B. LES CONVENTIONS D'EXTRADITION

1. Les éléments de contexte
a) Peu de demandes d'extradition, mais un dossier important reste ouvert

Aucun dossier d'extradition n'a été ouvert entre la France et le Niger au cours des dix dernières années.

S'agissant du Burkina Faso, six dossiers d'extradition ont été ouverts au cours de la même période au bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice français : quatre émanaient des autorités burkinabè (dossiers « passifs ») et deux des autorités françaises (dossiers « actifs »).

Pour l'heure, aucune de ces affaires n'a entraîné la remise des personnes aux autorités requérantes. Parmi ces dossiers, trois n'ont pas abouti pour des raisons d'ordre juridique :

- deux d'entre eux, l'un actif, l'autre passif, concernaient en effet des ressortissants de l'État requis - or, il s'agit là d'un obstacle classique en matière extraditionnelle ;

- le troisième, passif, n'a pas abouti en raison des stipulations de l'article 53 de la convention bilatérale en vigueur, relatives à l'arrestation provisoire.

Un dossier, passif, reste toutefois ouvert et concerne la demande d'extradition de François Compaoré, frère de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso d'octobre 1987 à octobre 2014.

L'intéressé avait été arrêté provisoirement le 29 octobre 2017 à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, à son retour de Côte d'Ivoire, sur le fondement d'un mandat d'arrêt émis par un juge d'instruction investiguant sur les assassinats, en 1998, du journaliste d'investigation Norbert Zongo et de trois compagnons de voyage.

Aux termes de la demande d'extradition, François Compaoré encourait la peine de mort du chef criminel d'incitation à assassinats. Une garantie de non-application de la peine de mort était sollicitée par la France ; le ministère de la justice avait alors répondu que « le Burkina Faso s'engage à ce que [la peine de mort] ne soit pas requise et que, si elle était prononcée, à ce qu'elle ne soit pas exécutée » . Cette formule correspondait à celle reprise à l'article 5 de la présente convention, signée le 24 avril 2018.

Le 5 décembre 2018, après plusieurs renvois de l'affaire, notamment pour obtention de compléments d'information des autorités burkinabè, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris émettait un avis favorable à l'extradition de François Compaoré. Ce dernier a alors formé un pourvoi contre cette décision et posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Par deux arrêts du 4 juin 2019, la Cour de cassation a écarté cette QPC et rejeté le pourvoi formé contre l'avis favorable de la chambre de l'instruction.

La phase administrative de rédaction du décret d'extradition demeure en cours 15 ( * ) . Afin de s'assurer de la sécurité juridique de la procédure, l'avis de la sous-direction des droits de l'homme du ministère de l'Europe et des affaires étrangères a été sollicité, le 11 octobre 2019, pour déterminer si des garanties complémentaires sont nécessaires 16 ( * ) .

Interrogé sur ce sujet à l'occasion de l'examen de ces projets de loi, l'ambassadeur du Burkina Faso a indiqué que la décision d'extradition prise par l'État français était très attendue par la population burkinabè. D'après lui, il s'agit d'un acte important qui serait de nature à apaiser les sentiments antifrançais qui s'expriment actuellement, comme le fut la décision du président de la République, Emmanuel Macron, de déclassifier et de transmettre des archives françaises relatives à l'assassinat du président Thomas Sankara. L'un des défis qui se posent aujourd'hui au gouvernement burkinabè est d'ordre mémoriel et cette décision était heureuse à cet égard.

b) Le Burkina Faso, nouveau pays abolitionniste

Le nouveau code pénal burkinabè a aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun. Cependant, le code de justice militaire prévoit toujours l'application de la peine capitale pour certains crimes.

Le Burkina Faso était jusqu'alors considéré comme abolitionniste de fait puisque la dernière exécution recensée dans le pays datait de 1988. L'avant-projet de Constitution, remis le 14 novembre 2017 au président de la République, Roch Marc Christian Kaboré, prévoit l'abolition de la peine de mort à son article 5.

c) Le Niger est abolitionniste de fait

La peine de mort est toujours en vigueur au Niger mais le pays observe un moratoire de fait sur son application depuis 1976, date de la dernière exécution.

Cette position a été réaffirmée le 17 décembre 2018, lorsque le Niger a voté en faveur d'une résolution importante de l'Assemblée générale des Nations unies relative à l'instauration d'un moratoire sur les exécutions dans l'objectif d'abolir la peine de mort, alors que le pays s'était abstenu en 2016.

À l'occasion de la 60 e session de la commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), qui s'est tenue à Niamey en mai 2017, le garde des sceaux nigérien, Marou Amadou, a déclaré que l'abolition de la peine de mort « est nécessaire et conforme aux constitutions modernes et doit être adoptée » , tout en soulignant que le débat au Niger sur cette question est difficile. En effet, le 24 octobre 2014, le gouvernement nigérien a approuvé un projet de loi autorisant l'adhésion du pays au deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort 17 ( * ) , mais l'Assemblée nationale ne l'a toujours pas adopté.

2. Les stipulations des conventions

Les textes retenus correspondent aux projets soumis par la partie française. Ces traités respectent donc entièrement nos standards juridiques nationaux et internationaux.

a) Les obligations d'extrader et les motifs de refus

Les parties s'engagent à se livrer réciproquement toute personne qui, se trouvant sur le territoire de l'une d'entre elles, est recherchée par l'autre partie aux fins de poursuites ou d'exécution d'une peine ( articles 1 ers ).

Les conventions définissent les infractions susceptibles de donner lieu à extradition ( articles 2 ) et énoncent les motifs de refus, obligatoires ou facultatifs, qui doivent ou peuvent être opposés à une demande d'extradition ( articles 3 à 6 ).

Les demandes seront systématiquement refusées si elles concernent des infractions politiques ou des raisons tenant aux opinions politiques, à la nationalité, à la race ou à la religion de la personne demandée ; il en va de même pour les infractions de nature exclusivement militaire. L'extradition devra également être refusée si la personne est réclamée pour être jugée par un tribunal d'exception ou pour exécuter une peine prononcée par un tel tribunal.

Le fait de posséder la nationalité de la partie requise à la date de commission de l'infraction à l'origine de la demande, constituera également un motif de refus ; la partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités en application du principe aut dedere, aut judicare (extrader ou poursuivre). Aucune des parties n'extrade ses ressortissants. Cependant, les autorités nigériennes sont confrontées à une difficulté récurrente s'agissant de la nationalité d'individus interpellés dans la région du lac Tchad, qui se disent Nigériens sans que rien ne puisse l'établir ; nombre de magistrats nigériens estiment que l'extradition de tels individus pourrait être accordée.

En application du principe non bis in idem , également consacré en matière extraditionnelle par le code de procédure pénale (article 694-4) et la convention européenne d'extradition, la remise n'est pas davantage accordée si un jugement définitif de condamnation, d'acquittement ou de relaxe a été prononcé par une juridiction de la partie requise à raison de l'infraction pour laquelle la remise est demandée ou si la personne réclamée a bénéficié d'une grâce ou d'une amnistie décidée par la partie requise. Conformément aux standards en matière extraditionnelle, la remise est également rejetée lorsque l'action publique ou la peine se trouvent couvertes par la prescription conformément à la législation de la partie requise.

Enfin, si l'infraction est passible de la peine de mort, la demande sera systématiquement refusée. Les stipulations relatives à la peine capitale et aux peines contraires à l'ordre public de la partie requise ont donné lieu à des discussions approfondies qui ont trouvé une issue favorable à la faveur de la formulation acceptée par la France, dans le respect de sa Constitution comme de ses engagements internationaux sur ces points, et par le Niger et le Burkina Faso dans le respect de leurs propres législations internes et engagements. La formulation suivante a ainsi été acceptée par les parties : « L'extradition est refusée [...] sauf si la partie requérante donne des assurances jugées suffisantes par la partie requise que cette peine ne sera pas requise et que si elle est prononcée elle ne sera pas exécutée. »

Les motifs facultatifs de refus d'extradition sont énumérés aux articles 4. Les conventions prévoient ainsi que l'extradition peut être refusée lorsque les autorités judiciaires de la partie requise sont compétentes pour connaître de l'infraction à l'origine de la demande, ou lorsque des poursuites ont été engagées dans la partie requise pour la même infraction. En outre, elles contiennent une clause humanitaire permettant de rejeter une demande de remise de nature à avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour la personne réclamée, notamment en raison de son âge ou de son état de santé.

b) La procédure de demande d'extradition

S'agissant de la procédure ( articles 7 ), les textes définissent de manière précise le contenu des demandes d'extradition ainsi que leur mode de transmission ( articles 8 ) et prévoient des délais adaptés aux besoins opérationnels constatés par les parties. Dans le même souci d'efficacité, destiné à assurer la pleine recevabilité des demandes d'extradition, les textes organisent également les échanges entre les parties afin de remédier aux difficultés qui pourraient résulter de demandes incomplètes ou irrégulières ( articles 9 ). Aux termes des articles 10 , les demandes d'extradition et les pièces jointes doivent être authentifiées par l'autorité requérante, tout en étant dispensées de toute formalité de légalisation.

De manière classique, les conventions consacrent la voie diplomatique comme mode de communication entre les parties. En cas d'urgence, il est néanmoins possible pour les autorités compétentes de la partie requérante d'adresser une demande d'arrestation provisoire par le canal d'Interpol ou par tout autre moyen laissant une trace écrite ( article 16 ) et, dans le cadre de la convention franco-nigérienne, d'adresser une copie des demandes par voie électronique, directement aux autorités judiciaires compétentes. Ce protocole de communication correspond à la pratique française en la matière.

En France, les services compétents pour le traitement des demandes formulées en application des conventions sont :

- pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, la mission des conventions et de l'entraide judiciaire de la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire ;

- et pour le ministère de la justice, le bureau de l'entraide pénale internationale de la direction des affaires criminelles et des grâces.

Enfin, dans l'hypothèse d'un concours de demandes, la partie requise statuera au regard « notamment de la gravité relative et du lieu des infractions, des dates respectives des demandes, de la nationalité de la personne réclamée et de la possibilité d'une extradition ultérieure vers un autre État » ( articles 19 ).

c) L'arrestation et la remise de la personne réclamée

Les conventions réaffirment le principe traditionnel de la spécialité ( articles 14 ) selon laquelle la partie requérante ne peut poursuivre, juger, détenir ou restreindre la liberté de la personne extradée pour un fait antérieur à sa remise et distinct de celui ayant motivé son extradition. Deux exceptions à ce principe sont néanmoins prévues :

- lorsque la partie requise y consent ;

- ou lorsque la personne extradée, après avoir eu la possibilité de quitter le territoire de la partie requérante, ne l'a pas fait dans les 60 jours suivant sa libération, ou si elle y est retournée après l'avoir quitté.

En cas de modification, en cours de procédure, de la qualification légale des faits à l'origine de l'extradition, la personne remise ne peut être poursuivie ou jugée que si l'infraction nouvellement qualifiée vise les mêmes faits, entre dans le champ d'application de la convention et n'est pas passible de la peine capitale ou d'une peine contraire à l'ordre public de la partie requise.

En outre, la réextradition au profit d'un État tiers sans le consentement de la partie ayant autorisé l'extradition est interdite ( articles 15 ).

Par ailleurs, les conventions précisent les délais et les modalités d'arrestation provisoire ( articles 16 ), de remise de la personne recherchée ( articles 11 et 12 ) et de transit ( articles 18 ).

Les demandes d'extradition doivent être formulées par écrit, en empruntant la voie diplomatique. Toutefois, en cas d'urgence, les autorités compétentes de la partie requérante pourront adresser une demande d'arrestation provisoire via l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol), ou par tout autre moyen laissant une trace écrite et agréé par les deux parties.

L'arrestation provisoire prend fin si, dans un délai de 60 jours à compter de l'arrestation, la partie requise n'a pas été saisie d'une demande officielle d'extradition. Cette partie prendra néanmoins toutes les mesures nécessaires pour éviter la fuite de l'intéressé(e) qui peut faire l'objet, ultérieurement, d'une nouvelle arrestation et d'une extradition.

Les stipulations des articles 11 devraient garantir une exécution rapide des demandes d'extradition et une pleine information de la partie requérante quant à la décision intervenue. Les articles 17 offrent, en outre, la possibilité pour la partie requise d'être informée des suites de la remise.

Aux termes des articles 12, la partie requise peut ajourner la remise de la personne réclamée après avoir accepté l'extradition lorsqu'il existe, sur son territoire, des procédures en cours à son encontre, ou lorsqu'elle y purge une peine pour une autre infraction. Dans un tel cas, la partie requise en informe l'autre partie et prend toutes les mesures nécessaires pour que l'ajournement n'empêche pas la remise de l'intéressé(e). Si des conditions particulières l'exigent, une remise à titre temporaire est cependant envisageable, selon des modalités à déterminer par les parties, et sous la condition expresse que la personne soit maintenue en détention et renvoyée. Enfin, sa remise peut être différée en raison de son état de santé.

Les stipulations relatives au transit par voie aérienne sont, dans la convention d'extradition avec le Burkina Faso, légèrement différentes de celles prévues avec le Niger ( articles 18 ). Pour la transmission de la demande de transit, la convention franco-nigérienne impose en effet un formalisme moindre en l'absence d'atterrissage prévu, tout en fixant un délai de 96 heures en cas d'atterrissage fortuit.

Enfin, les objets, valeurs ou documents issus de l'infraction et pouvant servir de pièces à conviction, seront saisis et remis à la partie requérante ( articles 13 ). La protection des données à caractère personnel ( articles 20 ) appelle, quant à elle, les mêmes remarques que celles formulées au titre des conventions d'entraide judiciaire ( cf. supra ).

d) Les dispositions finales

Ainsi qu'en disposent les articles 21 , les frais induits par l'extradition sont supportés par la partie requise jusqu'à la remise de la personne réclamée. Le cas échéant, la partie requérante prendra à sa charge les frais engendrés par un transit.

Les articles 22 précisent que les stipulations des conventions sont sans préjudice des droits et obligations découlant, pour la France, des autres accords internationaux auxquels elle est d'ores et déjà partie 18 ( * ) .

Enfin, les articles 23 à 25 traitent, de manière classique, de règlement des différends, d'application dans le temps, d'entrée en vigueur et de dénonciation de l'instrument.


* 15 Décret du Premier ministre français, pris sur le rapport de la ministre de la justice.

* 16 Éléments transmis par le ministère de la justice, en réponse au questionnaire écrit.

* 17 Traité du 15 décembre 1989 à travers lequel les parties s'engagent à abolir la peine de mort et à promouvoir la dignité humaine et le développement progressif des droits. Il exclut toute exécution des personnes relevant de la juridiction d'un État partie.

* 18 Pacte international relatif aux droits civils et politiques et convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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