C. LES ÉCOLES DE PRODUCTION CONTRAINTES À SORTIR D'UNE CERTAINE AMBIGUÏTÉ

La question du statut des écoles de production avait déjà été débattue au Parlement, à l'occasion d'une question adressée par le député Robert Lamy au Gouvernement le 1 er février 2005 à l'Assemblée nationale. Le ministre délégué à la recherche, M. François d'Aubert, avait alors indiqué que le ministère de l'éducation nationale était prêt à étudier les demandes éventuelles des écoles de production pour la conclusion d'un contrat d'association, tout en soulignant qu' « encore faut-il que les écoles répondent aux critères de celui-ci, qui s'imposent à tous. Cela ne semble pas être le cas aujourd'hui ».

Le ministre avait insisté, en outre, sur les différences fondamentales qu'il existe entre les écoles de production et des établissements d'enseignement sous contrat avec l'éducation nationale :

- « bien que les formateurs soient des professionnels aguerris et compétents, ils ne sont pas titulaires d'une licence pour enseigner » ;

- « les élèves travaillent 39 heures par semaine, et leur formation s'étale sur trois ans, alors qu'elle n'est que de deux ans dans le système de formation reconnu par l'éducation nationale. Ces horaires supérieurs à la moyenne permettent aux élèves de produire des objets divers, dont la vente contribue aux ressources de l'association à hauteur de 50 %. Or un établissement reconnu par l'éducation nationale ne saurait avoir une activité commerciale ».

Dès lors, le ministre avait soutenu que « puisqu'une convention spécifique n'est pas légalement envisageable, l'éducation nationale ne peut qu'encourager les écoles de production à sortir d'une certaine ambiguïté , soit à s'affirmer comme écoles et à s'engager dans la voie du contrat, soit à privilégier leur originalité à partir de leurs activités de production, sans pouvoir prétendre à un contrat ».

D. L'OPPORTUNITÉ D'UNE MISSION D'ÉVALUATION DES DISPOSITIFS DE FORMATION ALTERNÉE DESTINÉS AUX MINEURS

La réglementation en vigueur n'a pas empêché l'essor d'un réseau d'écoles de production qui continuent de pouvoir organiser en toute autonomie leur fonctionnement et leur scolarité selon des critères qui sont, du reste, propres à chaque établissement. Votre commission estime qu'il serait contreproductif d'introduire dans notre droit un statut hybride taillé sur mesure au seul profit des écoles de production qui constituerait potentiellement une rupture dans l'égalité de traitement de l'ensemble des établissements d'enseignement technique privés .

Un certain nombre de ces établissements privés ont précisément fait le choix d'adapter leur organisation de la scolarité, leur fonctionnement et leurs méthodes pédagogiques pour se conformer aux exigences du ministère de l'éducation nationale dans le cadre de contrats d'association. La reconnaissance d'un statut ad hoc pour un réseau de quinze écoles de production n'encadrant que tout au plus 700 élèves serait dès lors mal perçue par le reste des établissements d'enseignement technique privés.

Outre les problèmes rédactionnels posés par la proposition de loi, la perspective de transférer l'agrément et l'inspection de ces établissements au ministère chargé de la formation professionnelle n'irait pas, du reste, dans le sens d'une garantie accrue du respect des exigences de l'instruction obligatoire alors que ces écoles accueillent en partie des enfants âgés de 14 à 16 ans.

En revanche, votre commission reconnaît qu'il serait également bienvenu de la part du ministère de l'éducation nationale qu'il sorte lui-même du rapport ambigu qu'il entretient avec les écoles de production. Force est de constater que les écoles de production répondent à un réel besoin en direction de jeunes complètement exclus du système scolaire traditionnel , pour certains dans des situations d'abandon familial.

Or, il n'est certainement pas souhaitable de laisser perdurer une situation dans laquelle des établissements, bien que privés mais poursuivant une oeuvre d'encadrement pédagogique et d'insertion professionnelle à destination des jeunes en très grande difficulté, demeurent marginalisés, voire tacitement ignorés par le système de l'éducation nationale. Le ministère de l'éducation nationale semble, en effet, s'accommoder d'un réseau d'écoles de production qui permet de prendre en charge des élèves exclus pour lesquels l'offre scolaire traditionnelle n'est plus adaptée . Pour autant, il n'entend pas leur reconnaître une réelle légitimité, en refusant en particulier l'octroi d'aides sociales à des jeunes pourtant âgés pour certains de 14 à 16 ans.

Qu'il s'agisse des exigences de l'instruction obligatoire ou de la nécessité d'accorder des aides à la scolarité au profit de mineurs en difficulté, le ministère de l'éducation nationale ne peut plus se permettre de détourner son regard des écoles de production, même de façon bienveillante. Le risque serait de marginaliser et stigmatiser encore plus ces jeunes accueillis dans une voie complètement dérogatoire du droit commun sans aucune validation du projet pédagogique des établissements. Des règles minimales d'organisation de la scolarité doivent être définies, en négociation avec les écoles de production, sur les aspects suivants :

- un temps de formation générale incompressible doit être garanti , au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production. Le modèle pédagogique des écoles de production ne permet pas pour l'heure de prévenir toute dérive productiviste qui conduirait à délaisser le temps de la formation générale au profit du temps de la production, en particulier en période de fortes commandes. Un certain nombre de ces jeunes ont entre 14 et 16 ans et disposent d'un niveau de formation générale extrêmement faible (certains « primo-arrivants » ne parlent pas le français). Or, il est indispensable de s'assurer que leur scolarité au sein des écoles de production leur garantisse l'acquisition d'un socle minimal de connaissances fondamentales (lecture, écrit, mathématiques) afin d'être en mesure d'exercer pleinement leur citoyenneté ;

- le contrôle du volet pédagogique des écoles de production doit également reposer sur une habilitation ou une accréditation des personnels appelés à accompagner les élèves dans leur formation théorique et générale. Dans un souci de souplesse de recrutement au sein des bénévoles et des professionnels de l'industrie, cette accréditation n'a pas vocation à être conditionnée à l'obtention d'un titre à l'issue d'un concours, comme c'est le cas dans le cadre d'un contrat d'association. Une procédure d'habilitation à enseigner au sein d'établissements d'enseignement technique permettrait aussi bien de garantir un niveau de compétence pédagogique minimal que de valoriser ces bénévoles et maîtres professionnels ;

- l'accès aux aides à la scolarité doit être garanti pour les élèves inscrits en formation alternée , que ce soit en établissements sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale ou en écoles de production. Il n'est pas envisageable, en effet, de laisser ces jeunes à l'écart de toute forme d'aide sociale. Certes, le cadre juridique actuel ne permet pas aux élèves des écoles de production de bénéficier de ces aides, faute d'avis favorable de la part du Conseil supérieur de l'éducation rendu obligatoire par l'article L. 531-5 du code de l'éducation. Toutefois, une solution pourrait être trouvée dans le traitement différencié des élèves en fonction de leur âge et du dispositif d'accueil choisi, en réservant les écoles de production à la scolarité post-obligatoire au-delà de 16 ans :


de 14 à 16 ans , les élèves devraient idéalement être inscrits au sein d'établissements ou d'organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale. En maintenant ces élèves sous statut scolaire, l'octroi d'aides à la scolarité selon les conditions de ressources des familles serait dès lors automatique. Les conditions réglementaires sont aujourd'hui réunies pour garantir l'accès des élèves de 14 à 16 ans à plusieurs dispositifs de formation alternée sous statut scolaire :

Ø l'article L. 337-3 du code de l'éducation prévoit que « les élèves ayant atteint l'âge de quatorze ans peuvent être admis, sur leur demande et celle de leurs représentants légaux, à suivre une formation alternée, dénommée « formation d'apprenti junior », visant à l'obtention, par la voie de l'apprentissage, d'une qualification professionnelle dans les conditions prévues au livre II de la sixième partie législative du code du travail. Cette formation comprend un parcours d'initiation aux métiers effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d'apprentis, puis une formation en apprentissage » ;

Ø l'article L. 337-3-1 du code de l'éducation a permis aux jeunes âgés d'au moins 15 ans d'avoir accès au dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) : dans ce cadre, le jeune bénéficie d'une formation non rémunérée lui permettant de commencer une activité de type professionnel tout en demeurant sous statut scolaire ;

Ø les maisons familiales rurales peuvent accueillir des jeunes à partir de 14 ans, en classes de 4 e et 3 e de l'enseignement agricole, pour des formations par alternance ou par apprentissage, jusqu'au niveau CAP ou BAC ;


de 16 à 18 ans , les élèves qui le désirent pourraient être inscrits en écoles de production qui seraient réservées à la scolarité post-obligatoire. Dans ces conditions, la scolarité en écoles de production pourrait être reconnue par le ministère de l'éducation nationale, dans les conditions fixées par un contrat d'association, comme un parcours de formation récurrente 1 ( * ) permettant à des jeunes âgés de plus de 16 ans sortis du système scolaire d'y retourner. À titre d'exemple, la région Rhône-Alpes a conclu une convention avec le lycée Magenta de la « nouvelle chance » à Villeurbanne afin que celui-ci donne l'opportunité à des jeunes de plus de 16 ans de renouer avec les études et d'acquérir une qualification professionnelle, le conseil régional leur accordant le statut de stagiaire de la formation continue non rémunéré, et leur attribuant une allocation .

Ainsi, en 2012, le conseil régional de Rhône-Alpes a financé la protection sociale et la rémunération de 84 stagiaires de la formation continue accueillis au lycée Magenta, pour un montant total de 380 000 euros.

Dans ces conditions, votre commission a décidé de rejeter la proposition de loi.

Votre commission estime préférable de se donner le temps de la réflexion, en sollicitant auprès du Gouvernement la mise en place d'une mission consacrée à l'enseignement technique et professionnel privé et aux dispositifs de formation alternée. Cette mission d'évaluation et d'inspection a vocation à dresser un panorama et un bilan des dispositifs d'alternance mêlant formation théorique et générale et formation professionnelle qui constituent un ensemble aujourd'hui très hétérogène : les lycées techniques et professionnels privés, les maisons familiales rurales, les structures de pédagogie récurrente, les écoles de la 2 e chance, les écoles de production, les établissements publics d'insertion de la Défense (EPIDe), le dispositif de formation d'apprenti junior, le dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance...

Cette mission devra formuler des recommandations en vue d' améliorer et de sécuriser le cadre juridique régissant ces dispositifs d'éducation et d'insertion, en précisant le cas échéant les modifications législatives et réglementaires qui s'imposent. Ses conclusions pourront nourrir le prochain projet de loi de programmation pour l'école qui devrait comprendre un volet consacré à l'enseignement technique et professionnel et à la formation alternée.


* 1 Loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle et loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

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