIDIQUE

Il existe un large accord pour estimer que l'insuffisance du nombre de logements construits en France est à l'origine des difficultés rencontrées par les Français pour se loger et de la croissance considérable de la part des dépenses de logement dans leur budget. Il est évident que les pouvoirs publics doivent créer les conditions d'une relance forte et durable de la construction de logements, notamment sociaux. Tout l'enjeu du débat est de déterminer la meilleure façon d'y parvenir. C'est sous cet angle, celui de l'analyse de l'efficacité du dispositif proposé par le Gouvernement, que votre commission a abordé l'examen de ce texte. Or, force est de constater que la mesure proposée ne répond pas aux louables intentions affichées par le Président de la République et son Gouvernement.

CRISE DU LOGEMENT : LES CHIFFRES

Un déficit de logements ...

D'après les données dont dispose le ministère chargé du logement (fichier Sitadel), le nombre de logements construits en France en 2011 est d'environ 421 000 En moyenne depuis 1997, le nombre de logements construits annuellement est donc de 368 000 logements, soit moins de 75 % des besoins maximaux identifiés. S'agissant de la construction, les besoins de construction de logements en France sont estimés aux alentours 500 000 logements par an pendant 10 ans. Ce besoin s'explique notamment par la diminution continue de la taille moyenne des ménages, la croissance démographique qui s'établit à 2,1 %, la plus forte d'Europe. En France, il se crée chaque année 350 000 ménages (évolution des familles, agrandissement,...).

Une envolée des prix de l'immobilier et des loyers

Entre 2000 et 2011, les prix des logements anciens ont augmenté de + 117 % (+ 7,6 % en moyenne annuelle). Les prix ont augmenté plus rapidement en Île-de-France, avec 138 % de hausse entre 2000 et 2011 (+ 8,5 % en moyenne annuelle), et à Paris intra-muros : + 186 % (+ 10,5 % en moyenne annuelle).

En ce qui concerne les logements neufs, la tendance à la hausse est similaire, mais de moindre ampleur, avec + 83,9 % entre 2000 et 2011 (+ 5,6 % de moyenne annuelle). Dans le neuf, la hausse est légèrement plus importante en Île-de-France : + 86 % entre 2000 et 2011 (+ 5,8 % en moyenne annuelle).

De 2000 à 2011, les loyers ont augmenté de 35,5 % (+ 3,1 % en moyenne annuelle) en France métropolitaine. Un niveau de loyer moyen de 12,4 €/m² a ainsi été atteint en 2011. Entre 2008 et 2011, la hausse s'est toutefois nettement infléchie, avec + 3,6 % (+ 1,3 % en moyenne annuelle) seulement sur cette période.

Source : étude d'impact du projet de loi

A. UNE ANNONCE QUI SE VOULAIT FORTE MAIS QUI NE DÉBOUCHE SUR AUCUNE AVANCÉE SIGNIFICATIVE

1. Un nouvel avatar du droit existant conçu dans la précipitation

L'annonce faite par le Président de la République le 30 janvier dernier concernant la majoration des droits à construire donnait à penser qu'il se préparait un véritable bouleversement dans le domaine du droit de l'urbanisme . Le président évoquait en effet une majoration uniforme et automatique des droits à construire de 30 % qui concernait tous les territoires et semblait devoir s'imposer aux communes, laissant même craindre une atteinte à la règle constitutionnelle de libre administration des collectivités territoriales.

Cette annonce a surpris aussi bien les responsables des associations représentant les collectivités locales que les acteurs économiques de la construction, aménageurs et bâtisseurs. Auditionnés par votre rapporteur, ils ont regretté de n'avoir pas été entendus en amont par le Gouvernement, ce qui leur aurait permis de faire part des nombreuses réserves que leur inspire ce texte. L'élaboration de cette réforme n'a ainsi donné lieu à aucune consultation digne de ce nom . Au chapitre « Concertations menées » figurant dans l'étude d'impact du projet de loi, on lit pourtant que : « les concertations se sont menées (sic) principalement, depuis juin 2010, à travers la démarche `Urbanisme de projet ' » 1 ( * ) ; mais, comme l'a fait remarquer l'Association des maires de France, un dispositif de majoration automatique des droits à construire n'a pas été discuté dans le cadre du programme « Urbanisme de projet » - ne serait-ce que parce que ce type de dispositif est contraire à l'idée même de projet urbain. Cette absence de concertation est l'un des signes qui témoignent du caractère improvisé et précipité de cette réforme.

La précipitation marque également de son empreinte le processus d'examen du texte. Ainsi, votre rapporteur a dû procéder aux auditions préparatoires sans même avoir connaissance du texte sur lequel allait porter la discussion au Sénat, puisque le projet de loi n'avait pas encore été adopté par l'Assemblée nationale à ce moment-là. Par ailleurs, au Sénat même, compte tenu de la contrainte de calendrier imposée par le Gouvernement, il est prévu que le délai limite de dépôt des amendements de séance intervienne au début de la discussion générale et que l'examen de ces mêmes amendements par votre commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire intervienne immédiatement après la discussion générale. Autrement dit, votre rapporteur devra simultanément participer à la discussion générale et examiner les amendements déposés. Ce n'est guère satisfaisant.

Enfin, les flottements observés dans la détermination du contenu de la réforme constituent un dernier indice manifeste de son impréparation. Le projet de loi déposé par le Gouvernement s'écarte en effet sensiblement d'un discours présidentiel prononcé sans doute de façon un peu hâtive. Le principe d'une majoration des droits à construire qui s'imposerait unilatéralement aux communes sans leur donner la possibilité d'en délibérer a en effet été abandonné dans le texte en discussion. De ce point de vue, ce texte constitue donc, en quelque sorte, la version édulcorée de l'annonce présidentielle.

Si, avec cet abandon, un petit pas a été fait dans la bonne direction, c'est néanmoins la perplexité qui domine à la lecture de ce projet de loi, car celui-ci se révèle finalement très proche du droit existant . En effet, l'article L. 123-1-11 du code de l'urbanisme, issu de l'article 10 de la loi MOLLE du 25 mars 2009, permet d'ores et déjà aux communes couvertes par un plan local d'urbanisme (PLU) ou un plan d'occupation des sols (POS) de majorer les droits à construire, à hauteur de 20 %. Il existe par ailleurs deux autres dispositifs, plus anciens, ciblés sur les logements sociaux et les bâtiments à haute performance énergétique, qui autorisent une majoration des règles de densité de 50 % pour l'un et de 30 % pour l'autre, cumulables dans la limite de + 50 %. Par rapport à ces trois dispositifs, les innovations proposées par ce texte portent en premier lieu sur le relèvement de 20 à 30 % du plafond de la majoration prévu à l'article L. 123-1-11 -ce qui constitue un changement somme toute bien anodin. Le second point, plus significatif, concerne la création d'un quatrième ( !) dispositif de majoration des droits à construire, les trois déjà existants étant maintenus.

Votre commission s'interroge sur l'opportunité de multiplier ainsi des dispositifs urbanistiques en grande partie redondants. Elle constate que cette tendance à l'accumulation ne va pas dans le sens de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales pourtant appelée de ses voeux par le Gouvernement . Était-il nécessaire de faire des annonces tonitruantes et d'imposer une discussion parlementaire dans l'urgence pour examiner un dispositif en définitive si proche de ceux qui existent déjà et qui, de surcroît, n'ont pas apporté la preuve de leur pertinence à ce jour ?

2. Des retombées sur la construction de logements hypothétiques et surestimées

Proche cousin du dispositif prévu par le sixième alinéa de l'article L. 123-1-11 du code de l'urbanisme, le nouveau dispositif de majoration des droits à construire s'en distingue essentiellement par l'inversion du sens de la délibération que doivent prendre les collectivités . Actuellement en effet, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de PLU prennent l'initiative de la majoration des droits à construire. Avec le nouveau dispositif, la majoration se ferait automatiquement, sauf délibération contraire des collectivités. L'inversion du sens de la délibération ne constitue pas un changement sans portée d'un point de vue politique, votre rapporteur y reviendra plus loin, car cela revient à rendre les communes et leurs groupements responsables de la situation de crise actuelle du logement. Ceci étant, les retombées pratiques de cette inversion, notamment son impact sur la construction de logements, ont toutes les chances d'être extrêmement faibles.

À cet égard, votre commission souligne qu'elle n'accorde aucun crédit aux estimations qui figurent dans l'étude d'impact jointe au projet de loi - et qui n'a d'étude d'impact que le nom. Dans l'hypothèse basse du Gouvernement, un tiers des communes conserveraient en effet la mesure de majoration prévue ; deux tiers dans l'hypothèse haute. Cela aboutirait, selon le Gouvernement, à un surcroît annuel de mètres carrés de logements construits compris entre 1,67 et 3,34 millions de mètres carrés (par rapport à la moyenne des trois dernières années), soit un gain compris entre 5 et 10 %. Ces estimations reposent cependant sur des hypothèses non étayées, qui sont aussi optimistes que fantaisistes et qui ne permettent pas de distinguer l'impact sur les nouveaux logements, qui sont l'objet annoncé de la loi, de l'extension des logements existants.

a) L'intérêt supposé des communes pour le nouveau dispositif est surestimé par le Gouvernement

Les collectivités ont en effet jusqu'à présent témoigné un faible intérêt - c'est un euphémisme - pour les dispositifs de majoration des droits à construire. D'après les données figurant dans l'étude d'impact, à peine 0,8 % des communes ont utilisé les possibilités de majoration figurant à l'article L. 123-1-11 et seulement 4 % d'entre elles ont activé les dispositifs plus ciblés des articles L. 127-1 et L. 128-1. Or, dans l'hypothèse la plus défavorable envisagée par le Gouvernement, le taux d'utilisation par les communes du nouvel l'article L. 123-1-11-1 atteindrait 33 % et serait donc plus de quarante fois supérieur à celui de l'article L. 123-1-11 !

Votre commission souhaiterait pouvoir partager un tel optimisme, mais elle voit mal ce qui pourrait conduire à un résultat aussi encourageant. La décision de majorer les droits à construire, dans le nouveau dispositif, reste en effet entre les mains des communes. Leur autonomie est certes exagérément réduite, puisque, au lieu d'avoir le droit de décider de la majoration, elles n'ont plus que la liberté de refuser de l'appliquer. Mais, au-delà d'une méfiance non justifiée vis-à-vis des communes et de leurs groupements dont témoigne cette inversion, c'est néanmoins le conseil communal ou l'organe délibérant de l'établissement public intercommunal compétent en matière de plan local d'urbanisme qui conserve la maîtrise pratique du dispositif. On doit donc se demander pourquoi les collectivités, qui n'ont pas jusqu'à présent souhaité utiliser les possibilités de majoration qui existent alors qu'elles avaient toute latitude pour le faire, changeraient subitement de point de vue et adopteraient massivement un dispositif qui n'est jamais que la copie dégradée de ceux existant déjà. Pourquoi un outil bâti selon une architecture similaire séduirait-il davantage les communes que ses prédécesseurs ?

Votre commission relève que ses doutes quant à l'efficacité réelle du nouveau dispositif semblent partagés par le Gouvernement lui-même . Cela transparaît dans l'étude d'impact, lorsqu'elle indique que le nouveau dispositif, en inversant le sens de la délibération et en obligeant les communes à délibérer sur l'intérêt d'une majoration des règles de densité, constituera « un élément déclencheur d'une prise de conscience » 2 ( * ) . Et plus loin, on peut lire : « La mesure proposée (...) doit permettre de modifier la perception que peuvent avoir les acteurs locaux de la densification (...). Elle doit ainsi contribuer au changement d'état d'esprit attendu des décideurs locaux et des habitants » 3 ( * ) . Dans ces propos, il n'est plus question d'une action forte et urgente pour lutter contre la crise du logement, mais simplement d'une démarche de nature pédagogique visant à une « prise de conscience ».

Ainsi, le Gouvernement dépose dans l'urgence un texte édulcoré simplement pour déclencher une prise de conscience. Mais les collectivités territoriales, qui sont en première ligne face à la crise du logement, n'ont pas besoin qu'on leur fasse prendre conscience du problème.  Bien plus, votre commission rappelle que, d'un strict point de vue juridique, cet élément déclencheur existe déjà dans le code de l'urbanisme . Aux termes de l'article L. 123-12-1, les communes et les EPCI compétents en matière de plan local d'urbanisme ont en effet l'obligation de délibérer, à l'occasion du débat triennal sur le bilan de leur PLU, sur l'opportunité d'une application des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11. Cette obligation de délibérer a été opportunément introduite par la loi MOLLE, qui, en même temps qu'elle créait un dispositif facultatif de majoration des droits à construire, obligeait également les communes à réfléchir à l'utilisation de ce nouvel outil. Sur ce point également donc, votre commission distingue mal ce qu'apporte de vraiment nouveau le dispositif proposé par le Gouvernement.

b) Une majoration des droits à construire n'implique pas forcément multiplication des projets de construction

Les hypothèses de l'étude d'impact se caractérisent par un optimisme exagéré non seulement en ce qui concerne le taux de conservation de la mesure par les communes mais aussi en ce qui concerne le comportement des acteurs économiques. En effet, à supposer même que les communes majorent les règles de densité applicables sur leur territoire, encore faut-il, pour que le dispositif fonctionne, que les particuliers utilisent effectivement les droits à construire majorés .

Sans justifier ses hypothèses, le gouvernement table à ce propos sur un taux de reprise par les particuliers de 50 %. Autrement dit, dans les secteurs d'application du nouveau dispositif, un projet de construction sur deux utiliserait la majoration de 30 %. Votre commission ignore sur quoi repose ce chiffre. En revanche, elle sait que de nombreuses dispositions tant techniques et économiques que juridiques font obstacle à l'exploitation effective des droits à construire majorés , notamment les suivantes :

- la majoration des règles relatives à la hauteur, au gabarit, à l'emprise au sol et au coefficient d'occupation des sols (COS) n'exempte pas du respect des autres règles d'urbanisme (comme les règles de prospect), ce qui réduit fortement la portée potentielle de la majoration ;

- la majoration des droits à construire ne peut déroger aux servitudes d'utilité publique et aux dispositions des lois montagne et littoral, ce qui réduit la porte de la mesure dans des zones souvent caractérisées par des tensions au niveau du logement ;

- l'utilisation des droits à construire nouveaux suppose souvent de trouver des accords difficiles pour redéfinir des conventions privées. Ainsi, dans une copropriété, la surélévation ou la construction de bâtiments aux fins de créer de nouveaux locaux à usage privatif ne peut être réalisée, sauf exception, que si la décision en est prise à l'unanimité des copropriétaires (article 35 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis). De même, dans les lotissements où les règles de construction sont la résultante des normes publiques d'urbanisme et des stipulations privées du cahier des charges, la majoration des droits à construire a toutes les chances de rester lettre morte. En effet, comme le rappelle l'étude d'impact elle-même,  si un permis de construire, majorant les règles de gabarit, hauteur ou emprise au sol sur la base de l'article L. 123-1-11-1 était délivré, les colotis pourraient intenter une action en démolition, si la construction contrevenait aux dispositions du cahier des charges. La Cour de cassation considère en effet que le cahier des charges est un document contractuel de droit privé dont les clauses engagent les colotis pour toutes les stipulations qu'il contient. De manière analogue, les cahiers des charges des zones d'aménagement concerté approuvés avant l'entrée en vigueur de la loi ne seront pas affectés par la majoration de 30 % ;

- au plan technique, la modification du bâti existant est parfois très difficile, sinon impossible. Il en va ainsi de la surélévation d'un bâtiment qui est impossible si les fondations ne sont pas adaptées. Cette opération, quand bien même elle serait techniquement possible, peut devenir ruineuse s'il faut adapter l'ascenseur qui dessert le niveau supplémentaire ;

- au plan économique, les opérateurs auditionnés par votre rapporteur ont souligné que la taille des projets est orientée à la baisse, car c'est le moyen le plus direct pour en réduire le coût. Dans ces conditions, la tendance économique est d'ores et déjà de ne pas saturer les possibilités de densification existantes, ce qui limite l'intérêt d'accroitre davantage les normes en la matière.

Bref, de la création des droits à construire à la construction de logements, le chemin est bien plus long et hasardeux que ne semble le penser le Gouvernement .

c) Des conséquences économiques négatives à court terme

Pour l'ensemble des raisons qui viennent d'être évoquées, le dispositif gouvernemental ne permettra sans doute pas à moyen terme de libérer l'offre et donc de faire baisser le prix des logements, comme le Président de la République s'y est engagé. Mal ciblé, il semble en fait plus favorable à l'agrandissement des maisons individuelles qu'à la construction de nouveaux logements. Mais le pire est ailleurs : il ne risque pas seulement d'être sans effet, mais d'avoir à court terme un effet négatif sur le marché du logement.

Dans un premier temps , on peut s'attendre à un effet de rétention du foncier de la part des propriétaires ayant l'intention de vendre ou d'utiliser leur terrain, car, avant de s'engager, ils préfèreront avoir une idée précise de la règle du jeu. Le prix et l'usage d'un bien immobilier dépendant notamment des droits à bâtir qui lui sont associés, s'il y a une chance que ces droits soient majorés prochainement de 30 %, la valeur du bien en sera augmentée. Une partie des transactions et, par suite des chantiers, va donc être remise à plus tard en attendant d'y voir plus clair. D'après les professionnels de la construction et de l'aménagement auditionnés par votre rapporteur, cet effet de rétention serait même déjà constaté . En outre, une partie des transactions récemment mises en oeuvre (on pense en particulier à des promesses de vente dont la durée atteint et dépasse six mois dans ce domaine) vont se voir contestées en justice, au motif que la nature du bien échangé a été modifiée. Ces recours, même si leurs chances d'aboutir sont incertaines, pourraient donc ralentir, voire empêcher la réalisation de projets déjà lancés.

Dans un second temps , à supposer que ce texte entre en vigueur, les prix vont être tirés vers le haut par la majoration des droits à construire. Le cercle économique vertueux espéré par le gouvernement, à savoir : « majoration des droits à construire = forte hausse du nombre des constructions = rééquilibrage de l'offre et de la demande de logement = baisse du prix du logement » repose en effet sur la croyance -erronée- que de nombreuses communes vont effectivement majorer les droits à construire et que de nombreux porteurs de projet vont effectivement exploiter ces droits majorés. Or, comme votre rapporteur l'a expliqué précédemment, de nombreuses raisons font que cela a peu de chances de se produire. Le nombre de logements supplémentaires construits du fait du nouveau dispositif sera donc probablement trop faible pour accroître significativement l'offre et faire baisser les prix. Dans un marché qui restera déséquilibré par la pénurie d'offre, le seul effet tangible de la mesure sera donc un effet d'aubaine pour les propriétaires de biens dont les droits à construire ont été augmentés par le fait du prince. Cet effet d'aubaine sera d'autant plus fort que ce texte ne prévoit pas d'encadrer le prix des logements rendus possibles par application de la mesure, alors qu'il était juridiquement possible de le faire.

B. UN TEXTE QUI REND LES COMMUNES RESPONSABLES DE LA CRISE DU LOGEMENT ?

1. Une volonté accusatoire de mettre les communes devant leurs responsabilités

Le Gouvernement justifie son projet de loi en avançant deux propositions :

- la majoration des droits à construire serait un outil efficace pour libérer le foncier et stimuler la construction de logements (votre commission note pourtant que les éléments objectifs - notamment chiffrés - pour étayer cette affirmation font défaut) ;

- les communes sous-utiliseraient cet outil, puisque, comme cela a déjà été indiqué, moins de 1 % des communes ont pris une délibération en application du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.

Que faut-il déduire du rapprochement de ces deux propositions ? Souligner que les communes disposent d'un outil efficace pour stimuler la construction pour déplorer aussitôt qu'elles se refusent à l'utiliser, n'est-ce pas une manière de les accuser d'être en partie responsables de la crise du logement ? C'est ce qu'indique clairement l'étude d'impact du projet de loi : « ces dispositifs ne fonctionnent qu'à l'initiative des communes ou établissements publics de coopération intercommunale compétents sans que l'État soit en mesure de mettre en place une dynamique sur une échelle suffisante pour peser sur la politique du logement. Ils ont montré leur pertinence lorsque les communes s'en sont saisies, mais trop peu d'entre elles l'ont fait » 4 ( * ) . Il y a bien, derrière ce texte, l'idée que, par frilosité, par ignorance des textes ou par malthusianisme, les communes seraient coupables de mettre en place des règles trop restrictives qui empêcheraient les projets de se développer et de lutter contre la crise du logement.

Cette mise en accusation est exprimée sans ambages dans le discours du président de la République prononcé à Longjumeau le 2 février 2012 : « Les communes qui voudront refuser cette possibilité en auront le droit mais ce devra faire l'objet d'une délibération explicite du Conseil Municipal pour en refuser la possibilité. Chacun va prendre ses responsabilités (sic). La loi permettra 30 % de plus, les communes pourront refuser cette possibilité mais dans ce cas elles devront en délibérer et en discuter avec leurs concitoyens et voir ce qu'ils souhaitent ». On voit clairement dans les propos présidentiels que l'inversion du sens de la délibération est conçue comme l'outil de la « responsabilisation » des communes, responsabilisation synonyme de mise en accusation. C'est pourquoi le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut que s'y opposer avec force.

Une telle position du Gouvernement témoigne d'un manque de connaissance des collectivités territoriales et d'un manque de confiance dans leurs élus. Les maires, du fait de leur proximité avec leurs administrés, sont pourtant des élus conscients du caractère dramatique de la crise du logement que traverse le pays. Par ailleurs, il existe déjà de nombreuses dispositions législatives qui les obligent à prendre en compte de manière très précise les problématiques de logement et de densification urbaine. Pour mémoire, les communes sont associées à l'élaboration obligatoire des programmes locaux de l'habitat (PLH) au niveau intercommunal et leur PLU doit être compatible avec ces PLH. Les communes ont par ailleurs l'obligation de rendre leur PLU compatible avec la densification de certains secteurs urbains mise en place par le Grenelle de l'environnement à travers la réforme des schémas de cohérence territoriale. Ajoutons enfin qu'aux termes de l'article L. 123-12-1 du code de l'urbanisme, comme cela a déjà été indiqué, elles ont l'obligation de délibérer, à l'occasion du débat triennal sur le bilan du PLU, sur l'opportunité d'une application des dispositions prévues au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.

2. Un retour en arrière injustifié

Compte tenu de la charge accusatoire que comporte ce texte, votre commission déplore que des explications plus fournies n'aient pas été données par le Gouvernement pour expliquer pourquoi les communes ont jusqu'à présent si peu utilisé les outils de majoration des droits à construire. C'est là un point essentiel dans la démarche gouvernementale qui pèche par son manque de consistance.

Or, votre commission estime que le Gouvernement, dans sa précipitation à légiférer, confond la cause et l'effet. Il croit qu'il faut rendre la majoration des droits à construire plus contraignante pour « responsabiliser » les communes, alors qu'en réalité c'est parce que les communes prennent leurs responsabilités urbanistiques en élaborant des PLU que la majoration des droits à construire n'a pour elles qu'un intérêt très limité. En effet, il est absurde, pour une commune, de mettre plusieurs années à définir les règles de constructibilité adaptées à son projet de territoire, pour ensuite déroger aux règles qu'elle a elle-même fixées en décidant de majorer les droits à construire . Vouloir généraliser la majoration des droits à construire, comme souhaite le faire ce texte, ne peut avoir de sens que si, de façon générale , on estime que les PLU comportent des règles de constructibilité trop restrictives et donc qu'ils ont été mal conçus .

Il serait regrettable que le Gouvernement se représente ainsi le travail accompli par les collectivités en matière d'urbanisme. En tout cas, ce n'est pas une vision que partage votre commission. Celle-ci estime qu' il y a une antinomie entre la démarche urbanistique de projet conduite par les communes à travers leur PLU et un dispositif bureaucratique de majoration généralisée des droits à construire. Cette antinomie suffit à expliquer le peu d'intérêt qu'elles témoignent à ces dispositifs . Non pas qu'ils ne puissent pas avoir leur place dans le code de l'urbanisme ; mais cette place ne saurait être que marginale. Il peut en effet arriver, sur des secteurs géographiques précis, que les règles de densité d'un PLU s'avèrent finalement trop restrictives ou que les règles de densité soient saturées par les constructions déjà existantes -auquel cas les dispositifs de majoration des droits à construire peuvent être utiles (parmi d'autres outils 5 ( * ) ) pour corriger ces règles à la marge. Mais promouvoir une utilisation généralisée des règles de majorations des droits à construire revient, ni plus ni moins, qu'à affirmer que les communes élaborent leur PLU à la légère sans prendre en compte suffisamment les besoins en logement .

Il est intéressant de noter que le raisonnement qui vient d'être développé par votre rapporteur est exactement celui qu'avait tenu en 2008 le sénateur Dominique Braye, rapporteur de la commission de l'économie, lors de l'examen de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion . Pour mémoire en effet, dans sa rédaction initiale, la loi Boutin prévoyait déjà que la majoration de 20 % des droits à construire prévue à l'article L. 123-1-11 s'appliquerait d'office et que, pour y déroger, une délibération contraire des collectivités serait nécessaire. Or, ce dispositif, que le présent texte souhaite exhumer, avait été sévèrement critiqué par le rapporteur de l'époque. Voici un extrait de son rapport. Il est limpide : « votre commission s'interroge fortement sur l'opportunité d'une majoration automatique des règles de construction dans toutes les communes dotées d'un PLU. Le champ d'application de cette disposition est en effet potentiellement très large (..). Votre rapporteur juge (...) paradoxal d'inciter les communes à se doter de documents d'urbanisme pour déterminer les meilleures règles d'aménagement du tissu urbain, ce qui implique de réaliser des études dont le coût n'est pas négligeable, et de prévoir ensuite des dispositions s'imposant à tous les maires quelles que soient les spécificités de leurs territoires et modifiant en profondeur l'équilibre des documents qu'ils ont élaborés ».

Pour mémoire toujours, lors de l'examen en séance de la loi MOLLE, le principe de la majoration automatique des droits à construire avait finalement été abandonné suite à un amendement du rapporteur du Sénat. Cet amendement avait reçu un avis favorable du gouvernement et le soutien de l'opposition sénatoriale de l'époque, puis avait été confirmé par l'Assemblée nationale.

Pour conclure sur la question de la « responsabilité » des communes, votre rapporteur souhaite souligner qu'il existe, de toute évidence, des collectivités qui ne font pas tout ce qu'elles devraient faire pour favoriser la construction de logements à des prix abordables. Cependant ce texte stigmatise de manière générale toutes les communes sans apporter de solution au problème du malthusianisme d'une partie d'entre elles . En effet, celles qui, aujourd'hui, de manière délibérée, prévoient, par exemple, des COS exagérément bas ou définissent des tailles minimales de terrain excessivement grandes dans le seul but d'éviter la densification et de préserver un entre soi social, celles-là donc -on peut en être certain- prendront demain une délibération pour écarter la majoration des droits à construire prévue par ce texte. Ce projet de loi leur donne toute latitude pour cela. Il prévoit même, à son alinéa 11, une disposition aberrante en vertu de laquelle une commune, membre d'un EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme pourra écarter sur son territoire la majoration des droits à construire décidée par l'EPCI .

S'il existe des communes qui ne jouent pas le jeu - et il en existe - alors il serait plus juste et plus judicieux d'adopter des mesures ciblées et contraignantes à leur encontre. Au lieu de remettre en cause de manière générale la responsabilité des communes, que le Gouvernement commence par prendre les siennes en faisant en sorte que, plus de dix ans après le vote de la loi SRU, toutes les communes respectent enfin les obligations que leur fixe l'article 55.

C. UN TEXTE SOURCE D'INSÉCURITÉ JURIDIQUE

La majoration des droits à construire, et tout particulièrement la modification des limites de hauteur ou de gabarit des bâtiments, pourrait être source de nombreux contentieux. On peut être certain que les riverains, à titre personnels ou réunis en association, se saisiront, ce qui est leur droit le plus strict, de tous les motifs pour tenter de faire annuler les décisions individuelles qui les dérangent et, au-delà, les documents d'urbanisme sur le fondement desquels elles sont prises. Or, ce texte présente des problèmes de sécurité juridique à plusieurs niveaux et donne prise à ce contentieux.

Le premier niveau d'insécurité est celui de la procédure de consultation du public. Le texte prévoit que la commune ou l'EPCI met à la disposition du public une note d'information présentant les conséquences de l'application de la majoration de 30 % sur son territoire, notamment au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme. Deux questions peuvent alors se poser :

- d'une part, on peut se demander quel est le lien entre la note d'information produite, le recueil de l'avis du public et le sens de la délibération de la collectivité . La rédaction initiale laissait craindre que la décision de la collectivité soit liée par les étapes de l'élaboration, l'alinéa 9 de l'article unique disposant que la commune délibère : « au vu des résultats de la consultation du public ». Ce problème semble toutefois avoir été réglé à la suite de l'adoption par les députés d'un amendement qui remplace l'expression : « au vu de » par les mots : « à l'issue de » ;

- d'autre part, on peut se demander quel doit être le degré de précision de cette note d'information . Une augmentation de 30 % des droits à construire sur l'ensemble du territoire couvert par un PLU ne constitue pas une modification anodine, de sorte qu'en déterminer l'impact n'est pas techniquement évident sans une étude approfondie. Or, face à une note insuffisamment précise, il y a un risque que la délibération de la commune et la modification subséquente du PLU soit attaquées sur le fondement de l'article 7 de la Charte de l'environnement 6 ( * ) , qui fait partie du « bloc constitutionnel », au motif que le niveau d'information délivré au public était insuffisant. Que se passera-t-il par ailleurs si la commune ne produit aucune note d'information et que la majoration entre en vigueur au bout de neuf mois ?

Le deuxième niveau est celui de la cohérence interne et externe des documents d'urbanisme.

En ce qui concerne la cohérence interne du PLU , il faut veiller à ce que la majoration des droits à construire n'entre pas en contradiction avec le projet d'aménagement et de développement durables du PLU. On sait par exemple que le dispositif de majoration de l'article L. 127-1 s'applique « sous réserve de ne pas porter atteinte à l'économie générale du plan d'occupation des sols ou du projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme ». On peut certes penser qu'une commune qui délibèrera au sujet de l'application du nouveau dispositif prévu à l'article L. 123-1-11-1 veillera à éviter toute remise en question de la cohérence de son PLU et rejettera le cas échéant cette majoration sur tout ou partie de son territoire pour ce motif. Mais trois cas apparaissent problématiques :

- le premier est celui d'une commune dans laquelle, en l'absence de délibération, le nouveau dispositif s'applique d'office . N'ayant pas fait l'objet d'une adaptation aux circonstances locales, la majoration des droits à construire peut tout à fait ruiner la cohérence interne du PLU. Or, il ne s'agit pas d'un cas de figure théorique, puisque l'on compte à ce jour plus de 17 300 PLU ou POS approuvés. Les maires concernés, particulièrement dans les plus petites communes, seront-ils bien informés de l'existence de la mesure ? En outre, si la majoration automatique des règles entre en vigueur neuf mois après la promulgation de la loi, puis que la commune décide ensuite de revenir sur les effets de cette majoration comme ce texte l'y autorise, les règles de constructibilité auront alors été modifiées trois fois de suite dans un délai très bref. Est-ce souhaitable du point de vue de la stabilité de la norme juridique ?

- le deuxième cas problématique est celui des PLU intercommunaux . Comme cela a déjà été souligné, le texte prévoit qu'une commune puisse prendre une décision contraire à celle de l'EPCI qui, pourtant, possède la compétence en matière de PLU. Elle appliquerait alors la majoration alors que la communauté ne l'applique pas -ou inversement. Outre que cela constitue une remise en cause brutale et injustifiée de la politique suivie depuis plusieurs années pour encourager la coopération intercommunale, on imagine quel usage fera de cette disposition une commune malthusienne insérée dans une intercommunalité où existent de fortes tensions sur le logement. Verra-t-on un EPCI attaquer devant le juge la décision d'une commune membre concernant la majoration ou, inversement, une commune attaquer la décision de son intercommunalité. Cela n'a guère de sens ;

- le dernier cas est celui d'un PLU en cours d'élaboration ou de révision . Les communes ou leurs groupements vont-ils devoir mettre en oeuvre une procédure d'évaluation des effets du dispositif et la consultation du public alors même qu'une enquête publique est en cours ou vient de s'achever dans le cadre de la procédure d'élaboration ou de révision du PLU ?

En ce qui concerne la cohérence entre le PLU et les autres documents d'urbanisme , les choses ne vont pas de soi non plus. Les PLU s'inscrivent en effet dans une hiérarchie des documents d'urbanisme. Ils doivent être compatibles avec le PLH et le SCOT, qui fixent des objectifs de plus en plus précis dans le domaine du foncier et du logement et, pour le second, également dans le domaine des transports. On peut, là encore, supposer que les communes, avant de décider d'une majoration des droits à construire sur leur territoire, s'interrogeront pour savoir si cette décision risque d'avoir un impact sur la cohérence entre le PLU et les documents supérieurs. Il n'en reste pas moins que ce texte s'écarte de la logique encouragée depuis de nombreuses années qui veut que les questions stratégiques en matière de logement soient pensées et coordonnées au niveau intercommunal. Verra-t-on demain certains PLU attaqués au motif qu'après majoration des droits à construire, ils ne sont plus compatibles avec un document supérieur ?

Enfin, des questions de sécurité juridique se posent également s'agissant des relations contractuelles entre personnes privées. On peut penser aux risques de contentieux entre colotis sur le fondement que certaines constructions ou agrandissements seraient contraires au cahier des charges du lotissement.

D. LES MODIFICATIONS APPORTÉES AU TEXTE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale n'a quasiment pas modifié le texte soumis par le Gouvernement. Lors de l'examen en commission, la commission des affaires économiques s'est contentée d'adopter des amendements rédactionnels. En séance, comme cela a été indiqué plus haut, l'expression : « à l'issue de » a été substituée aux mots : « au vu de » à l'alinéa 9 de l'article unique du projet de loi.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UNE ACTION PLUS RÉSOLUE EST POSSIBLE ET NÉCESSAIRE

Comme votre rapporteur l'a indiqué au tout début de ce rapport, il existe un large accord sur l'une des prémisses qui fonde ce texte, à savoir que les pouvoirs publics doivent créer les conditions d'une relance forte et durable de la construction de logements, notamment sociaux. Tout l'enjeu du débat est de déterminer la façon la plus efficace et la plus juste d'y parvenir. Votre commission estime que le dispositif proposé par le Gouvernement ne répond pas aux objectifs. Elle propose donc de lui substituer une mesure plus simple, plus robuste et plus efficace.

A. SUPPRIMER UNE MESURE GADGET

Le dispositif proposé par le Gouvernement cumule les inconvénients : insuffisamment préparé et discuté dans la précipitation, il est à la fois redondant avec le droit existant, porteur de risques contentieux lourds, doté d'une efficacité concrète très improbable et contraire à l'esprit d'un urbanisme de projet responsable et d'une coopération intercommunale apaisée et efficiente. Pour toutes ces raisons, votre commission a décidé de le supprimer en lui substituant un autre dispositif.

B. RESTAURER L'EXEMPLARITÉ DE L'ÉTAT PAR UNE MESURE FORTE, CONCRÈTE ET D'APPLICATION IMMÉDIATE

Votre commission est convaincue que les blocages qui existent aujourd'hui dans le secteur du logement sont bien trop prononcés pour qu'une seule mesure suffise à les lever. C'est uniquement par une action coordonnée sur de multiples leviers qu'une avancée significative pourra être réalisée: action sur la fiscalité foncière pour accélérer le retour sur le marché des logements vacants et l'utilisation des terrains constructibles non bâtis ; action sur la taxation des plus-values immobilières pour mettre fin à la rétention de logements ou de terrains constructibles inutilisés pour des motifs d'optimisation fiscale ; action sur le règles d'évolution des loyers pour éviter leur envolée ; action sur les mécanismes de financement du logement social par une orientation de l'épargne vers ce secteur ; action pour renforcer la portée et l'effectivité de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains en matière de logement social et éviter les comportements de passager clandestin des communes qui jouent le jeu du malthusianisme, etc.

Bien entendu, il n'est pas question pour votre commission de développer dans le cadre de l'examen de ce texte un dispositif juridique complet et finalisé correspondant à ce projet d'ensemble -et ce pour deux raisons. La première est technique : une politique dans les domaines de l'urbanisme et du logement ne s'improvise pas. C'est un sujet trop important et trop complexe pour tolérer les approximations. Le texte mal conçu présenté par le Gouvernement en est la preuve par l'absurde. La seconde raison, plus déterminante, est politique. À moins de deux mois d'échéances électorales majeures, le temps est désormais celui de la confrontation des projets. La question du logement en est une composante essentielle.

En revanche, si présenter dans le contexte de ce projet de loi une réforme complète de la politique du logement est techniquement impossible et politiquement inopportun, votre commission a souhaité mettre en avant une mesure qui a une portée symbolique forte et un impact pratique rapide et puissant . Il s'agit de l'assouplissement des conditions dans lesquelles l'État peut mettre les immeubles de son domaine privé à disposition pour y réaliser des logements -notamment sociaux .

On sait qu'aujourd'hui l'État peut céder ses terrains avec une décote dont le niveau est fixé par décret. Aux termes de l'article R. 148-7 du code du domaine de l'État, elle ne peut excéder 25 % du produit de la valeur vénale du terrain pondérée par le rapport de la surface hors oeuvre nette affectée au logement locatif social à la surface hors oeuvre nette totale du programme immobilier. Cette décote peut être portée à 35 % dans les zones tendues. L'amendement adopté par votre commission permet d'aller beaucoup plus loin en donnant la possibilité à l'État de céder ses immeubles -et non pas seulement ses terrains- et en portant la décote potentielle à 100 %, ce qui lui permet éventuellement de les céder gratuitement. Il s'agit, précisons-le, uniquement d'une possibilité, l'État gardant la maîtrise des conditions de cession, qui sont fixées par un décret en Conseil d'État. Par ailleurs, il est précisé que la décote de 100 % ne concerne que la partie du programme en logement social, ce qui empêche le détournement de la plus-value latente par les acteurs privés.

Pourquoi, parmi l'ensemble des mesures souhaitables pour relancer la politique du logement, votre commission choisit-elle précisément de mettre en avant celle-ci ?

En premier lieu, parce que c'est une mesure simple et rapide . Nul besoin de demander à 17 300 communes de délibérer. Nul besoin de modifier des documents d'urbanisme complexes au risque d'un contentieux abondant. Nul besoin de créer un nouveau dispositif juridique. Il suffit de modifier un article du code général de la propriété de l'État.

Deuxièmement, c'est une mesure qui met en évidence de façon criante la différence de philosophie entre l'opposition et la majorité gouvernementales sur la question du logement .

De son côté, le Gouvernement et la majorité qui le soutient, à travers le présent projet de loi, expliquent l'insuffisance du nombre de logements construits par des réglementations locales malthusiennes qui freinent voire bloquent le développement des projets de constructions. À partir de ce diagnostic bien naïf, ce texte avance une solution frappée au coin du bon sens de la pensée économique orthodoxe : alléger des règles de constructibilité pour « libérer » les droits à construire. À l'inverse, avec la mesure qu'elle propose, votre commission porte une autre vision de l'État : celle d'un État qui s'engage, qui n'est pas là pour tout faire, mais qui répond présent pour impulser, donner l'exemple et, en paraphrasant le célèbre mot d'ordre du New Deal , faire sa part du travail .

L'État ne peut pas, d'un côté, faire le constat d'un manque de foncier pour construire du logement et, de l'autre, se tourner simplement vers les communes en les mettant en demeure de prendre leurs responsabilités. L'État qui se désengage ne peut pas être, dans le même temps, un État qui appelle les uns et les autres à prendre leurs responsabilités. La conception de l'action publique, dans le domaine du logement comme ailleurs, qu'entend mettre en avant votre commission est différente : tout le monde doit prendre ses responsabilités, y compris l'État. Le sens des responsabilités, c'est de commencer à faire, soi même, à son niveau, ce qui est juste et utile. L'État aura une légitimité forte pour responsabiliser les communes qui ne respectent pas la loi SRU ou mettent en place des règles de constructibilité malthusiennes et pour responsabiliser les propriétaires qui gèlent leurs logements ou leur terrain à condition que, lui-même, fasse ce qui dépend de lui en cédant les immeubles bâtis et non bâtis qu'il n'utilise pas .

Jusqu'à présent, l'État a refusé de se servir véritablement de l'outil des cessions avec décote mis en place par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. Manifestement, entre l'État propriétaire immobilier et l'État garant du droit au logement, le Gouvernement a fait le choix de privilégier le premier . C'est un choix éthiquement discutable. C'est également un choix économiquement absurde, car, si l'on raisonne en coûts complet sur le moyen terme, la perte d'actifs que représente la cession d'immeubles est largement compensée par l'effet de dynamisation de l'activité économique nationale et les rentrées de recettes fiscales subséquentes. Pour l'État en effet , céder ses terrains inutilisés, ce n'est pas brader son patrimoine : c'est investir . Car le mal logement et les prix exorbitants du logement représentent un coût exorbitant pour la collectivité nationale. Cela coûte en dépenses d'intervention pour aider les ménages à se loger et en dépenses sociales induites, par exemple celles liées aux difficultés d'accès à l'emploi ou en matière d'échec scolaire. Cela coûte en pouvoir d'achat et donc en consommation et en croissance, car le logement constitue une dépense contrainte qui absorbe une part croissante du revenu des ménages. Cela freine les projets de construction et donc la création de richesses par le secteur du bâtiment, gros pourvoyeur d'emplois. Cela pèse aussi sur la compétitivité du territoire et des entreprises. Pour ces raisons, votre commission rejette l'idée que faciliter les cessions d'immeubles pour permettre la construction de logements sociaux constitue un appauvrissement pour l'État.

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant l'article 1er (Article L. 3211-7 du code général de la propriété publique)

Commentaire : cet article étend les possibilités de cession avec décote des immeubles de l'État dans le but de favoriser la construction de logements sociaux.

I - Le droit en vigueur

Aux termes de l'article L. 3211-7 du code général de la propriété publique, l'État peut procéder à l'aliénation de terrains non bâtis de son domaine privé à un prix inférieur à la valeur vénale lorsque ces immeubles sont destinés à la réalisation de programmes de constructions comportant essentiellement des logements dont une partie au moins est réalisée en logement social.

L'article R. 148-7 du code du domaine de l'État fixe le plafond de cette décote à 25 % du produit de la valeur vénale du terrain. La décote peut être portée à 35 % dans les zones tendues.

Par ailleurs, des dispositions réglementaires encadrent ces cessions avec décote pour éviter toute appropriation de la valeur des terrains de l'État par les opérateurs privés :

- d'une part, l'article R. 148-6 du code du domaine de l'État indique expressément que : « L'avantage financier résultant de la décote est exclusivement et en totalité répercuté dans le prix de revient des logements locatifs sociaux réalisés sur le terrain aliéné » ;

- d'autre part, l'article R. 148-7 met en place un mécanisme de pondération (avec un taux calculé comme le rapport entre SHON affectée au logement social et la SHON totale du programme immobilier) qui fait que le montant effectif de la décote diminue quand la part du programme affectée au logement social baisse.

Il est à noter également qu'une décote de 100 % est permise, dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion, lorsque ces terrains sont destinés à la réalisation de programmes de construction comportant essentiellement des logements, dont 50 % au moins de logements sociaux ou lorsqu'ils sont destinés à l'aménagement d'équipements collectifs (article L. 5151-1 du code général de la propriété publique).

II - Le texte adopté par votre commission

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement qui :

- donne la possibilité à l'État de céder ses immeubles -et non pas seulement ses terrains, ce qui étend considérablement le champ de la mesure ;

- porte la décote potentielle à 100 %, ce qui lui permet éventuellement de les céder gratuitement.

Il s'agit uniquement d'une possibilité, l'État gardant la maîtrise des conditions de cession, qui sont fixées par un décret en Conseil d'État. Par ailleurs, il est précisé que la décote de 100 % ne concerne que la partie du programme réalisant du logement social, ce qui empêche la captation de la plus-value latente par des tiers.

Votre commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé

Article unique (Article L. 123-1-11-1 [nouveau] du code de l'urbanisme)

Commentaire : cet article crée un nouveau dispositif de majoration des droits à construites

I - Le droit en vigueur

A - Le code de l'urbanisme comporte trois dispositifs de majoration des droits à construire

Le code de l'urbanisme, depuis une quinzaine d'années, a été enrichi de plusieurs dispositions autorisant un dépassement des règles de densité. On compte désormais, trois dispositifs de ce type : un à vocation générale, à l'article L. 123-1-11, et deux autres ciblés sur des objectifs précis (soutien au logement social et aux constructions vertes), aux articles L. 127-1 et L. 128-1.


• Le dispositif de l'article L.123-1-11

Historique :

Créé par l'article 10 de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, ce dispositif se trouvait antérieurement aux alinéas 6 à 8 de l'article L. 123-1-1, avant d'être transféré sans changement aux alinéas 6 à 8 de l'article L. 123-1-11 par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

Ciblage et amplitude de dépassement :

Ce dispositif autorise, dans la limite de + 20 %, un dépassement des règles relatives au gabarit, à la hauteur, à l'emprise au sol et au coefficient d'occupation des sols pour permettre l'agrandissement ou la construction de tous types de bâtiments à usage d'habitation. La majoration ne peut excéder 20 % pour chacune des règles concernées et ne peut conduire à la création d'une surface habitable supérieure de plus de 20 % à la surface habitable existante.

Champ d'application territorial :

Ce dispositif s'applique dans tout secteur délimité à l'intérieur des zones urbaines définies par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu. La majoration n'est pas applicable dans les zones A, B et C des plans d'exposition au bruit ni dans les zones de risque et de précaution d'un plan de prévention des risques naturels (1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement).

Mise en place :

La majoration est décidée par une délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme après mise à disposition du public du projet de dépassement et recueil de ses observations.


• Le dispositif de l'article L. 127-1

Historique :

Ce dispositif de majoration des règles de densité destiné à favoriser la construction de logements sociaux a été créé par la loi du 21 janvier 1995 relative à la diversité de l'habitat, puis modifié à plusieurs reprises depuis, d'abord par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, puis par les lois du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion et du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Une nouvelle rédaction, issue de l'ordonnance n° 2012-11 du 5 janvier 2012 portant clarification et simplification des procédures d'élaboration, de modification et de révision des documents d'urbanisme doit par ailleurs entrer en vigueur au plus tard le 1 er janvier 2013.

Ciblage et amplitude de dépassement :

Dans sa version en vigueur, la majoration peut atteindre + 50 % du volume constructible tel qu'il résulte du coefficient d'occupation des sols ou des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l'emprise au sol. Pour chaque opération, elle ne peut être supérieure au rapport entre le nombre de logements locatifs sociaux et le nombre total des logements de l'opération. Elle ne doit pas porter atteinte à l'économie générale du POS ou du projet d'aménagement et de développement durables du PLU.

Champ d'application territorial :

La majoration s'applique dans tout secteur délimité sur le territoire de la commune ou de l'EPCI. Elle peut être modulée en fonction des secteurs.

Mise en place :

La majoration est décidée par délibération motivée du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme et est précédée d'une information du public.


• Le dispositif des articles L. 128-1 et L. 128-2

Historique :

Ce dispositif de majoration des règles de densité destiné à favoriser les constructions remplissant des critères de performance énergétique ou comportant des équipements de production d'énergie renouvelable a été créé par la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique. Il a été modifié par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

Ciblage et amplitude de dépassement :

Le dispositif concerne les constructions qui répondent à certaines performances énergétiques et qui utilisent les énergies renouvelables. Il autorise un dépassement des règles relatives au gabarit et à la densité d'occupation des sols résultant du plan local d'urbanisme ou du document d'urbanisme en tenant lieu, dans la limite de 30 % (20 % dans certains secteurs protégés 7 ( * ) ).

Champ d'application territorial :

La majoration s'applique dans les zones urbaines ou à urbaniser, dans le respect des autres règles établies par le document d'urbanisme, et peut faire l'objet d'une modulation par secteurs -modulation qui peut aller jusqu'à la suppression totale dans des secteurs limités, sous réserve d'une justification spéciale motivée par la protection du patrimoine bâti, des paysages ou des perspectives monumentales et urbaines.

Mise en place :

La majoration est décidée par le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme, après mise à disposition du public du projet de dépassement et recueil de ses observations. Lorsque le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale fait usage de la faculté de modulation de cette possibilité de dépassement, il ne peut modifier la délibération prise en ce sens avant l'expiration d'un délai de deux ans.


• L'articulation des trois dispositifs

L'application de l'article L. 123-1-11 est exclusive de celle des articles L. 127-1 et L. 128-1. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 128-3, l'application combinée des articles L. 127-1, L. 128-1 et L. 128-2 ne peut conduire à autoriser un dépassement de plus de 50 % de la densité autorisée par le coefficient d'occupation des sols ou du volume autorisé par le gabarit.

B - Une obligation de délibérer sur l'utilisation de ces dispositifs

Aux termes de l'article L. 123-12-1 du code de l'urbanisme, les communes et les EPCI compétents en matière de plan local d'urbanisme ont l'obligation de délibérer, à l'occasion du débat triennal sur le bilan du PLU, au sujet de l'opportunité d'une application des dispositions prévues au sixième alinéa de l'article L. 123-1-11. L'obligation de délibérer sur ce point à l'occasion du débat-bilan a été introduite par la loi du 25 mars 2009 dite MOLLE, qui, en même temps qu'elle créait ce dispositif de majoration des droits à construire, obligeait les communes à réfléchir à l'utilisation de ce nouvel outil.

On peut faire remarquer que l'article L. 123-12-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II, vise l'article L. 123-11 au lieu de l'article L. 123-1-11. Il s'agit cependant là d'une erreur manifeste de référence qui s'est produite lors de la recodification du code de l'urbanisme par la loi portant engagement national pour l'environnement. En effet, avant cette recodification, dans sa rédaction issue de la loi Molle, l'article L. 123-12-1 visait bien le sixième alinéa de l'article L. 123-1-1, c'est-à-dire le dispositif de majoration des droits à construire. La loi Grenelle II ayant renuméroté l'article L. 123-1-1, pour le transformer en L. 123-1-11, l'article L. 123-12-1 a été modifié en conséquence. Cependant, par erreur, il a visé l'article L. 123-11 au lieu de l'article L. 123-1-11.

ARTICLE L. 123-12-1 DU CODE DE L'URBANISME

Trois ans au plus après la délibération portant approbation du plan local d'urbanisme ou la dernière délibération portant révision de ce plan, un débat est organisé au sein de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou, dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 123-6, du conseil municipal sur les résultats de l'application de ce plan au regard de la satisfaction des besoins en logements et, le cas échéant, de l'échéancier prévisionnel de l'ouverture à l'urbanisation des zones à urbaniser et de la réalisation des équipements correspondants. L'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou, dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 123-6, le conseil municipal délibère sur l'opportunité d'une application des dispositions prévues au sixième alinéa de l'article L. 123-11 [il convient de lire ici : L.123-1-11] , d'une mise en révision ou d'une mise en révision simplifiée de ce plan dans les conditions prévues à l'article L. 123-13. Ce débat est organisé tous les trois ans dès lors que le plan n'a pas été mis en révision.

C - Des outils jusqu'à présent très peu utilisés et mal évalués

L'étude d'impact jointe au projet de loi fournit des indications sur l'utilisation faite par les communes des dispositifs de majoration des droits à construire. Sur un échantillon de seize départements, dont ceux de la région Île-de-France, 30 communes sur 3 776 ont pris une délibération sur le fondement du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11, soit 0,8 % du total. Ce taux monte à 4 % pour les décisions de majoration prise en application des articles L. 127-1 et L. 128-1. Ces dispositifs ont donc jusqu'à présent rencontré un succès limité.

De manière étonnante s'agissant d'un projet de loi qui vise à étendre l'application des mécanismes de majorations des droits à construire tout en conservant - article 72 de la Constitution oblige - leur caractère optionnel, l'étude d'impact se borne à constater le peu d'intérêt manifeste des communes pour ce type d'outils, sans avancer d'explication sur les raisons de cette attitude. Cette absence de diagnostic est d'autant plus étonnante, que, par ailleurs, ces dispositifs sont présentés (sans véritable éléments tangibles à l'appui cependant) comme efficaces et pertinents. Ainsi, l'étude d'impact indique-t-elle : « Le retour d'expérience des communes qui ont, volontairement, utilisé les dispositifs pré-existants ont permis de considérer le dispositif comme efficace. (...) Ils ont montré leur pertinence lorsque les communes s'en sont saisies, mais trop peu d'entre elles l'ont fait » 8 ( * ) . L'absence d'analyse des causes de la réticence des communes à utiliser les outils de majoration des droits à construire constitue un point aveugle du texte.

II - Le projet de loi initial

A - Une modification de l'article L. 123-1-11

Le I de l'article unique du projet de loi propose de porter la possibilité de majoration de 20 à 30 % prévue au sixième alinéa de cet article.

B - La création d'un nouveau dispositif de majoration des droits à construire

Le II de l'article unique crée un dispositif de majoration des droits à construire à l'article L. 123-1-11-1 nouveau du code de l'urbanisme.

L' alinéa 3 de l'article dispose que les droits à construire résultant des règles de hauteur, de gabarit, d'emprise au sol ou de coefficient des sols sont majorés de 30 % pour permettre l'agrandissement ou la construction de logements. La mesure s'applique dans les communes couvertes par un PLU ou un POS.

Les alinéas 4 et 5 précisent le champ d'application territorial de cette disposition :

- cette majoration s'applique sur tout le territoire d'une commune ou d'un EPCI compétent en matière de plan local d'urbanisme doté d'un PLU, d'un POS ou d'un plan d'aménagement de zone. Toutefois, ne sont pas concernés par cette disposition les zones A, B et C des plans d'exposition au bruit mentionnées à l'article L. 147-4 et les secteurs sauvegardés ;

- elle ne peut modifier une servitude d'utilité publique ni déroger aux dispositions des lois montagne et littoral ;

- elle ne s'applique pas non plus sur le territoire d'une commune ou d'un EPCI compétent en matière de PLU qui, avant l'entrée en vigueur de la loi, a déjà adopté une délibération prise sur le fondement du sixième alinéa de l'article L. 123-1-11.

LES SECTEURS SAUVEGARDÉS

Il s'agit des secteurs définis sur le fondement de l'article L. 313-1 du code de l'urbanisme. Présentant un caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles bâtis ou non, un secteur sauvegardé est créé par l'autorité administrative sur demande ou avec l'accord de la commune. Placé sous la surveillance de l'architecte des bâtiments de France, il fait l'objet de prescriptions d'urbanisme définies dans un plan de sauvegarde et de mise en valeur est élaboré conjointement par l'État et la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme.

Les alinéas 6 à 8 précisent les modalités de consultation du public. La commune ou l'EPCI compétent en matière de PLU dispose de six mois après l'entrée en vigueur de la loi pour mettre à la disposition du public une note d'information qui présente les conséquences de la majoration de 30 % des droits à construire et qui évalue l'impact du document au regard des principes fondamentaux du droit de l'urbanisme figurant à l'article L. 121-1. Le public a ensuite un mois pour présenter ses observations, après quoi la synthèse des observations du public est présentée par le maire ou le président de l'EPCI devant le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'EPCI, puis est publiée.

Les alinéas 9 et 10 précisent les modalités d'entrée en vigueur du dispositif :

- la majoration de 30 % des droits à construire entre en vigueur huit jours après la présentation de la synthèse des observations du public. Au vu des résultats de la consultation du public, la commune ou l'EPCI compétent peuvent rejeter l'application la majoration de 30 % sur tout ou partie de leur territoire. Ils peuvent également l'exclure, après consultation du public, en prenant une délibération sur la base de l'article L. 123-1-11 ;

- en l'absence de délibération de la commune ou de l'EPCI compétent en matière de PLU, la majoration s'applique en principe de manière automatique dans un délai maximum de neuf mois suivants l'entrée en vigueur de la loi ;

- la majoration des droits à construire est réversible, sur simple délibération : après avoir organisé la consultation du public, la commune ou l'EPCI peut soit décider qu'elle ne s'appliquera pas sur tout ou partie de leur territoire, soit lui préférer l'application des dispositions de l'article L. 123-1-11.

L' alinéa 11 introduit une dérogation majeure aux règles de délégation des compétences entre communes et communautés, puisqu'il prévoit qu' une commune membre d'un EPCI doté de la compétence PLU peut prendre une décision contraire à celle de l'EPCI. Par exemple, appliquer la majoration bien que l'EPCI ait décidé de ne pas le faire, ou ne pas l'appliquer bien que l'EPCI ait décidé de la mettre en oeuvre. C'est une manière pour la commune de reprendre la compétence PLU qu'elle a déléguée à l'EPCI ou dont l'EPCI est titulaire de plein droit dans le cas des communautés urbaines.

L' alinéa 12 donne au dispositif un caractère temporaire. La loi s'applique aux demandes de permis de construire et aux déclarations déposées avant le 1 er janvier 2016.

Les alinéas 13 et 14 précisent l'articulation du nouveau dispositif avec les dispositifs de majoration déjà existants. Contrairement à l'article L. 123-1-11, le nouvel article L. 123-1-11-1 peut se combiner avec les articles L. 127-1, L.128-1 et L. 128-2 - sans qu'on comprenne d'ailleurs ce qui justifie cette différence de traitement. L'utilisation cumulée du dispositif général et des deux dispositifs ciblés (logement social et performance énergétique) ne peut permettre d'aller au-delà d'une majoration des droits à construire de + 50 %.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Outre divers amendements rédactionnels lors de l'examen en commission, le texte a été enrichi d'une précision lors des débats en séance. L'expression : « à l'issue de » a été substituée aux mots : « au vu de » à l'alinéa 9 de l'article unique, ce qui permet de ne pas lier la décision de la collectivité aux résultats de la consultation du public.

III - Le texte adopté par votre commission

Sur proposition de M. Jean-Jacques Filleul et des membres du groupe socialiste et apparentés et sur proposition de M. Gérard Le Cam, Mme Mireille Schurch et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, votre commission a décidé de supprimer l'article unique du projet de loi qui introduit un dispositif redondant avec le droit existant, inefficace, accusatoire à l'encontre des communes ou de leurs groupements et porteur de graves risques juridiques.

Votre commission a supprimé cet article

Intitulé du projet de loi

Pour tenir compte de la suppression de l'article unique instituant un nouveau dispositif de majoration des droits à construire et de l'adoption d'un article additionnel étendant les possibilités de cession avec décote des immeubles de l'État dans le but de favoriser la construction de logements sociaux, votre commission a adopté un amendement, à l'initiative de son rapporteur, pour modifier l'intitulé du projet de loi qui devient : « projet de loi de mobilisation du foncier en faveur du logement ».

Votre commission a adopté cet intitulé ainsi rédigé

*

* *

Au cours de sa réunion du mardi 28 février 2012, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a adopté l'ensemble du projet de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

ANNEXE I - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

I. AUDITIONS DEVANT LA COMMISSION DE L'ÉCONOMIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Mercredi 22 février 2012

- M. Benoist Apparu , secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.

II. AUDITIONS DEVANT LE RAPPORTEUR

Mardi 21 février 2012

- Association nationale des élus du littoral (ANEL) : M. Yvon Bonnot , maire de Perros-Guirec et président de l'ANEL ;

- Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) : MM. Dominique Métayer , trésorier et vice-président, Alain Chouguiat , chef du service « Affaires économiques », et Dominique Proux , directeur des relations institutionnelles ;

- Fédération française du bâtiment (FFB) : MM. Jacques Chanut , vice-président, Loïc Chapeaux , chef du service « Études économiques », Bernard Coloos , directeur des affaires économiques, et Mme Klervi Le Lez , chargée d'études.

Mercredi 22 février 2012

- Association des maires de France (AMF) : M. Pierre Jarlier , sénateur du Cantal et président de la commission « Urbanisme » de l'AMF ;

- M. Hugues Perinet-Marquet , professeur de droit et directeur du centre d'études et de recherche sur la construction et le logement ;

- Syndicat national des aménageurs lotisseurs (SNAL) : Mmes Pascale Poirot , présidente, et Isabelle Baer , déléguée générale ;

- Nexity : M. Bruno Corinti , président-directeur général de Nexity immobilier résidentiel ;

- Association nationale des élus de la montagne (ANEM)) : Mme Chantal Robin-Rodrigo , députée des Hautes-Pyrénées, secrétaire générale de l'ANEM et MM. Pierre Bretel, délégué général et Hervé Benoît , chargé de mission ;

- Union des Maisons Françaises (UMF) : M. Dominique Duperret , secrétaire général ;

- Assemblée des communautés de France (ADCF) : MM. Michel Piron , député et membre du bureau exécutif de l'ADCF, Nicolas Portier , délégué général, et Philippe Schmit , responsable de l'action régionale urbanisme.

Jeudi 23 février 2012

- Fédération des promoteurs immobiliers (FPI ) : MM. Marc Pigeon , président et Jean-Michel Mangeot , délégué général.


* 1 Page 20 de l'étude d'impact.

* 2 Page 13 de l'étude d'impact.

* 3 Page 16 de l'étude d'impact.

* 4 Page 9 de l'étude d'impact.

* 5 Rien n'empêche une commune, au lieu d'utiliser les dispositifs de majoration prévus aux articles L. 123-1-11, L. 127-1 et L. 128-1, de modifier son PLU pour redéfinir les règles de constructibilité. À vrai dire, plutôt que d'introduire des règles de majoration dérogatoires aux règles des PLU, il est plus simple, plus cohérent et, pour tout dire, plus intelligent, d'intégrer directement les objectifs de densification dans le règlement du PLU. Les procédures de modification sont suffisamment souples pour le faire dans des délais raisonnables. Le cas échéant, si besoin est, mieux vaut que le législateur travaille à simplifier davantage ces procédures de modification des PLU plutôt qu'à introduire des règles dérogatoires de majoration.

* 6 Charte de l'environnement, article 7 : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »

* 7 Notamment secteurs sauvegardés, ZPPAUP, périmètres de protection d'un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques, sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement ou encore à l'intérieur du coeur d'un parc national.

* 8 Page 9 de l'étude d'impact.

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