EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi constitutionnelle des présidents Gérard Larcher et Philippe Bas, soumise à l'examen de votre commission, a pour objet de modifier les articles 1 er et 72 de la Constitution afin d'introduire le concept de « représentation équitable des territoires » pour l'élection des assemblées locales.

Cette révision constitutionnelle apporterait une dimension nouvelle à la conception de la représentation telle qu'elle découle des principes républicains traditionnels et notamment de ceux hérités de 1789. Elle permettrait de surmonter l'obstacle jurisprudentiel constitué par la conception essentiellement démographique du principe d'égalité devant le suffrage appliqué par le Conseil constitutionnel dans toutes ses décisions en matière de loi électorale en limitant cependant cette novation à l'élection des assemblées des collectivités territoriales et de leurs groupements.

I. LES PRINCIPES FONDATEURS DU DROIT ÉLECTORAL FRANÇAIS

La conception française de la représentation est héritière des principes de 1789 mais ceux-ci sont contradictoires.

Selon ces principes, la souveraineté appartient à la Nation, c'est-à-dire à l'ensemble indivisible des citoyens, comme le rappelle l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Si aujourd'hui sont considérés comme citoyens les nationaux des deux sexes sans restriction, il a fallu attendre longtemps pour parvenir à cette définition. Les constituants de 1789 considéraient le vote comme une fonction et non comme un droit , ce qui a permis de limiter son exercice aux seuls citoyens, c'est-à-dire aux détenteurs de la nationalité française (ce qui demeure le principe aujourd'hui) d'une part, et de distinguer parmi les citoyens selon leur capacité supposée (sexe, revenu) ceux qui étaient susceptibles d'exercer cette fonction (distinction entre citoyens actifs et passifs, entre citoyens et électeurs, etc.). Si désormais l'égal accès au suffrage est la règle pour tous les citoyens et citoyennes, cette conception du vote-fonction explique que, dans la tradition française, le représentant soit le représentant d'une population
- de nationaux ou non - mais que ses électeurs soient uniquement les citoyens de sa circonscription, ce qui a pour conséquence que des circonscriptions de population égale aient un électorat de citoyens très variable selon le nombre de résidents étrangers qu'elles accueillent.

Si la distinction entre population et Nation n'a jamais été contestée depuis 1789, il est tout aussi constant que, dans la tradition révolutionnaire et républicaine, le représentant ne représente que la Nation et ses citoyens. En 1789, l'abolition des différences entre les territoires a été aussi importante que l'abolition des distinctions entre les individus. Le territoire national devait être aussi uni et indivisible que sa communauté de citoyens. Les constituants de 1789 et 1791 et leurs successeurs n'eurent de cesse d'unifier et d'uniformiser le territoire du Royaume puis de la République et de ne donner aux subdivisions territoriales de l'État qu'un statut purement administratif, et des compétences et des institutions identiques. Il ne pouvait en être autrement dès lors que ces subdivisions étaient à la fois des circonscriptions administratives de l'État, régies par le principe de la subordination hiérarchique au centre - le gouvernement - de la périphérie
- le maire - dont le responsable n'était pas élu mais nommé 1 ( * ) , et des collectivités territoriales dotées d'une autonomie administrative fonctionnelle. Cela explique pourquoi le Conseil constitutionnel préfère s'appuyer directement sur les articles 1 er et 3 de la Constitution que sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui ne fait pas allusion au mode de désignation des représentants, laissant ce soin à la constitution de 1791 dont elle était partie intégrante et qui organisait l'inégalité du suffrage 2 ( * ) .

Dans cette conception, si le représentant de la Nation est élu dans une circonscription qui délimite un territoire, celui-ci est purement fonctionnel : le découpage des circonscriptions pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale est établi sur des bases démographiques et, juridiquement, le député est le représentant de la Nation et non de sa circonscription 3 ( * ) .

Ce poids du facteur démographique joue également pour l'élection des sénateurs, quand bien même ceux-ci « assurent la représentation des collectivités territoriales » 4 ( * ) . Cette représentation est réalisée à travers le scrutin indirect et l'élection par les élus locaux, mais même dans ce cas, le correctif démographique est intervenu progressivement pour rééquilibrer cette représentation (les élus municipaux constituant 90 % du corps électoral sénatorial) au profit des collectivités urbaines défavorisées par la majorité écrasante de petites communes rurales, quitte à ce que, dans les grandes villes, les sénateurs soient élus en partie par des délégués non membres des conseils municipaux.

Pour que le Sénat, qui représente aussi la Nation, représente autrement les collectivités territoriales, il aurait fallu que la République française ne soit pas un État unitaire dont les collectivités territoriales ne sont que des institutions administratives. Mais l'évolution récente des États composés montre que seuls les États fédéraux classiques (Allemagne, Suisse) sont dotés d'assemblées représentant spécifiquement les entités fédérées alors que les États régionaux ont tendance à réduire le rôle des secondes Chambres au profit d'un pouvoir - législatif - direct attribué aux institutions régionales.

Cette tradition et ces incertitudes expliquent pourquoi la proposition de loi constitutionnelle ne concerne que les collectivités territoriales et leurs groupement s.

Cette proposition part d'un constat : le Conseil constitutionnel fait du critère démographique le critère unique d'appréciation de la constitutionnalité des lois électorales - lato sensu - et n'apporte à ce critère que des correctifs limités à la prise en compte de motifs d'« intérêt général ».


* 1 Le maire n'est élu qu'en 1882 et le préfet remplacé par le président du conseil général qu'en 1982.

* 2 Sections 2 et 3 du Titre III de la Constitution du 3 septembre 1791.

* 3 « Si députés et sénateurs sont élus au suffrage universel [...], chacun d'eux représente au Parlement la Nation tout entière et non la population de sa circonscription d'élection » (Conseil constitutionnel, 15 mars 1999, n° 99-410 DC) .

* 4 Alinéa 4 de l'article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958.

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