EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 octobre 2019, la commission a examiné, en nouvelle lecture, le rapport de la commission sur le projet de loi d'orientation des mobilités.

M. Hervé Maurey , président . - Après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) est revenu à l'Assemblée nationale début septembre. Il sera examiné en séance publique au Sénat, en nouvelle lecture, mardi 5 novembre.

Le travail réalisé par le Sénat a été salué par tous les acteurs, et conservé en grande partie par l'Assemblée nationale. Toutes les conditions étaient réunies pour un accord en CMP. Notre ligne rouge était le financement, qui n'était pas prévu dans le texte initial. Nous avons eu un courrier du Premier ministre l'avant-veille de la CMP, un autre de la ministre quelques heures avant... Ils ne nous ont pas rassurés sur la question des moyens donnés aux intercommunalités pour exercer la compétence « mobilité ». Notre position était sage. On nous annonçait que le futur projet de loi de finances (PLF) résoudrait cette question, mais rien n'est prévu pour le moment...

Autre inquiétude, l'Assemblée nationale a adopté subrepticement des amendements élargissant le périmètre des concessions autoroutières aux sections à gabarit routier. Pour la ministre, cette modification ne change pas grand-chose, mais selon l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), elle autorise le transfert aux sociétés autoroutières de la gestion de certaines portions de routes, en contrepartie d'une augmentation des péages. Cela m'interroge, et va à l'encontre de la loi « Macron » qui voulait encadrer les sociétés d'autoroute et leur capacité à se voir renouveler les concessions ou à élargir leur périmètre.

M. Didier Mandelli , rapporteur . - Nous examinons en nouvelle lecture le projet de LOM à la suite de l'échec de la CMP le 10 juillet dernier.

Je rappelle l'important travail que nous avons réalisé, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, pour améliorer le projet de loi initial sur de nombreux volets. Plus de 35 ans après la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI), la LOM était très attendue tant par les acteurs du secteur que par nos citoyens, en particulier ceux vivant dans des territoires dépourvus d'une offre de mobilité - en témoignent les manifestations depuis un an...

Nous avons abordé ce texte dans un état d'esprit constructif, en partageant son objectif de mettre fin aux « zones blanches de mobilité » et de développer les mobilités propres et partagées pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.

Au Sénat, plus de 450 amendements ont été adoptés, la moitié en commission et l'autre moitié en séance. L'implication sur ce texte des différents groupes politiques a permis d'intégrer des propositions de tous bords, dans une logique transpartisane.

À l'issue de cet examen, le projet de loi était substantiellement amélioré par rapport à sa version initiale, ce qui a été salué par de très nombreux acteurs.

Nos collègues députés ont adopté, à leur tour, de nombreuses modifications qui, pour certaines, précisent et complètent utilement celles adoptées par le Sénat. Ils ont conservé un grand nombre des ajouts du Sénat, ce dont nous pouvons nous féliciter.

Parmi ces apports, je citerai la sanctuarisation des ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), la pérennisation du Conseil d'orientation des infrastructures et des contrats opérationnels de mobilité, et l'allongement du délai pour la prise de compétence « mobilité » par les communautés de communes ou la possibilité pour les présidents de département d'adapter la vitesse maximale autorisée sur les routes dont ils ont la gestion, qui était un marqueur fort du Sénat à la suite des travaux du groupe de travail sur la sécurité routière dont notre collègue Michèle Vullien était corapporteure. On peut y ajouter les nombreuses dispositions visant à favoriser le développement des véhicules à faibles émissions - je pense, par exemple, à l'inscription d'une obligation de verdissement des flottes de véhicules des entreprises, sur l'initiative de M. Dantec -, à encourager les mobilités partagées et actives, avec la mise en place d'obligation de systèmes d'emport de vélos dans les trains et les bus sur l'initiative de Mme Assassi, ou encore à renforcer la sécurité et la sûreté dans les transports.

Toutefois, et c'est normal, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale comprend aussi un certain nombre de dispositions avec lesquelles nous sommes en désaccord.

Je citerai en particulier la suppression du troisième cas de réversibilité du transfert de la compétence « mobilité » fondé sur un commun accord entre la région et une communauté de communes, qui donnait pourtant de la souplesse aux collectivités, notamment en cas de changement de contexte ou de projet par les élus ; la suppression de la possibilité offerte aux préfets de relever les vitesses maximales autorisées sur les voies dont ils ont la gestion à 90 kilomètres par heure; le rétablissement de l'article 20 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mobilité, qui ne permet pas de définir un véritable statut pour les travailleurs indépendants de ces plateformes et qui conserve la possibilité pour celles-ci de mettre en place des chartes sociales facultatives à la portée juridique sans doute limitée ; la suppression de l'article visant à flécher davantage les certificats d'économies d'énergie en faveur de la mobilité propre ; l'obligation pour certaines personnes publiques et privées de publier les taux de verdissement de leurs flottes renouvelées tous les ans, qui pourrait conduire à une forme de « name and shame » ; ou encore les dispositions permettant d'inclure dans le périmètre des concessions autoroutières des sections à gabarit routier.

Les échanges que nous avons eus avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale en vue de préparer la commission mixte paritaire ont permis de trouver des rédactions de compromis sur la quasi-totalité des sujets qui restaient en discussion. J'indique que 110 propositions de rédaction ont été cosignées par les rapporteurs de l'Assemblée nationale et moi-même, ce qui témoigne d'un important travail de concertation.

Ne subsistait en réalité qu'une seule question en suspens, mais une question de taille : celle du financement des intercommunalités qui se saisiront de la compétence d'organisation des mobilités.

Vous le savez, le projet de loi prévoit que les communes devront délibérer avant le 31 décembre 2020 pour transférer, à compter du 1 er juillet 2021, cette compétence aux communautés de communes dont elles sont membres. Il s'agit, selon la promesse du Gouvernement, de mettre fin aux « zones blanches de la mobilité ».

Ce transfert pose la question des ressources dont disposeront ces intercommunalités pour développer une offre de mobilité, étant donné que la plupart d'entre elles ne mettront pas en place de services réguliers de transport, compte tenu du coût de tels services, et qu'elles ne bénéficieront donc pas des recettes du versement mobilité.

Nous avions à cette fin intégré au Sénat un dispositif de financement permettant à ces intercommunalités d'instaurer un versement mobilité à taux minoré, à hauteur de 0,3 %, même en l'absence de services réguliers de transport, et de bénéficier d'une part du produit de la taxe carbone en complément lorsque les ressources perçues sont insuffisantes pour développer une offre de mobilité satisfaisante.

Les députés ont supprimé ces dispositions, renvoyant, comme le Gouvernement, le règlement de cette question au prochain projet de loi de finances. Nous étions prêts à accepter cette suppression en contrepartie d'un engagement formel du Gouvernement à prendre, dans ce projet de loi de finances, les mesures appropriées.

Ce n'est que deux jours avant la commission mixte paritaire que le Gouvernement nous a indiqué, par courrier, que pour financer leur compétence « mobilité » les intercommunalités pourraient compter sur le dynamisme de la part de la TVA qui leur serait attribuée pour compenser la suppression de la taxe d'habitation.

Cette réponse ne nous a absolument pas paru à la hauteur des enjeux, pour deux raisons.

D'une part, rien ne dit que ce supplément de recettes de TVA sera suffisant et stable dans le temps, ce qui pose problème lorsque l'on souhaite organiser des services de mobilité sur un temps long nécessitant des investissements importants.

D'autre part, ces ressources ne seront pas liées à l'exercice de la compétence « mobilité », ce qui n'incitera pas les intercommunalités à se saisir de cette compétence, d'autant que celles-ci pourraient être amenées à les utiliser pour financer d'autres priorités budgétaires.

Le projet de loi de finances pour 2020 entérine ce choix et ne prévoit aucune autre mesure permettant d'assurer un financement pérenne de la compétence « mobilité ». Pire, au lieu d'attribuer aux autorités organisatrices de la mobilité des moyens supplémentaires, il les prive en réalité d'une partie de leurs ressources, puisqu'il prévoit d'amputer de 45 millions d'euros la compensation que l'État leur verse à la suite du relèvement du seuil de salariés à partir duquel les employeurs sont assujettis au versement mobilité opéré en 2016.

Dans ces conditions, la promesse du Gouvernement de mettre fin aux « zones blanches de la mobilité » risque fort de rester lettre morte, au détriment des habitants de ces territoires, qui n'ont pourtant cessé de rappeler au cours des derniers mois à quel point il était urgent de répondre à leurs besoins de mobilité.

Je le regrette, car je crains que cette loi ne crée au final beaucoup de déception au regard des attentes de ceux qui habitent dans ces territoires dépourvus d'alternatives à la voiture individuelle.

C'est pourquoi je considère qu'il n'y a pas lieu de poursuivre les discussions sur ce texte, et vous propose d'adopter une motion tendant à lui opposer la question préalable.

M. Hervé Maurey , président . - La proposition du rapporteur me paraît sage. De toute évidence, il n'est pas utile de consacrer de nombreuses heures à examiner de nouveau l'ensemble du texte avant de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale.

Mme Michèle Vullien . - Je remercie le rapporteur de son propos. Nous avons fourni un travail important sur ce projet de loi car la mobilité est un enjeu transversal important, comme l'a montré le mouvement des gilets jaunes.

J'entends le raisonnement du rapporteur, mais je ne le partage pas totalement. J'ai l'impression de rester au milieu du gué. Il faudrait continuer à travailler, car il est par exemple dangereux de laisser les routes au privé
- on va finir par vendre tous les bijoux de famille !

Lever les fourches ne rend pas justice au travail que nous avons fait. Il faut dire avec force que nous ne sommes pas d'accord sur la question du financement. Les territoires attendent ce texte, et il ne faudrait pas donner l'impression que le Sénat s'en remet à l'Assemblée nationale.

M. Hervé Maurey , président . - Je rappelle que l'examen de la question préalable est précédé d'une discussion générale : l'ensemble des groupes pourront s'exprimer.

M. Didier Mandelli , rapporteur . - La question préalable est justifiée par le blocage sur la question du financement, mais également par le fait que la majeure partie de notre travail a été conservée par l'Assemblée nationale.

M. Claude Bérit-Débat . - Nous partageons la position du rapporteur, notamment sur la question du financement. Lors de la discussion générale, nous évoquerons les propositions qui n'ont pas été retenues, mais il est inutile de consacrer davantage de temps à ce texte si nos propositions doivent encore une fois être balayées d'un revers de main.

M. Jean-François Longeot . - Je suis ennuyé. Le rapporteur a souligné l'important travail de notre assemblée, qui a adopté plus de 450 amendements et amélioré le projet de loi. Alors que nous sommes en désaccord avec l'Assemblée nationale, nous brandissons la question préalable. Je ne suis pas certain que notre décision de ne pas poursuivre les débats soit bien interprétée par nos territoires. Comme Mme Vullien, je pense qu'il faut aller jusqu'au bout.

Certes, chaque groupe pourra exprimer son mécontentement lors de la discussion générale. C'est comme si une équipe de football ne jouait pas la deuxième mi-temps d'un match...

M. Guillaume Gontard . - Je partage les propos de Michèle Vullien et Jean-François Longeot : ce texte a été fortement enrichi par le travail constructif du Sénat.

J'ai participé à la commission mixte paritaire : nous étions très proches d'un accord, le seul problème restant étant celui du financement, sur lequel nous n'avancerons pas. La question préalable me convient donc.

M. Olivier Jacquin . - Par courrier, le Premier ministre et la ministre nous ont promis de prévoir des financements dans le projet de loi de finances. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agissait d'une arnaque, mais c'était à tout le moins de la tromperie sur la marchandise. Dans ces conditions, il est difficile de faire un simulacre de débat. La proposition du rapporteur me semble pertinente eu égard à ce que j'ai entendu lors de la commission mixte paritaire. Il était impossible de parvenir à un accord.

Je ferai une proposition : nous pourrions tous signer une tribune sur le seul point de l'absence de financement dédié, que les médias pourraient relayer. Il faut avoir la sagesse de n'évoquer que ce point, car nous ne pourrons être tous d'accord sur d'autres articles, comme l'article 20 ou celui sur les concessions autoroutières. Ce dernier point est extrêmement important, car sans argent il n'est pas possible d'avoir de politique des mobilités.

M. Didier Mandelli , rapporteur . - Je suis d'accord avec cette proposition.

M. Frédéric Marchand . - Je suis chagriné par la fin du film, car le Sénat a fait un travail extraordinaire. Je ne suis pas d'accord avec les propos d'Olivier Jacquin sur le déroulement de la commission mixte paritaire. Bien malin celui qui aurait pu dire comment les choses allaient se dérouler... Nous avions eu encore la veille des échanges avec le Premier ministre et la ministre chargée des transports. Étant nouveau dans la fonction, je suis peut-être naïf, mais je pense encore que la parole de l'État a du sens. Des engagements ont été pris, la discussion budgétaire a commencé à l'Assemblée nationale, les députés rapporteurs du texte ont aussi pris des risques... Le rapporteur l'a dit, les sujets de divergence sont relativement mineurs.

Nous ne pouvons nous rallier à la position du rapporteur.

M. Ronan Dantec . - Je rejoins l'analyse de Michèle Vullien et Jean-François Longeot. Nous perdons une occasion de réaffirmer notre position en refusant de discuter de nouveau du texte.

Le fait que ce projet de loi ait d'abord été soumis au Sénat était une victoire politique. La situation aurait été différente si l'on avait refusé de débattre d'un texte venant de l'Assemblée nationale.

J'aurais préféré que l'on se mette d'accord sur quelques amendements portés par le rapporteur, qui auraient correspondu aux amendements déposés en vue de la commission mixte paritaire, et que l'on remette le financement dans le texte. Nous aurions alors laissé l'Assemblée nationale prendre la responsabilité de retoquer les articles sur le financement. Cette solution aurait été politiquement plus lisible.

M. Didier Mandelli , rapporteur . - Monsieur Dantec, nous discutons aujourd'hui du texte issu de l'Assemblée nationale, qui l'a déjà examiné en nouvelle lecture après l'échec de la commission mixte paritaire.

M. Ronan Dantec . - Alors vous pouvez supprimer mon intervention du compte rendu !

M. Benoît Huré . - Quid du courrier du Premier ministre et de la ministre ?

M. Didier Mandelli , rapporteur . - Il portait uniquement sur l'affectation d'une partie de la TVA aux intercommunalités dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation. Ce n'était pas ce que nous attendions.

M. Benoît Huré . - La solution proposée par le Sénat était plus lisible.

M. Alain Fouché . - Je suis plutôt d'accord avec M. Longeot et avec M. Dantec qui a un peu changé d'avis en cours de route !

M. Hervé Maurey , président . - M. Dantec ne s'est pas exprimé !

M. Alain Fouché . - La proposition de M. Jacquin me semble intéressante. Notre retrait risque d'être mal compris sur le terrain. Je me rallierai à la majorité de la commission, comme à mon habitude.

M. Jean-Michel Houllegatte . - J'approuve la stratégie proposée par le rapporteur.

Nous sommes très cohérents : nous avons obtenu ce que nous voulions sur le fond du texte. Ne manque que le volet financier. À nous de poser un acte politique fort, en quelque sorte un préavis de grève !

M. Hervé Maurey , président . - Pas un droit de retrait ?...

M. Jean-Michel Houllegatte . - Le combat doit continuer dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances. Les intercommunalités doivent avoir les moyens d'exercer la compétence d'organisation des mobilités.

M. Hervé Maurey , président . - Le dispositif de la motion tendant à opposer la question préalable est bref. En revanche, l'objet de la motion développe longuement les raisons de notre position qui ont été rappelées par le rapporteur.

Comme certains d'entre vous l'ont dit, le projet de loi de finances pour 2020 nous permettra de déposer des amendements, notamment sur la baisse de la compensation du versement mobilité de 45 millions d'euros. Rien n'est prévu alors même que nous avions indiqué, dès le premier jour, que nous ne pourrions accepter qu'une compétence aussi importante soit confiée aux intercommunalités sans financement dédié.

Je retiens l'excellente suggestion d'Olivier Jacquin. Nous allons essayer de rédiger une tribune pour réaffirmer nos positions sur ce projet de loi.

La motion COM-9 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

L'ensemble des amendements deviennent sans objet.

M. Hervé Maurey , président . - La commission n'ayant pas adopté de texte, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Les amendements qui avaient été déposés pourront l'être de nouveau en vue de la séance publique. Dans l'hypothèse où la question préalable ne serait pas adoptée par notre assemblée, l'examen des articles porterait sur le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

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