EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Cet article substitue aux dispositions du Code du travail relatives à la responsabilité sociale des plateformes numériques une obligation de recourir soit à des salariés, soit à des entrepreneurs salariés ou associés d'une coopérative d'activité et d'emploi.

I - Des lois récentes ont esquissé un cadre à l'activité des plateformes numériques de mise en relation

• La loi de finances pour 2016 31 ( * ) a créé l'article 242 bis du Code général des impôts (CGI), relatif aux entreprises « qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service ».

• La loi du 8 août 2016 (loi « El Khomri ») 32 ( * ) a introduit dans le Code du travail (art. L. 7342-1 et suivants) des dispositions tendant à créer une responsabilité sociale incombant aux plateformes qui « détermine[nt] les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe[nt] son prix ».

Cette responsabilité sociale s'exerce par la prise en charge des cotisations d'assurance volontaire contre le risque d'accident du travail (art. L. 7342-2) et de la contribution formation professionnelle et des frais d'accompagnement à la validation des acquis de l'expérience (art. L. 7342-3). Toutefois, le travailleur ne peut bénéficier de ces prises en charge que s'il a réalisé sur la plateforme un chiffre d'affaires au moins égal à 13 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 5 268,12 euros en 2019.

La loi « El Khomri » a par ailleurs inscrit dans le Code du travail une forme de droit de grève pour les travailleurs indépendants ayant recours à une plateforme. Les « mouvements de refus concerté » de fournir leurs services en vue de défendre leurs revendications professionnelles ne peuvent ainsi être un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes ni justifier de mesures les pénalisant dans l'exercice de leur activité (art. L. 7342-5).

De même, et bien qu'il s'agisse d'une liberté fondamentale, le législateur a souhaité affirmer le droit pour ces travailleurs de constituer une organisation syndicale (art. L. 7342-6).

• La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) a complété les dispositions introduites par la loi du 8 août 2016 en prévoyant la prise en charge par la plateforme des frais d'accompagnement ainsi que d'une indemnité pour l'ensemble des actions concourant au développement des compétences et l'abondement du compte personnel de formation (CPF) des travailleurs par les plateformes sur lesquelles ils réalisent un chiffre d'affaires supérieur à un seuil fixé par décret.

Elle a en outre défini un droit d'accès des travailleurs aux données personnelles relatives à leur activité sur les plateformes (art. L. 7342-6-1 du Code du travail).

Cette loi a par ailleurs introduit des dispositions spécifiques aux secteurs des voitures de transport avec chauffeur (VTC) et de la livraison de marchandises et notamment la possibilité pour les plateformes d'établir une charte déterminant les conditions et modalités d'exercice de leur responsabilité sociale 33 ( * ) (art. L. 7342-8). Une telle charte a vocation à préciser, dans le respect des dispositions législatives, les droits et obligations des travailleurs indépendants en relation avec chaque plateforme. Il est précisé que l'existence d'une telle charte, si elle est homologuée par l'autorité administrative, ne peut caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs et, par conséquent, l'existence d'un contrat de travail. En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition prévoyant que le respect des engagements pris par les plateformes dans ce cadre ne pourraient, de même, caractériser l'existence d'un lien de subordination , considérant que le législateur a ainsi permis aux opérateurs de fixer des règles qui relèvent de la loi et a, par conséquent, méconnu l'étendue de sa compétence 34 ( * ) .

La censure partielle de la loi d'orientation des mobilités

L' article 44 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) introduit la possibilité pour certains opérateurs de plateformes de mise en relation par voie électronique des secteurs des VTC et de la livraison d'établir une charte précisant les conditions et les modalités d'exercice de sa responsabilité sociale.

Cet article précisait que, lorsqu'elle est homologuée par l'autorité administrative, le fait qu'une plateforme ait établi une telle charte et qu'elle respecte les engagements qu'elle contient ne peut caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique entre la plateforme et un travailleur indépendant.

Dans sa décision du 20 décembre 2019, le Conseil constitutionnel a relevé qu'une partie des éléments susceptibles de figurer dans la charte font aujourd'hui partie du faisceau d'indices utilisé par le juge pour apprécier l'existence d'une relation de subordination et requalifier une prestation de service en contrat de travail. Ainsi, une plateforme aurait été en mesure de restreindre unilatéralement le pouvoir d'appréciation du juge , faculté qui ne saurait revenir qu'au législateur.

Le Conseil constitutionnel a donc censuré les dispositions qui faisaient obstacle à ce que le juge s'appuie sur le respect par une plateforme des engagements pris dans le cadre d'une charte pour apprécier l'existence d'une relation de subordination juridique. Le juge ne pourra en revanche pas se baser sur la simple existence formelle d'une charte pour établir un tel lien de subordination.

La loi garantit de nouveaux droits pour les travailleurs de ces secteurs :

- le droit de se voir communiquer par la plateforme, avant chaque prestation, la distance couverte et le prix garanti, ainsi que celui de refuser une proposition de prestation (art. L. 1326-2 du code des transports) ;

- le libre choix des plages horaires d'activité et périodes d'inactivité (art. L. 1326-4).

Elle oblige également les plateformes à publier des indicateurs liés à l'activité et aux revenus des travailleurs (art. L. 1326-3).

Enfin, la LOM a habilité le Gouvernement à déterminer par ordonnance les modalités de représentation des travailleurs indépendants ayant recours à des plateformes.

II. La proposition de loi vise à conférer aux travailleurs des plateformes les protections du salariat

La proposition de loi remplace l'ensemble des dispositions introduites dans le code du travail par la loi « El Khomri » et la LOM sur la responsabilité sociale des plateformes par un article créant une obligation pour tout travailleur ayant recours à des plateformes de mise en relation sans en être salarié d'adhérer, en tant qu'entrepreneur salarié ou associé, à une coopérative d'activité et d'emploi (CAE).

Le premier membre de l'alternative, à savoir le salariat, mettrait fin à la situation actuelle dans laquelle les plateformes s'abritent derrière une indépendance purement formelle pour ne pas assumer les obligations d'un employeur.

L'adhésion à une coopérative constitue une alternative permettant d'assurer une protection sociale complète aux travailleurs désireux de conserver une autonomie professionnelle.

Le statut social de l'entrepreneur salarié ou de l'entrepreneur salarié associé d'une CAE est en effet légalement assimilé à celui des salariés. Le Code du travail lui est largement applicable 35 ( * ) .

Par ailleurs, les entrepreneurs salariés des CAE sont assimilés à des salariés pour l'affiliation au régime général de la sécurité sociale 36 ( * ) .

L'entrepreneur salarié reçoit de la coopérative une rémunération composée d'une part fixe versée mensuellement et d'une part variable calculée en fonction du chiffre d'affaires de son activité, après déduction des charges et de sa contribution.

Le dispositif mis en place par la proposition de loi fait donc intervenir deux intermédiaires :

- d'une part, la plateforme numérique qui fournit l'application par laquelle le travailleur entre en relation avec ses clients ;

- d'autre part, la CAE qui offre aux travailleurs un accompagnement, un support juridique et comptable et le statut d'entrepreneur salarié ; c'est ainsi la coopérative qui conclut un contrat commercial avec la plateforme, laquelle lui reverse le chiffre d'affaires réalisé par le travailleur diminué d'une commission.

Le travail sur plateforme intermédié par les coopératives

S ource : Commission des affaires sociales

III. La position de la commission

La rapporteure partage la position des auteurs de la proposition de loi, qu'elle a cosignée, sur les risques que fait courir à notre droit social le développement de l'économie des plateformes.

En effet, elle considère que le développement des plateformes numériques de mise en relation de travailleurs indépendants avec des clients constitue trop souvent une voie de contournement des protections issues de décennies d'acquis sociaux.

Bien que le nombre de travailleurs concernés demeure à ce jour faible, on constate un développement rapide de ces formes de travail et une dynamique de détérioration des droits des travailleurs dans de nombreux secteurs d'activités.

Face à cette situation, la rapporteure considère que les solutions législatives apportées jusqu'ici ne sont pas satisfaisantes en ce qu'elles ne confèrent que par petites touches des droits aux travailleurs des plateformes et ne font que sécuriser le modèle délétère promu par ces sociétés.

Il convient au contraire, selon votre rapporteure, que le législateur assume d'imposer aux plateformes le respect du modèle social français et des protections conférées aux travailleurs salariés par des décennies de progrès social.

Parallèlement, le développement de l'économie coopérative apparaît à votre rapporteure comme une voie d'amélioration du système actuel , permettant de concilier le modèle économique des plateformes, le souhait d'autonomie des travailleurs et une protection sociale adéquate.

Au terme d'un débat au cours duquel elle a notamment estimé que les problématiques soulevées par le développement de l'économie des plateformes ne semblent pas pouvoir trouver une réponse unique, en raison de la diversité des acteurs et de leurs situations aussi bien que des enjeux en matière d'emploi, la commission a rejeté, contre l'avis de la rapporteure, l'article unique de la proposition de loi.

La commission n'a pas adopté la proposition de loi.


* 31 Loi n° 2015-1785 du 2 décembre 2015 de finances pour 2016.

* 32 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 33 Un dispositif similaire figurait dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel tel qu'il avait été adopté en lecture définitive par l'Assemblée nationale le 1 er août 2018 mais a été censuré par le Conseil constitutionnel qui a considéré qu'il s'agissait d'un cavalier législatif (décision n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018).

* 34 Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019.

* 35 Art. L. 7331-1 du Code du travail.

* 36 Art. L. 311-3 du Code de la sécurité sociale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page