EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 juin 2016, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a procédé à l'examen du rapport de M. Jeanny Lorgeoux, sur le projet de loi n° 719 (2015-2016) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces.

M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur . - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces.

Cet accord vise à encadrer la coopération bilatérale de défense et à donner un statut aux personnels qui la mettront en oeuvre. Il succède à l'accord de coopération militaire technique signé, en 1985, avec ce pays mais jamais entré en vigueur, faute de ratification par la partie guinéenne.

Tout d'abord, quelques éléments de contexte :

Point 1 : la Guinée est un pays pauvre d'un peu plus de 12 millions d'habitants, dont le PIB par tête ne dépasse pas 590 dollars, même s'il est potentiellement riche avec son réseau hydrographique exceptionnel et ses nombreux gisements de minerais.

Point 2 : c'est un pays en phase de stabilisation politique, après une période particulièrement troublée entre 2008 et 2010. La mort du président Lansana Conté en décembre 2008, après 24 ans de règne, a conduit à la prise du pouvoir par une junte militaire. La période de crise politique qui s'en est suivie a été marquée par la répression sanglante, en septembre 2009, d'une manifestation pacifique qui se tenait dans le stade de Conakry pour réclamer la tenue d'élections libres. Ce massacre - plus de 150 morts et 1200 blessés - unanimement condamné par la communauté internationale, a conduit la France à suspendre sa coopération militaire jusqu'en 2010 et à ne maintenir que sa coopération à destination de la population. C'est en effet à partir de 2010 que s'est engagée une phase de stabilisation politique, avec l'élection en novembre 2010 de l'actuel Président de la République Alpha Condé, même si cela ne s'est pas déroulé sans heurt : le processus électoral a dû être suspendu du fait de violences et les élections législatives n'ont pu se tenir qu'en 2013 après la conclusion d'un accord politique dans le cadre du dialogue inter-guinéen. Avec la réélection du président Alpha Condé pour un second et dernier mandat en novembre 2015, le pays semble relativement stabilisé, même si l'on assiste depuis quelques semaines à une présidentialisation du régime et si les élections communales prévues au 1 er semestre 2016 ont été reportées au mois d'octobre 2016.

Point 3 : le pays est néanmoins soumis à des tensions, d'ordre sanitaire. C'est en Guinée qu'a débuté l'épidémie liée au virus Ebola en décembre 2013, qui a fait plus de 10 000 morts en Afrique de l'Ouest. Le système sanitaire a été profondément déstabilisé par cette épidémie qui a duré 2 ans, entre mars 2014 et mars 2016. Le 1 er juin 2016, l'OMS a annoncé pour la deuxième fois la fin d'Ebola en Guinée, le pays se trouvant désormais dans une phase dite de « surveillance soutenue ». L'épidémie a frappé profondément l'économie, notamment l'exploitation minière - le taux de croissance est de zéro en 2015 - et a obligé à suspendre partiellement la coopération militaire française. Toutefois, les actions de coopération conduites par le service de santé des armées - fourniture de 120 personnes et de matériels - ont grandement contribué à faire face à la crise sanitaire.

Point 4 : le pays doit par ailleurs faire face à des menaces de nature sécuritaire. Du fait de sa façade maritime, le pays est d'abord confronté à l'insécurité liée à la piraterie dans le Golfe de Guinée. Si les actions de grande piraterie se concentrent surtout aux abords du Nigéria, la Guinée doit néanmoins gérer des trafics illicites en tout genre et combattre la pêche illégale. La Guinée a été aidée par la France pour améliorer la surveillance de ses côtes, avec des effets tangibles : adoption d'un régime de l'action de l'État en mer inspiré du modèle français, création d'une préfecture maritime avec l'acquisition de 3 vedettes RAIDCO et équipement des sémaphores guinéens soutenu et partiellement financé par la France. Par ailleurs, si la Guinée n'est pas directement confrontée au terrorisme, elle est cernée par des foyers de tension et n'est donc pas à l'abri d'une contagion de la violence. Le pays partage une frontière avec le Mali. L'opération Serval et l'épidémie d'Ebola ont permis de stopper la poussée djihadiste vers la Guinée mais celle-ci prend très au sérieux la menace terroriste, la sécurité étant un préalable indispensable au développement de l'économie. Elle a ainsi contribué à hauteur de 144 hommes à la Mission internationale de soutien au Mali mise sur pied par la CEDEAO en 2013, en complément de l'opération Serval, et a envoyé une force de 850 hommes dans le cadre de la MINUSMA, la mission des Nations unies au Mali, pour servir dans la région très difficile autour de Kidal. Dans ce cadre, la France a mené des actions de formation à destination du contingent guinéen de la MINUSMA.

Face à ces menaces, le président Alpha Condé a fait de la réforme du secteur de la sécurité et, notamment, des forces armées, une de ses priorités pour poursuivre le processus de stabilisation et de modernisation du pays. La politique nationale de défense et de sécurité de la Guinée a été validée fin 2013 et une loi de programmation militaire pour 2015-2020 a été adoptée en 2014 - son financement risque cependant d'être difficile. L'armée guinéenne composée d'environ 20 000 hommes fait en particulier face à un problème de sureffectif d'officiers. 4 000 d'entre eux ont déjà été mis à la retraite depuis 2010. L'objectif global est d'atteindre un effectif de 15 000 hommes en 2020. L'équipement et la formation en sont les autres points faibles. L'armée guinéenne conserve par certains aspects un caractère « soviétique », avec un fonctionnement centralisé à l'extrême et des postes de surveillance répartis sur tout le territoire. À cela, il faut ajouter une gestion des ressources humaines inexistante et une chaîne de commandement très faible.

Pour mener à bien la réforme de l'armée, la coopération française est très appréciée de la Guinée. La coopération opérationnelle, longtemps interrompue, reprend cette année avec la planification par les éléments français au Sénégal de onze actions de formation, en particulier pour la préparation du contingent guinéen de la MINUSMA : secourisme au combat, lutte contre les engins explosifs improvisés, exploitation du renseignement. La coopération dite « structurelle », pilotée à Paris par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères, bénéficie d'un tout petit budget de 2,44 M d'euros en 2016 et est mise en oeuvre par onze coopérants militaires, sous l'autorité de l'attaché de défense.

J'en viens donc maintenant à l'accord lui-même.

Il s'agit d'un accord très similaire aux accords de défense « nouvelle génération » passés depuis 2008 avec d'autres pays africains, comme les Comores, la Centrafrique, le Togo, le Gabon, le Cameroun, le Sénégal, Djibouti et la Côte d'Ivoire. Il ne comporte pas en revanche d'annexe décrivant les facilités opérationnelles accordées aux forces stationnées sur le territoire de l'autre Partie car la France n'a pas de forces stationnées ou de bases permanentes en Guinée. Ces accords visent à mieux répondre aux besoins actuels des États d'Afrique, dans un contexte qui diffère de celui qui prévalait au lendemain des indépendances, quand ont été signés les accords dits de « première génération ». Sur le fond, ces nouveaux accords se distinguent des accords précédents essentiellement par une approche plus partenariale. Ils visent aussi à associer davantage les pays africains à la défense collective de l'Afrique. En particulier, ces accords, à l'exception de celui signé avec Djibouti, ne comportent plus de clause d'assistance militaire automatique en cas de déstabilisation intérieure ou extérieure du régime en place.

L'accord est composé de 22 d'articles et s'applique de manière réciproque aux personnels français en Guinée et aux personnels guinéens en France.

La première partie de l'accord pose les objectifs et les grands principes de la coopération ainsi que les autorités chargés de sa mise en oeuvre, à savoir nos ministres de la défense et des affaires étrangères respectifs. Les domaines de coopération sont décrits de manière non exhaustive : politique de défense et de sécurité, organisation et fonctionnement des forces armées, opérations de maintien de la paix et humanitaires ainsi que les scolarités militaires. L'article 5 précise que les coopérants envoyés par une Partie ne peuvent pas participer aux opérations de guerre ou de maintien de l'ordre conduites par les armées de la Partie hôte.

La deuxième partie de l'accord est relative aux statuts des coopérants. Elle définit notamment les facilités d'entrée et de séjour des coopérants sur le territoire de la Partie qui les accueille, les règles de port de l'uniforme et de port d'arme. Elle précise que les coopérants sont imposés dans la Partie d'envoi et non celle d'accueil. L'accord établit également les priorités de juridictions applicables en cas d'infractions commises par les membres des forces. On retiendra que la Guinée n'ayant pas aboli la peine de mort, cette peine ne pourra être ni requise ni prononcée à l'encontre des personnels français.

Enfin, la troisième partie a trait aux conditions matérielles des activités de coopération. L'accord prévoit entre autre des facilités de circulation aérienne, la mise à disposition d'infrastructures et de facilités logistiques et un régime d'exemption de droits de douane pour les matériels importés et réexportés à des fins de coopération.

Les conditions d'entrée en vigueur sont fixés par le dernier article de l'accord : celui-ci est applicable dès sa ratification et valable pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Cet accord a le mérite de donner un cadre juridique à notre coopération bilatérale en matière de défense et les stipulations relatives au statut des personnels offre à ceux-ci une vraie sécurité juridique. Cette coopération de défense est très bien perçue et même demandée par la Guinée, qui a accepté sans discuter le projet d'accord au moment des négociations et qui vient de ratifier ce texte. Il marque par ailleurs la solidarité de la France avec la Guinée, qui a traversé depuis 2010 des années très difficiles et qui fait partie du groupe des pays pauvres prioritaires que la France entend aider à se développer.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 7 juillet 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

À l'issue de cette présentation, la commission, suivant la proposition du rapporteur, a adopté, sans modification, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

La Conférence des Présidents a décidé que ce texte ferait l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, le jeudi 7 juillet 2016 , en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.

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