N° 388

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels,

Par Mme Françoise GATEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende,

MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1602, 1912 et T.A. 203

Sénat :

160 et 389 (2023-2024)

 

L'ESSENTIEL

Souvent envisagée, toujours repoussée, l'inscription dans le code civil du régime de la responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage à laquelle entend procéder la présente proposition de loi, déposée par la députée Nicole Le Peih, est indubitablement bienvenue.

Relevant qu'une telle proposition avait déjà été formulée, à plusieurs reprises, y compris par des initiatives d'origine sénatoriale, la commission a admis la codification du principe d'une responsabilité de plein droit de l'auteur de troubles anormaux de voisinage pour le dommage qui en résulte, vectrice de plus grandes intelligibilité et clarté du droit.

Elle a en revanche souhaité, sur proposition de la rapporteure, aménager la rédaction de l'article unique de la proposition de loi, à deux égards. En premier lieu, elle s'est attachée à apporter de nécessaires précisions à la rédaction de la cause exonératoire également codifiée, dans un double objectif. D'une part, la commission a entendu garantir une application aux activités agricoles de cette cause exonératoire proportionnée aux difficultés posées par le contexte normatif auquel sont soumis les exploitants agricoles. D'autre part, elle a souhaité sécuriser juridiquement la rédaction du dispositif, en particulier en précisant l'applicabilité de cette cause exonératoire aux seules activités économiques. Par ailleurs, la commission a entendu compléter la codification ainsi opérée en prévoyant les conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut intervenir dans le cas d'activités autorisées par l'autorité administrative.

I. UNE PROPOSITION DE LOI QUI CODIFIE UNE JURISPRUDENCE ÉTABLIE ET CONCRÉTISE UNE RÉFLEXION ANCIENNE

A. UN RÉGIME JURIDIQUE SOUPLE, FRUIT DE LA JURISPRUDENCE ET ENCADRÉ PAR LE LÉGISLATEUR

Le régime de responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage a été progressivement dégagé par la jurisprudence comme un régime autonome de responsabilité extracontractuelle sans faute. La jurisprudence en a apprécié la qualification par la satisfaction de trois critères distincts : l'existence d'un dommage ; l'anormalité du trouble ; la relation de voisinage entre le défendeur et le demandeur. Appréciés in concreto par le juge, ces critères ont conduit la jurisprudence à dégager un régime souple, à même de qualifier un trouble anormal de voisinage dans la multiplicité des situations dans lesquelles il peut survenir.

Constatant la souplesse du régime et les difficultés que son application à certains cas - notamment eu égard au nécessaire développement de l'activité économique, en particulier en matière agricole - était susceptible de poser, le législateur a souhaité encadrer celui-ci en prévoyant en particulier une cause exonératoire de responsabilité codifiant

la théorie dite « de la pré-occupation. » Désormais prévue à l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, cette disposition prévoit que les dommages causés aux occupants d'un bâtiment n'entraînent pas de droit à réparation dès lors que l'activité en cause était exercée antérieurement au titre ouvrant des droits réels au demandeur sur son fonds, conformément aux lois et règlements en vigueur et qu'elle s'est poursuivie « dans les mêmes conditions ».

B. UNE CODIFICATION PLUSIEURS FOIS ENVISAGÉE

Envisagée pour l'heure comme un régime de responsabilité autonome, la responsabilité extracontractuelle pour troubles anormaux de voisinage a vu son inscription au sein du code civil régulièrement évoquée par les divers projets de réforme de la responsabilité civile formulés sur les vingt dernières années, qu'ils soient d'origine gouvernementale ou parlementaire.

Certaines initiatives parlementaires se sont caractérisées par la volonté d'apporter une réponse aux difficultés rencontrées par des exploitants agricoles en la matière. Issues de différents groupes politiques, ces initiatives ont ainsi pour point commun de prévoir un régime d'exonération plus souple pour les activités agricoles, soit qu'elles modifient l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, soit qu'elles l'inscrivent dans un régime de responsabilité de portée générale inscrit dans le code civil.

C. UNE PROPOSITION DE LOI BIENVENUE, CONSOLIDÉE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La présente proposition de loi concrétise donc une réflexion entamée de longue date. Dans sa rédaction initiale, elle prévoyait la codification tant du principe d'une responsabilité extracontractuelle sans faute que celle de l'exception d'antériorité, applicable à toute activité,

« quelle qu'en soit la nature », dès lors qu'elle préexistait à l'installation du demandeur sur son fonds, qu'elle s'est poursuivie dans les mêmes conditions et qu'elle est conforme à la législation en vigueur - soit la reprise exacte des critères posés à l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation.

L'examen en séance publique à l'Assemblée nationale a permis, outre l'adoption d'amendements de portée rédactionnelle, de consolider la rédaction retenue, en particulier en prévoyant l'assouplissement formel du critère de poursuite dans les mêmes conditions de l'activité en cause, pour lui ajouter le critère alternatif d'une poursuite de cette activité « dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine de l'aggravation du trouble anormal ».

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