EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 11 juin 2014, sous la présidence de Jean-Louis Carrère, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Michelle Demessine et du texte proposé par la commission sur la proposition de loi n° 212 (2011-2012), présentée par M. Guy Fischer relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918.

À l'issue de la présentation du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Daniel Reiner, président . - Merci pour votre travail de grande qualité sur ce sujet tragique et complexe ; dans la rédaction que vous proposez, vous supprimez avec raison la demande de pardon de la France aux familles des fusillés pour l'exemple, une demande difficile à accepter dès lors que les exécutions ont été ordonnées en vertu de la loi française ; vous enlevez aussi sa portée normative au texte, pour en faire un acte symbolique : la commission acceptera-t-elle de prendre ainsi une disposition législative purement symbolique ?

M. Jacques Gautier . - Je salue le travail de Michèle Demessine, qui a su adopter une perspective historique tout en faisant preuve d'une grande humanité, pour parvenir au texte qu'elle nous propose. Cependant, le groupe UMP ne le votera pas, ceci pour deux raisons.

Sur la forme, d'abord, notre groupe est hostile à ce qu'une proposition de loi soit modifiée en commission : nous en avons eu une expérience amère et nous avons décidé qu'une proposition de loi devait parvenir inchangée en séance publique, pour que leurs auteurs présentent leur position, qu'un débat ait lieu - ou bien on ouvrirait la porte à des manoeuvres politiques qui n'ont pas leur place à la Haute Assemblée.

Sur le fond, ensuite, l'année du centenaire du déclenchement de la Grande Guerre nous paraît peu propice au débat sur ce sujet sensible, récurrent, qui touche à l'histoire, donc à la mémoire. Une réhabilitation générale nous semble également difficile, parce qu'il y a eu, parmi les fusillés, des déserteurs et même des soldats qui ont trahi dans un contexte de guerre, ce qui empêche de dire qu'ils sont « morts pour la France » : une réhabilitation au cas par cas nous paraît donc préférable.

M. Alain Néri . - Je salue également le travail de notre rapporteure et je connais bien les intentions de Guy Fischer, pour m'en être entretenu avec lui. Cependant, comment peut-on prétendre juger ce qui s'est passé il y a cent ans, dans un contexte que nous ne connaissons pas ? La Grande Guerre a tout de suite été un choc d'une brutalité peu imaginable, littéralement hallucinatoire : à son premier jour, il y a eu 17 000 morts sur notre sol, des soldats qui arrivaient tout juste de leurs champs ou de leurs ateliers... La réhabilitation ne nous paraît pas possible, pour la bonne raison que nous ne serions pas de bons juges pour le faire.

La Nation, cependant, peut s'approprier collectivement, dans sa mémoire, l'ensemble des drames de la Grande Guerre. Lionel Jospin a ouvert la voie, dans son discours de Craonne en 1998, suscitant alors des réactions vives, voire violentes ; Nicolas Sarkozy a suivi, dans son discours de Douaumont de 2008, puis François Hollande est allé plus loin en annonçant qu'une place serait accordée aux fusillés dans le Musée des Invalides : c'est un hommage très fort, une inscription dans notre histoire, une forme de réhabilitation dans notre mémoire collective, une façon d'honorer ceux qui ont été parmi les combattants de la Grande Guerre.

Le Président de la République, ensuite, a demandé que les dossiers des fusillés puissent être, une fois numérisés, consultables par le public ; le 11 novembre prochain, l'inauguration de la salle consacrée aux fusillés pour l'exemple sera l'occasion, je l'espère, d'une nouvelle déclaration publique dans le sens de la reconnaissance de ces anciens soldats.

Tous ces actes me paraissent satisfaire cette proposition de loi, et même aller au-delà : les fusillés pour l'exemple sont reconnus, ils ont leur place dans notre mémoire collective - et les communes, du reste, peuvent déjà inscrire leurs noms sur les monuments aux morts.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre ce texte.

M. Joël Guerriau . - Je crois pour ma part que le centenaire est une très bonne occasion de débattre de ce sujet et que la réhabilitation collective est la meilleure solution, sachant qu'une réhabilitation individuelle est irréaliste, vue l'ampleur du travail qu'il y faudrait, mais aussi le manque d'archives. Les historiens nous donnent de très nombreux exemples de fusillés pour l'exemple qui étaient de bons soldats, souvent depuis plusieurs années, avec des états de service remarquables, des citations à l'ordre de leur régiment, parfois des blessures. Je pense à un caporal issu de mon canton : engagé en 1914, blessé, cité pour son courage et sa bravoure devant l'ennemi, il finit fusillé pour l'exemple en 1917. Un autre qui, trop jeune, avait falsifié sa date de naissance pour se battre dès 1914, blessé au combat puis rétabli, reparti au front : il est fusillé en 1917, lui aussi. Je pense, encore, à un simple d'esprit, fusillé pour l'exemple. De leur côté, que faisaient nos généraux ? Combien d'erreurs ont-ils faites, combien d'hommes ont-ils envoyé inutilement à la mort sans jamais être sanctionnés ? J'ai la chance d'avoir eu un grand-père qui a fait toute la Grande guerre et qui, même, a été le seul survivant de son régiment sur l'ensemble du conflit ; mais nous n'en n'avons jamais parlé, parce que cette guerre de l'horreur a laissé place au silence...

Il est certes difficile de porter un jugement sur cette période, cent ans après, mais avons-nous raison de fermer les yeux sur une situation inacceptable ? Nous commémorerons en juillet le centenaire de l'assassinat de Jaurès, qui venait d'appeler à la paix et à la réconciliation ; les fusillés pour l'exemple ont donné leur vie et c'est au nom de la réconciliation que je soutiens cette proposition de loi, qui est une façon de dire non à la guerre et oui à la paix.

M. Bernard Piras . - Je serai bref : Alain Néri a tout dit, je suis sur la même position que lui.

M. Jeanny Lorgeoux . - Pour avoir, moi aussi, un grand-père qui a fait toute la Grande Guerre, je suis très sensibilisé à cette période mais je parviens à une conclusion inverse de celle de Joël Guerriau : devant le chavirement abyssal provoqué par le déterrement de ce dossier, la paix du silence me paraît la meilleure solution.

M. Jean Besson . - Ce texte me gêne par l'amalgame qu'il fait entre les fusillés qui avaient pu commettre des fautes pardonnables, et ceux qui avaient déserté, voire qui avaient trahi en temps de guerre. Dans ces conditions, je me contente des déclarations présidentielles et d'actions comme l'entrée au Musée des Invalides.

M. Michel Billout . - Le groupe CRC votera l'amendement de notre rapporteure, qui a le mérite de rechercher un compromis pour conclure ce débat récurrent. Les déclarations présidentielles ne sont pas suffisantes, d'autres pays comme la Grande-Bretagne l'ont compris, en allant plus loin. Je ne suis pas troublé que, parmi les fusillés que nous réhabiliterions, il s'en trouve quelques-uns qui auraient déserté en temps de guerre : à cause de ces quelques-uns, devrions-nous faire l'impasse sur l'injustice passée, le Parlement devrait-il rester silencieux et rejeter même ce texte de compromis qui va moins loin que la proposition initiale ? Je ne le pense pas et je crois que le Président de la République a besoin du Parlement pour aller au-delà ; je regrette que nous ne fassions rien et que ce problème nous reste sur les bras.

Mme Michelle Demessine, rapporteure . - Je remercie chacun de vous pour la qualité de ce débat. J'ai essayé d'avancer, d'aller plus loin que les déclarations présidentielles, parce que je crois que le Parlement a son rôle à jouer sur ce sujet, en s'adressant à tous les Français, au-delà d'une entrée des fusillés au Ministère des Invalides. Le Parlement britannique l'a fait, alors que la Grande-Bretagne a aussi payé un lourd tribut à la guerre, et a su dépasser toutes les difficultés soulevées par les uns et les autres. J'avoue que je serais déçue que nous n'y parvenions pas ; j'espère qu'avec le Gouvernement, nous parviendrons à un accord, pour adopter un texte en séance.

La réhabilitation au cas par cas est une fausse piste : les historiens réunis autour d'Antoine Prost nous ont dit que les archives ne permettraient pas d'avoir des certitudes, mais aussi qu'aucun historien n'accepterait de faire le tri entre les fusillés. C'est pourquoi un acte symbolique est de loin préférable, pour mener ce débat récurrent à son terme. Les associations de familles de fusillés, qui demandent une reconnaissance depuis 1920, salueraient ce pas supplémentaire, comme elles ont déjà salué les déclarations présidentielles.

J'espère, donc, que nous parviendrons à un compromis d'ici la séance.

M. Daniel Reiner, président . - Connaissez-vous la position du secrétaire d'Etat sur ce texte et sur votre amendement ?

Mme Michelle Demessine, rapporteure . - Kader Arif a reçu Guy Fischer, il s'est montré très attentif à notre proposition et nous a dit que ses services y travailleraient d'ici la séance, mais les commémorations du 70 e anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie les ont mobilisés entièrement ; c'est pourquoi je place mes espoirs dans la semaine qui vient.

Cette proposition sera examinée telle quelle en séance, je présenterai aussi mon amendement, j'espère que d'autres propositions viendront des autres groupes et qu'avec le Gouvernement, nous trouverons un compromis.

M. Alain Néri . - Je précise que si le groupe socialiste vote contre la rédaction actuelle du texte et de l'amendement, il reste ouvert à trouver une solution d'ici la séance.

M. Daniel Reiner, président . - Nous passons à l'examen de l'article unique.

Mme Michelle Demessine, rapporteure . - J'ai déjà présenté l'amendement n°1.

L'amendement n° 1 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme DEMESSINE, rapporteure

1

Nouvelle rédaction tendant à une réhabilitation morale des fusillés pour l'exemple et à la possibilité d'inscrire leurs noms sur les monuments aux morts

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