N° 725

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, complétant l' article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l' environnement ,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

Première lecture : 3787 , 3894 , 3902 et T.A. 577

Deuxième lecture : 4149 , 4261 et T.A. 634

Sénat :

Première lecture : 449 , 549 , 554 et T.A. 105 (2020-2021)

Deuxième lecture : 703 (2020-2021)

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Réunie le 30 juin 2021 sous la présidence de Catherine Di Folco (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné le rapport de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), président de la commission, sur le projet de loi constitutionnelle n° 703 (2020-2021) complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement , adopté par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, le 22 mars 2021.

La commission des lois a constaté avec regret que les conditions d'un accord entre les deux assemblées sur ce projet de révision constitutionnelle étaient encore très loin d'être réunies .

Pour mémoire, le texte déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale, simple décalque de l'une des cent quarante-neuf propositions de la Convention citoyenne pour le climat, prévoyait d'insérer à l'article 1 er de notre Constitution une phrase selon laquelle « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Il avait été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, sans modification.

Saisie de ce texte en première lecture, la commission des lois du Sénat avait relevé que la rédaction proposée avait une portée juridique beaucoup trop incertaine pour pouvoir être adoptée en l'état . Comme le soulignait le rapporteur, et contrairement aux allégations du Gouvernement, les pouvoirs publics sont d'ores et déjà soumis à de fortes obligations de valeur constitutionnelle ayant pour objet la protection de l'environnement, obligations qui découlent de la Charte de l'environnement de 2004. En revanche, compte tenu notamment de l'emploi du verbe « garantir » et du défaut d'articulation avec la Charte, il avait paru impossible à la commission de déterminer avec un tant soit peu de précision les effets des dispositions envisagées, d'une part, sur l'engagement de la responsabilité des personnes publiques, d'autre part, sur la validité des actes des pouvoirs publics.

Par l'adoption de trois amendements identiques présentés, respectivement, par la commission des lois, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (saisie pour avis) et Bruno Retailleau, Hervé Marseille ainsi que plusieurs de leurs collègues, le Sénat avait donc substitué aux dispositions proposées une phrase selon laquelle « Elle [La France] préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 » . Cette rédaction supprimait la référence à la notion de « garantie » et levait, grâce à un renvoi exprès, tout problème d'articulation entre l'article 1 er de la Constitution, modifié, et la Charte de l'environnement. La substitution du verbe « agir » au verbe « lutter », déjà suggérée par le Conseil d'État, visait seulement, quant à elle, à éviter un effet rhétorique dénué de toute portée juridique.

Comme l'expliquait le rapporteur, la rédaction adoptée par le Sénat, « sans produire d'effets juridiques nouveaux », aurait eu « le double mérite, sur le plan symbolique, de réaffirmer l'attachement du peuple français à la préservation de l'environnement et d'y inclure expressément la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte de l'environnement ne mentionne pas 1 ( * ) . »

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale, sous couleur de rechercher un terrain de compromis avec le Sénat, a presque intégralement rétabli le texte initial, en acceptant seulement le remplacement du verbe « lutter » par le verbe « agir », point tout à fait accessoire . Le texte adopté par les députés, aux termes duquel « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique », ne lève aucune des zones d'ombre du projet initial, et ses effets juridiques restent tout aussi indéterminés.

Les députés n'ont pas cherché à répondre aux arguments juridiques patiemment exposés par la commission des lois du Sénat pour justifier sa position. Bien au contraire, les débats lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale n'ont fait qu'entretenir le flou sur les effets que le Gouvernement et sa majorité attendent de ce projet de révision . Pour ne citer que quelques exemples :

- le Gouvernement, après avoir répété à qui voulait l'entendre que son texte visait à instituer « un véritable principe d'action des pouvoirs publics 2 ( * ) » en faveur de la protection de l'environnement, reconnaît désormais que « la Charte de l'environnement s'applique aux autorités publiques, ce qui est déjà le cas depuis seize ans 3 ( * ) » ;

- alors qu'il prétendait auparavant que le projet de révision visait à assigner aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière de protection de l'environnement, il ne parle plus désormais que d'une « obligation de moyens renforcée », expression qui n'est nullement synonyme ;

- pour donner corps à cette notion d' « obligation de moyens renforcée 4 ( * ) », et par analogie avec le sens que revêt cette expression en droit civil, le Gouvernement déclare que son objectif est d'inverser la charge de la preuve et d'obliger ainsi les pouvoirs publics, si leur responsabilité est recherchée en justice, à établir eux-mêmes la démonstration qu'ils ont accompli toutes les diligences raisonnables pour assurer la préservation de l'environnement. Il faut beaucoup d'imagination pour faire produire au verbe « garantir », à lui seul, de tels effets sur le régime de la preuve dans le procès administratif... ;

- pendant ce temps, le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale prétend toujours que le texte aurait pour effet d' « ériger la protection de l'environnement en principe constitutionnel 5 ( * ) », ce qui est tout simplement faux, puisqu'il s'agit déjà d'un principe à valeur constitutionnelle. Il a également déclaré que le texte adopté par les députés pourrait constituer « le support d'actions en carence contre le législateur 6 ( * ) », ce qui, pour le coup, constituerait une nouveauté, puisque, dans notre État de droit et conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, aucune juridiction n'a le pouvoir d'adresser des injonctions au législateur ni de condamner l'État à réparer les dommages causés par d'éventuelles carences du législateur. Il est bien évident que la disposition proposée ne suffirait pas, à elle seule, à opérer un tel bouleversement.

La prétendue concession faite au Sénat en deuxième lecture serait l'expression, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, de « l'esprit de dépassement et de rassemblement » qui « anime » le parti majoritaire 7 ( * ) .

Non moins soucieuse de « dépassement » et de « rassemblement », et surtout impatiente que ce débat constitutionnel, jusqu'ici assez vain, s'achève afin que le Parlement soit enfin saisi de dispositions plus substantielles pour assurer la préservation de l'environnement, de la diversité biologique et des équilibres climatiques, la commission des lois du Sénat, sur proposition de son rapporteur, a adopté un amendement dont la rédaction est légèrement différente de celle adoptée par le Sénat en première lecture et plus proche de celle des députés, sans présenter les mêmes inconvénients juridiques que cette dernière .

Aux termes de cet amendement, « Elle [La France] agit pour la préservation l'environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 » .

La commission a adopté un amendement de son rapporteur, qui sera présenté lors de l'examen du texte en séance publique, le 5 juillet 2021, conformément au deuxième alinéa de l'article 42 de la Constitution.


* 1 Rapport n° 554 (2020-2021) fait, au nom de la commission des lois, par François-Noël Buffet, p. 44. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l20-554/l20-5541.pdf .

* 2 Compte rendu de l'audition d'Éric Dupont-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, par la commission des lois de l'Assemblée nationale, 15 février 2021.

* 3 Compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale du lundi 21 juin 2021.

* 4 Ibid .

* 5 Ibid .

* 6 Compte rendu de la réunion de la commission des lois de l'Assemblée nationale du mardi 15 juin 2021.

* 7 Compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale du lundi 21 juin 2021.

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