N° 586

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) portant avis sur la recevabilité d'une demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête à la commission des finances, sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 10 mai 2023, la commission des lois a examiné, sur le rapport de M. François-Noël Buffet, la recevabilité de la demande de la commission des finances tendant à se voir conférer par le Sénat les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, pour une durée de trois mois, afin de conduire une mission d'information sur le Fonds Marianne.

Lors de sa réunion du 3 mai 2023, la commission des finances a créé en son sein une mission d'information portant sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Compte tenu de cet objet, et de la nécessité de pouvoir disposer d'un accès le plus large aux documents et aux témoignages de nature à éclairer ses travaux, elle a sollicité, auprès du Président du Sénat, l'octroi des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête, pour une durée de trois mois, comme l'autorise l'article 5 ter du l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

En vertu de l'article 22 ter du Règlement du Sénat, la commission des lois est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette demande avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée relatif aux commissions d'enquête.

D'une part, constatant que l'objet de la mission d'information pour laquelle sont demandées les prérogatives de commission d'enquête portait sur la gestion d'un service public - à savoir les conditions d'attribution et de contrôle de subventions publiques à des structures engagées dans la lutte contre les discours séparatistes et complotistes ou dans la défense des valeurs républicaines -, et, d'autre part, après avoir pris connaissance de la réponse apportée par le garde des sceaux concernant le périmètre de l'information judiciaire ouverte par le parquet national financier sur des faits en lien avec la gestion de ce fonds, le rapporteur a considéré que la demande entrait bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, sous réserve que les pouvoirs d'investigation mis en oeuvre sur ce fondement ne portent pas sur les faits faisant l'objet des poursuites pénales engagées par le parquet national financier, et respectait les autres conditions de recevabilité concernant les commissions d'enquête.

En conséquence, la commission des lois a constaté que la demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête était, sous cette réserve, recevable.

I. L'ATTRIBUTION DES PRÉROGATIVES DE COMMISSION D'ENQUÊTE À UNE COMMISSION PERMANENTE OU SPÉCIALE

Résultant de la loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement1(*), l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires permet aux commissions permanentes ou spéciales de demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et pour une durée ne pouvant pas excéder six mois, de leur conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête par l'article 6 de cette même ordonnance, sous les mêmes limites et conditions.

La loi n° 2011-140 du 3 février 2011 tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques a ajouté que les prérogatives de commission d'enquête pouvaient également être attribuées aux « instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente », formulation visant d'abord le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale2(*).

Article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958
relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

« I. - Les commissions permanentes ou spéciales et les instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente peuvent demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de leur conférer, dans les conditions et limites prévues par cet article, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête par l'article 6 ci-dessous.

« II. - Lorsque les instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente disposent, dans les conditions définies au I, des prérogatives mentionnées à l'article 6, les rapporteurs qu'elles désignent exercent leur mission conjointement. »

Introduit par la résolution modifiant le Règlement du Sénat adoptée le 3 octobre 1996, l'article 22 ter du Règlement précise qu'une commission peut demander au Sénat l'octroi des prérogatives de commission d'enquête, cette demande devant comporter « l'objet et la durée de la mission, qui ne peut excéder six mois ». La demande doit être transmise au Président du Sénat, qui la porte à la connaissance du Sénat lors de sa plus prochaine séance. Elle est ensuite examinée par la Conférence des présidents, qui peut proposer de l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat. Un vote exprès du Sénat en séance publique est donc en principe requis.

Par exception, depuis la résolution modifiant le Règlement du Sénat adoptée le 1er juillet 2021, le Président du Sénat peut décider, en application de l'alinéa 2 bis introduit à l'article 22 ter, en dehors des jours où le Sénat tient séance, de remplacer l'annonce en séance de cette demande par un affichage et une notification au Gouvernement et aux présidents de groupes et de commissions. L'attribution de prérogatives de commission d'enquête est ensuite considérée comme adoptée sauf opposition du président d'une commission permanente ou d'un groupe3(*).

Par analogie avec le contrôle de la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, tel qu'il est prévu par l'article 8 ter du Règlement, l'article 22 ter ajoute que la demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête doit faire l'objet, lorsqu'elle émane d'une commission autre que la commission des lois, d'un contrôle par cette dernière de sa conformité aux règles relatives à la création des commissions d'enquête prévues par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée. Lorsque le Président du Sénat remplace l'annonce en séance de la demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête par une simple information, l'avis de la commission est donné par son président après consultation de ses membres.

Article 22 ter du Règlement du Sénat

« 1. - Une commission permanente ou spéciale peut, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, demander au Sénat de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête ; la demande précise l'objet et la durée de la mission, qui ne peut excéder six mois.

« 2. - Cette demande est transmise au Président du Sénat qui en donne connaissance au Sénat lors de la plus prochaine séance publique. Sur la proposition de la Conférence des Présidents, la demande est inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

« 2 bis. - Le Président du Sénat peut décider, en dehors des jours où le Sénat tient séance, de remplacer l'annonce en séance de cette demande par un affichage et une notification au Gouvernement et aux présidents de groupes et de commissions. La demande est considérée comme adoptée si, dans un délai expirant à minuit le lendemain de cette publication, il n'a été saisi d'aucune opposition par le président d'une commission permanente ou le président d'un groupe. Le Président en informe le Sénat lors de la plus prochaine séance.

« 3. - Lorsque la demande n'émane pas d'elle, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre son avis sur la conformité de cette demande avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée. Dans le cas prévu à l'alinéa 2 bis du présent article, cet avis est donné par le président de cette commission après consultation de ses membres. »

Appelé à se prononcer sur ces nouveaux pouvoirs de contrôle, le Conseil constitutionnel a formulé deux réserves d'interprétation dans sa décision n° 96-381 DC du 14 octobre 1996, après avoir relevé qu'une telle modification ne conférait « aux commissions permanentes et spéciales qu'un simple rôle d'information pour permettre au Sénat d'exercer, pendant les sessions ordinaires et extraordinaires, son contrôle sur la politique du Gouvernement, dans les conditions prévues par la Constitution ».

D'une part, il a considéré que l'attribution des prérogatives d'enquête à des commissions spéciales pour une durée maximale de six mois « ne saurait être entendue comme leur permettant de poursuivre leurs travaux au-delà de la date de la décision définitive du Parlement sur le texte qui a provoqué leur création ou de la date de retrait de ce dernier ». Cette réserve ne trouve à s'appliquer que dans le cas où les prérogatives d'enquête sont demandées, à des fins de contrôle, par une commission spéciale, alors qu'une telle commission ne peut être créée que pour l'examen particulier d'un projet ou d'une proposition de loi.

D'autre part, le Conseil a rappelé que « l'ensemble des dispositions prévues par [l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée] s'impose aux travaux d'une commission permanente ou spéciale effectués dans le cadre d'une mission pour laquelle lui ont été conférées les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête ». Outre qu'elle a confirmé la nécessité d'appliquer toutes les règles relatives aux commissions d'enquête aux travaux de la commission concernée, par exemple en matière de publicité, cette réserve a précisé le cadre dans lequel votre commission doit procéder à son contrôle de recevabilité : le contrôle du respect des prescriptions de cette ordonnance est identique pour une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête et pour une demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête formulée par une commission permanente ou spéciale.

Depuis 1996, le Sénat a décidé à douze reprises d'attribuer les prérogatives de commission d'enquête à une commission, et à chaque fois à une commission permanente :

- le 29 octobre 1997, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur le suivi, par les ministères intéressés, du processus européen de coopération policière4(*) ;

- le 29 mars 2000, pour six mois, afin de permettre à la commission des finances de recueillir des informations sur la façon dont fonctionnaient les services de l'État, en particulier ceux du ministère de l'économie et des finances, dans l'élaboration des projets de loi de finances et dans l'exécution des lois de finances ;

- le 10 décembre 2015, pour six mois, pour le suivi de l'état d'urgence par la commission des lois ;

- le 13 juillet 2016, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur le redressement de la justice ;

- le 28 septembre 2016, pour six mois, pour le suivi par la commission des lois de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste ;

- le 19 janvier 2017, pour six mois, pour le suivi par la commission des lois de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;

- le 20 juillet 2017, pour quatre mois, pour le suivi par la commission des lois de la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence ;

- le 23 juillet 2018, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ;

- le 3 octobre 2018, pour six mois, pour une mission d'information de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la sécurité des ponts ;

- le 24 juin 2021, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des lois sur les dysfonctionnements constatés dans l'organisation des élections départementales et régionales de juin 2021 ;

- le 20 janvier 2022, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des affaires sociales sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 ;

- enfin, le 17 février 2022, pour six mois, pour une mission d'information de la commission des affaires sociales sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a prévu une procédure moins solennelle d'attribution des prérogatives de commission d'enquête5(*). La demande exprimée par la commission est affichée et notifiée au Gouvernement et aux présidents de groupes et de commissions, puis elle est considérée comme adoptée si aucune opposition n'a été formulée avant la deuxième séance qui suit cet affichage. Un débat en séance n'a lieu sur cette demande qu'en cas d'opposition. L'Assemblée nationale a recouru à cette faculté pour la première fois en 2015, en octroyant le 4 décembre 2015 les prérogatives de commission d'enquête à sa commission des lois pour le suivi de l'état d'urgence. Elle y a recouru le 20 juillet 2018, afin de permettre à sa commission des lois de « faire la lumière sur les événements survenus à l'occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 ».

II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE D'OCTROI DES PRÉROGATIVES DE COMMISSION D'ENQUÊTE

A. LES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ

Le contrôle de recevabilité auquel doit procéder la commission des lois porte, comme pour une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, sur le respect des premier à cinquième alinéas du I de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Ces dispositions prévoient notamment que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales », qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » et que les commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ». Par ailleurs, selon ces mêmes dispositions, la mission des commissions d'enquête prend fin avec la remise de leur rapport et, « au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées ».

Ainsi, la demande d'octroi des prérogatives de commission d'enquête doit viser à recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. De telles prérogatives ne peuvent être accordées concernant des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires. De plus, elles ne peuvent être accordées moins de douze mois après l'achèvement d'une mission sur le même objet pour laquelle elles ont déjà été accordées et, par cohérence, après l'achèvement des travaux d'une commission d'enquête constituée sur le même objet. Ces prérogatives cessent avec la remise du rapport par la commission qui en bénéficie et, au plus tard, six mois après leur octroi par le Sénat.

L'article 22 ter du Règlement du Sénat ajoute que la demande formulée par la commission « précise l'objet et la durée de la mission, qui ne peut excéder six mois ».

En revanche, l'article 8 ter du Règlement, lequel traite du seul régime des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, ne trouve pas à s'appliquer dans le cadre du présent contrôle de recevabilité.

B. LA SAISINE DU GARDE DES SCEAUX LORSQUE LA DEMANDE PORTE SUR DES FAITS DÉTERMINÉS

Pour mémoire, la loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 tendant à modifier l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête et de contrôle parlementaires a regroupé, sous l'unique dénomination globale de commissions d'enquête, les commissions d'enquête et les anciennes commissions de contrôle, lesquelles avaient pour objet de contrôler le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public.

Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas remis en cause la dualité existant entre les commissions d'enquête stricto sensu et les commissions d'enquête chargées de contrôler la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, dualité qui entraîne une procédure différenciée de vérification de la recevabilité.

En effet, dans la première hypothèse, c'est-à-dire en cas d'enquête sur des faits déterminés, la pratique traditionnellement suivie pour les anciennes commissions d'enquête continue d'être observée par la commission des lois : le président de la commission demande au Président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause.

Dans la seconde hypothèse, comme pour les anciennes commissions de contrôle, cette procédure de consultation du garde des sceaux ne s'impose pas en raison de l'objet même de la commission, qui est d'enquêter non sur des faits déterminés, mais sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

Par conséquent, lorsque la commission des lois est uniquement chargée d'examiner la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête comme d'une demande tendant à l'attribution des prérogatives de commission d'enquête à une commission, sa tâche consiste à déterminer si cette création ou cette demande entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et si la consultation du garde des sceaux s'impose ou non.

En outre, il convient de s'assurer que, conformément au dernier alinéa du I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, la demande n'a pas pour effet d'attribuer des prérogatives de commission d'enquête à une commission ou de reconstituer une commission d'enquête sur le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE DE PRÉROGATIVES DE COMMISSION D'ENQUÊTE

La demande des prérogatives de commission d'enquête formulée par la commission des finances concerne une mission d'information portant sur la gestion d'un fonds appelé « Fonds Marianne ». Elle souhaite plus précisément enquêter pendant une durée de trois mois sur les conditions dans lesquelles ce fonds a été créé, les projets sélectionnés, les subventions attribuées et contrôlées, et sur les résultats obtenus au regard des objectifs assignés à ce fonds.

En premier lieu, cette demande détermine avec précision l'objet et la durée de la mission, laquelle n'excède pas six mois.

En deuxième lieu, elle n'a pas pour effet d'octroyer des prérogatives d'enquête sur un objet pour lequel elles ont déjà été octroyées pour des travaux achevés par une commission depuis moins de douze mois ou sur lequel une commission d'enquête a achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

En dernier lieu, la commission a étudié le champ d'investigation retenu par la commission pour sa mission d'information, afin de vérifier s'il conduit à enquêter sur des faits déterminés ou bien sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

Aux termes des informations publiées par le Gouvernement, le « Fonds Marianne » est un appel à projet national doté d'une enveloppe de 2,5 millions d'euros lancé en avril 2021 par le Gouvernement pour promouvoir les valeurs républicaines et combattre les discours séparatistes. Il a conduit, en juin 2021, à la sélection de 17 projets par un comité de sélection, pour un montant global de 2 017 600 euros (financés via le fonds interministériel de prévention de la délinquance).

Telle qu'elle est formulée, la demande de la commission des finances tend donc à enquêter sur la gestion d'un service public - à savoir les conditions d'attribution et de contrôle de subventions publiques à des structures engagées dans la lutte contre les discours séparatistes et complotistes ou dans la défense des valeurs républicaines.

L'information, publiée dans la presse le 4 mai 2022, de l'ouverture par le parquet national financier d'une information judiciaire pour des faits de détournement de fonds publics, de détournement de fonds publics par négligence, d'abus de confiance et de prise illégale d'intérêts concernant l'attribution de subventions par ce fonds a néanmoins conduit le rapporteur, en sa qualité de président de la commission des lois, à solliciter le Président du Sénat afin celui-ci interroge le garde des sceaux sur la nature et le périmètre exact des poursuites engagées par le parquet national financier concernant le Fonds Marianne.

Par un courrier du 9 mai 2023, celui-ci s'est borné à confirmer l'ouverture de cette information judiciaire, sans préciser la nature et le périmètre exact de ces poursuites.

En l'absence de précisions sur les faits sur lesquels des poursuites étaient engagées, qui auraient pu conduire à restreindre l'usage des pouvoirs d'investigation à leur égard, la commission a estimé que la demande d'attribution des prérogatives de commission d'enquête formulée par la commission des finances était recevable.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 10 MAI 2023

_____

La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur sur la recevabilité de la demande d'attribution d'une commission d'enquête à la commission des finances pour mener une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La commission des finances a demandé la semaine dernière à se voir attribuer les prérogatives d'une commission d'enquête pour mener une mission d'information portant sur le fonds Marianne, pour une durée de trois mois.

Conformément à l'article 22 ter du Règlement du Sénat, il nous appartient de nous prononcer au préalable sur la recevabilité de cette demande au regard des conditions fixées par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Vous le savez, une commission d'enquête peut avoir pour objet soit des faits déterminés, soit la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale. Lorsqu'elle porte sur des faits déterminés, ceux-ci ne doivent pas faire concomitamment l'objet de poursuites judiciaires. Pour s'en assurer, le Président du Sénat interroge le garde des sceaux. En revanche, lorsque les investigations portent sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, notre commission considère de façon constante qu'il n'y a pas lieu, par définition, d'interroger le garde des sceaux quant à l'existence d'éventuelles poursuites. Je précise à ce sujet que nous apprécions cette notion de « poursuites judiciaires » de façon large, comme englobant également l'existence d'une information judiciaire en cours, mais pas d'une simple enquête préliminaire, en revanche.

En l'espèce, la commission des finances souhaite enquêter sur la création du fonds Marianne, sur la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs assignés à ce fonds.

Pour mémoire, le fonds Marianne est un appel à projets national doté d'une enveloppe de 2,5 millions d'euros, qui a été lancé en avril 2021 par le Gouvernement pour promouvoir les valeurs républicaines et combattre les discours séparatistes, en réaction à l'assassinat du professeur Samuel Paty. Il a conduit, en juin 2021, à la sélection de 17 projets par un comité de sélection, pour un montant global d'un peu plus de 2 millions d'euros, financés par le fonds interministériel de prévention de la délinquance.

Telle qu'elle est formulée, la demande de la commission des finances porte sur la gestion d'un service public - à savoir les conditions d'attribution et de contrôle de subventions publiques à des structures engagées dans la lutte contre les discours séparatistes et complotistes ou dans la défense des valeurs républicaines -, ce qui ne rend pas, en principe, nécessaire une saisine du garde des sceaux, si l'on suit la « jurisprudence » traditionnelle de notre commission que je viens de rappeler.

Toutefois, l'information, publiée dans la presse le 4 mai dernier, de l'ouverture par le parquet national financier (PNF) d'une information judiciaire pour des faits de détournement de fonds publics, de détournement de fonds publics par négligence, d'abus de confiance et de prise illégale d'intérêts concernant l'attribution de subventions par ce fonds m'a convaincu de faire preuve d'une certaine prudence, compte tenu en l'espèce de la relative modestie de ce fonds et du nombre limité de projets sélectionnés.

C'est pour cette raison qu'il m'a paru préférable de demander au Président du Sénat de saisir le garde des sceaux, afin d'en savoir plus sur la nature et le périmètre exact de cette information judiciaire et d'éclairer par contraste le champ des investigations que nos collègues de la commission des finances pourraient mener sans empiéter sur des faits dont l'autorité judiciaire est saisie. Compte tenu de la frontière relativement ténue qui sépare ce qui relève, en l'espèce, du contrôle de la gestion d'un service public stricto sensu et de l'enquête sur des faits déterminés, il m'a paru en effet utile que nos collègues de la commission des finances disposent de cette information pour ne pas risquer de se retrouver en difficulté dans le cadre de leurs travaux.

Toutefois, dans la réponse qu'il a adressée hier au président du Sénat, le garde des sceaux s'est borné à confirmer l'existence d'une information judiciaire, sans préciser ni la nature ni le périmètre des poursuites engagées, c'est-à-dire les faits sur lesquels porte cette procédure. J'en prends donc acte et en déduis que rien ne s'oppose à, ce stade, aux investigations que la commission des finances entend mener sur la création de ce fonds, les projets sélectionnés, les subventions attribuées et contrôlées, et sur les résultats obtenus au regard des objectifs assignés à ce fonds.

Je relève par ailleurs que les autres conditions de recevabilité de la demande sont bien réunies : d'une part, la demande détermine avec précision l'objet et la durée de la mission, laquelle n'excède pas six mois ; d'autre part, elle n'a pas pour effet d'octroyer des prérogatives d'enquête sur un objet pour lequel elles ont déjà été octroyées pour des travaux achevés par une commission depuis moins de douze mois ou sur lequel une commission d'enquête a achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

Pour conclure, je vous invite donc à constater la recevabilité de la demande de la commission des finances.

M. Alain Richard. - J'adhère à votre raisonnement, mais je m'interroge quant au « contrôle » de l'usage des subventions figurant dans l'intitulé de la mission d'information. En effet, s'il y a poursuite judiciaire pour détournement, les services qui se sont chargés du contrôle de l'utilisation des subventions sont susceptibles d'entrer dans le champ de l'enquête pénale. Il est donc à craindre que les travaux de la commission des finances n'interfèrent avec l'investigation pénale en cours.

M. Philippe Bas. - Votre rapport est très circonstancié, chaque mot ayant été pesé au trébuchet. J'entends les propos de notre collègue Alain Richard, mais il peut y avoir des contrôles de nature différente : un contrôle du juge pénal, un contrôle fondé sur des dispositions constitutionnelles du Parlement. Lorsque nous procédons à de tels contrôles, nous n'avons pas à caractériser les faits que nous examinons sur le plan pénal. Nous pouvons en revanche considérer que les dépenses qui ont été faites ne sont pas pertinentes pour telle ou telle raison au regard des objectifs que s'est assignés le service public. Il me semble au contraire qu'il faut maintenir dans le champ des investigations parlementaires la notion de contrôle de la pertinence des dépenses engagées par le fonds Marianne.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La difficulté tient au fait que la lettre du garde des sceaux est généraliste. Elle ne nous dit rien du champ de l'instruction judiciaire qui vient d'être ouverte. D'où l'avis favorable que je vous ai communiqué. En revanche, nous devrons attirer l'attention de nos collègues de la commission des finances sur le fait qu'ils devront s'assurer que les personnes auditionnées n'auront pas été mises en cause dans le cadre de l'information judiciaire et qu'ils devront conduire leurs auditions avec prudence.

La commission constate la recevabilité de la demande d'attribution des prérogatives d'une commission d'enquête à la commission des finances pour mener une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.


* 1 Loi n° 96-517 du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, dans son intitulé complet.

* 2 Articles 146-2 à 146-7 du Règlement de l'Assemblée nationale.

* 3 Dans sa décision n° 2021-820 DC du 1er juillet 2021, le Conseil constitutionnel a jugé que « ces dispositions, qui réservent ainsi la possibilité aux présidents de groupes et de commissions de s'opposer à cette demande pendant une durée d'au moins vingt-quatre heures à compter du moment où elle a été portée à leur connaissance, [n'étaient] pas contraires à la Constitution ».

* 4 L'utilisation des prérogatives de commission d'enquête n'a pas été nécessaire in fine pour la conduite des travaux de cette mission d'information.

* 5 Articles 145-1 à 145-6 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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