Rapport n° 575 (2015-2016) de M. Albéric de MONTGOLFIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 4 mai 2016

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N° 575

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mai 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , réformant le système de répression des abus de marché ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur

Tome I : Rapport

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3601 , 3622 et T.A. 719

Sénat :

542 , 573 et 576 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie le mercredi 4 mai 2016 sous la présidence de Michèle André, présidente, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport d'Albéric de Montgolfier, rapporteur, sur la proposition de loi n° 542 (2015-2016) adoptée par l'Assemblée nationale réformant le système de répression des abus de marché ainsi que sur les propositions de loi identiques n° 19 (2013-2014) du rapporteur et n° 20 (2013-2014) de notre collègue Claude Raynal, relatives aux pouvoirs de sanction des régulateurs financiers.

La commission des finances souscrit à la réforme du système de répression à laquelle tendent de manière convergente ces trois propositions de loi et qui est rendue nécessaire par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle approuve également la transposition de la directive européenne et du règlement européen relatifs aux abus de marché. Elle a cependant souhaité accroître encore l'efficacité, la rapidité et la sévérité de la répression, en particulier pénale.

Elle a donc adopté 19 amendements sur le texte transmis par l'Assemblée nationale.

La commission a précisé le dispositif d'orientation des poursuites, afin d'en garantir la transparence et la rapidité , en déterminant les différentes étapes de la concertation entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers (AMF) et en encadrant ces dernières par des délais.

Elle a renforcé la coopération entre le parquet national financier et l'AMF au stade de l'enquête , en instaurant notamment des obligations réciproques d'information.

Elle a créé, pour les délits boursiers, une circonstance aggravante de bande organisée , portant la peine d'emprisonnement applicable à dix ans , et a permis au parquet, dans un tel cas, de mettre en oeuvre des moyens d'enquête renforcés (par exemple des interceptions téléphoniques) sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.

Elle a étendu aux abus de marché le champ de la composition administrative de l'AMF, eu égard au fait que les faits les plus graves ont désormais vocation à être sanctionnés par le seul juge pénal.

À l'initiative de la commission des lois, elle a mis en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle les conditions d'accès par l'AMF aux factures téléphoniques détaillées , en prévoyant une autorisation par le juge des libertés et de la détention.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi vise, comme son titre l'indique, à réformer le système de répression des abus de marché. C'est également l'objet principal des propositions de lois identiques 1 ( * ) présentées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal le 7 octobre 2015.

Cette réforme s'impose au législateur en raison de la censure par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 mars 2015, des dispositions organisant la répression des délits et des manquements d'initié au motif qu'elles permettaient un cumul des poursuites dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines.

Il convient de rétablir ces dispositions dans une version conforme aux exigences constitutionnelles et d'adapter de la même manière les dispositions relatives aux autres abus de marché (diffusion de fausses informations, manipulation de cours ou d'indice), la décision du Conseil constitutionnel leur étant clairement transposable même si elles n'ont pas encore été contestées devant ce dernier.

S'il semble possible de concevoir un système de cumul des poursuites administratives et pénales qui réponde aux critères fixés par le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014 qui devrait conduire la France à se conformer au principe ne bis in idem .

L'essentiel reste d'assurer une répression effective, rapide et dissuasive des abus de marché.

En effet, au-delà du gain personnel illicite réalisé par les auteurs de ces agissements et des pertes subies par certains investisseurs, les abus de marchés mettent à mal des intérêts publics primordiaux.

De fait, ces agissements portent atteinte à l'égalité d'accès des investisseurs à l'information financière, qui est consubstantielle de l'organisation des marchés boursiers, comme au fonctionnement même de ces marchés . Ainsi que le souligne la convention du Conseil de l'Europe du 20 avril 1989 sur les opérations financières des « initiés », le délit d'initié, « compromet [...] l'égalité des chances entre investisseurs et la crédibilité du marché ».

Cette crédibilité est d'autant plus compromise que le préjudice résultant de tels agissements est difficilement réparable et fait rarement l'objet d'une action civile, faute d'identification aisée des victimes. Or la confiance dans l'intégrité des marchés constitue une condition essentielle de leur développement et de leur liquidité et leur permet de remplir pleinement leur fonction de bonne allocation des ressources et des risques et de financement de l'économie.

Les abus de marché constituent d'ailleurs en eux-mêmes un facteur de distorsion de cette bonne allocation et l'asymétrie d'information à laquelle ils contribuent est source d'instabilité.

Au-delà donc de la question juridique du cumul de poursuites, la réforme du système de répression des abus de marché doit également être l'occasion d'améliorer celui-ci.

À cet égard, il est heureux qu'à l'occasion de l'examen de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (dite « loi DDADUE »), le Parlement ait, à l'initiative de votre commission des finances, refusé au Gouvernement l'autorisation de réaliser par voie d'ordonnance la transposition de la directive 2 ( * ) et du règlement 3 ( * ) européens sur les abus de marché (dits « paquet MAD-MAR »).

En effet, ces textes conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu'administratif et fixent aux États membres des plafonds minimum de sanction.

Comme l'indiquait notre collègue Richard Yung dans son rapport 4 ( * ) sur la loi DDADUE fait au nom de votre commission des finances, il n'était pas opportun que le Parlement se dessaisisse de cette « refonte d'ensemble, cohérente et structurante », impliquant des « évolutions [qui] sont relativement peu techniques et peuvent être traitées directement par la loi » et devant être coordonnée avec le « débat sur l'application du principe non bis in idem ».

La présente proposition de loi comme les propositions de loi identiques de votre rapporteur et de notre collègue Claude Raynal visent ainsi à assurer la transposition du parquet MAD-MAR dans le cadre de la nouvelle architecture du système de répression des abus de marché résultant de l'application du principe ne bis in idem .

Ce faisant, l'objectif de la présente réforme doit être double : une Autorité des marchés financiers (AMF) confortée comme régulateur et garante du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions plus sévères.

I. LE SYSTÈME DE RÉPRESSION DES ABUS DE MARCHÉ EN VIGUEUR AVANT LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 18 MARS 2015

A. LE CUMUL DES POURSUITES ADMINISTRATIVES ET PÉNALES DES ABUS DE MARCHÉ

1. La double incrimination des abus de marchés

Les abus de marché font l'objet d'un cumul d'incriminations : ils peuvent à la fois constituer une infraction pénale poursuivie devant le juge répressif et un manquement administratif au règlement général de l'AMF susceptible d'être sanctionné par la Commission des sanctions de cette autorité. Cela concerne : le délit d'initié 5 ( * ) et le manquement d'initié 6 ( * ) ; le délit de diffusion de fausse information 7 ( * ) et le manquement à la bonne information du public 8 ( * ) ; le délit de manipulation de cours 9 ( * ) et le manquement de manipulation de cours 10 ( * ) . La loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 a également prévu la répression de la manipulation d'indice sur le plan tant pénal 11 ( * ) qu'administratif 12 ( * ) .

Comparaison entre délit boursier et manquement boursier

Source : AMF

a) Le délit et le manquement d'initié

Aux termes de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, le délit d'initié est le fait pour un dirigeant de société ou une personne détenant des informations privilégiées à l'occasion de ses fonctions « de réaliser, de tenter de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ». Est également sanctionné le fait, pour ces personnes, de communiquer une information privilégiée « à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions ».

L'information privilégiée est quant à elle définie par l'article 621-1 du règlement général de l'AMF comme « une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés ».

Le manquement d'initié reçoit en substance la même définition que le délit, même si, comme le concède dans son rapport le groupe de travail du parquet national financier, « quelques nuances peuvent être relevées entre le délit et le manquement, notamment en ce qui concerne l'élément moral ».

De fait, le manquement d'initié constitue une infraction strictement objective. La Commission des sanctions a ainsi eu l'occasion de rappeler que la circonstance que la transmission de l'information privilégiée soit intervenue de manière involontaire ou maladroite, sans volonté spéculative, n'est pas de nature à exonérer le mis en cause de sa responsabilité « dans la mesure où les éléments constitutifs du manquement, qui est objectif, sont réunis » 13 ( * ) ou encore que l'absence d'intention délictueuse, « à la supposer établie, est sans incidence sur la caractérisation du manquement » 14 ( * ) .

b) Le délit de fausse information du marché et le manquement à la bonne information du public

L'article L. 465-2 alinéa 2 du code monétaire et financier définit le délit de fausse information du marché comme étant le « fait, pour toute personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 ou pour lesquels une demande d'admission sur un tel marché a été présentée [...] ».

Ce délit est plus strictement défini que le manquement à la bonne information du public duquel il se rapproche cependant. En effet, la caractérisation du manquement peut se fonder sur la simple imprécision d'une information voire son absence et n'exige pas que la personne mise en cause ait eu connaissance ou ait eu conscience du caractère trompeur ou inexact de l'information qu'il a diffusée 15 ( * ) .

c) Le délit et le manquement de manipulation de cours

Le premier alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier définit le délit de manipulation de cours comme étant le « fait pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement ou par personne interposée, une manoeuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé ou d'un système multilatéral de négociation en induisant autrui en erreur ».

Comme l'indique le rapport du groupe de travail du parquet national financier, le délit de manipulation de cours « apparaît plus restrictif » que le manquement, car « il exige une manoeuvre de nature à entraver et à induire en erreur alors que le manquement revêt une dimension plus économique et moins morale. Il implique la seule conscience de donner des indications mensongères sur l'offre et la demande d'un titre sur le marché réglementé ».

2. Un système de répression permettant le cumul des poursuites et des sanctions

Les mêmes faits peuvent faire l'objet, de manière cumulative, d'une sanction pénale conformément aux articles L. 465-1 et suivants du code monétaire et financier, et d'une sanction administrative ou disciplinaire conformément aux dispositions des articles L. 621-15 du code monétaire et financier et du livre 6 du règlement général de l'AMF.

La répression administrative est confiée à l'AMF, autorité publique indépendante chargée de veiller à la protection de l'épargne investie dans les produits financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers. À cette fin, elle dispose de pouvoirs de contrôle, d'enquête et de sanction 16 ( * ) .

La répression pénale 17 ( * ) réserve, quant à elle, un rôle particulier au parquet national financier, sous l'autorité du procureur de la République financier 18 ( * ) , qui s'est vu confier une compétence exclusive en matière d'exercice de l'action publique pour la poursuite des délits boursiers.

Système de répression des abus de marché

Source : commission des finances de l'Assemblée nationale

B. UN CUMUL CONSIDÉRÉ RÉGULIER JUSQU'AUX RÉCENTES DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

1. L'absence d'obstacle constitutionnel au cumul

La règle ne bis in idem (ou non bis in idem ) est un principe classique de la procédure pénale qui veut que nul ne puisse être poursuivi ou puni plus d'une fois à raison des mêmes faits.

En France, cette règle trouve à s'appliquer en matière pénale, notamment en application de l'article 6 de code de procédure pénale qui dispose que « l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par [...] la chose jugée ».

Elle s'impose également dans le cadre de la répression administrative, le Conseil d'État considérant, par exemple, qu'un agent public ne peut être sanctionné deux fois au disciplinaire à raison de mêmes faits 19 ( * ) .

En revanche, le législateur peut prévoir que des mêmes faits puissent être punis à la fois pénalement et administrativement. La question a été tranchée par le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen de la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier qui, parmi d'autres dispositions, investissait la Commission des opérations de bourse (COB) d'un pouvoir de sanction. Il a ainsi considéré dans sa décision du 28 juillet 1989 20 ( * ) que, « sans qu'il soit besoin de rechercher si le principe [ne bis in idem] a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu'il ne reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ».

De manière générale, la règle ne bis in idem ne s'est jamais vue reconnaître de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel, la décision du 18 mars 2015 ne l'évoquant d'ailleurs qu'au titre des arguments avancés par les mis en cause.

En revanche, le Conseil constitutionnel contrôle la conformité d'un dispositif prévoyant la possibilité d'une double procédure pénale et administrative aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité. C'est ainsi que dans sa décision précitée du 28 juillet 1989, il émet une réserve consistant à affirmer que « si l'éventualité d'une double procédure peut ainsi conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ».

2. L'inapplicabilité du principe ne bis in idem découlant de la Convention européenne des droits de l'homme au cumul des poursuites pénales et administratives

En droit européen, le principe ne bis in idem est consacré à l'article 4 du protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), qui stipule que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ».

Littéralement, la prohibition du cumul des poursuites et des sanctions ne semble ainsi concerner que la matière pénale. Toutefois, la Cour européenne des droits de l'homme, assez logiquement, ne s'arrête pas à la qualification retenue par les États pour déterminer ce qui constitue une poursuite ou une sanction pénale car, dans le cas contraire, ces derniers auraient toute latitude pour s'affranchir de leurs obligations conventionnelles en la matière.

C'est ainsi que dans un arrêt Engel du 8 juin 1976 21 ( * ) , la CEDH a dégagé les critères 22 ( * ) permettant de considérer qu'une sanction, pourtant qualifiée de disciplinaire par un État contractant, relevait de la matière pénale au sens de l'article 6 de la CESDH.

Pour autant, les juridictions françaises ont toujours refusé d'appliquer ce principe en cas de cumul de poursuites ou de sanctions pénales et administratives, au motif que la France, à l'occasion de la ratification du protocole n° 7, avait exprimé une réserve ainsi formulée : « le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent protocole ».

En vertu de cette réserve, les juridictions françaises considèrent donc, jusqu'à maintenant, que la règle ne bis in idem posée par l'article 4 du protocole n° 7 s'applique aux seules procédures formellement désignées comme pénales 23 ( * ) et non à l'ensemble de celles débouchant sur des sanctions qui répondent aux critères de l'arrêt Engel .

II. LA NÉCESSITÉ DE METTRE EN CONFORMITÉ LE SYSTÈME DE RÉPRESSION DES ABUS DE MARCHÉ AVEC LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

A. LA JURISPRUDENCE DE LA CEDH PROHIBANT LE CUMUL DES POURSUITES : L'ARRÊT GRANDE STEVENS DU 4 MARS 2014

Dans un arrêt Grande Stevens 24 ( * ) du 4 mars 2014, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a affirmé que les décisions de sanctions prononcées par la Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (CONSOB), l'autorité administrative indépendante de régulation des marchés financiers en Italie, susceptibles d'être assimilées à des sanctions de nature pénale, interdisent de ce fait à une juridiction pénale de sanctionner, pour les mêmes faits, les comportements incriminés déjà sanctionnés par l'autorité administrative.

Pourtant, comme la France, l'Italie avait formulé une réserve au protocole additionnel n° 7 afin d'en limiter les effets aux seules infractions et procédure qualifiées de « pénales » par la loi italienne.

La CEDH a examiné la validité de la réserve italienne au regard des exigences de l'article 57 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), qui stipule que « tout État peut, au moment de la signature de la [...] Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article. » Cet article précise que « toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause ».

En conséquence, la Cour a rappelé que, pour être valable, une réserve doit répondre aux conditions suivantes 25 ( * ) :

- elle doit être faite au moment où la Convention ou ses Protocoles sont signés ou ratifiés ;

- elle doit porter sur des lois déterminées en vigueur à l'époque de la ratification ;

- elle doit comporter un bref exposé de la loi visée ;

- elle ne doit pas revêtir un caractère général, c'est-à-dire être « rédigée en des termes trop vagues ou amples pour que l'on puisse en apprécier le sens et le champ d'application exacts ».

En l'espèce, la Cour relève que la réserve italienne se contente d'exclure du champ d'application de l'article 4 du Protocole n° 7 toutes les infractions et les procédures qui ne sont pas qualifiées de « pénales » par la loi italienne.

Or selon elle, « une réserve qui n'invoque ni ne mentionne les dispositions spécifiques de l'ordre juridique italien excluant des infractions ou des procédures du champ d'application de l'article 4 du Protocole n° 7, n'offre pas à un degré suffisant la garantie qu'elle ne va pas au-delà des dispositions explicitement écartées par l'État contractant ». En outre, « la Cour rappelle que même des difficultés pratiques importantes dans l'indication et la description de toutes les dispositions concernées par la réserve ne sauraient justifier le non-respect des conditions édictées à l'article 57 de la Convention ».

En conséquence, « la réserve invoquée par l'Italie ne satisfait pas aux exigences de l'article 57 § 2 de la Convention ».

La portée de cette décision va bien au-delà de la réserve italienne. En effet, toutes les réserves faites sur la qualification des infractions pénales reprennent la rédaction que la Cour a invalidée. Seraient ainsi écartées les réserves non seulement de la France, mais également de l'Allemagne, de l'Autriche, de l'Italie, du Liechtenstein et du Portugal.

Il est désormais difficile de soutenir que l'article 4 du protocole n° 7 ne s'applique pas à la France, en particulier, compte tenu des circonstances de l'arrêt Grande Stevens , s'agissant du cumul des poursuites devant la Commission des sanctions de l'AMF et le juge pénal.

B. LA CENSURE DU DISPOSITIF DE RÉPRESSION PÉNALE ET ADMINISTRATIVE PAR LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 18 MARS 2015

1. La décision du 18 mars 2015 : le cumul des poursuites pénales et administratives en matière boursière ne répond pas aux conditions fixées par le Conseil constitutionnel

Les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui ont donné lieu à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 s'inscrivent dans le cadre de l'affaire dite « EADS », du nom de la société, devenue depuis « Airbus Group », dont plusieurs dirigeants et actionnaires étaient soupçonnés d'avoir effectué des opérations d'initiés.

Poursuivi devant la Commission des sanctions de l'AMF, ils furent mis hors de cause par celle-ci, mais poursuivis devant le tribunal correctionnel de Paris en octobre 2014.

Les prévenus déposèrent des questions prioritaires de constitutionnalité portant notamment sur la conformité à la Constitution des dispositions réprimant le délit et le manquement d'initié. Considérant que l'arrêt Grande Stevens était « de nature à constituer un changement de circonstances » et que présentait un caractère sérieux le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient « une atteinte injustifiée au principe ne bis in idem », la Cour de cassation a opéré un revirement en acceptant de transmettre ces questions au Conseil constitutionnel 26 ( * ) .

Le succès de leur démarche auprès du Conseil constitutionnel a permis aux prévenus d'obtenir du tribunal correctionnel qu'il mette fin aux poursuites.

Pour autant, la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 se fonde non sur le principe ne bis in idem mais sur celui de nécessité des délits et des peines, conformément à sa jurisprudence antérieure.

Ainsi, après avoir rappelé que « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction », le Conseil constitutionnel a considéré que :

- les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier tendent à réprimer les mêmes faits et que les dispositions contestées définissent et qualifient de la même manière le manquement d'initié et le délit d'initié ;

- ces deux incriminations protègent les mêmes intérêts sociaux ;

- ces deux incriminations aboutissent au prononcé de sanctions qui ne sont pas de nature différente ;

- les poursuites et sanctions prononcées relèvent toutes deux des juridictions de l'ordre judiciaire, pour ce qui concerne les personnes non directement régulées par l'AMF.

C'est la conjonction de ces quatre éléments qui a conduit le Conseil constitutionnel à censurer les dispositions contestées.

Pour être contraire au principe de nécessité des délits et des peines, la possibilité d'un cumul des poursuites doit donc remplir quatre critères :

- l'identité des faits ;

- l'identité des intérêts sociaux protégés ;

- l'identité de la nature des sanctions encourues ;

- l'identité de l'ordre de juridiction dont relève les sanctions.

En énonçant le critère de l'identité de la nature des sanctions encourues, le Conseil constitutionnel ne s'inscrit pas pleinement dans la lignée de la CEDH qui refuse le cumul des poursuites dès lors qu'elles interviennent toutes deux dans la matière pénale, étant entendu que cette dernière ne se définit pas purement formellement.

La question pour la CEDH est, en effet, de savoir si les deux sanctions qui pourraient se cumuler sont de nature pénale. La nature de chacune des sanctions s'apprécie indépendamment l'une de l'autre, notamment en fonction de leur sévérité.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, apprécie l'identité des sanctions en comparant leur sévérité. Il ne suffit pas que la sanction administrative soit sévère, encore faut-il qu'elle soit aussi sévère que la sanction pénale avec laquelle elle est susceptible de se cumuler.

L'application du même critère à une version antérieure des dispositions censurées prévoyant des amendes pénales supérieures ou égales aux sanctions pécuniaires à la disposition de l'AMF a d'ailleurs abouti à ce que le Conseil conclue, dans sa décision n° 2015-513/514/526 QPC du 14 janvier 2016, à la conformité à la Constitution de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (cf. infra ).

2. Les dispositions abrogées

À titre principal, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions du code monétaire et financier fondant la sanction des délits et manquements d'initiés, à savoir :

- l'ensemble de l'article L. 465-1, qui définit le délit d'initié ;

- une partie de l'article L. 621-15, qui définit, pour l'ensemble des manquements, la procédure, le champ d'application et le plafond des sanctions pouvant être prononcées par l'AMF. Seuls les renvois au manquement d'initié, c'est-à-dire aux c et d du II les mots « s'est livré ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou », ont été censurés par le Conseil constitutionnel, de telle sorte que l'AMF ne puisse plus poursuivre ni sanctionner ces agissements.

Par voie de conséquence, plusieurs dispositions ont également été déclarées contraires à la Constitution :

- la dernière phrase de l'article L. 466-1, qui prévoit que l'autorité judiciaire demande obligatoirement l'avis de l'AMF « lorsque des poursuites sont engagées en exécution de l'article L. 465-1 » ;

- la référence à l'article L. 465-1 dans l'article L. 621-15-1 qui dispose que le collège de l'AMF transmet dans les meilleurs délais le rapport d'enquête ou de contrôle au procureur de la République financier lorsqu'il notifie un grief susceptible de constituer une infraction boursière ;

- l'article L. 621-16 qui prévoit que « lorsque la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce » ;

- la référence à l'article L. 465-1 dans l'article L. 621-16-1 qui permet à l'AMF de se constituer partie civile lorsque des poursuites pénales sont engagées sur le fondement de délits boursiers.

Après avoir rappelé qu'il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement » et en avoir déduit « qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée », le Conseil constitutionnel a considéré que l'abrogation immédiate des articles incriminant le délit et le manquement d'initié entraînerait des conséquences « manifestement excessives » car elles auraient pour effet « d'empêcher toute poursuite et de mettre fin à celles engagées à l'encontre des personnes ayant commis des faits qualifiés de délit ou de manquement d'initié, que celles-ci aient ou non déjà fait l'objet de poursuites devant la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ou le juge pénal ».

Par suite, le Conseil constitutionnel a reporté au 1 er septembre 2016 l'abrogation des dispositions en cause.

À cette date, se manifesteraient les mêmes conséquences « manifestement excessives » décrites par le Conseil constitutionnel si le Parlement ne rétablit pas, dans une version conforme à la Constitution, les dispositions permettant la répression des délits et manquements d'initié.

La décision du 18 mars 2015 ne concerne que les délits et manquements d'initié, les dispositions relatives aux autres abus de marchés n'ayant pas été soumises à l'examen du Conseil constitutionnel. Toutefois, au regard des quatre critères retenus par le Conseil constitutionnel, les poursuites du délit et du manquement de manipulation de cours, celles du délit et du manquement de manipulation d'indice et celles du délit et du manquement de diffusion de fausse information ne devraient pas être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction pour les personnes autres que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier.

Par conséquent, il fait peu de doute que les dispositions permettant la double répression de ces délits et manquements seraient également regardées par le Conseil constitutionnel comme n'étant pas conformes à la Constitution. L'intervention du législateur doit donc également porter sur ces dispositions.

III. DES PROPOSITIONS DE LOI LARGEMENT CONVERGENTES

Si la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 a précipité les évènements, il faut souligner que c'est dès l'arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014 que s'est ouvert un vaste travail de réflexion sur une éventuelle mise en conformité du système de répression des abus de marché au principe ne bis in idem . Se sont ainsi constitués :

- une mission d'information de la commission des finances du Sénat, confiée à votre rapporteur et à notre collègue Claude Raynal, qui a débouché sur la présentation des deux propositions de loi identiques précitées ;

- trois groupes de travail - de l'AMF, du parquet national financier et du Club des juristes - qui ont chacun produit un rapport.

Plus généralement, ont contribué à cette réflexion des universitaires, des avocats spécialisés et l'ensemble des acteurs de la Place de Paris.

L'important travail qui a ainsi été réalisé a permis d'évoquer de nombreuses pistes de réforme et d'en écarter presque autant, la solution semblant recueillir le plus large assentiment étant celle d'un aiguillage des poursuites fondé sur la concertation entre l'AMF et le parquet national financier.

C'est d'ailleurs cette solution qui a été retenue à la fois par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale à l'initiative de Dominique Baert et par les propositions de loi identiques présentées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal.

Votre commission a établi le texte qui sera discuté en séance publique sur la proposition de loi déjà adoptée par l'Assemblée nationale, sur laquelle le Gouvernement a déclaré la procédure accélérée et dont les articles sont commentés ci-après.

A. LES PISTES ÉCARTÉES

1. La suppression d'une des deux voies de poursuite

Théoriquement, la manière la plus efficace d'éviter un cumul de poursuites ou de sanction est la suppression de l'une des voies de poursuite, ce qui passerait soit par la dépénalisation des abus de marché, soit par la suppression des manquements administratifs.

Ces pistes n'ont été soutenues par aucune des personnes entendues par votre rapporteur :

- la dépénalisation totale est exclue par nos engagements européens, la directive sur les abus de marché imposant aux États membres de prévoir des « infractions pénales, au moins dans les cas les plus graves ». Votre rapporteur estime effectivement que la gravité de certains faits nécessite la manifestation de la réprobation sociale que constitue une condamnation pénale ;

- la suppression des manquements administratifs n'est pas souhaitable, notamment en raison du rôle que joue la définition d'une politique de sanction pour la régulation des marchés par l'AMF et parce que la répression administrative est rapide, efficace et suffisamment sévère pour la plupart des affaires.

2. La distinction des délits et des manquements

Une meilleure distinction des faits constituant un manquement ou un délit aurait également été susceptible d'offrir une garantie contre le cumul des poursuites. Cependant l'exercice semble particulièrement difficile en ce qu'il revient en fait à objectiver une différence de gravité pour chaque abus de marché, compte tenu de la contrainte, qui vient d'être rappelée, formulée par la directive européenne sur les abus de marché.

3. La création d'un « Tribunal des marchés financiers »

La création d'un « Tribunal des marché financier », compétent à la fois pour l'ensemble des recours visant les décisions de l'AMF et en matière pénale a été proposée par certains universitaires et avocats, notamment les professeurs Dominique Schmidt et Anne-Valérie Le Fur 27 ( * ) .

Cette solution présente des aspects séduisants mais est le plus souvent regardée de manière défavorable car elle implique la création d'une juridiction spécifique - certains disent « d'exception » - sans pour autant offrir de solution idéale au problème de l'instance exerçant l'appréciation de l'opportunité de poursuites et ni offrir de garanties en termes d'efficacité et de rapidité.

4. La prise en compte a minima de la décision du Conseil constitutionnel, à l'exclusion de la jurisprudence de la CEDH
a) L'unification du contentieux des sanctions administratives devant le Conseil d'État

Le Conseil constitutionnel semble considérer que le cumul des poursuites est possible dès lors qu'elles s'exercent sous le contrôle d'ordres de juridiction différents.

Ce n'était pas le cas du délit et du manquement d'initié commis par une personne régulée par l'AMF, puisque le contentieux de la sanction administrative relève du juge judiciaire.

Dans sa décision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs précisé que le manquement et le délit d'initié ne pouvaient être regardés comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction que « pour les personnes autres que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier », c'est-à-dire les personnes non régulées par l'AMF.

Au contraire, une double poursuite, devant le juge pénal et la Commission des sanctions, paraît possible à l'encontre des professionnels régulés par l'AMF, qui doivent contester les sanctions administratives les visant devant le Conseil d'État.

En suivant ce raisonnement, il suffirait donc d'unifier le contentieux des décisions de la Commission des sanctions de l'AMF devant le Conseil d'État, au moins en matière d'abus de marché, pour mettre en conformité avec la Constitution le dispositif actuel de cumul des poursuites.

Si la question de l'unification du contentieux peut effectivement être posée pour des raisons d'efficacité et de cohérence, une telle évolution ne garantirait toutefois pas le respect du principe du ne bis in idem qu'impose la jurisprudence de la CEDH.

b) L'instauration de sanctions de nature différente

Le commentaire par le Conseil constitutionnel de sa décision du 18 mars 2015 explique que ce n'est pas « la coexistence de deux arsenaux répressifs d'une grande sévérité qui suffit à considérer que les sanctions encourues ne sont pas de nature différente, mais le fait que chaque ?ordre sanctionnateur? dispose de sanctions qui, quoique différentes, peuvent être regardées comme d'une sévérité équivalente. Ainsi, si le juge pénal n'avait pas disposé de la peine d'emprisonnement ou s'il n'avait pas existé la même disproportion entre les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par l'AMF et par le juge pénal, les sanctions auraient été jugées comme de nature différente . »

C'est justement le cas de figure que le Conseil a dû examiner dans sa décision du 16 janvier 2016. Dans cette affaire, lui étaient alors soumises les mêmes dispositions qui avaient été déclarées contraires à la Constitution dans la décision du 18 mars 2015, mais dans une version antérieure qui prévoyait :

- au pénal, une amende de 1,5 million d'euros pour les personnes physiques (le quintuple pour les personnes morales) ou deux ans de prison (la dissolution pour les personnes morales) ;

- à l'administratif, une sanction pécuniaire de 1,5 million d'euros.

Sur ce constat, le Conseil constitutionnel a effectivement considéré que les faits prévus et réprimés par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions de nature différente . Le Conseil en a conclu que les dispositions contestées dans leur version résultant de la loi du 30 décembre 2006 ne méconnaissent pas le principe de nécessité des délits et des peines . Dans la mesure où elles ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution .

Dans son rapport sur la présente proposition de loi, notre collègue député Dominique Baert estime que « l'importance accordée [par la décision du Conseil constitutionnel du 14 janvier 2016] aux peines privatives de liberté laisse perplexe, à la lumière de la décision du 18 mars 2015 qui avait écarté quant à elle cet élément ».

Selon lui, « la seule différence de quantum de l'amende ne peut justifier deux décisions aussi opposées quant à la nature des sanctions pénales et administratives, et que cet infléchissement est susceptible de s'expliquer par la volonté du Conseil d'éviter la contagion de la décision du 18 mars 2015 à d'autres contentieux, et notamment au contentieux fiscal ».

Il en conclut ainsi que « la décision du 14 janvier 2016 n'enlève rien à celle du 18 mars 2015, qui impose au législateur de mettre fin au cumul non seulement des sanctions mais également des poursuites en matière d'abus de marché ».

Votre rapporteur estime quant à lui que les décisions du 18 mars 2015 et du 14 janvier 2016 ne sont pas « opposées » :

- elles appliquent exactement les mêmes critères pour apprécier la constitutionnalité des dispositions contestées ;

- les dispositions contestées sont différentes s'agissant des sanctions susceptibles d'être prononcées, ce qui a d'ailleurs conduit le Conseil constitutionnel à admettre, malgré la décision du 18 mars 2015, la recevabilité d'une question prioritaire de constitutionnalité visant des dispositions déjà soumise à son examen dans une rédaction ultérieure ;

- le Conseil constitutionnel est cohérent dans son appréciation de la sévérité et, partant, de la différence éventuelle de nature des répressions administrative et pénale.

La décision du 18 mars 2015 affirme que la pénalité de 10 millions d'euros que pouvait prononcer l'AMF était d'une sévérité équivalente aux peines susceptibles d'être infligées par le juge répressif, à savoir 1,5 million d'euros d'amende ou deux ans de prison. Quoi que l'on pense de cette mise en équivalence d'une sanction pécuniaire et d'une peine privative de liberté 28 ( * ) , c'est de manière logique qu'elle conduit le Conseil constitutionnel à considérer, dans sa décision du 14 janvier 2016, que lorsque les sanctions pécuniaires sont de même montant dans les deux voies de répression, alors le simple fait pour le juge répressif de pouvoir prononcer des peines de prison suffit à rendre la voie pénale significativement plus sévère que la voie administrative.

Cette interprétation est d'ailleurs partagée par l'ensemble de la doctrine dont votre rapporteur a pu prendre connaissance 29 ( * ) et conforme au commentaire du Conseil constitutionnel sur cette décision.

Quant à l'éventuelle « volonté du Conseil d'éviter la contagion de la décision du 18 mars 2015 », on ne peut écarter une décision du Conseil constitutionnel au motif que ce dernier aurait eu le souci, non avéré, de préciser sa jurisprudence en vue de prochains contentieux.

Il souhaite en outre rappeler qu'aux termes de l'article 62 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » et que le Conseil a précisé dans sa décision n° 62-18 L du 16 janvier 1962 que « l'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ».

Il découle de l'ensemble de ces éléments que la décision du 14 janvier 2016 vient préciser la jurisprudence de 2015 sur l'appréciation de la nature de la sanction et permet de mieux comprendre les conditions auxquelles le Conseil constitutionnel soumet la possibilité de cumul de poursuites. En l'espèce, la sanction administrative est considérée comme moins sévère que la sanction pénale, ce qui crée un écart conduisant le juge à y voir une différence de nature et valider le cumul de poursuites.

Justement, la présente proposition de loi tend à porter les amendes susceptibles d'être prononcées par le juge judiciaire à un niveau égal ou supérieur à celui des sanctions pécuniaires que peut infliger la Commission des sanctions de l'AMF.

En soi, cette modification suffirait donc à satisfaire les conditions constitutionnelles du cumul de poursuites. Il n'y aurait pas d'obstacle à renouveler le système actuel de cumul. Le choix d'aller plus loin en supprimant toute possibilité de cumul des poursuites, comme y tend la présente proposition de loi, ne peut donc être présenté comme résultant d'une contrainte constitutionnelle insurmontable.

En revanche, votre rapporteur observe que, quand bien même l'obstacle constitutionnel serait écarté par le relèvement des sanctions pénales, demeure la nécessité de se conformer à la jurisprudence de la CEDH.

Il considère qu'il serait particulièrement imprudent de ne pas saisir l'occasion de la présente proposition de loi pour conformer notre système de répression à cette jurisprudence et d'espérer qu'en cas de recours notre réserve résiste mieux à l'examen de la CEDH que ne l'a fait la réserve italienne rédigée dans des termes identiques.

5. La concurrence des voies de poursuite

Il convient de noter qu'au regard de la jurisprudence européenne, l'instauration d'un « aiguillage » n'est pas absolument nécessaire, puisque la CEDH admet le cumul des poursuites dès lors qu'aucune décision définitive n'est encore intervenue.

Il suffirait de prévoir que le prononcé d'une décision définitive dans une voie de répression interdit d'engager ou de maintenir des poursuites dans l'autre voie. En cas de concurrence, la plus rapide des deux voies l'emporterait donc, de fait, sur l'autre.

Votre rapporteur estime que cette solution ne serait pas satisfaisante sur le plan de l'économie des moyens ni de nature à assurer la meilleure coopération entre l'AMF et le parquet national financier. Surtout, elle risquerait de faire obstacle à ce que les faits les plus graves débouchent effectivement sur des sanctions pénales dans la mesure où ils auraient été définitivement sanctionnés par l'autorité administrative.

Tout en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une exigence constitutionnelle, votre rapporteur souscrit donc à la solution consistant à imposer légalement un principe de non cumul des poursuites et à instaurer un aiguillage préalable.

6. L' « aiguillage » conventionnel

Il convient de noter que, dans plusieurs grands pays européens, ont été mis en place des dispositifs de coordination de la répression pénale et administrative évitant le cumul des sanctions comme l'a montré l'étude de législation comparée réalisée par la Direction de l'initiative parlementaire et des délégations du Sénat 30 ( * ) .

En particulier, le Royaume-Uni, où se situe la principale place financière européenne, le non cumul des poursuites s'organise sur une base conventionnelle et s'appuie sur un guide des bonnes pratiques et un document-cadre non contraignants.

Le modèle conventionnel

« Au Royaume-Uni se combinent la multiplicité des entités susceptibles d'instruire des poursuites et d'infliger des sanctions et le souci de respecter le principe du ne bis in idem. Il s'ensuit que l'autorité de régulation a rédigé un guide de bonnes pratiques et a élaboré un document-cadre qui précise les modalités de sa coopération avec les autres autorités de même nature et avec les autorités pénales. Existe aussi une ?convention des procureurs? qui détermine les responsabilités de ces derniers lorsqu'un comportement peut faire l'objet de sanctions criminelles ou civiles et administratives et/ou lorsque plusieurs autorités compétentes en matière de poursuite et d'investigation peuvent agir de façon concurrente.

« Un modèle analogue est retenu aux Pays-Bas où les autorités fiscales, le parquet et les autorités de régulation ont conclu un véritable accord qui, réaffirmant le principe ne bis in idem, fixe leurs obligations respectives. Il s'ensuit que lorsque le ministère public ou le service des Impôts a connaissance d'une violation de la législation relative au contrôle financier, ils en informent l'autorité chargée de ce contrôle, en vue de l'« harmonisation » (afstemming) ex ante des suites à donner. Réciproquement, si l'autorité chargée du contrôle du respect de la législation financière a l'intention d'infliger une sanction administrative en vertu de celle-ci, elle en informe le ministère public en vue de la même ?harmonisation? (qui semble aller plus loin qu'une simple « concertation ») des suites à donner.

« Dans chacun de ces trois régimes [y compris l'Allemagne qui a fait le choix d'une priorité de la voie pénale], l'existence d'un double dispositif de sanctions (pénales, d'une part, et administratives, de l'autre) ne semble donc pas avoir nécessité de modification de la législation en vigueur, le respect du principe ne bis in idem étant garanti. »

Source : synthèse de l'étude de la Direction de l'initiative parlementaire et des délégations du Sénat

Même s'il y aurait eu là une solution souple pour se conformer à la jurisprudence de la CEDH, ce modèle ne correspond pas à la tradition française qui tend à organiser les relations entre autorités par la loi et le règlement. En outre, l'intervention du législateur est de toutes les façons rendue nécessaire par la prochaine abrogation des dispositions permettant la répression des abus de marché.

B. LA SOLUTION RETENUE PAR LES PROPOSITIONS DE LOI : LA MISE EN PLACE D'UN « AIGUILLAGE » LÉGAL ENTRE LES DEUX VOIES DE RÉPRESSION

1. Le débat sur la nature et les modalités de l'aiguillage légal

Dès lors que s'est imposée l'idée d'instaurer un « aiguillage » forçant à choisir une des deux voies et fermant l'autre, restait à en définir la nature et les modalités.

Le parquet national financier défendait l'idée d'un monopole du parquet dans l'appréciation de l'opportunité des poursuites pénales. Il proposait ainsi que le procureur puisse à tout moment et, en tout état de cause, avant l'ouverture de poursuites par l'AMF, « évoquer » une affaire pour engager les poursuites au pénal, quitte à mettre au service de l'autorité judiciaire des personnels de l'AMF, par voie de commission rogatoire ou de soit-transmis.

Cette solution a semblé à votre rapporteur attentatoire à l'indépendance de l'AMF et peu équilibrée.

Le groupe de travail de l'AMF proposait quant à lui que cette répartition se fasse sur la base de critères objectifs, en particulier le montant du gain réalisé : en deçà d'un certain montant l'affaire aurait été automatiquement orientée vers l'AMF. Cependant, non seulement certaines affaires ne présentent pas de gain quantifiable, mais la gravité n'est pas nécessairement question de montant : le dirigeant d'une grande entreprise ou un agent de l'AMF qui commettrait un délit d'initié grâce à des informations recueillies dans le cadre de ses fonctions serait sans doute poursuivi plus opportunément devant le juge pénal que devant la Commission des sanctions de l'AMF.

Une appréciation au cas par cas a semblé préférable à votre rapporteur.

C'est ainsi que les propositions de loi de votre rapporteur et de notre collègue Claude Raynal prévoient un aiguillage systématique à l'issue de l'enquête, avant l'ouverture des poursuites, et que la décision d'orientation découle en première intention d'une concertation entre l'AMF et le parquet national financier. Aucune des deux autorités n'auraient ainsi pu engager des poursuites sans que l'autre n'y consente.

C'est ce schéma qui a également été retenu par la présente proposition de loi.

Restait à envisager le cas d'un désaccord persistant, chacun revendiquant le fait de poursuivre une affaire.

La solution consistant à laisser perdurer le blocage jusqu'à ce qu'une des deux parties renonce n'a pas paru satisfaisante à votre rapporteur. Il fallait donc un arbitre.

Plusieurs solutions étaient envisageables, notamment la création d'une instance ad hoc , inspirée de la commission des infractions fiscales. S'est alors noué un intense débat sur la conformité à la Constitution d'une telle solution, au regard notamment du principe de séparation des pouvoirs.

Votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal étaient favorables à l'arbitrage par une instance tierce à l'AMF comme au parquet national financier et souhaitaient sortir de l'aporie résultant de la combinaison du principe du ne bis in idem et de celui de la séparation des pouvoirs, qui, tout à la fois, soustrait l'action de l'administration au contrôle de l'autorité judiciaire et interdit à l'exécutif d'intervenir dans le cours d'une procédure judiciaire.

Il leur importait également d'éviter d'arrêter la réflexion à cette question de l'arbitrage, alors que la fin du cumul des sanctions pénales et administratives exigeait par ailleurs des adaptions importantes de notre droit afin que la voie pénale soit suffisamment dissuasive et efficace pour la répression des affaires les plus graves. En effet, la question de l'arbitrage présentait des enjeux pratiques assez mineurs, même si elle suscitait d'importantes crispations institutionnelles.

Dès lors, votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal ont fait le choix de préconiser dans leurs propositions de loi que l'éventuel conflit d'attribution soit tranché par une instance extérieure , neutre et paritaire. Cette instance, qui ne se serait réunie que dans les cas exceptionnels d'absence d'accord entre l'Autorité des marchés financiers et le parquet national financier, aurait été composée à parité de magistrats du Conseil d'État et de la Cour de cassation. De nature juridictionnelle mais ne relevant ni de l'ordre judicaire, ni de l'ordre administratif, elle aurait rendu des décisions non susceptibles de recours, à l'instar du Tribunal des conflits.

Cette proposition avait le mérite d'évacuer le problème de la séparation des pouvoirs, alors que le débat n'était pas encore tranché sur ce point, et de permettre d'avancer sur les aspects du dispositif de répression des abus de marché.

Depuis, la réflexion juridique a avancé. Le Conseil d'État, interrogé par le Gouvernement, a ainsi indiqué qu'il n'y a pas d'obstacle constitutionnel à prévoir le caractère prioritaire de la voie pénale sur la voie administrative et de subordonner l'engagement de poursuite devant la Commission des sanctions de l'AMF à l'accord du parquet.

La présente proposition de loi vise à consacrer cette solution en confiant le rôle d'arbitre au procureur général près la Cour d'appel de Paris.

Compte tenu ces éléments et du consentement de l'AMF comme du parquet national financier, votre rapporteur se rallie au principe d'un arbitrage par le procureur général.

2. Une répression pénale qui doit gagner en rapidité et en sévérité
a) Une sévérité accrue

Au-delà même de l'obligation qui est faite par la directive relative aux abus de marché 31 ( * ) , votre rapporteur estime nécessaire que les faits les plus graves soient réprimés par le juge pénal, et qu'ils le soient avec plus de sévérité qu'aujourd'hui.

En effet, le juge répressif n'a jamais prononcé de peine de prison ferme et inflige des amendes d'un montant très inférieur à celles prononcées par l'AMF. Entre 2004 et 2014, le juge pénal a prononcé des amendes d'un montant moyen de 140 000 euros, quand les pénalités infligées par l'AMF atteignent en moyenne un million d'euros, avec une tendance à la hausse.

À cet égard, les propositions de loi de votre rapporteur et de notre collègue Claude Raynal prévoient un relèvement des sanctions pénales, s'agissant aussi bien des amendes que des peines d'emprisonnement :

- là où le droit actuel prévoit deux ans ou un an de prison selon les cas, les peines s'élèveraient respectivement à cinq ans et trois ans. En cas de commission en bande organisée, ces durées seraient portées respectivement à dix ans et sept ans ;

- le plafond en valeur absolue 32 ( * ) des amendes (1,5 millions d'euros ou 150 000 euros selon les cas) passerait à 15 millions d'euros, soit 75 millions d'euros pour les personnes morales. Si les informations privilégiées ayant servi au délit d'initié sont liées à un crime ou un délit, l'amende serait portée de 1,5 million d'euros aujourd'hui à 20 millions d'euros.

Les propositions de loi de votre rapporteur et de notre collègue Claude Raynal prévoient également l'instauration, pour les personnes morales, d'un plafond de sanction, au pénal et à l'administratif, correspondant à 15 % du chiffre d'affaires, venant s'ajouter aux deux plafonds alternatifs existants, exprimés l'un en valeur absolue et l'autre en multiple du gain. Ce nouveau plafond permettrait au juge, administratif ou pénal, de prononcer des sanctions très dissuasives à l'encontre des grandes sociétés pour lesquelles le plafond de 100 millions d'euros semble parfois insuffisant.

S'agissant des seules sanctions administratives, le Gouvernement a repris cette disposition, y compris le pourcentage de 15 % préconisé par votre rapporteur, dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dont l'examen prochain par le Parlement donnera l'occasion de débattre du champ de ce nouveau plafond.

La présente proposition de loi prévoit quant à elle l'alignement de l'ensemble des peines de prison à cinq ans 33 ( * ) et le relèvement des amendes à 100 millions d'euros ou dix fois le gain pour les personnes physique et 500 millions ou cinquante fois le gain pour les personnes morales.

Votre rapporteur approuve globalement l'évolution des peines qui résulterait de la présente proposition de loi. Il a simplement souhaité y intégrer l'aggravation des peines en cas de commission en bande organisée. Votre commission a adopté un amendement en ce sens.

b) Une rapidité qui reste à améliorer

Il faut en outre garantir une sanction rapide : si, en moyenne, le délai pour obtenir une décision du juge pénal atteint trois ans contre deux ans et demi pour l'AMF, alors même que le juge intervient le plus souvent après les investigations de l'AMF, de nombreux dossiers, dont les plus médiatiques, ont été jugés plus de dix ans après les faits.

Lors des auditions menées dans le cadre de la mission d'information de la commission des finances sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, il est apparu que le parquet national financier était déterminé à améliorer l'efficacité de la justice pénale en matière boursière.

Il faut s'en féliciter et lui donner la possibilité de réaliser cet objectif.

Le mouvement a été amorcé grâce à la création de la 32 e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, qui a tenu sa première audience le 2 février 2015 et est appelée à traiter en priorité des dossiers du parquet national financier.

La formation des magistrats au droit boursier et leur spécialisation dans le contentieux financier est également une garantie d'efficacité, de même que leur sensibilisation à la gravité des préjudices publics et privés que causent les abus de marché et donc à la nécessité de les réprimer sévèrement en usant de toute la latitude offerte par la loi.

Il a été souligné au cours des auditions réalisées par votre rapporteur que l'enquête pénale, qui vient souvent après l'enquête administrative, conduisait souvent les services de police à refaire des actes déjà réalisés par les enquêteurs de l'AMF. Il apparaît pourtant qu'il ne s'agit pas là d'une obligation légale et que les procès-verbaux d'audition dressés par l'AMF seraient, en l'état, parfaitement admissibles dans le cadre de la procédure pénale. Sur ce point, l'amélioration de la rapidité de la procédure pénale passerait principalement par une évolution des pratiques. Toutefois, il serait utile de mieux organiser la coopération entre le parquet et l'AMF dans la phase d'enquête afin que soient prises en compte très en amont les exigences liées d'éventuelles poursuites pénales et administratives.

De même, l'ouverture d'une information judiciaire serait trop systématique, contribuant à rallonger considérablement les délais. Dès lors que l'affaire est en état d'être jugée, grâce aux éléments rassemblés par l'AMF et complétés par l'enquête préliminaire, votre rapporteur estime qu'il faut privilégier la citation directe des mis en cause devant le tribunal correctionnel.

Enfin, le parquet national financier semble décidé à commencer de se servir de la procédure la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) - dite procédure de « plaider coupable » - dans les affaires d'abus de marché. Cette évolution coïnciderait avec le souhait d'un recours plus fréquent à la procédure de plaider coupable pour les infractions financières et économiques exprimé par Jean-Michel Hayat, président du Tribunal de grande instance de Paris, lors de son discours prononcé à l'occasion de l'audience de rentrée solennelle, le 19 janvier 2015.

De fait, cette procédure, introduite par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « loi Perben II », reste relativement inusitée dans cette matière, alors même que cela est possible depuis la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles.

Votre rapporteur approuve une telle évolution qui serait de nature à réduire la durée des procédures. En réglant par le plaider coupable les dossiers les plus simples, le parquet national financier pourrait consacrer plus de temps et de ressources aux dossiers complexes.

3. Une répression administrative dont l'efficacité doit être préservée

L'AMF constitue, pour des raisons évidentes de compétence et de moyens techniques, à la fois le principal outil de détection des opérations d'initiés ou manipulation de cours, et le vecteur des sanctions les plus rapides. Pour ne pas remettre en cause cette compétence et cette efficacité, il semble nécessaire que l'essentiel des affaires continue d'être poursuivi et sanctionné par l'AMF.

La possibilité pour l'AMF de répondre rapidement, le cas échéant par le prononcé d'une sanction, aux comportements qui nuisent à l'intégrité des marchés et causent un préjudice illicite aux investisseurs, constitue une composante essentielle de son rôle de régulateur.

Comme l'explique Marie-Anne Frison-Roche, « le régulateur financier est au coeur du marché financier et il y assure la stabilité, là où les forces du marché se nourrissent de son instabilité. Pour assurer cet office essentiel, il doit expliciter une politique de sanction, notamment à travers le rapport annuel, des lignes directrices auxquelles les opérateurs accordent la plus haute importance parce qu'elles permettent cette projection de tous dans l'avenir à l'occasion de ses décisions particulières [...], satisfaisant ainsi la nécessité des agents de savoir à quoi s'en tenir pour l'avenir, pour s'exprimer plus trivialement encore : en matière de répression, les agents ne demandent pas à être exempts de toute perspective de punition, ils veulent savoir ?à quelle sauce ils seront mangés?. » 34 ( * )

Cette politique n'est pas entièrement maîtrisée par l'AMF, dans la mesure où le juge administratif et le juge judiciaire, selon les cas, ont le dernier mot sur les sanctions, aussi bien pour leur principe que leur quantum, dans le cadre des recours formés devant eux.

Il y a donc là une difficulté essentielle : « c'est au régulateur de concevoir et d'imposer une politique de sanction, puisqu'il a les marchés financiers sous sa garde et qu'il en est l'expert, tandis que le juge, personnage juridique éloigné, n'en a pas la puissance politique et expertale, et n'est pas reconnu comme tel par les marchés ; dans le même temps, par un effet mécanique, les décisions du régulateur par lesquelles celui-ci exprime sa politique sont dévolues par le jeu des recours devant les juridictions qui peuvent annuler ou réformer celles-ci et en cela détruire le travail du régulateur ou s'y substituer ».

La difficulté risque d'être aggravée par l'aiguillage mis en place, dans la mesure où la Commission des sanctions de l'AMF n'aura même plus l'occasion de se prononcer dans les affaires poursuivies pénalement.

Des pistes sont ouvertes pour résoudre cette « dissociation » :

- mieux intégrer le ministère public dans la régulation financière , « ministère public qui porte depuis toujours la politique répressive » . La concertation et la coopération entre le parquet national financier et l'AMF, que votre rapporteur souhaite la plus approfondie possible dès l'engagement d'une enquête pénale ou administrative, doit permettre cette intégration et la définition d'une politique pénale lisible par le marché.

- « prendre acte la prévalence de l'autorité de marché pour fixer la politique de sanction, parce qu'elle est à l'intérieur du marché et proche des opérateurs dans une répression dont l'efficacité dépend de sa proximité avec ceux-ci ». Cette prévalence ne peut être juridiquement reconnue dès lors qu'entre en jeu une dimension pénale. Elle s'établira de fait dans les affaires les plus complexes techniquement et nécessitant une connaissance fine du fonctionnement du marché et de ses acteurs. Ce sont justement elles pour lesquelles il importe que les agents aient des indications rapides afin d'adapter leur comportement. Les affaires graves mais techniquement plus simples jouent un rôle important de discipline des agents mais l'élaboration de la politique pénale qui leur est relative ne requiert pas la même proximité avec le marché.

- faire en sorte que « le juge qui connaît du recours s'imprègne de la politique de sanction que la décision particulière exprime, son arrêt devant à son tour avant tout servir la finalité systémique des sanctions. »

Si cette remarque vise les juges saisis d'une décision de l'AMF, elle est également vraie s'agissant du juge répressif qui se prononce en première intention : il serait utile que celui-ci prenne en compte le rôle que joue la politique de sanction dans la régulation des marchés et de l'expertise dont dispose l'AMF dans le domaine.

La faculté offerte à l'AMF par l'article L. 621-16-1 du code monétaire et financier de se constituer partie civile et l'obligation faite au juge par l'article L. 466-1 du même code de lui demander son avis devraient contribuer, avec la formation et la spécialisation des magistrats, à permettre « de conserver l'unicité de la politique de sanction en régulation financière, supposant une meilleure connaissance par les juges du fonctionnement des marchés financiers et évitant que se heurtent au détriment de tous régulateurs et juges » .

À cet égard, votre rapporteur estime qu'il est utile que l'AMF - qu'elle ait choisi ou non de se constituer partie civile - soit représentée à l'audience du tribunal correctionnel lorsque sont poursuivis des délits boursiers et propose un amendement en ce sens à l'article 4 de la présente proposition de loi.

En outre, il considère qu'il serait opportun d'ouvrir le champ de la composition administrative 35 ( * ) de l'AMF aux abus de marché, ce qui permettrait de régler rapidement les affaires pour lesquelles on dispose d'une jurisprudence claire et établie de la Commission des sanctions et de permettre à cette dernière de concentrer ses ressources sur les cas les plus complexes ou soulevant des problématiques nouvelles, en raison de l'innovation perpétuelle dont font montre les acteurs du secteur financier et de la sophistication constante de leurs techniques. Votre commission a adopté un article additionnel tendant à cette fin.

4. La nécessité de garantir la coordination des enquêtes administratives et pénales

Le droit en vigueur n'organise pas de manière satisfaisante la coopération entre le parquet national financier et l'AMF, qui sera pourtant particulièrement nécessaire dès lors que sera mis en place un dispositif d'aiguillage.

Un échange d'informations est bien prévu par la loi, mais n'intervient qu'au terme de l'enquête de l'AMF, au moment de la notification des griefs. L'article L. 621-15-1 du code monétaire et financier dispose en effet que « si l'un des griefs notifiés conformément au deuxième alinéa du I de l'article L. 621-15 est susceptible de constituer un des délits mentionnés aux articles L. 465-1, L. 465-2 et L. 465-2-1, le collège transmet dans les meilleurs délais le rapport d'enquête ou de contrôle au procureur de la République financier ».

Or cette information à un stade où l'AMF a achevé son enquête risque d'affaiblir la « qualité de l'enquête policière », comme le relève notre collègue député Dominique Baert dans son rapport sur la présente proposition de loi : « À titre d'exemple, les moyens d'enquête policière, tels que les interceptions téléphoniques, deviennent inutiles dès lors que les personnes mises en cause sont informées de l'existence de l'enquête, notamment à l'occasion des visites domiciliaires par l'AMF ou de la notification des griefs par le collège de celle-ci. »

Il serait donc souhaitable « de coordonner les actes d'investigation intrusifs, comme les perquisitions, les mesures de saisies ou d'auditions ». Il s'agirait ainsi « d'éviter l'allongement des délais de l'enquête policière et les redondances préjudiciables à l'efficacité des recherches ».

Votre rapporteur partage cette analyse et estime, comme notre collègue député Dominique Baert, que, « dès lors que le cumul des poursuites et des peines est impossible, mais qu' a contrario la dualité des enquêtes demeure, une réelle concertation pourrait impliquer la mise en place d'un mécanisme d'information réciproque dès l'ouverture de toute enquête administrative ou pénale ». Ce mécanisme devrait porter sur l'ensemble des pièces du dossier, réserve faite des informations issues de la coopération internationale obtenues par l'AMF sous réserve qu'elles ne soient pas transmises à d'autres autorités, et non plus seulement sur le rapport d'enquête.

Ainsi, les propositions de loi présentées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal comportent des dispositions visant à imposer une information réciproque de l'AMF et du parquet national financier dès l'ouverture d'une enquête, à créer un véritable dossier d'enquête commun et à permettre à chacune des autorités de solliciter de l'autre la réalisation d'actes ou d'expertises relevant de sa compétence.

En revanche, la présente proposition de loi ne prévoit rien en la matière. Notre collègue député Dominique Baert estime ainsi qu' « en pratique, il semble que les excellentes relations entre le Parquet national financier et l'AMF permettent à ce jour une coopération approfondie, assortie de la transmission des pièces nécessaires au Parquet national financier, lorsqu'il y a mise en mouvement de l'action publique ». L'AMF comme le parquet national financier ont également souligné ces excellentes relations lors de leurs auditions par votre rapporteur.

Il semble cependant à votre rapporteur que la pérennité de telles relations n'est malheureusement jamais assurée et que la loi doit fixer un cadre permettant d'organiser la coopération entre les deux autorités sans compter uniquement sur la bonne volonté de celles-ci et d'affermir les bases légales de la pratique actuelle.

Votre commission des finances a donc souhaité reprendre dans le présent texte les dispositions 36 ( * ) que comportaient sur ce sujet les propositions de loi de votre rapporteur et de notre collègue Claude Raynal.

C. LA TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE ET DU RÈGLEMENT DU 16 AVRIL 2014 SUR LES ABUS DE MARCHÉ

Lors de l'examen de la présente proposition de loi, l'Assemblée nationale a, à l'initiative de notre collègue député Dominique Baert, rapporteur, introduit trois articles ayant pour objet de transposer la directive et le règlement du 16 avril 2014 précités relatifs aux abus de marché, ce que tendent d'ailleurs également à réaliser les propositions de loi identiques présentées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal.

L'article 1 er A de la présente proposition de loi opère la transposition des textes européens s'agissant des incriminations pénales , en proposant une refonte globale des articles L. 465-1 et suivants du code monétaire et financier.

Tout d'abord, les incriminations sont refondues. Si l'incrimination de délit d'initié est maintenue, sa définition est précisée et, surtout, son régime est unifié quelle que soit la qualité de la personne en cause ou la nature de l'information privilégiée. Deux incriminations spécifiques nouvelles sont créées : celle d'incitation ou recommandation à l'utilisation d'informations privilégiées, et celle de divulgation illicite d'information privilégiée (autrefois intégrée au délit d'initié). Par ailleurs, les incriminations de manipulation de cours, manipulation d'indice et diffusion de fausse information sont maintenues, quoique leur définition soit aménagée pour correspondre aux textes européens.

Ensuite, comme cela a déjà été indiqué, les peines sont revues largement à la hausse. Il s'agit là du corollaire indispensable de la fin du cumul des poursuites et de l'aiguillage : il ne serait pas acceptable que les cas les plus graves soient orientés vers une voie répressive où ils seraient potentiellement moins sévèrement réprimés.

Se félicitant de cette transposition nécessaire à l'équilibre général du système de répression des abus de marché, réalisée dans des termes proches de ceux de la proposition de loi qu'il avait déposée et de celle de notre collègue Claude Raynal, votre rapporteur a toutefois souhaité la compléter par la reprise de l'une des dispositions de ces propositions, en prévoyant de façon spécifique une circonstance aggravante de commission en bande organisée.

Les articles 1 er bis et 4 bis de la proposition de loi visent quant à eux à transposer les deux textes européens s'agissant de la procédure administrative devant l'AMF . Les évolutions de fond sont moins substantielles et concernent essentiellement l'inclusion des quotas d'émission carbone dans le champ des instruments financiers qui ressortissent à l'AMF en matière d'abus de marché.

EXAMEN DES ARTICLES

ARTICLE 1er A
(Art. L. 465-1 à L. 465-3, art. L. 465-3-1 à L. 465-3-5 [nouveaux], art. L. 466-1, art. L. 621-12, art. L. 621-17-7 du code monétaire et financier, art. 705-1 du code de procédure pénale et art. 421-1 du code pénal)

Mise en conformité des incriminations d'abus de marché avec les dispositions de la directive 2014/57/UE et du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014

. Commentaire : le présent article vise à redéfinir les incriminations pénales en matière d'abus de marché, afin de les mettre en conformité avec la directive 2014/57/UE et le règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014, en proposant six catégories d'abus de marché (délit d'initié, recommandation ou incitation à l'utilisation d'informations privilégiées, divulgation illicite d'informations privilégiées, manipulation de cours, diffusion de fausse information, manipulation d'indices) et en renforçant le niveau des peines à cinq ans d'emprisonnement (contre deux maximum actuellement) et 100 millions d'euros d'amende (contre 1,5 million d'euros maximum actuellement).

I. LE DROIT EXISTANT

A. QUATRE ABUS DE MARCHÉ POUR DES SANCTIONS PÉNALES FAIBLES

Les articles L. 465-1 et suivants du code monétaire et financier prévoient actuellement quatre catégories d'abus de marché :

- le délit d'initié , sous différentes formes en fonction de la qualité de la personne utilisant une information privilégiée ou de la nature de cette information ;

- le délit de diffusion de fausse information ;

- le délit de manipulation de cours ;

- le délit de manipulation d'indice .

Le délit d'initié recouvre, aux termes de l'actuel article L. 465-1 du code monétaire et financier, quatre situations, emportant chacune des sanctions différentes :

• Lorsque l'information privilégiée est utilisée par des dirigeants sociaux ou des professionnels, alors le premier alinéa de l'article L. 465-1 prévoit une peine de deux ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 millions d'euros pouvant être portée jusqu'au décuple du profit réalisé ;

• Lorsque l'information privilégiée est communiquée à un tiers par des professionnels (et non utilisée), alors le deuxième alinéa de l'article L. 465-1 prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 150 000 euros, pouvant être porté jusqu'au décuple du profit réalisé ;

• Le troisième alinéa de l'article L. 465-1 prévoit la même peine lorsque l'information privilégiée est utilisée ou communiquée par d'autres personnes que des dirigeants ou des professionnels ;

• Enfin, lorsque l'information privilégiée est utilisée ou communiquée par d'autres personnes et qu'elle concerne la commission d'un crime ou d'un délit, la dernière phrase du troisième alinéa de l'article L. 465-1 prévoit la peine la plus lourde, soit sept ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 million d'euros.

Le délit de fausse information est défini par le premier alinéa de l'article L. 465-2 comme les manoeuvres ayant pour but d'entraver le fonctionnement du marché en induisant autrui en erreur. Il est puni, comme le premier cas de délit d'initié, de deux ans d'emprisonnement et 1,5 million d'euros d'amende.

Le délit de manipulation de cours est défini par le second alinéa de l'article L. 465-2 comme le fait de répandre ou de tenter de répandre des informations fausses ou trompeuses relativement à la situation d'un émetteur ou aux perspectives d'évolution d'un instrument ou d'un actif, de nature à agir sur le cours de ces instruments ou actifs. Il est également puni de deux ans d'emprisonnement et 1,5 million d'euros d'amende.

Le délit de manipulation d'indice est le plus récent. Créé par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, à la suite du scandale financier des manipulations de taux interbancaires (Libor et Euribor) qui jouent un rôle majeur dans le fonctionnement régulier des marchés financiers, le délit de manipulation d'indice a été codifié à l'article L. 465-2-1 du code monétaire et financier. Comme les autres abus de marché, il est puni par deux ans d'emprisonnement et 1,5 million d'euros d'amende.

Les incriminations et les sanctions pénales

Délits concernés

Personnes physiques

Personnes morales

Délits

d'initié

Utilisation de l'information par des dirigeants sociaux ou des professionnels

2 ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 million d'euros ou le décuple du profit

Amende égale au quintuple de la peine d'amende prévue pour les personnes physiques et peines complémentaires (dissolution, interdiction d'exercer, fermeture définitive ou temporaire, etc.)

Dispositions de droit commun prévues aux articles 131-38 et 131-39 du code pénal

Communication de l'information à un tiers par des professionnels

1 an d'emprisonnement et une amende de 150 000 euros ou le décuple du profit

Utilisation ou communication de l'information par d'autres personnes

1 an d'emprisonnement et une amende de 150 000 euros ou le décuple du profit

Utilisation ou communication par d'autres personnes de l'information portant sur un crime ou un délit

7 ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 million d'euros si le profit est inférieur à ce chiffre

Délit de fausse information du marché

2 ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 million d'euros ou le décuple du profit

Délit de manipulation des cours

2 ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 million d'euros ou le décuple du profit

Délit de manipulation d'indice

2 ans d'emprisonnement et une amende de 1,5 million d'euros ou le décuple du profit

Source : groupe de travail du parquet national financier, sous l'autorité de Mme Éliane Houlette

Au total, le niveau des sanctions pénales est faible, à la fois s'agissant des sanctions pécuniaires et des peines privatives de liberté, ce que confirme l'analyse rétrospective de la politique pénale des dernières années :

• S'agissant des amendes pécuniaires, le montant moyen des amendes prononcées sur les dix dernières années s'établit à 166 388 euros et aucune peine supérieure à 1 million d'euros n'a jamais été prononcée par le juge pénal 37 ( * ) .

• S'agissant des peines privatives de liberté, la peine de deux ans d'emprisonnement doit être comparée aux peines de trois ans d'emprisonnement prévues pour le vol ou l'abus de confiance, ou de cinq ans pour l'escroquerie et l'abus de biens sociaux. Aucun coupable de délit boursier en France n'a jamais été condamné à une peine de prison ferme 38 ( * ) .

B. UNE NÉCESSAIRE MISE EN CONFORMITÉ AVEC LE DROIT EUROPÉEN

Dans le contexte né de la crise financière de 2008, le dispositif prévu par la première directive sur les abus de marché de 2003 39 ( * ) qui visait à imposer des sanctions administratives pour les abus de marché par les États membres, s'est révélé insuffisant, compte tenu à la fois des scandales financiers qui ont émaillé le développement de la crise et de l'attente de l'opinion publique d'une plus grande sévérité vis-à-vis des comportements délictuels sur les marchés financiers.

Ainsi, la directive 2014/57/UE et le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ont pour objet de rendre plus efficace et plus dissuasif le système de répression des abus de marché , à la fois pénal et administratif, dans les différents États membres. Les principales avancées de ces textes européens sont :

- l'obligation, prévue par la directive, de sanctions pénales « effectives, proportionnées et dissuasives » dans les législations nationales ; en particulier, la directive fixe à quatre ans la peine d'emprisonnement minimale qui doit être prévue pour les abus de marché ;

- une harmonisation de la définition des différents abus de marché , qui comprend notamment le nouveau délit de manipulation d'indice ;

- une extension des abus de marché aux instruments financiers négociés sur des plateformes électroniques de négociation, ainsi qu'aux contrats sur matières premières et dérivés sur matières premières .

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article , adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Dominique Baert, rapporteur, procède à une refonte à la fois des incriminations pénales et de leur niveau de sanction, afin de mettre en conformité notre droit avec la législation européenne . Il propose ainsi une réécriture globale des articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier et crée de nouveaux articles L. 465-3-1 à L. 465-3-5 afin de définir les nouvelles incriminations.

Les incriminations pénales d'abus de marché

Catégorie d'incrimination dans le droit français actuel

Incrimination actuelle

Droit européen (règlement et directive sur les abus de marché)

Incrimination prévue par la proposition de loi

Opération d'initié

Utilisation d'informations privilégiées par des dirigeants sociaux ou des professionnels

Article L. 465-1, premier alinéa

Opération d'initié

Opération d'initié

Article L. 465-1

Utilisation ou communication d'informations privilégiées par d'autres personnes et portant sur la commission d'un crime ou d'un délit

Article L. 465-1, troisième alinéa, dernière phrase

Utilisation d'informations privilégiées par d'autres personnes

Article L. 465-1, deuxième alinéa

-

Incitation ou recommandation à une opération d'initié

Incitation ou recommandation à une opération d'initié

Art. L. 465-2

Communication d'informations privilégiées à un tiers par des professionnels

Article L. 465-1, deuxième alinéa

Divulgation illicite d'informations privilégiées

Divulgation illicite d'informations privilégiées

Article L. 465-3

Communication d'informations privilégiées par d'autres personnes

Article L. 465-1, troisième alinéa

Manipulation de cours

Manipulation de cours

Article L. 465-2, premier alinéa

Manipulation de marché

Manipulation de cours

Art. L. 465-3-1

Diffusion de fausse information

Diffusion de fausse information

Article L. 465-2, deuxième alinéa

Diffusion de fausse information

Art. L. 465-3-2

Manipulation d'indice

Manipulation d'indice

Article L. 465-2-1

Manipulation d'indice

Art. L. 465-3-3

Source : commission des finances

A. UNE SIMPLIFICATION DE L'INCRIMINATION DE DÉLIT D'INITIÉ

Le présent article propose une nouvelle rédaction de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier afin de prévoir un seul délit d'initié puni d'une même peine de cinq ans d'emprisonnement et de 100 millions d'euros jusqu'au décuple de l'avantage obtenu . Ainsi, cet article clarifie la définition des opérations d'initié, en supprimant les sous-catégories existantes en fonction de la qualité de la personne ou de l'origine de l'information. Par ailleurs, il augmente la peine privative de liberté, conformément à la directive européenne et aligne la sanction pécuniaire sur celle déjà prévue devant l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Le nouvel article L. 465-1 reprend la définition européenne du délit d'initié. Ce faisant, il prévoit un nouveau cas d'obtention de l'information privilégiée, à l'occasion de la commission d'un crime ou d'un délit, conformément au d du 3 de l'article 3 de la directive 40 ( * ) . Il fait également référence au règlement européen pour la définition de l'information privilégiée (voir encadré ci-après).

Définition de l'information privilégiée
(extrait de l'article 7 du règlement sur les abus de marché)

« 1. Aux fins du présent règlement, la notion d'«information privilégiée» couvre les types d'information suivants:

« a) une information à caractère précis qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés;

« b) pour les instruments dérivés sur matières premières, une information à caractère précis qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs instruments dérivés de ce type ou qui concerne directement le contrat au comptant sur matières premières qui leur est lié, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours de ces instruments dérivés ou des contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés et lorsqu'il s'agit d'une information dont on attend raisonnablement qu'elle soit divulguée ou qui doit obligatoirement l'être conformément aux dispositions législatives ou réglementaires au niveau de l'Union ou au niveau national, aux règles de marché, au contrat, à la pratique ou aux usages propres aux marchés ou aux marchés au comptant d'instruments dérivés sur matières premières concernés ;

« c) pour les quotas d'émission ou les produits mis aux enchères basés sur ces derniers, une information à caractère précis qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs instruments de ce type, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours de ces instruments ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés;

« d) pour les personnes chargées de l'exécution d'ordres concernant des instruments financiers, il s'agit aussi de toute information transmise par un client et ayant trait aux ordres en attente du client concernant des instruments financiers, qui est d'une nature précise, qui se rapporte, directement ou indirectement, à un ou plusieurs émetteurs ou à un ou plusieurs instruments financiers et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours de ces instruments financiers, le cours de contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

« 2. Aux fins de l'application du paragraphe 1, une information est réputée à caractère précis si elle fait mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, si elle est suffisamment précise pour qu'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers ou des instruments financiers dérivés qui leur sont liés, des contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés ou des produits mis aux enchères basés sur les quotas d'émission. À cet égard, dans le cas d'un processus se déroulant en plusieurs étapes visant à donner lieu à, ou résultant en certaines circonstances ou un certain événement, ces circonstances futures ou cet événement futur peuvent être considérés comme une information précise, tout comme les étapes intermédiaires de ce processus qui ont partie liée au fait de donner lieu à, ou de résulter en de telles circonstances ou un tel événement.

« 3. Une étape intermédiaire d'un processus en plusieurs étapes est réputée constituer une information privilégiée si, en soi, cette étape satisfait aux critères relatifs à l'information privilégiée visés au présent article.

« 4. Aux fins du paragraphe 1, on entend par information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers, des instruments financiers dérivés, des contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés ou des produits mis aux enchères basés sur des quotas d'émission, une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme faisant partie des fondements de ses décisions d'investissement.

« Dans le cas des participants au marché des quotas d'émission avec des émissions cumulées ou une puissance thermique nominale inférieures ou égales au seuil fixé conformément à l'article 17, paragraphe 2, deuxième alinéa, les informations relatives à leurs activités matérielles sont réputées être dépourvues d'effet significatif sur le prix des quotas d'émission, des produits mis aux enchères basés sur ces derniers ou sur le cours des instruments financiers dérivés. »

Source : règlement n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

Par ailleurs, le nouvel article précise que la seule détention et utilisation de l'information privilégiée n'est pas en elle-même constitutive du délit d'initié , dès lors que le comportement de la personne est légitime . L'article 9 du règlement européen définit le comportement légitime, en particulier comme l'exercice normal des fonctions s'agissant d'un teneur de marché ou d'une contrepartie.

Enfin, un II prévoit que la tentative de délit d'initié est punie des mêmes peines que le délit d'initié lui-même . Cette précision est reprise pour l'ensemble des incriminations d'abus de marché.

B. LA RECOMMANDATION OU L'INCITATION À L'UTILISATION D'UNE INFORMATION PRIVILÉGIÉE, NOUVELLE INCRIMINATION SPÉCIFIQUE

Le présent article réécrit par ailleurs l'article L. 465-2 du même code afin de créer une infraction d'incitation ou de recommandation à l'utilisation d'une information privilégiée . Il s'agit là d'une incrimination nouvelle : dans le droit existant, la recommandation et l'incitation ne sont abordées qu'indirectement par le fait que s'entend également d'un délit d'initié le fait de « permettre de réaliser » une telle opération. Par ricochet, le II de l'article L. 465-2 prévoit que l'utilisation d'une telle recommandation est passible de la même peine qu'un délit d'initié primaire.

Ce nouveau délit est puni des mêmes peines que le délit d'initié. Il convient de souligner que le droit pénal général permet déjà de punir les complices d'un crime, l'article 121-6 du code pénal prévoyant que « sera puni comme auteur le complice de l'infraction », défini à l'article 121-7 comme « la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation » ou « la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ».

Le présent article, très proche de ce principe général, permet cependant de le préciser, en prévoyant que la simple « recommandation » à l'utilisation d'une information privilégiée en la sachant privilégiée s'analyse déjà comme un délit d'initié, sans qu'il y ait besoin d'une quelconque facilitation de l'entreprise ou usage de manoeuvres ou promesses pour en provoquer l'usage.

C. L'INCRIMINATION DE DIVULGATION D'INFORMATIONS PRIVILÉGIÉES ISOLÉE

Le présent article créé également au sein du code monétaire et financier un article L. 465-3 relatif à la divulgation d'informations privilégiées à des tiers . Ce délit, qui constitue aujourd'hui l'une des sous-catégories du délit d'initié, est désormais identifié, avec toutefois la même peine que le délit d'initié lui-même (cinq ans d'emprisonnement et 100 millions d'euros d'amende).

Il est explicitement précisé que la divulgation d'une information privilégiée peut être punie même si elle est réalisée dans le cadre d'un sondage de marché , si ce dernier n'a pas été réalisé selon les règles prévues par l'article 11 du règlement européen. Cette précision du règlement européen permet de sécuriser cette pratique de sondage de marché, en prévoyant clairement les conditions auxquelles elle est autorisée. En particulier un certain nombre d'informations doivent être fournies à la personne sondée préalablement au sondage de marché afin de l'informer du caractère confidentiel des informations transmises et de l'interdiction d'en faire usage.

D. LE MAINTIEN DE TROIS INCRIMINATIONS DISTINCTES POUR LES DIFFÉRENTS TYPES DE MANIPULATION DE MARCHÉ

L'article 5 de la directive prévoit une incrimination globale de « manipulation de marché » qui rassemble les incriminations existantes en droit français de diffusion de fausse information, manipulation de cours et manipulation d'indices.

Le présent article a fait le choix de ne pas rassembler sous une seule incrimination ces trois catégories existantes, mais de les conserver de façon autonome . Notre collègue Dominique Baert, auteur de la proposition de loi, s'en justifie dans son rapport précité en estimant qu'il s'agit « d'améliorer la lisibilité des dispositions ». Cela permet, il est vrai, de maintenir des incriminations proches du droit existant, afin de ne pas créer une insécurité juridique trop importante pour les acteurs du marché financier.

En conséquence, sont créés trois articles distincts au sein du code monétaire et financier :

• l'article L. 465-3-1 relatif à la manipulation de cours . Cette dernière est définie de deux manières : soit par une opération ou un comportement susceptible de donner une indication trompeuse sur le cours d'un actif ou d'un instrument financier (A) ; soit par une opération ou un comportement qui affecte directement le cours de cet instrument ou de cet actif, par le recours « à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice ». D'après les informations recueillies par votre rapporteur, cela peut notamment faire référence à des indications, délibérément erronées, données par un opérateur sur le prix d'un actif avant l'opération de vente, et destinées à modifier le prix de cet actif.

À l'image du comportement légitime en matière de délit d'initié, le présent article prévoit que l'opération ou le comportement n'est pas constitutif de l'infraction s'il est fondé sur un motif légitime ou est conforme à une pratique de marché, qui est définie a priori par le régulateur ;

• l'article L. 465-3-2 relatif à la diffusion de fausse information . Ce délit est défini comme le « fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier ou qui fixent le cours d'un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel » ;

• l'article L. 465-3-3 relatif à la manipulation d'indice . Cette incrimination est définie sur le modèle de la manipulation de cours tout en s'appliquant à cet objet spécifique que sont les indices de référence. Ces derniers sont définis comme « tout taux, indice ou nombre mis à la disposition du public ou publié, qui est déterminé périodiquement ou régulièrement par application d'une formule ou sur la base de la valeur d'un ou de plusieurs actifs ou prix sous-jacents, y compris des estimations de prix, de taux d'intérêt ou d'autres valeurs réels ou estimés, ou des données d'enquêtes, et par référence auquel est déterminé le montant à verser au titre d'un instrument financier ou la valeur d'un instrument financier ». Les deux principaux indices visés sont le Libor (taux interbancaire de référence entre les banques londoniennes) et l'Euribor (taux interbancaire de référence de la Fédération bancaire de l'Union européenne).

Pour ces trois incriminations, la même peine est prévue, identique à celle des délits d'initié, soit cinq ans d'emprisonnement et 100 millions d'euros d'amende jusqu'au décuple du montant de l'avantage retiré .

E. UN CHAMP D'APPLICATION ÉLARGI AUX CONTRATS SUR MATIÈRES PREMIÈRES ET AUX QUOTAS CARBONE

Le présent article créé un nouvel article L. 465-3-4 qui prévoit que l'ensemble des incriminations en matière d'abus de marché s'applique à trois catégories d'instruments financiers :

- les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, ce qui recouvre les actions et les obligations ;

- les produits dérivés ;

- les quotas d'émission carbone (mentionnés à l'article L. 229-7 du code de l'environnement). Seule cette dernière catégorie constitue une innovation par rapport au droit existant.

Par ailleurs, ce même article L. 465-3-4 prévoit que les deux incriminations de manipulation de cours et de diffusion de fausse information s'appliquent, en outre aux contrats au comptant sur matières premières ainsi qu'aux dérivés sur matières premières, conformément à la directive et au règlement sur les abus de marché .

Extrait du règlement sur les abus de marché (considérant 20)

« Les marchés au comptant et les marchés d'instruments dérivés qui leur sont liés étant hautement interconnectés et mondialisés, les abus de marché peuvent concerner plusieurs marchés et plusieurs pays et faire naître ainsi des risques systémiques significatifs. C'est vrai aussi bien pour les opérations d'initiés que pour les manipulations de marché. En particulier, une information privilégiée émanant d'un marché au comptant peut profiter à une personne négociant sur un marché financier. Les informations privilégiées concernant un instrument dérivé sur matières premières devraient être définies comme les informations correspondant à la définition générale des informations privilégiées concernant les marchés financiers et qui sont obligatoirement rendues publiques conformément aux dispositions légales ou réglementaires au niveau de l'Union ou au niveau national, aux règles de marché, aux contrats ou aux usages propres au marché d'instruments dérivés sur matières premières concerné ou au marché au comptant de matières premières concerné. À titre d'exemples notables de telles règles, citons le règlement (UE) no 1227/2011 pour le marché de l'énergie et, pour le pétrole, la base de données de l'initiative conjointe sur les données pétrolières (JODI). De telles informations peuvent servir de base aux décisions des participants aux marchés de souscrire à des instruments dérivés sur matières premières ou aux contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés, et devraient, par conséquent, constituer une information privilégiée qui doit être rendue publique dès lors qu'elle est susceptible d'avoir un effet significatif sur les cours de tels instruments dérivés ou sur les contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés.

« De plus, les stratégies de manipulation peuvent aussi s'étendre sur tous les marchés au comptant et les marchés d'instruments dérivés. La négociation d'instruments financiers, y compris des instruments dérivés sur matières premières, peut servir à manipuler les contrats au comptant sur matières premières qui leur sont liés, de même que les contrats au comptant sur matières premières peuvent être utilisés pour manipuler les instruments financiers qui leur sont liés. L'interdiction des manipulations de marché devrait viser ces interconnexions. »

Enfin, le III de cet article L. 465-3-4 exclut de l'application des différentes incriminations en matière d'abus de marché trois catégories d'opérations :

- les rachats d'actions , lorsque ces opérations sont réalisées conformément à l'article 5 du règlement sur les abus de marché ;

- les opérations de stabilisation 41 ( * ) , qui correspondent à certaines opérations de tenue de marché (ou market making ) par les établissements de crédit ;

- les opérations financières réalisées par la puissance publique en matière de politique monétaire, de gestion de la dette publique, de gestion du marché de quotas d'émission carbone ou de mise en oeuvre de la politique agricole commune .

F. LA RÈGLE DU QUINTUPLE MAINTENUE POUR LES PERSONNES MORALES PÉNALEMENT RESPONSABLES

L'actuel article L. 465-3 du code monétaire et financier prévoit que les personnes morales responsables pénalement sont soumises au régime de droit commun prévu par les articles 131-38 et 131-39 du code pénal, à savoir une amende égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques, ainsi que des peines complémentaires , en particulier l'interdiction d'exercer l'activité incriminée.

Le présent article créé un article L. 465-3-5 qui reprend ce droit existant . Toutefois, compte tenu de l'augmentation du quantum de la sanction exprimée en valeur absolue, l'amende pour les personnes morales sera désormais de 500 millions d'euros , montant à la fois significatif et dissuasif, et cinq fois plus important que devant l'autorité administrative. La règle du quintuple s'appliquant à l'amende de façon générale, la peine pour les personnes morales peut aller jusqu'à cinquante fois (10 x 5) l'avantage retiré.

G. DIVERSES MESURES DE COORDINATION

Par ailleurs, le présent article procède à un certain nombre de coordination pour tenir compte de ces évolutions :

• À l'article L. 466-1 du code monétaire et financier, il élargit les références des abus de marché pour lesquels les autorités judiciaires doivent demander l'avis de l'Autorité des marchés financiers en cas de poursuites.

• À l'article L. 621-12 du même code, le présent article adapte les références aux abus de marché s'agissant de la possibilité pour le juge des libertés et de la détention d'autoriser les enquêteurs de l'AMF à réaliser des visites domiciliaires et toute saisie de documents.

• À l'article L. 621-17-7 du même code, le présent article adapte les références aux abus de marché s'agissant de l'absence de poursuites des personnes ayant réalisé une déclaration d'opérations suspectes, sauf concertation frauduleuse avec l'auteur de l'opération.

• À l'article 705-1 du code de procédure pénale, le présent article adapte les références de l'ensemble des abus de marché qui ressortissent de la compétence du procureur de la République financier.

• Enfin, à l'article 421-1 du code pénal, le présent article adapte la référence aux délits d'initiés qui peuvent être qualifiés d'acte de terrorisme quand ils « sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

*

Enfin, le dernier alinéa du présent article prévoit que ce dernier entre en vigueur le 3 juillet 2016 , date limite de transposition prévue par les textes européens.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le présent article procède à une refonte en profondeur des incriminations d'abus de marché et de leurs sanctions . À cet égard, il eût été regrettable qu'une telle réforme fût réalisée par ordonnance , comme l'avait proposé le Gouvernement et s'y était opposée votre commission des finances à l'occasion de l'examen du projet de loi n° 2014-1662 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière du 30 décembre 2014.

Au-delà de la nécessité de la transposition de la directive et du règlement européens du 16 avril 2014, cette refonte est le pendant nécessaire de l'aiguillage prévu par l'article premier de la présente proposition de loi . En effet, il serait incohérent, sinon inacceptable, que les cas les plus graves, renvoyés devant le juge pénal, soient traités avec moins de sévérité que s'ils avaient été poursuivis devant le régulateur .

De ce point de vue, le présent article fait le choix de sanctions très dissuasives : si le relèvement de la peine d'emprisonnement était rendue nécessaire par le droit européen, le relèvement à 100 millions d'euros de l'amende pour l'ensemble des abus de marché constitue un signal puissant qui devra être suivi par une politique pénale dont l'efficacité et la cohérence seront assurées par le procureur de la République financier .

Par ailleurs, le présent article propose une refonte de la définition des incriminations qui, en simplifiant la qualification de délit d'initié, en isolant celle de divulgation d'informations privilégiées et en créant une incrimination spécifique d'incitation ou de recommandation à l'utilisation d'une information privilégiée, clarifie considérablement le droit applicable. En outre, il convient de se féliciter de la précision, apportée pour chacune des incriminations, consistant à prévoir que la tentative de l'infraction est punie des mêmes peines, compte tenu de l'égale gravité morale qui s'y attache.

Concernant l'incrimination de diffusion de fausse information, votre commission des finances a, à l'initiative de votre rapporteur, adopté un amendement visant à préciser que s'entend également d'une fausse information une information relative à la situation ou aux perspectives d'un émetteur, et non pas strictement sur la valeur d'un actif . En effet, la transposition ne doit pas avoir pour conséquence de réduire le champ de cette incrimination telle qu'elle est aujourd'hui prévue par le deuxième alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier.

S'agissant des personnes morales pénalement responsables, la règle du quintuple prévue par l'article 131-38 du code pénal signifie que l'amende encourue est de 500 millions d'euros ou cinquante fois l'avantage retiré. Or, l'amende correspondant à cinquante fois l'avantage retiré apparaît comme disproportionnée , d'autant que le légitime relèvement à 500 millions d'euros de l'amende exprimée en valeur absolue permettra déjà de disposer d'une peine véritablement dissuasive s'agissant d'entreprises à la capacité contributive significative. En conséquence, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur visant à prévoir que la règle du quintuple s'applique uniquement à l'amende exprimée en valeur absolue .

Par ailleurs, votre commission des finances a adopté un amendement de votre rapporteur visant à prévoir une circonstance aggravante de commission en bande organisée pour l'ensemble des abus de marché. Dans un tel cas, la peine d'emprisonnement serait portée à dix ans . Cette proposition, formulée par le procureur de la République financier dans son rapport précité de février 2015, était présente dans la proposition de loi présentée par votre rapporteur, ainsi que celle présentée par notre collègue Claude Raynal, et déposées sur le bureau du Sénat le 7 octobre 2015 42 ( * ) .

Par cohérence avec cet amendement, votre commission des finances a également adopté un amendement visant à prévoir que, lorsqu'un abus de marché est commis en bande organisée, le parquet national financier peut réaliser des interceptions téléphoniques sans saisir le juge d'instruction , c'est-à-dire sans ouvrir d'information judiciaire. En effet, l'article 706-1-1 du code de procédure pénale prévoit déjà que, pour certaines infractions financières (corruption d'agents publics, fraude fiscale en bande organisée, certains délits douaniers), le parquet peut disposer de moyens d'enquête renforcés, en particulier des interceptions téléphoniques (sur requête du parquet auprès du juge des libertés et de la détention), des infiltrations ou des écoutes dans les lieux de vie privée (sur autorisation du juge d'instruction). Il s'agit ainsi de prévoir les mêmes moyens d'enquête élargis, afin de permettre au parquet, dans ce cas particulièrement grave, de réaliser des interceptions téléphoniques sans avoir à ouvrir une information judiciaire. En effet, sans ce type de moyens d'enquête, la collusion peut être particulièrement difficile à démontrer.

En outre, votre commission des finances a adopté trois amendements portant différentes améliorations rédactionnelles .

Enfin, elle a adopté un amendement visant à modifier la référence insérée à l'article L. 466-1 du code monétaire et financier, afin de prévoir que les autorités judiciaires doivent demander l'avis de l'Autorité des marchés financiers non seulement en cas de poursuites pour délit d'initié ou divulgation d'informations privilégiées, mais également pour les différentes formes de manipulation de marché .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

ARTICLE 1er
(Art. L. 465-3-6 [nouveau] du code monétaire et financier)

Encadrement des possibilités de mise en mouvement de l'action publique pour les délits boursiers

. Commentaire : le présent article vise à restreindre la possibilité pour le procureur de la République financier de mettre en mouvement l'action publique, afin d'éviter toute possibilité de cumul des poursuites administratives et pénales pour les abus de marché.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA DOUBLE INCRIMINATION DES ABUS DE MARCHÉS

Les abus de marché font l'objet d'un cumul d'incriminations : ils peuvent à la fois constituer une infraction pénale poursuivie devant le juge répressif et un manquement administratif au règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) susceptible d'être sanctionné par la Commission des sanctions de cette autorité.

Les paires de délit et de manquement administratif concernées sont :

- le délit d'initié 43 ( * ) et le manquement d'initié 44 ( * ) ;

- le délit de diffusion de fausse information 45 ( * ) et le manquement à la bonne information du public 46 ( * ) ;

- le délit de manipulation de cours 47 ( * ) et le manquement de manipulation de cours 48 ( * ) . La loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 a également prévu la répression de la manipulation d'indice tant pénalement 49 ( * ) qu'administrativement 50 ( * ) .

Pour chacun de ces abus, les faits constitutifs du délit et du manquement sont très proches. La principale distinction porte sur l'élément moral, constitutif des délits, mais présent à des degrés variables dans la définition des manquements qui se rapproche d'infractions objectives, s'agissant en particulier du manquement d'initié.

B. UNE DOUBLE VOIE DE POURSUITE PERMETTANT LE CUMUL DES POURSUITES ET DES SANCTIONS

Les mêmes faits peuvent faire l'objet, de manière cumulative, d'une sanction pénale conformément aux articles L. 465-1 et suivants du code monétaire et financier, et d'une sanction administrative ou disciplinaire conformément à l'article L. 621-15 du code monétaire et financier et aux dispositions du livre 6 du règlement général de l'AMF.

1. La répression administrative

L'AMF est une autorité publique indépendante qui a pour missions de veiller à la protection de l'épargne investie dans les produits financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers.

Ainsi que le prévoit l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, l'AMF peut diligenter des contrôles et enquêtes pour assurer l'exécution de ses missions.

Les contrôles s'appliquent aux professionnels réglementés, dont le champ est défini par le II de l'article L. 621-9 et dont l'AMF veille au respect des obligations professionnelles légales et réglementaires.

Les enquêtes ont, quant à elles, pour objectif d'identifier les auteurs d'éventuelles infractions boursières, qu'elles soient le fait d'une société cotée, d'un investisseur particulier ou institutionnel, ou d'un professionnel du marché.

Le pouvoir d'ouvrir une enquête est confié au secrétaire général de l'AMF, qui habilite alors les enquêteurs de manière nominative. En pratique, une enquête peut être ouverte à la suite de constatations faites dans le cadre de la surveillance des marchés, du suivi des sociétés cotées, d'informations adressées à l'AMF ou encore à la demande d'autorités étrangères.

Les enquêteurs établissent un rapport d'enquête qui indique si les faits relevés peuvent constituer un manquement administratif ou une infraction pénale.

Le secrétaire général transmet le rapport d'enquête ou de contrôle au collège de l'AMF. Après examen du rapport, le collège peut décider, en tant qu'autorité de poursuite :

- le classement sans suite ;

- l'envoi d'une lettre d'observation qui rappelle la réglementation en vigueur aux personnes ayant fait l'objet de l'enquête ;

- la notification de griefs et la proposition d'une transaction (composition administrative) ;

- la transmission à d'autres autorités administratives françaises ou étrangères pour des faits relevant de leurs compétences ;

- la transmission du dossier au Parquet lorsque les faits relevés dans le rapport paraissent constitutifs d'un délit ;

- la notification des griefs au mis en cause.

La notification de griefs énonce les faits reprochés et les règles méconnues par le mis en cause. Elle marque l'ouverture des poursuites et est transmise à la Commission des sanctions, qui instruira l'affaire et prononcera, le cas échéant, les sanctions.

Hors des cas d'abus de marché, la notification des griefs peut s'accompagner d'une proposition d'entrée en composition administrative au titre de l'article L. 621-14-1 du code monétaire et financier donnant lieu à un accord transactionnel homologué par la Commission des sanctions et publié.

Les sanctions susceptibles d'être prononcées varient selon la qualité de la personne mise en cause 51 ( * ) .

L'article L. 621-30 du code monétaire et financier prévoit une dualité de compétence entre juge administratif et juge judiciaire en matière de recours contre les décisions individuelles de l'AMF.

Les recours formés contre les sanctions prononcées à l'encontre de professionnels des marchés financiers (« personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 ») sont de la compétence du Conseil d'État.

Les sanctions prononcées à l'encontre de toute autre personne doivent être contestée devant le juge judiciaire, soit la Cour d'appel de Paris.

2. La répression pénale

Créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le parquet national financier, sous l'autorité du procureur de la République financier, s'est vu confier une compétence exclusive en matière d'exercice de l'action publique pour la poursuite des délits d'initié, de fausse information du marché et de manipulation de cours.

Conformément au principe d'opportunité des poursuites, le parquet national financier peut décider, au vu des informations qui lui ont été transmises et de l'enquête qu'il a pu diligenter, soit un classement sans suite, soit la mise en mouvement de l'action publique.

Pour cela, il peut soit ouvrir une information judiciaire, qui est alors confiée à un juge d'instruction, soit procéder par citation directe en saisissant le tribunal compétent et en informant la personne poursuivie du lieu et de la date de l'audience.

L'exclusivité de la compétence du parquet national financier s'entend à l'égard des autres parquets, la victime d'un délit boursier conservant la possibilité de mettre en mouvement l'action publique en se constituant partie civile ou par le biais d'une citation directe.

3. La mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée

L'article 1 er du code de procédure pénale dispose que l'action publique peut être mise en mouvement par le ministère public mais également par « la partie lésée », c'est-à-dire la victime de l'infraction. Pour cela, la partie lésée peut :

- soit, lorsque l'auteur de l'infraction est connu, faire délivrer une citation directe et saisir ainsi directement le juge répressif, en application de l'article 551 du code de procédure pénale ;

- soit se constituer partie civile devant le juge d'instruction compétent, en application de l'article 85 du même code.

La constitution de partie civile n'est possible que dans deux cas de figure :

- une plainte simple pour les mêmes faits a été classée sans suite par le procureur. Dans ce cas, la victime doit posséder un courrier du procureur indiquant son refus d'engager des poursuites ;

- une plainte simple a déjà été déposée depuis trois mois sans qu'aucune suite n'ait été donnée par le procureur.

La prescription de l'action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu'à la réponse du procureur de la République ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois.

C. LA LIMITATION DES POSSIBILITÉS DE CUMUL PAR LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

La jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme et leurs conséquences pour le système de répression des abus de marché sont présentées plus en détail dans l'exposé général du présent rapport.

1. La contrainte du principe ne bis in idem consacré par le Cour européenne des droits de l'homme

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) prohibe le cumul des poursuites en matière pénale dès lors qu'une décision définitive est déjà intervenue (principe ne bis in idem ).

Dans un arrêt du 4 mars 2014 rendue dans l'affaire Grande Stevens 52 ( * ) , elle a ainsi affirmé que les décisions de sanctions prononcées par la Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (CONSOB) - l'autorité administrative indépendante de régulation des marchés financiers en Italie -, susceptibles d'être assimilées à des sanctions de nature pénale, interdisent à une juridiction pénale de poursuivre comme de sanctionner, pour les mêmes faits, les comportements incriminés déjà sanctionnés par l'autorité administrative.

Dans cette affaire, la réserve souscrite par l'Italie au protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sur lequel se fonde l'arrêt Grande Stevens , a été écartée par la Cour en raison de sa généralité. La réserve de la France au même protocole est rédigée dans les mêmes termes que la réserve italienne.

2. L'inconstitutionnalité des dispositions actuelles de cumul des répressions administratives et pénales en matière d'abus de marché

Dans le cadre de l'affaire « EADS », le Conseil constitutionnel a été saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité porte sur la conformité des dispositions permettant le cumul des poursuites administratives et pénales en matière de délits et de manquements d'initié.

Dans sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, après avoir rappelé que « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction », le Conseil constitutionnel a considéré que :

- les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier tendent à réprimer les mêmes faits et que les dispositions contestées définissent et qualifient de la même manière le manquement d'initié et le délit d'initié ;

- ces deux incriminations protègent les mêmes intérêts sociaux ;

- ces deux incriminations aboutissent au prononcé de sanctions qui ne sont pas de nature différente ;

- les poursuites et sanctions prononcées relèvent toutes deux des juridictions de l'ordre judiciaire, pour ce qui concerne les personnes non directement régulées par l'AMF.

La conjonction de ces quatre éléments a conduit le Conseil constitutionnel à censurer les dispositions contestées, dont l'abrogation interviendra le 1 er septembre 2016. Il ne fait pas de doute que le raisonnement du Conseil constitutionnel est applicable aux autres abus de marché.

Dans une décision 53 ( * ) ultérieure, en date du 14 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a considéré qu'une version précédente des mêmes dispositions, contestées dans le cadre d'une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, était conforme à la Constitution car les sanctions encourues étaient, dans l'état du droit applicable à l'affaire en cause, de nature différente.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article vise à créer au sein du code monétaire et financier un article L. 465-3-1 encadrant les possibilités de mise en mouvement de l'action publique pour les délits boursiers. Il s'agit d'un des deux versants du dispositif d' « aiguillage » que la présente proposition de loi tend à instaurer. Les dispositions destinées à encadrer la possibilité pour le collège de l'AMF de notifier des griefs susceptibles de constituer des délits boursiers figurent à l'article 2 de la présente proposition de loi.

A. L'EXTINCTION DE L'ACTION PUBLIQUE EN CAS DE NOTIFICATION DES GRIEFS PAR L'AMF

Le I du nouvel article prévoit, sans préjudice de l'article 6 du code de procédure pénale, qu'en matière d'abus de marché, l'action publique s'éteint par la notification des griefs pour les mêmes faits et à l'égard de la même personne effectuée par le collège de l'AMF en application du I de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier.

Considérant que l'extinction de l'action publique intervient après sa mise en mouvement, notre collègue député Dominique Baert indique dans son rapport que, dans la mesure où un aiguillage est effectivement mis en place empêchant le cumul des poursuites, cette disposition n'est susceptible de s'appliquer qu'aux affaires en cours avant l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi.

Cette interprétation ne correspond pas aux effets qu'une cause d'extinction de l'action publique produit.

Les causes d'extinction, définies au premier alinéa de l'article 6 du code de procédure pénale qui dispose que « l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée », sont susceptibles d'intervenir aussi bien avant la mise en mouvement de l'action publique qu'après. Dans le premier cas, elles empêchent la mise en mouvement de l'action publique, dans le second elles l'arrêtent définitivement 54 ( * ) .

Faute de disposition contraire, la nouvelle cause d'extinction proposée au présent article ne déroge pas à la règle. La notification de griefs par l'AMF ferait donc obstacle à la mise en mouvement de l'action publique à l'encontre de la même personne et pour les mêmes faits, tout comme elle mettrait fin à des poursuites déjà engagées.

B. LA NÉCESSITÉ D'UN ACCORD PRÉALABLE DE L'AMF POUR LA MISE EN MOUVEMENT DE L'ACTION PUBLIQUE

Le II du nouvel article  prévoit que les poursuites pénales concernant un délit boursier ne peuvent être engagées par le procureur de la République financier qu'après concertation avec le collège de l'Autorité des marchés financiers, et accord de celui-ci.

C. LA MISE EN PLACE, EN CAS DE DÉSACCORD, D'UN ARBITRAGE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE PARIS

Le III du nouvel article prévoit qu'en l'absence d'accord, le procureur général près la cour d'appel de Paris autorise le procureur de la République financier à mettre en mouvement l'action publique, ou donne son accord au collège de l'Autorité des marchés financiers pour procéder à la notification des griefs.

Le procureur général disposerait de deux mois à compter de sa saisine pour rendre sa décision. Celle-ci serait définitive et non susceptible de recours. Elle serait versée au dossier de la procédure.

D. LA LIMITATION DU DROIT POUR LA PARTIE LÉSÉE DE METTRE EN MOUVEMENT L'ACTION PUBLIQUE

Le IV du nouvel article prévoit que, par dérogation aux dispositions de l'article 85 du code de procédure pénale, une plainte avec constitution de partie civile n'est recevable qu'à condition que le procureur de la République financier ait été autorisé à exercer les poursuites à l'issue de la procédure de concertation avec l'AMF et, le cas échéant, de l'arbitrage du procureur général.

Comme dans le droit commun, la victime devrait justifier qu'un délai de trois mois s'est écoulé depuis qu'elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou depuis qu'elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire.

La prescription de l'action publique serait suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu'à la réponse du procureur de la République financier. Contrairement aux dispositions de l'article 85 précité, le terme du délai de trois mois ne met pas fin à la suspension de la prescription.

Le V prévoit quant à lui que, par dérogation au premier alinéa de l'article 551 du code de procédure pénale, la citation visant les délits prévus et réprimés par les articles L. 465-1 à L. 465-2-1 du présent code ne peut être délivrée qu'à la requête du ministère public.

*

Le VI du nouvel article prévoit qu'un décret en Conseil d'État viendra préciser les conditions et modalités du dispositif.

*

Pour une bonne compréhension du dispositif, il convient d'indiquer que l'article 2 de la présente proposition de loi tend à instaurer des dispositions miroir de celles exposées ci-dessus, de manière à subordonner la notification, par le collège de l'AMF, de griefs susceptibles de constituer des délits boursiers à l'accord du procureur de la République financier. À défaut d'accord, s'appliquerait la procédure d'arbitrage par le procureur général près la Cour d'appel de Paris.

Le détail de ces dispositions est présenté dans le commentaire de cet article.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté, sur proposition de notre collègue député Dominique Baert, rapporteur, quatre amendements.

Un amendement a remplacé l'accord de l'AMF au parquet pour l'engament de poursuites par un avis conforme. L'exposé sommaire de l'amendement explique en effet qu' « il serait plus pertinent que l'accord, soit du Parquet, soit de l'AMF, se traduise par un "avis conforme". Outre que cela est plus cohérent quant à l'indépendance des deux autorités en question, aucune n'étant formellement soumise à "l'accord" de l'autre pour engager des poursuites, il permet de formaliser la décision qui sera prise suite à la procédure de concertation. »

Un deuxième amendement visait à préciser que « l'avis conforme du collège de l'Autorité des marchés financiers est définitif et n'est pas susceptible de recours » et qu'il « est versé au dossier de la procédure », à l'instar de l'arbitrage rendu par le procureur général.

Les deux autres amendements procèdent à des coordinations.

En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable du Gouvernement, trois amendement présentés par notre collègue député Dominique Baert.

Deux de ces amendements sont rédactionnels.

Le troisième a introduit un V bis dans le nouvel article L. 465-3-1, renuméroté L. 465-3-6 dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, afin de préciser que les procédures de concertation et d'arbitrage suspendent la prescription de l'action publique pour les faits auxquels elles se rapportent.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

L'exposé général du présent rapport rappelle de manière détaillée les termes du débat qui, à la suite de l'arrêt Grande Stevens de la CEDH puis de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, a conduit à la solution avancée par la présente proposition de loi pour éviter tout cumul des poursuites en matière d'abus de marché.

Dans le cadre de la mission d'information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers que leur avait confié votre commission des finances, votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal avait eux-mêmes conclu à la nécessité de mettre en place un aiguillage concerté entre l'AMF et le parquet national financier orientant les poursuites entre la voie pénale et administrative. C'est d'ailleurs ce à quoi tendent leurs propositions de loi identiques déposées le 7 octobre 2015.

Le point de savoir quelle autorité doit arbitrer les éventuels conflits d'attribution, dont votre rapporteur estime qu'ils seront très rares, est en pratique relativement mineur, même s'il a suscité de vifs débats compte tenu des enjeux institutionnels et symboliques qui lui était attachés.

Rédigées alors que la controverse n'était pas encore apaisée, les propositions de loi déposées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal confient le rôle d'arbitre à une instance « neutre », extérieure au ministère public comme à l'AMF, de nature juridictionnelle et composée à parité de magistrats judiciaires et administratifs.

Dès lors que l'ensemble des parties prenantes s'est accordé pour choisir comme arbitre le procureur général près la Cour d'appel de Paris, qui a toute compétence et légitimité pour remplir cette fonction, votre rapporteur se rallie sans difficulté à cette solution qui a l'avantage de la souplesse même si elle semble moins respectueuse de la séparation des pouvoirs.

En revanche, votre rapporteur est attaché à garantir la transparence, l'efficacité et la rapidité de la procédure d'aiguillage afin d'assurer une orientation pertinente des affaires et de ne pas ralentir excessivement l'engagement des poursuites.

À cet égard, il considère que le présent article tend à décréter la concertation entre le parquet national financier et l'AMF plutôt qu'à l'organiser. Le renvoi à un décret pour définir l'ensemble des conditions et modalités du dispositif ne lui paraît pas satisfaisant, d'autant que sont en cause à la fois des éléments de procédure pénale et les relations entre une autorité publique indépendante et l'autorité judiciaire.

C'est pourquoi votre commission des finances, a adopté deux amendements identiques proposés par votre rapporteur et la commission des lois, afin de mieux définir les phases de la concertation entre l'AMF et le parquet ainsi que les délais enserrant cette procédure :

- lorsque le parquet ou le collège de l'AMF est informé de la volonté de l'autre autorité d'engager des poursuites, il dispose de deux mois pour indiquer s'il souhaite également poursuivre la même personne pour les mêmes faits ;

- s'il renonce ou ne répond pas dans le délai imparti, alors l'autre autorité peut engager les poursuites ;

- si, au contraire, il revendique le droit de poursuivre, alors l'autre autorité dispose de quinze jours pour confirmer son souhait initial et saisir le procureur général pour un arbitrage. À défaut, c'est-à-dire en cas de silence gardé ou d'un renoncement explicite de l'autre autorité, il peut engager les poursuites ;

- la durée maximale de la phase d'arbitrage serait de deux mois, comme dans la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale.

Il serait précisé que le procureur général doit mettre en mesure l'AMF et le parquet national financier de présenter leurs observations.

Pour en améliorer la lisibilité, le dispositif adopté par votre commission des finances porte sur l'intégralité de la procédure, que l'initiative de l'entrée en concertation ait été prise par le parquet ou l'AMF, alors que la présente proposition de loi répartit les dispositions nécessaires à l'aiguillage dans deux de ses articles (articles 1 er et 2) et deux articles du code monétaire et financier.

Il serait également prévu :

- que les dispositions relative à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), dite « plaider coupable », continueraient de s'appliquer aux délits boursiers. Cette précision vise à éviter que l'instauration de la procédure d'aiguillage n'ait pour conséquence involontaire l'exclusion des délits boursiers du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (dite procédure de « plaider coupable ») qui y figurent actuellement 55 ( * ) ;

- que la suspension, au profit de la victime, de la prescription de l'action publique prévue par le présent article prenne fin, en tout état de cause, au plus tard au terme d'un délai de trois mois. En effet, le présent article ne prévoit qu'un seul terme à cette suspension de la prescription : la réponse du procureur. Or ce terme est incertain, le procureur pouvant décider de finalement ne pas poursuivre alors même qu'il a été autorisé à le faire et omettre de l'indiquer à la partie civile. Dans cette hypothèse, certes assez improbable mais pas impossible, il y aurait une forme d'imprescriptibilité de l'action publique au profit de la victime, qui serait disproportionnée. On rappellera à cet égard que la prescription des délits boursiers est normalement de trois ans.

Par ailleurs, notre collègue député Dominique Baert indique dans son rapport sur la présente proposition de loi que « l'AMF et le Parquet national financier se sont, de manière informelle, mis d'accord sur le fait que le seuil de un million d'euros pourrait être discriminant, les affaires dans lesquelles les préjudices seraient supérieurs à ce montant ayant ainsi plutôt vocation à être orientées vers la voie pénale ». Les auditions conduites par votre rapporteur n'ont pas confirmé cette information. Au demeurant, votre rapporteur considère que l'appréciation doit se faire au cas par cas et ne pas reposer sur le seul critère du montant du gain ou du préjudice, mais prendre également en compte, par exemple, la qualité de l'auteur de l'infraction, un éventuel état de récidive, la circonstance d'une commission en bande organisée etc.

En tout état de cause, la concertation entre le parquet national financier et l'AMF doit également permettre de déterminer la voie présentant la meilleure chance d'aboutir à la sanction effective de l'infraction en cause, notamment au regard du caractère intentionnel des faits, ou de la possibilité de prouver ce dernier, et du degré d'exigence de preuve que le dossier d'enquête parait permettre de satisfaire. Il faut à cet égard rappeler que les manquements administratifs sont « objectifs », c'est à dire qu'ils ne nécessitent pas, pour être constitués, l'élément moral propre aux infractions pénales, et que l'exigence de preuve devant la Commission des sanctions de l'AMF est moindre que devant les juridictions pénales.

C'est pourquoi, si la gravité des faits n'impose pas la saisine du juge répressif et en cas de doute sur les chances de succès d'une procédure pénale pleine de chausse-trappes, votre rapporteur estime qu'il convient de privilégier la voie administrative, qui permet par ailleurs le prononcé de sanctions pécuniaires et, le cas échéant, professionnelles très dissuasives, pour autant que l'AMF se saisisse pleinement des possibilités que le législateur a souhaité lui ouvrir.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

ARTICLE 1er bis A (nouveau)
(Art. L. 621-10 et L. 621-10-2 [nouveau] du code monétaire et financier)

Autorisation du juge des libertés et de la détention pour l'accès de l'Autorité des marchés financiers aux données de connexion des opérateurs téléphoniques

. Commentaire : le présent article vise à prévoir que l'Autorité des marchés financiers doit solliciter l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention pour se voir communiquer les données de connexion des opérateurs téléphoniques (« factures détaillées »).

I. LE DROIT EXISTANT

Aux termes de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, l'Autorité des marchés financiers (AMF) peut, dans le cadre de ses enquêtes et contrôles, se voir aujourd'hui communiquer tous documents, y compris les « données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications » . Il s'agit, en pratique, des données de connexion qui permettent d'établir le relevé des appels émis et reçus par une personne (les factures détaillées ou « fadettes »).

Cependant, dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a censuré, au nom du droit au respect de la vie privée, les dispositions qui permettaient, dans des termes identiques, à l'Autorité de la concurrence dans le cadre de ses enquêtes en matière de pratiques anticoncurrentielles, d'accéder à ces mêmes données de connexion des opérateurs téléphoniques.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

À l'initiative de notre collègue François Pillet, rapporteur pour avis, votre commission des finances a adopté un amendement proposé par la commission des lois, portant article additionnel et visant à prévoir que l'AMF doit obtenir une autorisation du juge des libertés et de la détention afin de se faire communiquer les données de connexion des opérateurs de télécommunication .

En conséquence, il modifie l'article L. 621-10 du code monétaire et financier afin de supprimer la possibilité prévue actuellement, pour la réintroduire au sein d'un nouvel article spécifique L. 621-10-2, qui encadre cette possibilité en prévoyant qu'elle n'est offerte aux enquêteurs de l'AMF que sur autorisation du juge des libertés et de la détention, après demande motivée du secrétaire général de l'Autorité .

Cet article permet ainsi, de façon préventive, de sécuriser juridiquement cette possibilité qui pourrait, dans son cadre actuel, être à terme contestée devant le Conseil constitutionnel, d'autant plus qu'elle constitue un moyen d'enquête déterminant pour l'AMF afin d'établir l'existence de liens entre certaines personnes qui font l'objet de ses enquêtes.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.

ARTICLE 1er bis
(Art. L. 465-3-4, L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier)

Mise en conformité des pouvoirs de sanction de l'Autorité des marchés financiers avec la directive 2014/57/UE et le règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014

. Commentaire : le présent article vise à aménager la définition des pouvoirs de sanction de l'Autorité des marchés financiers afin de les mettre en conformité avec la directive 2014/57/UE et le règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 relatifs aux abus de marché.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LE POUVOIR D'INJONCTION DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS (ARTICLE L. 621-14 DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER)

Le II de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier prévoit que l'Autorité des marchés financiers (AMF) dispose d'un pouvoir d'injonction auprès des personnes qui se rendent coupables de manquement aux règles visant à protéger les investisseurs contre les abus de marché et à assurer le bon fonctionnement des marchés .

Le troisième alinéa de ce II prévoit que ce pouvoir d'injonction s'applique également s'agissant des manquements commis sur le territoire français pour des instruments financiers négociés sur le marché d'un autre État européen.

B. LE POUVOIR DE SANCTION EN MATIÈRE D'ABUS DE MARCHÉ (ARTICLE L. 621-15 DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER)

L'article L. 621-15 du code monétaire et financier prévoit et organise la compétence de l'AMF en matière de sanction des opérateurs qu'elle régule, au-delà des seuls abus de marché (manquement aux obligations professionnelles, refus de transmission de documents, etc.).

Le c) et d) du II prévoient la compétence de la Commission des sanctions en matière d'abus de marché . Le c) prévoit la compétence de l'AMF pour les actes commis en France ou à l'étranger sur des instruments financiers négociés sur une plateforme de négociation régulée en France. Le d) prévoit la compétence de l'AMF pour les actes commis en France sur des instruments financiers négociés sur une plateforme de négociation enregistrée dans un autre État européen.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article , adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Dominique Baert, rapporteur, procède à une mise en conformité des pouvoirs d'injonction et de sanction de l'Autorité des marchés financiers avec la directive 56 ( * ) et le règlement 57 ( * ) européens du 16 avril 2014 relatifs aux abus de marché .

S'agissant de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, le présent article vise, d'une part, à adapter la définition des incriminations concernées par ce pouvoir d'injonction en ajoutant la nouvelle incrimination spécifique de divulgation illicite d'informations privilégiées et, d'autre part, à ajouter les quotas d'émission carbone dans la liste des instruments financiers entrant dans le champ de la compétence de l'AMF , conformément aux dispositions du règlement européen.

S'agissant de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, le présent article procède à une récriture globale des c) et d) du II . Les principales évolutions par rapport au droit existant sont les suivantes :

• l'adaptation des définitions des abus de marché tels que définis par le règlement européen sur les abus de marché, en particulier la référence à la catégorie générique des manipulations de marché de l'article 12 du règlement (manipulation de cours, diffusion de fausse information et manipulation d'indice dans les définitions françaises des incriminations), à l'incitation ou à la complicité dans le cadre d'une opération d'initié du 2 de l'article 8 du même règlement, ainsi qu'à la divulgation illicite d'informations privilégiées de l'article 10 du même règlement ;

• l'extension des instruments financiers entrant dans le champ de compétence de l'AMF, avec l'ajout des quotas carbone et des contrats au comptant sur les matières premières .

Enfin, le II du présent article a pour objet de prévoir une simplification de la formulation, prévue par l'article L. 465-3-4 que l'article 1 er A de la présente proposition de loi se propose de créer au sein du code monétaire et financier, s'agissant des plateformes de négociation : en effet, la directive sur les marchés d'instruments financiers 58 ( * ) prévoit de rassembler sous un même vocable de « plateforme de négociation » les marchés réglementés et les systèmes multilatéraux de négociation . Le II procède à cette évolution, en prévoyant une entrée en vigueur différée au moment de l'entrée en vigueur de l'ordonnance de transposition de ladite directive.

Le III du présent article prévoit que ce dernier, à l'exception du II mentionné précédemment, entre en vigueur le 3 juillet 2016 , date d'application prévue par l'article 39 du règlement sur les abus de marché.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le présent article a pour objet de transposer la directive et le règlement du 16 avril 2014 sur les abus de marché . Compte tenu de l'existence d'une législation ancienne, en France, sur les abus de marché et leur répression par l'Autorité des marchés financiers, cette transposition n'entraîne pas d'évolution majeure des opérations ou comportements susceptible d'être poursuivis par cette dernière, ni des instruments faisant l'objet d'opérations pouvant être poursuivies.

S'agissant des instruments financiers entrant dans le champ de la compétence de sanction de l'AMF, votre commission a toutefois adopté, à l'initiative de votre rapporteur, un amendement visant à modifier la liste des instruments financiers concernés , afin de ne pas créer de divergence avec le champ prévu par l'article 1 er A de la présente proposition de loi (nouvel article L. 465-3-4 du code monétaire et financier).

Ce même amendement permet, en outre, de procéder à quelques améliorations rédactionnelles .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

ARTICLE 2
(Art. L. 621-15, L. 621-15-1 et L. 621-17-3 du code monétaire et financier)
Encadrement de la possibilité pour l'Autorité des marchés financiers de procéder à une notification des griefs

. Commentaire : le présent article vise à restreindre la possibilité pour l'Autorité des marchés financier de notifier des griefs, afin d'éviter toute possibilité de cumul des poursuites administratives et pénales pour les abus de marché.

I. LE DROIT EXISTANT

Le système actuel de répression des abus de marché et les contraintes liées à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme sont présentés dans le commentaire de l'article 1 er de la présente proposition de loi.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le du présent article procède à une réécriture globale de l'article L. 621-15-1 du code monétaire et financier, qui constituerait désormais le pendant, pour l'Autorité des marchés financiers (AMF) de l'article L. 465-3-6 du même code, introduit par l'article 1 er de la présente proposition de loi.

Le I de l'article L. 621-15-1 prévoirait ainsi que « le collège de l'Autorité des marchés financiers ne peut notifier de griefs aux personnes à l'encontre desquelles, à raison des mêmes faits, l'action publique [...] a été mise en mouvement par le procureur de la République financier ».

Le II interdirait à l'AMF de notifier des griefs lorsque les faits sur lesquels ils portent sont susceptibles de constituer un délit boursier, si le procureur de la République financier n'a pas donné son accord à l'issue d'une procédure de concertation.

Le III indiquerait qu'en l'absence d'accord du procureur de la République financier à l'issue de la concertation, la procédure d'arbitrage par le procureur général près la cour d'appel de Paris, prévue au III de l'article L. 465-3-6 créé par la présente proposition de loi, s'applique.

Le IV renverrait à un décret en Conseil d'État la définition des conditions et modalités d'application du dispositif.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté, sur proposition de notre collègue député Dominique Baert, rapporteur, quatre amendements.

Deux d'entre eux visent, comme pour le dispositif de l'article 1 er de la présente proposition de loi, à substituer un avis conforme à l'accord du parquet à l'AMF pour l'engagement de poursuites, au motif que cela serait « plus cohérent quant à l'indépendance des deux autorités en question, aucune n'étant formellement soumise à "l'accord" de l'autre pour engager des poursuites » et permettrait de « formaliser la décision qui sera prise suite à la procédure de concertation ».

Un troisième tend à introduire un III bis à l'article L. 621-15-1 du code monétaire et financier afin rendre la procédure de concertation définitive, comme cela est prévu pour la décision d'arbitrage du procureur général près la cour d'appel de Paris, et à préciser que l'avis conforme sera insusceptible de recours et versé au dossier de la procédure.

Le dernier amendement est de coordination.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

La position de votre commission des finances sur le dispositif d'aiguillage et les modifications que cette dernière lui a apportées sont présentées dans le commentaire de l'article 1 er de la présente proposition de loi.

Afin de rendre plus lisible ce dispositif, votre commission des finances a ainsi adopté, à l'initiative de votre rapporteur et de la commission des lois, un amendement :

- supprimant l'ensemble des dispositions relatives à l'aiguillage des poursuites, renvoyées à l'article 1 er précité ;

- abrogeant, en conséquence, l'actuel L. 621-15-1 du code monétaire et financier ;

- procédant à plusieurs coordinations.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

ARTICLE 2 bis (nouveau)
(Art. L. 621-14-1 du code monétaire et financier)
Extension du champ de la composition administrative de l'Autorité des marchés financiers aux abus de marché

. Commentaire : le présent article, introduit par votre commission, vise, grâce à l'extension de la procédure de composition administrative, à permettre à l'Autorité des marchés financiers de conclure des accords transactionnels en cas d'abus de marché.

I. LE DROIT EXISTANT

La procédure de composition administrative de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a été introduite, à l'initiative de la commission des finances du Sénat, par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière et figure à l'article L. 621-14-1 du code monétaire et financier.

Le dispositif proposé prévoit que le collège de l'AMF peut, en même temps qu'il notifie des griefs à une personne mise en cause, lui proposer d'entrer dans la voie d'une composition administrative. Cette proposition suspend le délai de prescription de trois ans prévu par le deuxième alinéa du I de l'article L. 621-15.

La personne mise en cause peut alors s'engager à verser une somme dont le montant maximum est équivalent à celui de la sanction pécuniaire encourue.

L'accord de transaction est soumis au collège puis, s'il est validé par celui-ci, à la Commission des sanctions qui peut décider de l'homologuer. Cet accord homologué est rendu public.

Le refus d'homologation ou le non-respect de l'accord homologué par la personne mise en cause conduit à ce que la notification originelle des griefs soit transmise à la Commission des sanctions, dans le cadre de la procédure normale de sanction.

Deux types d'exclusion sont prévus pour cette procédure :

- sont exclus du périmètre de la transaction les abus de marché et la diffusion d'une fausse information lors d'une opération d'offre au public de titres financiers ;

- sont exclues de la possibilité de transiger les infrastructures de marché, c'est-à-dire les dépositaires centraux, chambres de compensation et entreprises de marché mentionnés aux 3°, 5° et 6° du II de l'article L. 621-9.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission a adopté, à l'initiative de votre rapporteur, un amendement visant à lever l'exclusion des abus de marché du champ de la composition administrative.

À cette fin, seraient désormais visés par l'article L. 614-21-1 du code monétaire et financier les c et d de l'article L. 621-15 du même code, tel qu'il résulterait de l'article 1 er A de la présente proposition de loi.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

L'extension du champ de la composition administrative de l'AMF aux abus de marché est prévue par les propositions de loi identiques déposées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal.

Cette extension se justifie d'autant plus qu'un aiguillage entre la voie pénale et administrative pour la répression des abus de marché devrait être mis en place en application de l'article 1 er de la présente proposition de loi car les plus graves de ces abus auraient dès lors vocation à être poursuivis devant le juge pénal et ne pourraient pas, dans ce cas, donner lieu à une proposition de composition de la part de l'Autorité des marchés financiers.

En outre, le parquet national financier dispose aujourd'hui de la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité (CRPC), dite « plaider coupable », introduite par la loi « Perben II » 59 ( * ) . Si cette procédure n'a encore jamais été utilisée pour un délit boursier, le procureur de la République financier indique vouloir désormais y recourir et explique que ce choix, « contrairement aux idées reçues, n'entraînera pas un affaiblissement de la répression pénale : le parquet financier proposera en effet des peines significatives » 60 ( * ) .

Il serait paradoxal que les affaires les plus graves puissent faire l'objet d'une procédure de « plaider coupable », alors que les affaires les moins graves, dévolues à l'AMF, ne pourraient donner lieu à un accord de composition administrative.

Il convient de noter que l'article 18 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique 61 ( * ) , qui doit être prochainement examiné par le Parlement, prévoit une extension du champ de la composition administrative à l'ensemble des manquements, notamment aux obligations d'information des émetteurs, à l'exclusion des abus de marché.

L'exposé des motifs du projet de loi souligne que « plusieurs raisons militent aujourd'hui en faveur d'une extension du champ de cette composition administrative :

« - le succès de cette procédure depuis 2010 : l'expérience a montré que les propositions d'entrée en voie de composition administrative ont très généralement été acceptées, puis validées par le collège et homologuées par la Commission des sanctions. La composition administrative est en effet intéressante d'une part, pour les personnes concernées, car si l'accord est public, il n'y a pas d'audience publique ; d'autre part, parce qu'elle permet de ?désengorger? la Commission des sanctions et la faire se prononcer en priorité sur les dossiers les plus complexes et les plus graves ;

« - le raccourcissement des délais de traitement des dossiers : le délai moyen de traitement d'un dossier par la Commission des sanctions est de l'ordre d'un an, soit environ le double du délai de traitement d'un dossier de composition administrative ;

« - un rôle pédagogique par la prise d'engagements et leur rapide mise en oeuvre, sous le contrôle des services de l'AMF : de surcroît, la composition administrative permet une meilleure indemnisation des victimes ; une composition administrative a d'ailleurs prévu cette indemnisation en imputant les sommes versées aux victimes des manquements sur le montant total de la transaction. »

Même si l' « engorgement » de la Commission des sanctions est à l'heure actuelle tout relatif, votre rapporteur partage globalement ces appréciations et souligne en outre qu'il ressort des accords de composition administrative passés ces dernières années que les pénalités financières sont du même ordre que celles prononcées par la Commission des sanctions pour des faits similaires.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.

ARTICLE 2 ter (nouveau)
(Art. L. 621-20-4, L. 621-20-5 [nouveau], L. 621-20-6 [nouveau] et L. 621-20-7 [nouveau] du code monétaire et financier)
Coopération entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers

. Commentaire : le présent article, introduit par votre commission, vise à prévoir que le procureur de la République financier et l'Autorité des marchés financiers coopèrent entre eux et échangent des informations dans le cadre des enquêtes qu'ils mènent sur des abus de marché.

I. LE DROIT EXISTANT

La coopération actuelle entre le parquet national financier et l'Autorité des marchés financiers (AMF) repose sur l'article L 621-15-1 du code monétaire et financier, qui sera abrogé le 1 er septembre prochain en raison de sa censure par le Conseil constitutionnel 62 ( * ) .

Cet article dispose que :

- si l'un des griefs notifiés est susceptible de constituer un délit boursier, le collège transmet dans les meilleurs délais le rapport d'enquête ou de contrôle au procureur de la République financier ;

- lorsque le procureur de la République financier décide de mettre en mouvement l'action publique sur les faits qui ont été l'objet de la transmission, il en informe sans délai l'Autorité des marchés financiers (AMF).

De manière complémentaire, l'article L. 621-20-4 - qui ne porte pas spécifiquement sur les abus de marché - prévoit que « les procès-verbaux ou rapports d'enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles d'être soumis à l'appréciation de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers peuvent être communiqués par le procureur de la République financier, le cas échéant après avis du juge d'instruction, d'office ou à leur demande :

« 1° Au secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, avant l'ouverture d'une procédure de sanction ;

« 2° Ou au rapporteur de la Commission des sanctions, après l'ouverture d'une procédure de sanction. »

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission a adopté, à l'initiative de votre rapporteur, un amendement visant à renforcer la coopération entre l'AMF et le parquet national financier au stade de l'enquête .

Le du présent article crée une nouvelle sous-section 7 bis , intitulée « Coopération avec le procureur de la République financier » au sein de la section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI du code monétaire et financier, qui comporte trois nouveaux articles.

Le nouvel article L. 621-20-5 pose le principe de la coopération entre le procureur de la République financier et l'AMF. En outre, cet article prévoit que :

- les deux autorités se communiquent les renseignements utiles à l'accomplissement de leurs missions respectives ;

- lorsqu'elles mènent des enquêtes portant sur des mêmes faits, elles s'informent des actes d'enquête ou de contrôle qu'elles prévoient de réaliser et coordonnent leur action.

Le nouvel article L. 621-20-6 impose qu'avant la mise en mouvement de l'action publique, les procès-verbaux ou rapports d'enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles de constituer un abus de marché soient communiqués sans délai par le procureur de la République financier au secrétaire général de l'AMF.

Une obligation réciproque est faite à l'Autorité des marchés financiers, sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 632-1 A, qui prévoit que les informations confidentielles recueillies par l'AMF auprès d'un régulateur étranger dans le cadre de la coopération internationale ne peuvent être communiquées qu'avec « l'accord express » de ce régulateur.

Enfin, le nouvel article L. 621-20-7 prévoit, dans le cadre d'une procédure pénale portant sur un délit boursier, la possibilité pour le procureur de la République financier de demander à l'AMF la réalisation d'expertises entrant dans le champ de compétence de cette dernière.

L'AMF pourrait, quant à elle, demander la réalisation d'actes d'enquêtes judiciaires au procureur de la République financier, qui pourrait toutefois refuser d'accéder à cette demande.

Par ailleurs, le du présent article modifie l'article L. 621-20-4 du code monétaire et financier de manière à ce que « les procès-verbaux ou rapports d'enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles d'être soumis à l'appréciation de la Commission des sanctions de l'AMF » puisse être communiqués à l'AMF non seulement par le procureur de la République financier mais par tout autre procureur non spécialisé.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le dispositif adopté par votre commission des finances figure dans les propositions de loi identiques présentées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal.

La présente proposition de loi tend à mettre en place un système de répression des abus de marché répondant au principe de non cumul des poursuites pénales et administratives. L'« aiguillage » des poursuites qu'il est prévu d'instituer à cette fin rend particulièrement nécessaire l'amélioration de l'efficacité et de la rapidité de la répression pénale, qui ne pourra plus être suppléée par la répression administrative.

Or cette amélioration dépend grandement de la manière dont seront menées les enquêtes de l'AMF et du parquet national financier.

Il faut tout d'abord éviter un fonctionnement « séquentiel » , l'enquête pénale démarrant après la conclusion de l'enquête administrative. Grâce à une information précoce de l'ouverture d'une enquête par l'AMF, le parquet pourra commencer, s'il l'estime opportun, à réaliser les actes d'enquête qui lui seront nécessaires dans le cadre de futures poursuites pénales.

Le parquet national financier pourra en outre conseiller l'AMF sur la manière dont celle-ci peut prendre en compte les contraintes de la procédure pénale afin que son enquête soit aisément utilisée à l'appui d'éventuelles poursuites pénales. Les services de police et les juges d'instruction devraient ainsi avoir moins tendance à « refaire » l'enquête, ce qui représente aujourd'hui un facteur important de ralentissement.

Il faut également empêcher un fonctionnement « en silo » , l'enquête pénale ou administrative se déroulant sans aucune coordination avec l'autre autorité, voire sans que cette dernière ne soit même informée de son existence.

Une meilleure information réciproque dès le stade de l'enquête permettrait ainsi d'éviter des investigations ou des auditions redondantes ainsi que d'éventuelles interférences, telles qu'une visite domiciliaire réalisée par l'AMF chez des suspects par ailleurs surveillés dans le cadre d'une enquête policière.

Le dispositif proposé par le présent article exclut bien évidemment toute tutelle d'une autorité sur l'autre dans la conduite de leurs enquêtes respectives.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.

ARTICLE 3
(Art. L. 621-16 du code monétaire et financier)
Mise en conformité des dispositions du code monétaire et financier relatives à l'imputation de la sanction administrative pécuniaire sur l'amende pénale

. Commentaire : le présent article vise à tirer les conséquences de l'interdiction du cumul des poursuites et des sanctions sur l'article L. 621-16 du code monétaire et financier permettant au juge pénal d'imputer sur l'amende qu'il prononce le montant de la sanction pécuniaire qui aurait été définitivement prononcée par l'Autorité des marchés financiers lorsque les deux affaires portent sur les mêmes faits ou des faits connexes.

I. LE DROIT EXISTANT

Dans sa décision n° 89-260 du 28 juillet 1989, le Conseil constitutionnel a validé le système de cumul des sanctions administratives et pénales pour les abus de marché tout en le subordonnant au respect du principe de proportionnalité, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne devant pas dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.

C'est notamment pour l'application de cette réserve que l'article L. 621-16 du code monétaire et financier prévoit que « lorsque la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s'impute sur l'amende qu'il prononce ».

Dans sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions permettant le cumul de poursuites et de sanctions pour les abus de marché, y compris celles de l'article L. 621-16 précité, n'étaient pas conformes à la Constitution 63 ( * ) et seraient abrogées le 1 er septembre 2016.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article supprime les mots « les mêmes faits » à l'article L. 621-16 du code monétaire et financier.

Ce faisant, il tend à éviter l'abrogation prochaine de cet article et à continuer de permettre au juge pénal d'imputer sur l'amende qu'il prononce le montant de la sanction pécuniaire qui aurait été définitivement prononcée par l'AMF lorsque les deux affaires portent sur « des faits connexes ».

*

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le Conseil constitutionnel a considéré l'article L. 621-16 comme « inséparable » des dispositions visées à titre principal dans sa décision du 18 mars 2015 et a décidé son abrogation intégrale, alors qu'il n'a censuré que certains mots d'autres articles contestés.

Le présent article vise à limiter les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel aux seuls mots « les mêmes faits », que l'interdiction du cumul des sanctions en matière d'abus de marché rend d'ailleurs superflus.

Cela revient à considérer que la censure du Conseil constitutionnel a été plus large que nécessaire et que l'abrogation intégrale de l'article L. 621-16 n'est pas nécessaire au respect de sa décision du 18 mars 2015.

Votre rapporteur partage cette opinion et propose l'adoption du présent article sans modification.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.

ARTICLE 4
(Art. L. 621-16-1 du code monétaire et financier)
Suppression de l'interdiction pour l'Autorité des marchés financiers
de se constituer partie civile en cas de double poursuite

. Commentaire : le présent article vise à supprimer l'interdiction pour l'Autorité des marchés financiers de se constituer partie civile en cas de double poursuite.

I. LE DROIT EXISTANT

L'article L. 621-16-1 du code monétaire et financier dispose que, « lorsque des poursuites sont engagées en application des articles L. 465-1, L. 465-2 et L. 465-2-1 l'Autorité des marchés financiers peut exercer les droits de la partie civile. Toutefois, elle ne peut à l'égard d'une même personne et s'agissant des mêmes faits concurremment exercer les pouvoirs de sanction qu'elle tient du présent code et les droits de la partie civile. »

Comme l'explique notre ancien collègue Philippe Marini dans son rapport 64 ( * ) fait au nom de votre commission des finances sur la loi de sécurité financière, la possibilité ainsi ouverte permet à l'AMF de jouer « un rôle similaire à celui de l'administration des impôts, qui s'est vu reconnaître le droit de se constituer partie civile par le livre des procédures fiscales 65 ( * ) , mais dont la jurisprudence a limité les droits : son action a uniquement pour but de corroborer l'action publique et elle ne peut pas demander le versement de dommages-intérêts 66 ( * ) ».

L'article L. 621-16-1 précité a été introduit par la loi n° 2003-706 du 1 er août 2003 de sécurité financière, qui a créé l'Autorité des marchés financier, venue remplacer notamment la Commission des opérations de bourse (COB).

Or la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier avait déjà prévu de doter la COB de la possibilité de se constituer partie civile dans le cas de poursuites pénales portant sur des délits boursiers.

Toutefois, le Conseil constitutionnel avait proscrit cette possibilité dans sa décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 au motif que la COB aurait pu à la fois exercer son pouvoir de sanction et se constituer partie civile, ce qui aurait porté atteinte au principe du respect des droits de la défense.

C'est pourquoi le législateur a pris la précaution dans la loi du 1 er août 2003 de sécurité financière de préciser que l'AMF ne pouvait « à l'égard d'une même personne et s'agissant des mêmes faits concurremment exercer les pouvoirs de sanction qu'elle tient du présent code et les droits de la partie civile » .

Par la suite, dans sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré, à l'article L. 621-16 du code monétaire et financier, les mots « L. 465-1 et » contraires à la Constitution, les considérant inséparables des principales dispositions censurées, dont l'article L. 461-1 du même code incriminant le délit d'initié.

La déclaration d'inconstitutionnalité prendra effet le 1 er septembre 2016.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le du présent article modifie l'article L. 621-16-1 du code monétaire et financier par coordination avec l'article 1 er A de la présente proposition de loi, afin que ses dispositions visent les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du même code incriminant désormais les différents délits boursiers.

Le supprime la seconde phrase du même article L. 621-16-1 en conséquence de l'interdiction du cumul des poursuites pénales et administratives pour les abus de marché prévue par les articles 1 er et 2 de la présente proposition de loi.

*

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission a adopté un amendement à l'initiative de votre rapporteur afin de garantir que, dans l'hypothèse où l'Autorité des marchés financiers (AMF) choisirait de ne pas d'exercer les droits de la partie civile, elle puisse au moins être présente à l'audience pour éclairer, si besoin, le tribunal correctionnel sur les points techniques du dossier. Le même amendement permet au président de l'AMF ou à son représentant de déposer des conclusions et les développer oralement lors de l'audience.

L'AMF ne s'est encore jamais constituée partie civile dans le cadre de la poursuite d'un délit boursier. Cela s'explique par l'interdiction qui lui était faite d'exercer à la fois les droits de la partie civile et ses propres pouvoirs de sanction, qui la conduisait naturellement à la voie de la répression administrative.

Cet obstacle a été levé par l'interdiction du cumul des poursuites découlant de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015.

Pourtant, il a été indiqué à votre rapporteur que, dans une affaire récente où l'AMF a décidé de renoncer à poursuivre elle-même un abus de marché au profit du parquet national financier, elle a également choisi de ne pas se constituer partie civile.

Votre rapporteur comprend la réticence de l'AMF à une telle démarche et rappelle que le Conseil constitutionnel avait souligné, dans sa décision précitée du 28 juillet 1989, que la COB ne pouvait « justifier d'un intérêt distinct de l'intérêt général ». Au demeurant, il n'y aurait pas de sens à imposer à l'AMF de se constituer partie civile, notamment dans la mesure où ce statut emporte des droits (accès au dossier, demande d'actes d'instruction, participation à l'audience etc.) et non des obligations.

Votre rapporteur estime toutefois qu'il faut donner la possibilité à l'AMF, compte tenu de ses missions, d'être représentée à l'audience de la juridiction répressive ayant à connaître de faits constitutifs d'un délit boursier, même sans s'être constituée partie civile.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

ARTICLE 4 bis
(Art. L. 511-34, L. 532-18, L. 532-18-1, L. 621-1, L. 621-7, L. 621-9, l. 621-9-2, L. 621-17-1, L. 621-17-2, L. 621-17-3, L. 621-17-4, L. 621-17-5, L. 621-17-6, L. 621-17-7, L. 621-18-2, L. 621-18-4, L. 632-7 du code monétaire et financier)

Transposition du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché

. Commentaire : le présent article vise à modifier le code monétaire et financier afin de le mettre en conformité avec le règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché, en particulier pour l'introduction des quotas carbone dans le champ de la surveillance de l'AMF en matière d'abus de marché et la création d'une procédure de notification d'opérations suspectes.

I. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article , adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, a pour objet de procéder aux modifications du code monétaire et financier rendues nécessaires par l'adoption du règlement européen n° 596/2014 du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché, en particulier pour prévoir l'extension du régime des instruments financiers aux quotas d'émission carbone .

Ainsi le présent article modifie, afin d'ajouter la mention des quotas carbone :

• l'article L. 621-1, qui prévoit que l'AMF veille à la protection de l'épargne et au bon fonctionnement des marchés financiers ;

• l'article L. 621-7, qui prévoit la compétence du règlement général de l'AMF ;

• l'article L. 621-9, qui prévoit la compétence de l'AMF en matière de contrôle et d'enquête ;

• l'article L. 621-17-1, qui prévoit le cas de manquements au règlement général par les personnes diffusant des recommandations d'investissement ;

• l'article L. 632-7, qui prévoit la coopération entre l'AMF et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

Par ailleurs, la création, par l'article 16 du règlement européen sur les abus de marché, d'une procédure de notification d'opérations suspectes par les opérateurs de marché au régulateur entraîne l'abrogation de l'actuel article L. 621-17-2 qui prévoyait un dispositif analogue de déclaration . En conséquence, le présent article adapte les dispositions des articles L. 621-17-3 (transmission par l'AMF au procureur de la République financier) ; L. 621-17-5 (interdiction de divulgation d'une déclaration ou notification) ; L. 621-17-6 (interdiction faite à l'AMF de révéler les informations ainsi recueillies) ; L. 621-17-7 (dégagement de responsabilité en matière de secret professionnel en cas de déclaration d'opération suspecte de bonne foi) ; L. 511-34 (transmission des informations au siège social par les entités d'un groupe) ; L. 532-18 (libre prestation de services d'investissement) ; L. 532-18-1(succursales de prestataires de services d'investissement). Il abroge en conséquence l'article L. 621-17-4 (détermination des modalités de la déclaration par le règlement général)  et l'article L. 621-18-4 (liste des personnes ayant accès à des informations privilégiées).

Le présent article modifie par ailleurs l'article L. 621-18-2 , afin de renvoyer à l'article 19 du règlement européen la définition des transactions pour compte propre réalisées par des dirigeants de société sur les titres de cette société et qu'ils doivent au préalable notifier à l'autorité compétente.

Enfin, le présent article procède à une modification purement rédactionnelle s'agissant de l'article L. 621-9-2.

Le II prévoit que le présent article entre en vigueur le 3 juillet 2016, date d'application prévue par l'article 39 du règlement européen.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le présent article procède à un certain nombre d' ajustements au sein du code monétaire et financier afin de tenir compte de l'entrée en vigueur du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché . Il s'agit, pour l'essentiel, de prévoir l'extension aux quotas carbone de la compétence de l'AMF en matière de protection des marchés contre les délits d'initiés et manipulation de marché.

Le droit français disposant déjà, à l'article L. 621-17-2, d'une procédure de déclaration des opérations suspectes, la création par l'article 16 de ce même règlement d'une procédure de notification, très analogue, n'emporte quant à elle que des évolutions rédactionnelles et de coordination au sein du code monétaire et financier.

Votre commission des finances a adopté, à l'initiative de votre rapporteur, un amendement de nature rédactionnelle.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

ARTICLE 5
(Art. L. 744-12, L. 754-12 et L. 764-12 du code monétaire et financier)

Dispositions relatives à l'outre-mer

. Commentaire : le présent article vise à prévoir les modalités d'application de la proposition de loi en outre-mer.

I. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article prévoit, dans son alinéa premier, que la proposition de loi est applicable « sur l'ensemble du territoire de la République » et, en particulier, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna .

En conséquence, le II du présent article vise à modifier les articles L. 744-12 s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, L. 754-12 s'agissant de la Polynésie française et L. 764-12 s'agissant de Wallis-et-Futuna pour y insérer les références à l'ensemble des incriminations pénales en matière d'abus de marché modifiées par l'article 1 er A de la présente proposition de loi ainsi que l'article organisant l'aiguillage entre le juge pénal et l'Autorité des marchés financiers prévu par l'article premier de la proposition de loi (articles L. 465-1 à L. 465-3-6).

*

Le présent article a été adopté par l'Assemblée nationale après l'adoption, à l'initiative du Gouvernement en séance publique, d'un amendement de coordination .

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le présent article, qui se borne à prévoir l'application de la réforme des incriminations pénales en matière d'abus de marché et de la création d'une procédure d'aiguillage des affaires aux territoires d'outre-mer de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, permet d' assurer la cohérence de la répression des abus de marché sur l'ensemble du territoire de la République .

À l'initiative de notre collègue François Pillet, rapporteur pour avis, votre commission des finances a adopté un amendement de la commission des lois apportant une précision rédactionnelle s'agissant de l'application outre-mer.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 4 mai 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi n° 542 (2015 2016), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réformant le système de répression des abus de marché et les propositions de loi n° 19 (2015-2016) de M. Albéric de Montgolfier et n° 20 (2015-2016) de M. Claude Raynal relatives à la répression des infractions financières.

Mme Michèle André , présidente . - Nous examinons ce matin le rapport d'Albéric de Montgolfier sur la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, et sur les propositions de loi de même objet déposées l'année dernière par notre rapporteur général et par Claude Raynal. Nous établirons le texte de la commission à partir de celui transmis par l'Assemblée nationale.

Je souhaite la bienvenue à François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale réforme le système de répression des abus de marché, c'est-à-dire des délits d'initié, de la diffusion de fausses informations et de la manipulation de cours ou d'indice. Elle rejoint largement les propositions de loi identiques que Claude Raynal et moi-même avions déposées le 7 octobre dernier. Nous avions fait précéder le dépôt de ces textes de nombreuses auditions pour consulter l'ensemble des acteurs : les représentants des petits porteurs, des avocats, mais aussi le procureur de la République financier, le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), la Chancellerie, Bercy, etc. Pour préparer ce rapport, j'ai à nouveau rencontré le président de l'AMF et le procureur de la République financier.

La réforme du système de répression des abus de marché présente un certain caractère d'urgence, car les dispositions permettant aujourd'hui de sanctionner ces agissements ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 mars 2015, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dans l'affaire EADS, et seront abrogées le 1 er septembre prochain, s'agissant du moins des délits d'initiés. C'est pourquoi cette réforme a été dissociée du projet de loi « Sapin II » dans lequel il était prévu qu'elle trouve sa place.

Le Conseil constitutionnel reproche à notre système actuel d'autoriser le cumul des poursuites devant l'AMF et devant le juge pénal, dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines. Avant cela, dans un arrêt Grande Stevens de 2014, la Cour européenne des droits de l'homme avait condamné l'Italie, qui a un système identique au nôtre, au nom du principe ne bis in idem . Les conséquences de cet arrêt pour la France nous ont beaucoup occupés, Claude Raynal et moi-même, dans le cadre de la mission d'information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers que nous avons menée l'an dernier. Cette question a également agité toute la place de Paris : professionnels, avocats, universitaires, juridictions, régulateurs...

L'important travail qui a ainsi été réalisé a ouvert de nombreuses pistes de réforme et en a écarté presque autant, en particulier la dépénalisation, pour des raisons d'exemplarité, la suppression de la répression administrative, pour des raisons d'efficacité, la création d'une juridiction spéciale etc. La solution qui a recueilli le plus large assentiment est celle d'un aiguillage des poursuites fondé sur une concertation entre l'AMF et le parquet national financier. C'est celle que retient la présente proposition de loi et que retenaient également nos propres propositions de loi. Restait à définir la nature et les modalités de cet aiguillage.

Le parquet national financier défendait l'idée d'un monopole du parquet dans l'appréciation des poursuites pénales. Il proposait ainsi que le procureur puisse à tout moment et, en tout état de cause, avant l'ouverture de poursuites par l'AMF, « évoquer » une affaire pour engager les poursuites au pénal et « réquisitionner » les services de l'AMF. Le groupe de travail de l'AMF proposait quant à lui que cette répartition se fasse sur la base de critères objectifs, en particulier le montant du gain réalisé : en deçà d'un certain montant l'affaire aurait été automatiquement orientée vers l'AMF.

D'une part, la solution du parquet national financier me semble attentatoire à l'indépendance de l'AMF et peu équilibrée ; de l'autre, la solution de l'AMF présente des difficultés car, dans certaines affaires, il n'y a pas de gain quantifiable et la gravité n'est pas nécessairement question de montant. Une appréciation au cas par cas nous semblait donc préférable. D'où les propositions de loi que nous avons déposées avec Claude Raynal, prévoyant que la décision d'orientation des poursuites découle en première intention d'une concertation entre l'AMF et le parquet national financier. Aucune des deux autorités ne pourrait ainsi engager de poursuites sans que l'autre n'y consente. C'est ce schéma qui est retenu dans la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale.

En cas de désaccord persistant, où chacun revendiquerait la possibilité de poursuivre une affaire, nous avions préconisé la création d'une instance neutre, composée à parité de magistrats du Conseil d'État et de la Cour de cassation, sur le modèle du tribunal des conflits. Cette proposition avait le mérite d'évacuer le problème de la séparation des pouvoirs, et d'avancer sur les aspects du dispositif de répression des abus de marché. Nous pensions en effet que la question de l'arbitrage présentait des enjeux pratiques assez mineurs, même si elle suscitait d'importantes crispations institutionnelles. À l'inverse, la fin du cumul des sanctions pénales et administratives exigeait des adaptations importantes de notre droit.

Depuis, la réflexion juridique a avancé. Le Conseil d'État, interrogé par le Gouvernement, a indiqué qu'il n'y avait pas d'obstacle constitutionnel à prévoir le caractère prioritaire de la voie pénale sur la voie administrative et à subordonner l'engagement de poursuites devant la commission des sanctions de l'AMF à l'accord du parquet. La présente proposition de loi consacre cette solution en confiant le rôle d'arbitre au procureur général près la Cour d'appel de Paris qui pourrait ainsi autoriser le parquet national financier à passer outre l'opposition de l'AMF en engageant des poursuites, et réciproquement.

Compte tenu de ces éléments et du consentement de l'AMF comme du parquet national financier, je vous propose de nous rallier au principe d'un arbitrage par le procureur général, en adoptant cependant un amendement pour préciser la procédure de concertation et d'arbitrage afin d'en garantir la transparence, l'efficacité et la rapidité. Pour l'instant, la détermination des modalités de cette procédure est renvoyée à un décret, ce que je ne trouve pas très satisfaisant, d'autant que sont en cause à la fois des éléments de procédure pénale et les relations entre une autorité publique indépendante et l'autorité judiciaire.

Au-delà de la question juridique du cumul de poursuites, la réforme du système de répression des abus de marché doit également être l'occasion d'améliorer celui-ci. À cet égard, il faut constater une heureuse convergence : la transposition de la directive européenne et du règlement relatif aux abus de marché - le paquet MAD-MAR - doit intervenir avant le 3 juillet prochain. Je rappelle, pour m'en féliciter, que c'est à l'initiative de notre commission et particulièrement de notre collègue Richard Yung, qui rapportait la loi Ddadue de 2014, que le Parlement a refusé au Gouvernement l'autorisation de réaliser cette transposition par voie d'ordonnance. Nous avions alors estimé que nous ne pouvions nous dessaisir de la transposition de ces textes qui conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu'administratif et qui fixent aux États membres des plafonds minimum de sanction. En outre, il nous semblait nécessaire que cette transposition aille de pair avec la réforme du système de cumul des poursuites. La présente proposition de loi nous donne raison. La fin du cumul implique en effet que la voie pénale soit à la fois plus rapide et plus sévère, car actuellement les amendes sont faibles - 140 000 euros en moyenne contre plus d'un million pour l'AMF - et les peines de prison restent théoriques et parfois très tardives. Au pire, il s'agit de peines avec sursis.

Si elle ne correspond pas tout à fait à ce nous proposions, la nouvelle échelle des sanctions me semble globalement satisfaisante. Les peines sont revues largement à la hausse, ce qui est le corollaire indispensable de la fin du cumul des poursuites et de l'aiguillage : il ne serait pas acceptable que les cas les plus graves, comme des délits en bande organisée, soient orientés vers une voie moins répressive. En conséquence, la proposition de loi prévoit de remonter à cinq ans, contre deux actuellement, les peines d'emprisonnement pour tous les abus de marché. Elle aligne également les sanctions pécuniaires sur celles prévues pour la voie administrative, soit 100 millions d'euros. Je proposerai de revenir à ce que nos propositions de loi prévoyaient, en créant une circonstance aggravante si les faits sont commis en bande organisée, avec dix ans de prison à la clef.

Par ailleurs, la transposition du paquet MAD-MAR crée deux incriminations spécifiques nouvelles : celle d'incitation ou recommandation à l'utilisation d'informations privilégiées, et celle de divulgation illicite d'informations privilégiées, autrefois intégrée au délit d'initié. Les autres incriminations sont maintenues même si leur définition est adaptée aux textes européens. Ces mesures correspondent globalement à ce que nous préconisions dans nos propositions de loi. Cependant, si le texte de l'Assemblée nationale permet une plus grande sévérité de la justice, il est plus lacunaire s'agissant de la rapidité de la réponse pénale. L'AMF est de ce point de vue beaucoup plus réactive. La crédibilité de cet aiguillage repose sur la capacité de la justice à traiter rapidement les affaires qu'elle sera amenée à juger.

L'amélioration passe tout d'abord par une meilleure coopération entre l'AMF et le parquet au stade de l'enquête. Je vous présenterai un amendement pour faire en sorte que les deux autorités s'informent mutuellement de l'ouverture d'une enquête et coordonnent leurs investigations, comme le prévoyaient nos propositions de loi. Je vous proposerai également d'autoriser le parquet national financier à réaliser des écoutes téléphoniques en cas de bande organisée, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et sans attendre l'ouverture d'une information judiciaire. J'ai consulté hier notre collègue rapporteur pour avis de la commission des lois, qui n'y voit pas d'objection.

Cependant, tout ne dépend pas de la loi : il faut aussi changer les habitudes de la justice pénale et recourir plus souvent à la citation directe devant le tribunal correctionnel ou au plaider coupable. Le procureur de la République financier comme le président du Tribunal de grande instance de Paris y sont prêts, comme ils l'ont déclaré publiquement. Je ne peux que m'en féliciter. Par souci de symétrie, je vous proposerai d'élargir aux abus de marché la possibilité pour l'AMF de conclure des accords transactionnels.

L'objectif de la présente réforme doit être double : une AMF confortée comme régulateur avec les moyens et l'expertise nécessaires, mais également garante du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions plus sévères.

M. Claude Raynal . - Notre rapporteur général a rendu compte avec précision de notre travail commun. Le sujet est technique. La préparation de cette proposition de loi a été passionnante, notamment pour comprendre le fonctionnement de l'AMF et du parquet national financier. Elle a suscité des débats riches dans l'ensemble de la profession. S'agissant de l'aiguillage, la solution que nous avons proposée, dérivée du Tribunal des conflits, avait vocation à ne pas être très largement utilisée. Elle a été modifiée par l'Assemblée nationale à la suite de l'avis rendu par le Conseil d'État. La nouvelle rédaction intègre une partie des propositions que nous avions faites. Au-delà des amendements que nous examinerons, il est fondamental que la commission mixte paritaire aboutisse. Sinon, nous ne serions pas dans les temps.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Un tel sujet ne suscite pas de désaccord politique majeur. Je suis certain que la commission mixte paritaire aboutira, d'autant que nous avons largement préparé le travail des députés.

M. François Pillet , rapporteur pour avis de la commission des lois . - L'exposé du rapporteur général a été particulièrement précis sur ces questions techniques dont beaucoup sont afférentes à des règles de procédure. La commission des lois a donné son avis sur l'article 1 er , l'amendement que nous avons proposé avec le rapporteur général reçoit l'accord enthousiaste de Bercy et, moyennant quelques interprétations, de la Chancellerie, mais surtout de l'AMF et du parquet, qui appliqueront ce texte.

M. Marc Laménie . - A-t-on idée du montant financier que représentent les abus de marché ?

M. Éric Bocquet . - Nous sommes favorables à ce texte. Je remercie le rapporteur général de sa présentation. Le sujet est technique ; les réponses sont concrètes. La coordination améliorée entre l'AMF et le parquet est nécessaire, l'alourdissement des sanctions l'est également. La loi doit répondre aux préoccupations et aux attentes de nos concitoyens. La création d'un fond d'indemnisation pour protéger et dédommager les lanceurs d'alerte serait également bienvenue. Une question subsiste au sujet du trading à haute fréquence, qui est un acteur essentiel sur les marchés financiers, où il représente 40 % des transactions, en échappant à tout contrôle humain : selon l'AMF, il faut six mois de travail pour contrôler cinq à dix minutes de trading haute fréquence. Certains envisagent de le supprimer. Ce sujet n'est pas évoqué : pourquoi ?

M. Richard Yung . - Je me réjouis que l'on augmente le quantum des peines. Les États-Unis utilisent cette arme non seulement comme sanction contre les délits d'initiés ou les abus de marché, mais aussi à des fins stratégiques, pour faire régner la terreur sur les entreprises et les banques françaises, en leur infligeant des pénalités de cinq, sept ou neuf milliards de dollars. Pour des raisons historiques, nous nous sommes toujours montrés plus mesurés. L'AMF progresse en termes de sanctions. Si les juges se saisissent de cet outil, on gagnera en efficacité.

M. Gérard Longuet . - Je reste perplexe devant ce texte, même si je rends hommage au travail d'Albéric de Montgolfier. Les marchés financiers obéissent à une éthique et à une technique professionnelles placées sous le contrôle de l'AMF. Les comportements délictuels relèvent du parquet : c'est une évidence. Ceux qui sont contraires à l'éthique sont du ressort de l'AMF : c'est préférable. Ce qui m'inquiète, c'est votre décision de confier au parquet le soin de s'autoproclamer juge de la poursuite ou non. Je ne voudrais pas que des comportements professionnels marginaux ou innovants puissent être sanctionnés comme délits par le parquet, alors qu'ils relèvent d'une régulation professionnelle. Le système dérivé du Tribunal des conflits est plus pertinent.

Qu'est-ce que le parquet national financier ? Est-il propriétaire du droit de poursuivre ou bien met-il en oeuvre une politique gouvernementale, tant il est vrai que l'action publique - le fait de poursuivre des délinquants - est une décision gouvernementale ? Mieux vaudrait éviter que se crée une légitimité annexe non-républicaine : d'un côté les lanceurs d'alerte qui prennent à témoin l'opinion publique relayée par Internet, de l'autre un procureur de la République financier qui se sent obligé de voler au secours de la victoire, dans un système fermé sur lui-même. Je ne suis pas certain que le Gouvernement parviendra à contrôler ce système. Je lance une alerte sur le risque de dépossession de l'action publique : je m'abstiendrai donc sur ce texte.

M. Yvon Collin . - Ce texte technique et complexe suffit-il cependant à garantir l'indépendance de l'AMF ? Je pense en particulier à la Commission des sanctions. Dans l'affaire EADS, l'échec des poursuites nous a tous surpris. Ne faudrait-il pas également renforcer la compétence du parquet national financier, en lui donnant le dernier mot, pour éviter les conflits entre les autorités administratives et judiciaires ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Marc Laménie, sur dix ans d'activité, le montant cumulé des sanctions de l'AMF atteint 117 millions et 2,9 millions pour les sanctions pénales.

La question des lanceurs d'alerte, Eric Bocquet, ne figure pas dans ce texte, dont l'objet est de répondre à une urgence. Elle sera reprise dans la loi « Sapin II ». En ce qui concerne le trading à haute fréquence, Gérard Rameix m'a confirmé la semaine dernière que l'AMF avait considérablement renforcé ses moyens informatiques de sorte qu'elle est désormais en mesure de détecter les abus. Elle est ainsi devenue le premier régulateur au monde à avoir prononcé une sanction dans ce domaine.

Richard Yung, il était effectivement paradoxal que les infractions les plus graves fassent l'objet des sanctions les moins lourdes. D'où la nécessité de corriger les textes pour aligner le plafond des sanctions.

Gérard Longuet, le texte marque un recul pour le parquet qui, pour l'instant, est libre de se saisir de toute affaire que l'AMF peut traiter par ailleurs. Le Conseil constitutionnel nous oblige à faire un choix, afin d'éviter deux poursuites pour une même infraction. Le texte restreint les pouvoirs du parquet national. L'AMF et le parquet national financier considèrent que dans 99,9 % des cas, la concertation aboutira à une solution. L'arbitrage du procureur général de Paris n'interviendra qu'en cas de désaccord à l'issue de cette concertation. Dès lors que l'aiguillage sera pris en faveur de l'AMF, le parquet sera dessaisi. Je suis d'accord avec vous : les sanctions et la régulation du marché relèvent de l'AMF. En revanche, les affaires les plus graves devront faire l'objet de poursuites pénales. Enfin, même lorsqu'une affaire sera traitée sur le plan pénal, l'AMF restera associée tout au long de la procédure. La mesure que nous proposons est une avancée par rapport au droit existant. J'espère avoir convaincu Gérard Longuet de voter ce texte.

Yvon Collin, aucune disposition du texte ne modifie la composition de la Commission des sanctions. Une meilleure concertation entre le parquet national financier et l'AMF devrait garantir une meilleure négociation. Notre système est objectivement plus répressif que dans beaucoup d'autres pays.

Richard Yung, les sanctions infligées aux banques françaises aux États-Unis portent rarement sur des délits boursiers ; elles sont plutôt prononcées par les régulateurs pour d'autres types de manquement, celui de l'État de New York en ce qui concerne BNP-Paribas, celui des assurances de Californie dans le cas de François Pinault avec Equitable Life . Très peu d'affaires boursières mettent en cause les entreprises françaises. En revanche, il est vrai que les banques françaises souffrent de la multiplicité des régulateurs dont elles dépendent aux États-Unis. La répression vise surtout leur activité lorsqu'elles font commerce avec l'Iran, par exemple.

Quant au parquet national financier, c'est à lui d'établir sa propre jurisprudence. Son pouvoir d'évocation l'autorise à se saisir des affaires les plus graves, même en matière fiscale. Le Conseil constitutionnel doit trancher dans l'affaire des questions prioritaires de constitutionnalité « Cahuzac » et « Wildenstein » : s'il décide d'appliquer le principe du ne bis in idem , il faudra trouver une solution fiscale. Le parquet national financier dispose de moyens limités. Il est essentiel qu'il ne se saisisse que des affaires les plus importantes pour éviter tout risque d'encombrement. La crédibilité de la voie judiciaire repose sur la capacité de traiter les délits dans des délais raisonnables.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er A

Les amendements rédactionnels n os COM-1, COM-2 et COM-3 sont successivement adoptés.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM-14 précise la nouvelle définition de l'incrimination de fausse information.

L'amendement n° COM-14 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM-4 fixe le taux maximum de l'amende prévue pour les personnes morales au quintuple du taux prévu pour les personnes physiques et il s'applique uniquement à l'amende exprimée en valeur absolue.

L'amendement n° COM-4 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM-5 prévoit que les personnes qui commettent différents abus de marché seront punies de dix ans d'emprisonnement en cas de délits en bande organisée.

M. Gérard Longuet . - On passe rapidement sur des sujets qui ne sont pas sans importance. En ce qui concerne l'amendement n° COM-14, complété par l'amendement n° COM-5, nous avons très récemment été impressionnés par les variations qu'ont subis les titres automobiles de Renault et de Peugeot sur les marchés après une visite chez Renault des services de la concurrence et des fraudes laissant soupçonner des actes de négligence ou de malveillance au regard de normes sur la pollution au diesel. Par extension, PSA a fait l'objet de la même rumeur. Ces deux informations venaient de l'administration centrale. S'agissait-il de fausses informations ou non ? À qui revient la responsabilité de ces informations ? Dans notre société de l'immédiat et de la rumeur, l'origine des informations est parfois indécelable, ce qui pose problème, car l'indication fausse ou trompeuse est un délit qui doit être poursuivi.

La réponse de notre rapporteur général sur l'aiguillage m'a favorablement impressionné : effectivement, une fois que la procédure administrative sera retenue, le parquet ne pourra plus poursuivre. Cependant, compte tenu de la pression de l'opinion, il choisira peut-être d'adopter une attitude préventive en se saisissant de la plupart des affaires. Il faudrait établir une doctrine forte si nous voulons éviter que les marchés ne soient perturbés par la multiplication de fausses informations ou de rumeurs dont les responsables resteront insaisissables, qu'il s'agisse de journalistes se retranchant derrière la protection des sources, ou de personnes reprenant des déclarations des pouvoirs publics qui ont, par ailleurs, la responsabilité de poursuivre. Le système reste à mon sens un peu curieux.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Le délit de fausse information existe déjà dans notre droit actuel. Il est en outre prévu par la transposition de la directive européenne et du règlement européen du 16 avril 2014. La proposition de loi en précise la définition et l'amendement n° COM-14 le rapproche du droit existant. Dans le cas des constructeurs automobiles que vous citiez, la presse n'a fait que relayer une information réelle en faisant mention des perquisitions qui ont eu lieu ; en constatant un soupçon de négligence par rapport aux normes de pollution au diesel, elle ne livre pas non plus de fausse information ; ce serait en revanche le cas si un article de presse accusait sans fondement tel ou tel constructeur de truquer ses moteurs. Le droit existant prévoit des sanctions pour ce genre d'infraction. Le parquet national financier collabore avec l'AMF qui fait jouer son expertise, de sorte que dans 99,9 % des cas, il n'y aura pas de situation de conflit. D'autant que Gérard Rameix nous a confirmé disposer de moyens techniques et informatiques lourds pour surveiller les marchés. C'est un avantage sur la police et sur le parquet national financier, qui ne disposent pas de tels moyens. L'aiguillage que nous proposons est clair. Je n'ai pas beaucoup d'inquiétude sur ce sujet.

M. Gérard Longuet . - Je vous remercie de votre réponse.

L'amendement n° COM-5 est adopté.

L'amendement de cohérence n° COM-6 est adopté.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM-15 prévoit que le parquet national financier peut réaliser des interceptions téléphoniques sans saisir le juge d'instruction et sans ouvrir d'information judiciaire lorsqu'un abus de marché est commis en bande organisée.

M. François Marc . - Je n'ai pas d'objection a priori. Cependant, que sont les moyens d'enquête renforcée dont il est question ? L'article 706-1-1 du code de procédure pénale prévoit déjà la possibilité d'écoutes téléphoniques et d'infiltrations. En quoi consisteraient ces infiltrations lorsqu'il s'agit d'évaluer les abus de marché ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Il s'agirait notamment d'effectuer des actes d'enquête sous une fausse identité. L'AMF a également le droit de recourir à des identités d'emprunt pour ses enquêtes.

Par ailleurs, l'AMF se mobilise pour enquêter sur les escroqueries au Forex, qui causent des préjudices très importants. Gérard Rameix nous a ainsi dit que parmi les sociétés qui proposent du trading sur les devises, 90 % se livrent à des escroqueries. Et pour ce qui est des 10 % qui restent et qui exercent leur activité de façon sérieuse, leurs opérations sont perdantes à 90 %. Dans ce domaine, les espérances de gains sont infiniment plus faibles que les risques de pertes.

M. François Marc . - Il s'agit donc de personnes physiques qui prennent une fausse identité.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Cela peut aussi concerner des personnes morales.

L'amendement n° COM-15 est adopté.

L'article 1 er A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1 er

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Les amendements identiques n os COM-7, que je vous propose, et COM-16, de François Pillet au nom de la commission des lois, devraient rassurer Gérard Longuet. Ils précisent que la phase de concertation entre le parquet national financier et l'AMF s'inscrirait au total dans un délai maximal de deux mois et quinze jours.

M. Gérard Longuet . - Me voilà rassuré.

Les amendements identiques n os COM-7 et COM-16 sont adoptés.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 1 er

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM17 de François Pillet au nom de la commission des lois soumet à l'autorisation du juge des libertés et de la détention les demandes par lesquelles l'AMF obtient des opérateurs de téléphonie les factures détaillées, autrement appelées les fadettes, des personnes sur lesquelles elle enquête. Avis favorable : on se conforme ainsi à la décision du Conseil constitutionnel.

L'amendement n° COM-17 est adopté et devient l'article 1 er bis A.

Article 1 er bis

L'amendement rédactionnel n° COM-8 est adopté.

L'article 1 er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Les amendements de coordination identiques n os COM-9 et COM-18 sont adoptés.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles additionnels après l'article 2

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM-10 étend aux abus de marché la procédure de composition administrative, car elle a fait ses preuves en termes de rapidité, d'efficacité et de sévérité.

L'amendement n° COM-10 est adopté et devient l'article 2 bis.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - L'amendement n° COM-11 devrait également rassurer Gérard Longuet, car il renforce la coopération entre l'AMF et le parquet national financier au stade de l'enquête, en prévoyant une information réciproque systématique sur les enquêtes ouvertes et la possibilité pour l'une ou l'autre des autorités d'enquête de solliciter de l'autre autorité des actes d'enquête ou d'expertise. Cet amendement permet d'éviter des superpositions d'enquête non coordonnées.

M. Claude Raynal . - La pertinence de cet amendement n'est pas tout à fait assurée. Il entretient un déséquilibre entre le niveau d'information du parquet national financier et celui de l'AMF où seul le Secrétaire général a connaissance des ouvertures d'enquêtes, le Collège n'en étant informé qu'au stade de la notification des griefs.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Il y a une différence de nature entre les deux, car si le collège de l'AMF peut engager des poursuites et prononcer des sanctions, il n'est pas, à la différence du parquet national financier, à la fois autorité d'enquête et autorité de poursuite.

L'amendement n° COM-11 est adopté et devient l'article 2 ter.

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 4

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Mon amendement n° COM-12 prévoit la possibilité d'une présence de l'AMF à l'audience de la juridiction saisie dans les cas où elle ne se porte pas partie civile, afin d'apporter son expertise sur des points techniques, formuler des observations orales ou déposer des conclusions.

M. Claude Raynal . - Il est écrit dans l'amendement que : « le président de l'Autorité des marchés financiers ou son représentant est présent » ; ce n'est pas une possibilité, qui existe d'ailleurs déjà dans les textes puisque l'AMF peut, en tant que partie civile, demander à participer aux débats. Imposer la présence du président de l'AMF à l'audience ne me semble pas opportun puisque l'on souhaite détacher la procédure judiciaire de la procédure administrative. En outre, l'AMF serait obligée de mener une enquête spécifique sur chaque dossier. Je ne soutiendrai pas cet amendement superfétatoire.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Dans ce cas, rendons cette présence facultative.

M. Claude Raynal . - On reviendrait alors au texte initial. Cette présence est de droit, puisque le président de l'AMF a la possibilité de se porter partie civile.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Cet amendement prévoit le cas, évoqué avec Gérard Rameix, où l'éclairage de l'AMF à l'audience se révèle nécessaire même si cette dernière ne se porte pas partie civile. Je propose la rédaction suivante : « le président de l'Autorité des marchés financiers ou son représentant peut être présent à l'audience de la juridiction saisie ».

L'amendement n° COM-12 rectifié est adopté.

M. Gérard Longuet . - La modification ne me semblait pas nécessaire. L'amendement garantit la présence à l'audience du président de l'AMF ou de son représentant ; ainsi, le point de vue professionnel est représenté. Ensuite, ce dernier est libre de prendre la parole ou de se taire ; cette rédaction donne la possibilité au président du tribunal de l'interroger.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Je vous invite à déposer en séance l'amendement de la commission dans sa forme initiale.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4 bis

L'amendement rédactionnel n° COM-13 est adopté.

L'article 4 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 5

L'amendement de précision rédactionnelle n° COM-19 est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Autorité des marchés financiers (AMF)

- M. Gérard Rameix , président et Mme Laure Tertrais , conseillère.

Parquet national financier

- Mme Éliane Houlette , procureur de la République financier et M. Jean-Marc Toublanc , vice-procureur financier.

TABLEAU COMPARATIF

Le tableau comparatif fait l'objet d'un tome distinct.


* 1 Proposition de loi n° 19 relative à la répression des infractions financières, présentée par M. Albéric de Montgolfier et proposition de loi n° 20 relative à la répression des infractions financières, présentée par M. Claude Raynal, enregistrées à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2015.

* 2 Directive (UE) 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché.

* 3 Règlement (UE) n ° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

* 4 Rapport n° 7 (2014-2015).

* 5 Article L. 465-1 du code monétaire et financier.

* 6 Article 622-1 du règlement général de l'AMF.

* 7 Deuxième alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier.

* 8 Article 632-1 du règlement général de l'AMF.

* 9 Premier alinéa de l'article L. 465-2 alinéa 1 du code monétaire et financier

* 10 Article 631-1 du règlement général de l'AMF.

* 11 Article L. 465-2-1 du code monétaire et financier.

* 12 Article 632-1 du règlement général de l'AMF.

* 13 Décision de la Commission des sanctions de l'AMF n° SAN-2005-12 du 21 avril 2005.

* 14 Décision de la Commission des sanctions de l'AMF n° SAN-2009-13 du 11 décembre 2008.

* 15 L'article 632-1 du règlement général de l'AMF dispose que « toute personne doit s'abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses [...] , y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses. »

* 16 Cf. le commentaire de l'article 1 er de la présente proposition de loi.

* 17 Id.

* 18 Créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

* 19 CE, 18 décembre 1992, requête n° 101505.

* 20 Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989.

* 21 CEDH, 8 juin 1976, Engel c. Pays-Bas, n° 5100/71.

* 22 Ceux-ci sont au nombre de trois : la qualification donnée par le droit interne de l'État en cause, la nature de l'infraction et enfin la nature et la gravité de la peine encourue.

* 23 Par exemple, Cass. crim., 1er mars 2000, n° 99-86.299, P : Bull. crim. 2000, n° 98. - Cass. crim., 2 avr. 2008, n° 07-85.179. - Cass. crim., 28 janv. 2009, n° 07-81.674 - Cass. com., 8 févr. 2011, n° 10-10.965.

* 24 Grande Stevens et autres c/ Italie, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10,18668/10 et 18698/10.

* 25 Voir Põder et autres c/ Estonie (déc.), n° 67723/01, CEDH 2005 VIII, et Liepãjnieks c/ Lettonie (déc.), n° 37586/06, § 45, 2 novembre 2010.

* 26 Cass. Crim. 17 décembre 2014 n° 14-90.043, et 28 janvier 2015, n° 14-90.049.

* 27 D. Schmidt et A.-V. Le Fur, « Pour un tribunal des marchés financiers » ; Bull. Joly Bourse, janvier 2015.

* 28 Voir par exemple la position d'Antoine Gaudemet, « Fin du cumul des poursuites administratives et pénales en matière d'opérations d'initié », note sur la décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, Bulletin Joly Société, p 276 : « les sanctions du délit et du manquement d'initié, en revanche, sont de nature différente puisque le juge pénal a seul le pouvoir de prononcer des peines privatives de liberté, d'emprisonnement à l'égard des personnes physiques et de dissolution à l'égard des personnes morales. En relativisant cette évidence, au motif que les sanctions pécuniaires prononcées par la Commission des sanctions de l'AMF peuvent désormais atteindre un niveau élevé, le Conseil constitutionnel nie, en creux, la spécificité de la sanction pénale ».

* 29 Par exemple, Thierry Bonneau, « Cumul des poursuites administrative et pénale : où est l'erreur ? » , Bulletin Joly Bourse, 1 er mars 2016, n° 03 : « On pourrait être tenté de discuter l'identité de nature des sanctions retenue par le Conseil dans sa décision du 18 mars 2015. Elle a été en effet affirmée alors même que seul le juge pénal peut condamner à une peine de prison. Il nous semble toutefois que la nature pénale des sanctions ne s'apprécie pas uniquement au vu des peines d'emprisonnement. Le montant des sanctions pécuniaires doit être pris en considération, en particulier lorsqu'il s'avère que le montant pouvant être prononcé par une autorité administrative s'avère bien supérieur à celui pouvant être décidé par le juge pénal. Mais est-il suffisant de constater le contraire - le montant pouvant être prononcé par le juge pénal est supérieur à celui pouvant être décidé par l'autorité administrative - et de relever la différence quant au montant maximum de la sanction administrative - 10 millions dans la version 2008 de l'article L. 621-15 ; 1 500 000 dans la version 2006 de l'article L. 621-15 - pour considérer que les sanctions prononçables par l'autorité administrative et le juge pénal sont de nature différente et conclure à la conformité du texte contesté à la Constitution ? Le Conseil l'a pensé dans sa décision du 14 janvier 2016 . »

Ou encore, Eric Dezeuze et Guillaume Pellegrin « Bis (in idem) repetita placent... Fortunes et infortunes juridiques de la double poursuite des infractions d'initié » Rev. sociétés 2016, p. 246 : « Cette rédaction [de la décision du 14 février 2016] quelque peu cryptique expose à une possible erreur d'interprétation, que le commentaire publié sur le site Internet du Conseil constitutionnel permet d'éviter : il ne faudrait en effet pas croire que la nature distincte de la sanction pénale et de la sanction administrative, pour le Conseil, procède exclusivement de l'existence d'une peine d'emprisonnement, que le Conseil n'a jamais retenue comme déterminante. Ce n'est, en effet, que parce que les sanctions pécuniaires du manquement administratif ou du délit pénal étaient par ailleurs, en l'état du droit examiné, d'un montant identique, que la peine d'emprisonnement susceptible d'être infligée au pénal conduisait à distinguer la nature même des deux ordres de sanctions encourues . Dans sa décision du 18 mars 2015, le Conseil avait d'ailleurs relevé l'existence d'une peine d'emprisonnement uniquement fulminée au pénal, avant de considérer que la « très grande sévérité » des sanctions pécuniaires prévues au titre du manquement administratif leur conférait une nature identique. Une telle analyse reposait, semble-t-il, sur une approche plus proportionnelle ou quantitative que substantielle. »

* 30 Législation comparée. La prévention du cumul des sanctions administratives et des sanctions pénales (ne bis in idem), LC 259, Direction de l'initiative parlementaire et des délégations, octobre 2015 .

* 31 La directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché impose « l'établissement d'infractions pénales au moins pour les formes graves d'abus de marché ».

* 32 Le plafond alternatif de dix fois le montant du gain serait maintenu.

* 33 Y compris la peine de sept ans d'emprisonnement prévue lorsque les informations en cause concernent la commission d'un crime ou d'un délit, qui s'en trouverait ainsi réduite, étant noté que la définition du délit serait également modifiée, puisqu'elle viserait désormais l'utilisation d'une information privilégiée acquise à l'occasion de la commission d'un crime ou d'un délit.

* 34 Marie-Anne Frison-Roche, « Une "politique de sanction" peut-elle exister dans la régulation financière et être commune aux régulateurs et aux juges ? », Bull. Joly Bourse , 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 445-447 .

* 35 L'article L. 621-14-1 du Code monétaire et financier, introduit par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, a conféré à l'Autorité des marchés financiers (AMF) la possibilité de proposer aux personnes à l'encontre desquelles une procédure répressive pourrait être un accord de composition administrative, c'est-à-dire une transaction évitant que ne soit saisie la Commission des sanctions.

* 36 Présentées plus en détail au commentaire de l'article 2 ter .

* 37 Rapport du parquet national financier « La répression des abus de marché : vers une nécessaire réforme », février 2015.

* 38 Le rapport du parquet national financier de février 2015 souligne que « l'ensemble des peines d'emprisonnement prononcées au cours des dix dernières années a été assorti du sursis total ; la durée moyenne d'emprisonnement s'élève à 9,3 mois, la plus importante étant de 20 mois ».

* 39 Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché).

* 40 Il convient de noter que cette précision n'est pas redondante avec les dispositions existantes ; en effet, le troisième alinéa de l'actuel article L. 465-1 s'attache à l'information privilégiée utilisée ou communiquée par d'autres personnes et qui concerne la commission d'un crime ou d'un délit. Il ne s'agit donc pas de la manière dont l'information a été obtenue, mais de son contenu.

* 41 Définies au d du 2 de l'article 3 du règlement européen comme « un achat ou une offre d'achat de valeurs, ou une transaction portant sur des instruments associés équivalents à celles-ci, réalisé par un établissement de crédit ou une entreprise d'investissement dans le cadre d'une distribution significative de telles valeurs, dans le seul but de soutenir le prix sur le marché de ces valeurs pendant une durée prédéterminée, en raison d'une pression à la vente s'exerçant sur elles ».

* 42 Propositions de loi n° 19 et n° 20 de M. Albéric de Montgolfier et de M. Claude Raynal relatives à la répression des infractions financières, déposées le 7 octobre 2015.

* 43 Article L. 465-1 du code monétaire et financier.

* 44 Article 622-1 du règlement général de l'AMF.

* 45 Deuxième alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier.

* 46 Article 632-1 du règlement général de l'AMF.

* 47 Premier alinéa de l'article L. 465-2 alinéa 1 du code monétaire et financier

* 48 Article 631-1 du règlement général de l'AMF.

* 49 Article L. 465-2-1 du code monétaire et financier.

* 50 Article 632-1 du règlement général de l'AMF.

* 51 Voir le commentaire de l'article 1 er bis.

* 52 Arrêt Grande Stevens et autres c/ Italie , 4 mars 2014, requêtes n° 18640/10, 18647/10, 18663/10,18668/10 et 18698/10.

* 53 Décision n° 2015-513/514/526 QPC du 14 janvier 2016.

* 54 Sauf exceptions prévues à l'article 6 du code de procédure pénale, par exemple « si des poursuites ayant entraîné condamnation ont révélé la fausseté du jugement ou de l'arrêt qui a déclaré l'action publique éteinte ».

* 55 En effet, l'article L. 495-16 du code de procédure pénale dispose que cette procédure n'est pas applicable aux délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale. Comme le précise la circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice n° CRIM 2004-12 E8/02-09-2004 du 2 septembre 2004 la « notion de "délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale" ne concerne pas les délits dont l'incrimination est déterminée par une loi spéciale, mais ceux pour lesquels la loi prévoit une procédure spéciale de poursuites (Crim. 26 avril. 1994, B. n° 149) ». Il s'agit par exemple « des délits forestiers, de chasse, de pêche, de contribution indirecte ou de fraude fiscale, pour lesquels les dispositions législatives spécifiques qui les incriminent prévoient des règles dérogatoires », l'administration jouant un rôle spécifique dans la mise en mouvement de l'action publique, soit qu'elle puisse l'empêcher (délits fiscaux et douaniers), soit qu'elle puisse y procéder elle-même (délits forestiers). Pour que l'application de la procédure de « plaider coupable » soit possible, la procédure spéciale de poursuite doit elle-même le prévoir. À défaut d'une telle précision, l'aiguillage des poursuites entre la voie pénale et la voie administrative pourrait ainsi être considéré comme une procédure spéciale de poursuite et conduire à l'inapplicabilité des dispositions relatives au « plaider coupable ».

* 56 Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (directive relative aux abus de marché).

* 57 Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

* 58 Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d'instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE.

* 59 Loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 60 Interview de Mme Éliane Houlette dans le journal Les Échos, 4 mai 2015.

* 61 N° 3623, déposé le 30 mars 2016.

* 62 Décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015.

* 63 Voir l'exposé général du présent rapport et le commentaire de l'article 1 er .

* 64 Rapport n° 206 (2002-2003).

* 65 Article L. 232.

* 66 Cass. crim. 17 juin 1937 ; 16 avril 1970 ; 17 avril 1989.