N° 392

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge,

Par M. Christian CAMBON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Sénat :

665 (2021-2022) et 393 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le présent projet de loi a pour objet, dans le contexte d'une relation bilatérale très constructive, l'approbation d'une Convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge.

Le texte proposé est conforme aux standards juridiques français et internationaux.

Il prévoit un certain nombre de motifs de refus obligatoires, qui constituent autant de « garde-fous » à d'éventuelles demandes abusives : ainsi, les demandes d'extradition seront systématiquement rejetées si elles concernent des infractions politiques, ou apparaissent motivées par l'origine ethnique, le sexe, la nationalité ou la religion de la personne réclamée.

Le fait de posséder la nationalité de la Partie requise constitue également un motif de refus. La Partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités, en application du principe aut dedere, aut judicare (« extrader ou poursuivre »).

Les infractions déjà jugées, ou prescrites, n'entrent pas dans le périmètre de la Convention, ainsi que celles relevant d'un tribunal d'exception.

Une clause dite « humanitaire » permet par ailleurs de rejeter une extradition susceptible de mettre en danger la personne réclamée en raison de son âge ou de son état de santé.

Enfin la Convention prévoit un certain nombre de stipulations visant à fluidifier les échanges entre les deux Parties, avec notamment une procédure accélérée lorsque la personne réclamée consent à être extradée.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.

I. APPROCHE CONTEXTUELLE

A. LE CAMBODGE À LA CROISÉE DES CHEMINS

Aux termes de la constitution adoptée en 1993 après la signature des Accords de Paris (1991), le Cambodge est une monarchie parlementaire au sein de laquelle, le Roi « règne et ne gouverne pas ». La vie politique est dominée par le Parti du Peuple Cambodgien (PPC) dirigé depuis 1985 par l'ancien Premier ministre HUN Sen, homme fort du pays resté au pouvoir durant 38 ans.

Pays de plus de 16 millions d'habitants, le Cambodge a connu, depuis plus de vingt ans, une croissance soutenue, portée notamment par les secteurs du tourisme, du textile et de la construction.

Son taux de pauvreté est passé de 33,8% en 2009 à 16,6% en 2022, mais cette évolution dissimule d'importantes inégalités.

Membre de l'ASEAN depuis 1999, de l'OMC depuis 2004 et de la Communauté économique ASEAN (AEC) depuis 2016, il a profité du dynamisme de la région, qui s'est traduit par un afflux d'investissements directs étrangers, essentiellement asiatiques (Chine, Japon, Corée) : de l'ordre de 41 Mds de dollars fin 2021, contre 1,58 Md fin 2000. Demeurant cependant vulnérable aux aléas internationaux, le pays est en quête d'une diversification de ses partenaires.

La politique étrangère cambodgienne est essentiellement centrée sur cette dynamique régionale, au sein de laquelle la Chine tient une place prépondérante : Cette dernière est ainsi le premier investisseur (44% du stock d'IDE), le premier partenaire commercial et un contributeur majeur à l'aide au développement du royaume. Les deux états entretiennent par ailleurs un dialogue politique régulier1(*).

Cependant, après deux décennies de guerre et une quinzaine d'années de reconstruction, le Cambodge est également très attaché à assurer son plein retour au sein de la communauté internationale. Il très présent sur le terrain des opérations de maintien de la paix de l'ONU (OMP) et est devenu, depuis la création du centre du NPMEC (National center for Peacekeeping Force Mine and ERW Clearance) en 2009, et avec le soutien de la coopération française, l'un des premiers contributeurs de l'ASEAN, avec plus de 8000 casques bleus sur les théâtres OMP.

Les dernières élections législatives (juillet 2023) ont été l'occasion d'une réorganisation et d'un rajeunissement importants de la classe politique, avec notamment la passation de la primature de HUN Sen à son fils HUN Manet.

Le gouvernement d'HUN Manet - qui comprend près d'un tiers de ministres francophones - traduit un indéniable renouvellement du personnel politique, même si celui-ci demeure très encadré par la famille HUN ; un changement de style est d'ores et déjà sensible, avec la multiplication d'annonces relatives à sa « stratégie pentagonale » visant à faire du Cambodge un pays à revenu intermédiaire d'ici 2030, et une économie avancée d'ici 2050, en privilégiant cinq axes de développement majeurs :

- le renforcement du capital humain ;

- la diversification de l'économie et l'amélioration de la compétitivité ;

- le développement du secteur privé et de ses possibilités d'emploi ;

- la promotion de la résilience, de la durabilité et du développement inclusif ;

- le renforcement de l'économie et de la société numériques.

Le défi pour HUN Manet et son gouvernement sera de parvenir à obtenir une marge de manoeuvre suffisante, mais aussi de faire preuve de la volonté politique indispensable, pour s'attaquer efficacement aux problèmes structurels du Cambodge.

B. UN PARTENARIAT PRIVILÉGIÉ, REPOSANT SUR DES LIENS TISSÉS DE LONGUE DATE

La relation franco-cambodgienne est héritée à la fois d'une histoire commune et du rôle central joué par la France dans le développement du pays, mais aussi dans la mise en place de ses institutions, depuis les accords de Paris de 1991.

La présence très active de la communauté cambodgienne en France, et la place importante de la francophonie au sein du Royaume, contribuent à nourrir ces liens. Le Cambodge recensait, en 2022, 463 000 francophones, soit 3% de sa population - ce qui en fait, avec le Laos, le pays d'Asie où la francophonie est le mieux représentée.

La communauté d'affaires française est la communauté européenne la plus nombreuse au Cambodge. La présence économique française repose à la fois sur les investissements de grands groupes (Vinci, Total, Accor, Bred, Bolloré, etc.) et sur de nombreuses PME créées par des Français.

Cependant, du fait notamment de la faible qualité des infrastructures et d'un niveau de corruption élevé, l'environnement des affaires demeure peu attractif.

Une coopération dynamique s'est construite dans les domaines de l'enseignement, tant scolaire qu'universitaire : La France s'attache à développer l'enseignement du français à travers des classes bilingues, des filières francophones dans l'enseignement supérieur, et la formation des enseignants ; à titre d'exemple, le lycée français René Descartes de Phnom Penh compte 1250 élèves dont 63% issus de familles khmerophones ; des écoles françaises sont également présentes à Siem Reap et à Battambang.

La France a également noué des partenariats avec les universités cambodgiennes, dans l'objectif d'améliorer la qualité des enseignements, la valorisation des diplômes, la professionnalisation des filières et de développer la recherche. Les domaines d'intérêt mutuel sont notamment l'agriculture, la santé, le droit et les sciences de l'ingénieur. La mobilité étudiante représente un volet essentiel de cette coopération : la France constitue en effet la cinquième destination des étudiants cambodgiens derrière la Thaïlande, la Chine, le Vietnam et le Japon, avec environ 800 étudiants cambodgiens suivant actuellement une formation en France (dont la moitié suivant des études médicales).

L'Institut français du Cambodge joue par ailleurs un rôle central dans le domaine de la coopération culturelle et de la francophonie. Chaque année, son centre de langues accueille plus de 4 000 étudiants.

La France est en outre présente au Cambodge à travers ses institutions de recherche (ANRS, IRD, CIRAD, EFEO).

Dans le domaine du patrimoine, la France co-préside, avec le Japon, depuis 1993, le Comité International de Coordination pour la sauvegarde et le développement du site historique d'Angkor (CIC-Angkor), dont elle est également le plus gros contributeur, avec 23M €. Les travaux du CIC ont permis au total de mobiliser plus de 600 M de dollars, afin de mener à bien près de 100 projets. Pour sa part, après l'achèvement de la restauration du temple du Baphuon en 2011, la France a entrepris la restauration du temple du Mébon occidental dans un triple objectif de coopération scientifique et patrimoniale, de formation et d'aménagement touristique.

Premier partenaire financier européen du Cambodge, l'Agence française de développement (AFD), présente au Cambodge depuis 1993, a engagé près de 1,280 Md €, notamment dans les secteurs des infrastructures (eau, assainissement, énergie), de l'agriculture, de la formation professionnelle et de l'intermédiation financière ; elle a développé d'importants partenariats avec l'Union Européenne (2013), la Banque Asiatique de Développement (2015), la Banque Européenne d'Investissement (2018) et la KFW (2020).

Dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, la France et le Cambodge sont tous deux Parties à plusieurs conventions multilatérales spécialisées adoptées sous l'égide de l'Organisation des Nations unies : Convention unique sur les stupéfiants adoptée à New York le 30 mars 1961, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984, Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes adoptée à Vienne le 19 décembre 1988, Convention contre la criminalité transnationale organisée adoptée à New-York le 15 novembre 2000 et Convention contre la corruption adoptée à New York le 31 octobre 2003. Une Convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale est en cours de négociation depuis 2012.

La France a par ailleurs soutenu le travail des Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens (CETC, ou tribunaux Khmers rouges), juridiction hybride chargée de juger les principaux responsables des crimes commis entre 1975 et 1979 par le régime des Khmers rouges, depuis leur établissement en 2006, pour plus de 10 M €.

Enfin, forts d'une longue histoire commune (l'armée cambodgienne a été créée avec l'appui d'officiers français en 1950 à la demande du Roi Sihanouk), la France et le Cambodge ont signé le 24 février 1994 un accord de coopération militaire technique. Cet accord a permis la mise en place au Cambodge de trois coopérants de l'armée de terre, dont les actions sont encadrées par une convention de projet, reconduite pour 3 ans en 2020.

C. LES OMBRES AU TABLEAU : LA MISE AU PAS DE L'OPPOSITION ET DES ATTEINTES RÉPÉTÉES À LA DÉMOCRATIE

Le régime cambodgien est actuellement caractérisé par un profond décalage entre le droit affiché et la pratique : la constitution cambodgienne (dont la rédaction, en 1993, avait fait l'objet d'un soutien rédactionnel actif de la part de la France) comme sa loi pénale garantissent en effet la prohibition de la peine capitale2(*), l'indépendance des juges3(*), la séparation des pouvoirs4(*), le respect des droits de l'homme5(*), la liberté d'opinion et d'expression6(*), le respect des droits de la défense et la présomption d'innocence7(*)... La garde à vue et la détention provisoire sont strictement encadrées par le code de procédure pénale.

Force est cependant de constater qu'en dépit de ces garanties, leur mise en oeuvre n'est pas à la hauteur des principes affichés, et on assiste, depuis 2017, à une détérioration notable de la démocratie cambodgienne, qui a privé les dernières élections de toute opposition crédible. Les élections législatives de juillet 2023 ont ainsi été précédées par une vague de répression envers l'opposition au parti gouvernemental : condamnation à 27 ans de prison de l'opposant KEM Sokha et dissolution de son parti ; condamnation par contumace de SAM Rainsy et de 70 autres opposants à des peines allant de 20 ans de prison à la perpétuité ; l'avocate américano-cambodgienne SENG Thary demeure emprisonnée malgré plusieurs grèves de la faim ; diverses mesures sont venues entraver le droit de vote et la liberté de la presse, avec notamment la fermeture de Voice of Democracy (VOD), l'un des derniers médias cambodgiens indépendants. Les syndicalistes, les défenseurs des droits fonciers, les militants écologistes font également l'objet d'intimidations et d'arrestations, que les ONG dénoncent régulièrement.

Le pays connaît par ailleurs une corruption endémique considérable, avec un classement à la 157eme place sur 180 pays dans l'Index de Transparency International (le plus mauvais score de l'ASEAN).

Dans ce contexte très répressif, ne permettant pas à l'opposition, aux médias et à la société civile de fonctionner librement, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC), au pouvoir depuis 1991, a remporté une victoire écrasante (120 des 125 sièges) lors des élections législatives de juillet 2023.

Tout récemment, le 25 février dernier, 55 des 58 sièges en jeu pour les élections sénatoriales ont été remportés par le PPC, sans que l'opposition ait pu davantage s'exprimer ; l'ancien premier ministre HUN Sen - père de l'actuel chef du Gouvernement HUN Manet -, dorénavant président de la Chambre Haute, devient par là-même chef d'état par intérim lorsque le roi n'est pas présent sur le territoire national.

Cette situation interne a valu au Royaume de Cambodge, dès 2020, de se voir retirer par l'Union européenne une partie des préférences commerciales qui lui avaient été accordées au titre du régime « Tout sauf les armes » dont il bénéficiait depuis 2001. Le rapport de la Freedom House « Freedom in the world 2023 » définit le Cambodge comme un pays « non libre » avec un score de 24/100.

II. GENÈSE ET ENJEUX DE LA CONVENTION

A. UN SERPENT DE MER LÉGISLATIF

La France est à l'origine de l'engagement de la négociation relative à la Convention faisant l'objet du présent rapport.

L'initiative engagée par l'ambassade française à Phnom Penh dès 2009 a permis de débuter les négociations en 2012, et le projet de convention a pu voir le jour, après plus de trois années de travaux, dans une rédaction conforme aux standards français et donnant satisfaction aux deux parties.

La Convention d'extradition a été signée à Paris le 26 octobre 2015 par Mme Christiane TAUBIRA, garde des sceaux, ministre de la justice français, et M. ANG Vong Vathana, ministre de la justice cambodgien.

Le texte a ensuite été présenté en Conseil des ministres le 28 septembre 2016. Il a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 28 septembre 2016 puis retiré le 20 avril 2017 ; puis redéposé au Sénat le 27 avril 2017 avant d'être une nouvelle fois retiré le 23 octobre 2017 ; et à nouveau redéposé à l'Assemblée nationale le 24 octobre 2017. Un rapporteur a alors été désigné en la personne de M. M'BAYE, qui a pu auditionner des commissaires du Gouvernement en février 2018. Il a été décidé le report de l'examen du projet de loi en raison de la situation politique décrite supra, et notamment des persécutions envers les opposants au régime. Devenu caduc en juin 2022 du fait du changement de législature, le texte a été redéposé sur le Bureau du Sénat le 15 juin de la même année, dans le contexte d'une nouvelle dynamique de la relation franco-cambodgienne.

Le Cambodge a quant à lui achevé la ratification de cette Convention depuis le 14 octobre 2020, avec la signature par le Roi du Cambodge du décret d'application de la loi votant la ratification, elle-même adoptée le 6 octobre 2020 par le Parlement cambodgien.

B. UN CONTEXTE FAVORABLE D'UNE DYNAMIQUE POSITIVE

Après un temps d'arrêt marqué par la crise de la Covid-19, la relation franco-cambodgienne, qui s'appuie sur quelques secteurs de coopération historiques (développement, francophonie, patrimoine, santé), connaît une dynamique nouvelle depuis la visite de travail du Premier ministre HUN Sen en France en décembre 2022. Celle-ci a été suivie d'une visite au Cambodge du ministre délégué en charge du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger en janvier 2023. Le Roi du Cambodge NORODOM Sihamoni a effectué une visite en France en novembre 2023 et le nouveau Premier ministre HUN Manet, qui a accédé à la primature en août 2023, s'est rendu en France en janvier 2024 et a été reçu par le Président de la République. Ce déplacement a permis à la France et au Cambodge de s'accorder sur une densification des relations bilatérales et une diversification sectorielle de la coopération entre les deux pays, dans la perspective d'élever leur niveau partenarial, notamment dans les secteurs de l'énergie, de la formation professionnelle et de la transition écologique (incluant les domaines de l'eau et des océans).

Ces visites, qui ont relancé le dialogue franco-cambodgien, ont été l'occasion d'aborder sans tabou la question des droits de l'homme. Même si aucune avancée concrète n'a été obtenue à ce jour, l'espoir d'une grâce royale pour l'opposant KEM Sokha demeure, et la France, selon le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, oeuvre dans ce sens.

Les autorités cambodgiennes se montrent par ailleurs coopératives, comme en témoigne la présence d'un bureau du Haut commissariat aux droits de l'homme, dont le mandat a été renouvelé en 2022, tout comme celui du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'Homme au Cambodge, le professeur VIBIT Muntharborn ; ce dernier s'est rendu pour la deuxième fois dans le royaume en décembre dernier : sa visite s'est déroulée dans de bonnes conditions, et il a prévu d'y revenir au printemps 2024.

Il est notamment permis d'espérer des évolutions positives dans différents domaines, notamment sur la lutte contre l'impunité, la question de l'égalité des droits des personnes LGBT+, ou le droit de l'environnement. Un projet de loi visant à établir l'institution nationale des droits de l'homme pourrait être en gestation.

C. CLAUSES STANDARD ET GARDE-FOUS 

Initialement proposé par la France, le texte de la Convention s'inspire largement des stipulations de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

Il est conforme aux standards internationaux et nationaux, en prévoyant des motifs de refus obligatoires ou facultatifs qui permettent aux États parties de refuser la mise en oeuvre de l'extradition : ainsi, les demandes d'extradition seront rejetées automatiquement si elles concernent des infractions politiques, ou si elles apparaissent motivées par l'origine ethnique, le sexe, la nationalité ou la religion de la personne réclamée. Ces clauses permettront notamment de prévenir toute demande d'extradition à l'encontre d'un opposant au régime.

Le fait de posséder la nationalité de la Partie requise constitue également un motif de refus. Cette clause s'avère très protectrice pour nos ressortissants, ainsi que pour les binationaux - ce qui n'est pas anodin, car la quasi-totalité des opposants au régime réfugiés en France possède la double nationalité.

D'autre part, alors même que la peine capitale a été abolie au Royaume du Cambodge en 1989 et que sa prohibition est inscrite dans la constitution depuis 1993, la Convention prévoit une peine de substitution (« la peine la plus élevée dans la législation de la partie requise »), dans l'éventualité d'une remise en question de cette garantie constitutionnelle.

Une clause dite « humanitaire » permet enfin de rejeter une extradition susceptible de mettre en danger la personne réclamée en raison de son âge ou de son état de santé.

Cet arsenal de précautions, qui figure dans la plupart des conventions bilatérales de ce type conclues par la France, a fait la preuve de son efficacité et permet à notre pays d'opérer des échanges extraditionnels avec 54 États8(*) (dont la Chine, l'Iran, etc).

D. UN CADRE BIENVENU

La Convention bilatérale faisant l'objet du présent rapport devrait permettre de mieux cadrer et sécuriser, tant sur le fond que sur la forme, les procédures d'extradition, en posant le principe d'une transmission par voie diplomatique. Les échanges extraditionnels étaient jusqu'à présent réalisés sur la base d'un principe informel de réciprocité, se trouvant de ce fait tributaires du bon vouloir des parties ; de plus les procédures, d'un formalisme inabouti, manquent de clarté, de sorte qu'elles n'ont pas permis l'aboutissement de l'unique demande formulée par la Partie cambodgienne, en raison d'un dossier incomplet.

Par ailleurs la Convention prévoit un certain nombre de stipulations visant à fluidifier les échanges entre les deux Parties, avec notamment une procédure accélérée lorsque la personne réclamée consent à être extradée, ainsi qu'une procédure permettant une arrestation provisoire du justiciable en cas d'urgence.

C'est pourquoi cette Convention d'extradition permettra d'établir une coopération plus efficace entre les deux parties dans la lutte contre la criminalité.

E. DES ÉCHANGES EXTRADITIONNELS PAR AILLEURS MODESTES

D'un point de vue quantitatif, les enjeux extraditionnels franco-cambodgiens sont très faibles, et rien ne permet de supposer qu'ils soient destinés à connaître un développement ou une évolution particulière aux cours des prochaines années.

Depuis dix ans, aucune demande d'extradition n'a été formulée par aucune des deux Parties ; entre 2009 et 2013, seules trois ont été émises par les autorités françaises (extradition active), et une par les autorités cambodgiennes (extradition passive).

S'agissant des demandes d'extradition actives, celles-ci ont concerné des faits de viol sur mineur de 15 ans, agressions sexuelles aggravées, trafic de stupéfiants, abus de confiance, escroquerie, faux et blanchiment. Elles avaient pour fondement tant des poursuites que l'exécution d'une peine.

Chacune de ces demandes a donné lieu à la remise de la personne recherchée.

S'agissant de l'unique demande d'extradition passive, celle-ci concernait des faits d'enlèvement, séquestration, et infraction à la législation des armes commis en bande organisée. Cette demande a donné lieu à un avis défavorable de la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Paris en raison de l'insuffisance des réponses apportées à la suite d'un supplément d'instruction sollicité par la Partie française, qui ne permettaient pas de s'assurer que la demande satisfaisait dans son intégralité aux exigences légales.

III. LE CONTENU DE LA CONVENTION

L'article 1er de la Convention énonce l'engagement réciproque, de la part des deux États, à se livrer les personnes qui, se trouvant sur le territoire de l'une des Parties, sont recherchées par les autorités judiciaires de l'autre Partie soit pour une infraction pénale, soit pour l'exécution d'une peine privative de liberté, pour un fait donnant lieu à extradition.

Ces faits sont définis par l'article 2 comme ceux punis, en vertu des lois des deux Parties, d'une peine privative de liberté d'un maximum d'au moins deux ans ou d'une peine plus sévère. Si l'extradition est demandée aux fins d'exécution d'une peine, la durée de la peine restant à exécuter doit être d'au minimum six mois. Une extradition peut également être accordée si elle concerne plusieurs faits distincts punis chacun par la législation des deux Parties mais dont certains ne satisfont pas aux seuils précités. Le même article précise enfin que les infractions en matière de taxes, d'impôts, de douane et de change peuvent entrer dans le périmètre de la Convention.

Les motifs obligatoires de refus d'extradition sont détaillés à l'article 3 : le a énonce que l'extradition ne peut être accordée pour des infractions considérées par la Partie requise comme des infractions politiques ou connexes. Des exceptions sont cependant prévues en cas d'attentat ou de tentative d'attentat à la vie d'un chef d'État ou de Gouvernement ou d'un membre de sa famille, ainsi que pour les infractions pour lesquelles les deux Parties ont l'obligation, en vertu d'un accord multilatéral, d'établir leur compétence ou d'accorder l'extradition.

Le b prévoit également un refus d'extradition lorsque la Partie requise a « des raisons sérieuses » de croire que l'extradition a été demandée en raison de considérations relatives à l'origine ethnique, au sexe, à la religion, à la nationalité ou aux opinions politiques du justiciable, ou que sa situation risque d'être aggravée pour l'une de ces raisons.

Les c et f stipulent, en vertu du principe non bis in idem (« pas deux poursuites pour la même infraction »), que l'extradition n'est pas davantage accordée si la personne réclamée a fait l'objet, sur le territoire de la Partie requise, d'un jugement définitif de condamnation, de relaxe ou d'acquittement, ou d'une mesure de grâce ou d'amnistie pour les faits motivant la demande d'extradition ; ou encore si l'action publique ou la peine prononcée sont couvertes par la prescription au regard de la législation de la Partie requise. Les actes interruptifs ou suspensifs de prescription devront en outre être pris en considération par la Partie requise, dans la mesure où sa législation le permet.

Les infractions considérées comme exclusivement militaires ne peuvent, en vertu du d, donner lieu à extradition.

Enfin, l'extradition est également refusée obligatoirement si la personne est réclamée pour être jugée par un tribunal d'exception n'assurant pas le respect des garanties fondamentales de procédure, ou pour exécuter une peine prononcée par un tel tribunal.

Des motifs facultatifs de refus d'extradition sont également prévus, par l'article 4. C'est le cas :

- lorsque les autorités judiciaires de la Partie requise ont compétence pour connaître de l'infraction à l'origine de la demande d'extradition.

- lorsque l'infraction a été commise hors du territoire de la Partie requérante et que la législation de la Partie requise n'autorise pas la poursuite de la même infraction commise hors de son territoire.

- si la personne réclamée a fait l'objet, dans la Partie requise, de poursuites pour les infractions ayant motivé la demande d'extradition, ou si les autorités judiciaires de cette Partie ont décidé de ne pas engager de poursuites, ou d'y mettre un terme.

- si la personne requise a été définitivement condamnée ou a bénéficié d'une décision de relaxe ou d'acquittement dans un État tiers pour les infractions en cause.

- lorsque la remise de la personne réclamée est susceptible d'entraîner pour elle des conséquences d'une « gravité exceptionnelle », notamment en raison de son état de santé ou de son âge.

L'article 5 constitue une clause de substitution à la peine capitale lorsque celle-ci est encourue dans la législation de la Partie requérante pour les faits à l'origine de la demande d'extradition ; cette peine est alors remplacée de plein droit par la peine la plus lourde figurant dans la législation de la Partie requise.

Les ressortissants nationaux sont exclus du champ de la Convention par son article 6. La nationalité est appréciée à la date de la réception de la demande d'extradition (conformément à l'article 6 de la Convention européenne d'extradition de 1957). En cas de refus d'extrader sur ce fondement, la Partie requise doit cependant, sur dénonciation officielle de la Partie requérante, soumettre l'affaire à ses autorités compétentes pour que des poursuites soient éventuellement exercées, en application du principe aut dedere, aut judicare (« extrader ou poursuivre »).

Les articles 7 à 10 traitent de questions de procédure et de contenu des demandes. Sauf stipulation contraire de la Convention, la législation de la Partie requise est seule applicable aux procédures d'arrestation provisoire, d'extradition et de transit.

Les demandes d'extradition formulées au titre de la Convention devront faire l'objet d'une transmission par la voie diplomatique ; l'article 8 liste les pièces à produire (exposé circonstancié des faits, dispositions légales applicables, renseignements permettant l'identification formelle et la localisation de la personne réclamée, et, selon les cas, copie du mandat d'arrêt ou du jugement de condamnation exécutoire accompagnée d'une déclaration précisant la durée de la peine infligée et du reliquat restant à subir). Ces demandes doivent être rédigées dans la langue officielle de la Partie requérante et accompagnées d'une traduction dans la langue officielle de la Partie requise, et revêtues du sceau et de la signature de l'autorité compétente de la Partie requise ou certifiées par cette même autorité. Si le dossier transmis est insuffisant ou irrégulier, la Partie requise sollicite tout complément ou régularisation nécessaire à l'instruction de la demande en fixant, le cas échéant, un délai pour l'obtention des informations ou la rectification des irrégularités relevées.

L'article 11 fait obligation à la Partie requise d'informer dans les meilleurs délais la Partie requérante des suites qu'elle entend réserver à la demande d'extradition, tout refus, même partiel, devant être motivé. En cas de suite favorable, les Parties fixent, d'un commun accord, la date et le lieu de la remise. Celle-ci devra alors intervenir, sauf cas de force majeure, dans un délai de quarante-cinq jours, à défaut de quoi la personne réclamée est remise en liberté.

L'article 12 prévoit une possibilité d'ajournement, en cas de procédure en cours à l'encontre de la personne réclamée sur le territoire de la Partie requise ou lorsqu'elle y exécute une peine pour une infraction autre, ainsi qu'une possibilité de remise temporaire ou différée (notamment en raison de l'état de santé de la personne requise).

L'article 13 traite de la saisie et de la remise d'objets pouvant servir de pièces à conviction ou qui, provenant de l'infraction, ont été trouvés en la possession de la personne réclamée au moment de son arrestation ou postérieurement, sans préjudice des droits de la Partie requise ou des tiers sur ces objets.

Les articles 14 et 15 énoncent la règle traditionnelle de la spécialité et encadrent la ré-extradition vers un État tiers. La Partie requérante ne peut en effet tirer profit de la présence de la personne extradée sur son territoire pour la poursuivre, la juger, la détenir ou restreindre sa liberté individuelle pour des faits distincts de ceux ayant motivé son extradition et antérieurs à sa remise, ni pour la ré-extrader vers un autre État. Des exceptions sont néanmoins prévues si la Partie requise y consent ou lorsque la personne réclamée, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la Partie à laquelle elle a été livrée, ne l'a pas quitté dans un délai de soixante jours suivant sa libération définitive, ou si elle y est retournée après l'avoir quitté.

Une procédure accélérée et prévue par l'article 16 en cas de consentement libre, explicite et volontaire de la personne réclamée à sa propre extradition.

L'article 17 décrit la procédure d'arrestation provisoire, applicable en cas d'urgence. L'arrestation provisoire prend fin et le justiciable est remis en liberté si la demande d'extradition ne parvient pas à la Partie requise dans un délai de soixante jours suivant l'arrestation de la personne requise, sans préjudice de la possibilité d'une nouvelle demande d'arrestation en bonne et due forme.

L'article 18 prévoit, à la demande de la Partie requise, son information par la Partie requérante des résultats des poursuites pénales engagées contre la personne extradée, de l'exécution de sa peine ou de sa ré-extradition vers un État tiers.

L'article 19 fixe les règles applicables au transit du justiciable, avec des modalités spécifiques en cas de transit par la voie aérienne.

L'article 20 traite des concours de demandes, lorsqu'une même extradition est demandée par plusieurs États.

La prise en charge et la répartition des frais occasionnés par les opérations d'extradition ou de transit sont détaillés à l'article 21.

Comme stipulé à l'article 22, la Convention ne porte pas atteinte aux droits et engagements des Parties résultant pour elles de tout autre accord auquel l'une ou l'autre est Partie.

Les articles 23 à 25 énoncent les modalités classiques de règlement des différends, d'application dans le temps, ainsi que d'entrée en vigueur et de dénonciation de la Convention.

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Saisi du projet de loi autorisant l'approbation de la Convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge, le Conseil d'État (section des finances) lui a donné un avis favorable au bénéfice des observations suivantes.

« Après la ratification de l'accord, les autorités françaises devront veiller, à l'occasion de chaque demande d'extradition, au plein respect tant des principes généraux du droit de l'extradition dont la jurisprudence des formations contentieuses du Conseil d'État assure l'effectivité que des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la Convention européenne d'extradition et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 auxquels la France est Partie.

Les transmissions de données personnelles impliquées par la Convention devront par ailleurs s'inscrire dans le cadre des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et à la lumière de la note de l'Assemblée générale du Conseil d'État en date du 26 octobre 2006 (n° 372616). »

La Convention faisant l'objet du présent rapport, dont l'enjeu est essentiellement d'approfondir notre partenariat avec le royaume du Cambodge dans le domaine de la lutte contre la criminalité, s'inscrit dans la continuité d'une coopération historique privilégiée et intervient dans une dynamique positive de notre relation bilatérale ; elle pourrait, grâce à un dialogue constructif, favoriser le rayonnement de la France et de la francophonie au Royaume du Cambodge dans différents domaines, dans un contexte où cette influence apparaît remise en question de toutes parts et par tous moyens. Conforme à tous les standards nationaux et internationaux, la Convention comporte toutes les garanties utiles pour prévenir son instrumentalisation à des fins contraires aux droits de l'homme.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 mars 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 665 (2021-2022) autorisant l'approbation de la Convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, le présent projet de loi a pour objet l'approbation d'une convention d'extradition entre le Gouvernement français et celui du royaume du Cambodge, signée à Paris le 26 octobre 2015 par Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice français, et M. Ang Vong Vathana, ministre de la justice cambodgien.

Ce texte s'inscrit dans un double contexte : celui de la situation des droits de l'homme au Cambodge - qui apparaît pour le moins préoccupante - et celui de notre relation bilatérale - qui connaît actuellement une dynamique très positive.

De fait, cette convention, qui attend sa ratification depuis 2015, est un serpent de mer législatif : depuis sa signature, elle a été déposée trois fois sur le bureau de l'une ou de l'autre des assemblées ; trois fois elle a été retirée, avant d'être déposée, une quatrième fois, sur le bureau du Sénat le 15 juin 2022. Sa ratification devrait cette fois être menée à son terme, avec un examen en séance publique prévu le 14 mars prochain.

Ces reculades et atermoiements répétés sont tout sauf inopinés : ils sont liés à la détérioration préoccupante, depuis 2017, de la situation des droits de l'homme dans le royaume, avec notamment la condamnation arbitraire des principaux opposants politiques, qui a privé les dernières élections de toute opposition crédible.

Le régime cambodgien est actuellement caractérisé par un profond décalage entre le droit affiché et la pratique : la constitution cambodgienne comme la loi pénale garantissent en effet l'indépendance des juges, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme, la liberté d'expression, le respect des droits de la défense, la présomption d'innocence, etc. La garde à vue et la détention provisoire sont strictement encadrées.

Force est cependant de constater qu'en dépit de cette panoplie de garanties, qui n'a rien à envier aux démocraties les plus abouties, leur mise en oeuvre n'est pas à la hauteur des principes affichés. C'est ainsi que les élections législatives de juillet 2023 ont été précédées par une vague de répression envers l'opposition au parti gouvernemental : condamnation à vingt-sept ans de prison de l'opposant Kem Sokha et dissolution de son parti ; condamnation par contumace de Sam Rainsy et de soixante-dix autres opposants à des peines allant de vingt ans de prison à la perpétuité ; diverses mesures entravant le droit de vote et la liberté de la presse... Les syndicalistes, les défenseurs des droits fonciers, les militants écologistes font également l'objet d'intimidations et d'arrestations que les ONG dénoncent régulièrement.

Cette situation interne a valu au royaume du Cambodge de se voir retirer par l'Union européenne, dès 2020, une partie des préférences commerciales qui lui avaient été accordées au titre du régime « Tout sauf les armes », dont il bénéficiait depuis 2001.

L'élément nouveau, qui a conduit à l'inscription de cette convention à notre ordre du jour, est que, depuis quelques mois, la relation entre la France et le royaume du Cambodge connaît une dynamique particulièrement constructive, avec la visite officielle de Sa Majesté Norodom Sihamoni, roi du Cambodge, en novembre 2023, et celle du nouveau Premier ministre Hun Manet, le 18 janvier dernier. À cette occasion, les dirigeants cambodgiens ont réaffirmé leur volonté d'approfondir la relation bilatérale et se sont montrés demandeurs d'un partenariat renforcé avec la France.

La convention soumise aujourd'hui à votre examen s'inscrit dans ce contexte encourageant. Je vous proposerai de l'approuver pour plusieurs raisons.

La première tient à la relation franco-cambodgienne privilégiée dans laquelle elle s'inscrit, héritée à la fois d'une histoire commune et du rôle central joué par la France dans le développement du pays, mais aussi dans la mise en place de ses institutions, depuis les accords de Paris de 1991. La présence très active de la communauté cambodgienne en France et la place importante de la francophonie au sein du royaume, contribuent à nourrir ces liens. D'une manière générale, la France a plutôt bonne presse au Cambodge. Le roi comme le Premier ministre sont demandeurs d'un rapprochement. Dans le contexte mondial que vous connaissez, où l'influence française est de toutes parts et par tous moyens remise en question, cela mérite d'être souligné et encouragé.

Cette relation privilégiée permet également d'aborder sans tabou la question des droits de l'homme. Même si aucun résultat tangible n'a été obtenu à ce jour, elle pourrait favoriser une évolution positive dans ce domaine.

Deuxième raison, la rédaction de cette convention d'extradition apporte aux justiciables toutes les garanties souhaitables pour prévenir son instrumentalisation à des fins contraires aux droits de l'homme. Son contenu, qui reprend le texte proposé par la France, est conforme en tous points aux standards juridiques nationaux et internationaux.

Le texte prévoit en effet un certain nombre de motifs de refus obligatoires : ainsi, les demandes d'extradition seront rejetées automatiquement si elles concernent des infractions politiques ou si elles apparaissent motivées par l'origine ethnique, le sexe, la nationalité ou la religion de la personne réclamée. Ces clauses constituent des garde-fous importants dans le contexte politique que je vous ai décrit ; elles préviendront notamment toute demande d'extradition à l'encontre d'un opposant au régime.

Le fait de posséder la nationalité de la partie requise constitue également un motif de refus. Afin d'éviter toute impunité, la partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités, en application du principe aut dedere, aut judicare - extrader ou poursuivre. Cette clause s'avère très protectrice pour nos ressortissants, ainsi que pour les binationaux - ce qui n'est pas anodin, car la quasi-totalité des opposants au régime réfugiés en France possèdent la double nationalité.

D'autre part, alors même que la peine capitale a été abolie au royaume du Cambodge en 1989 et que sa prohibition est inscrite dans la constitution depuis 1993, la convention prévoit une clause de substitution de cette peine, ce qui permet de parer à toute tentation de retour en arrière.

Une clause dite humanitaire permet enfin de rejeter une extradition susceptible de mettre en danger la personne réclamée en raison de son âge ou de son état de santé.

Cet arsenal de précautions, qui figure dans la plupart des conventions bilatérales de ce type conclues par la France, a fait la preuve de son efficacité et permet à notre pays d'opérer des échanges extraditionnels avec cinquante-quatre États - dont la Chine et l'Iran.

La troisième raison en faveur de cette convention est qu'elle permettra de mieux cadrer et sécuriser, tant sur le fond que sur la forme, les procédures d'extradition. Les échanges extraditionnels étaient jusqu'à présent réalisés sur la base d'un principe informel de réciprocité ; de ce fait, ils se trouvaient tributaires du bon vouloir des parties. De plus, les procédures, d'un formalisme mal défini, manquent de rigueur et n'ont pas permis à l'unique demande formulée par la partie cambodgienne d'aboutir, en raison d'un dossier incomplet.

Enfin, la convention prévoit un certain nombre de stipulations visant à fluidifier les échanges entre les deux parties, notamment une procédure accélérée lorsque la personne réclamée consent à être extradée ainsi qu'une procédure permettant une arrestation provisoire du justiciable en cas d'urgence.

L'adoption de cette convention d'extradition permettra d'établir une coopération plus efficace entre nos deux pays en matière de lutte contre la criminalité.

Les échanges extraditionnels opérés entre la France et le Cambodge sont particulièrement modiques : au cours des dix dernières années, aucune demande d'extradition n'a été formulée par les deux parties ; entre 2009 et 2013, seules trois demandes avaient été transmises par la France et une par le Cambodge.

Le Conseil d'État a émis un avis favorable sur ce texte, sous réserve d'une vigilance, de la part des autorités françaises, concernant le respect des principes généraux du droit de l'extradition ainsi que des règles de transmission des données personnelles.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 14 mars prochain, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Le royaume du Cambodge a quant à lui achevé la ratification de cette convention le 14 octobre 2020.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - J'ai écouté avec attention l'intervention de notre rapporteur. Il n'est pas interdit d'être réaliste et je comprends que l'adoption de cette convention permettrait d'envoyer un signal positif alors que les relations entre nos deux pays se réchauffent sensiblement.

Pour autant, je n'oublie pas le travail accompli par notre ancien collègue, André Gattolin, qui était très mobilisé sur la question du Cambodge. Même si les infractions relevant des seuls domaines militaires ou politiques peuvent conduire à des refus d'extradition, on sait qu'il existe d'autres façons de s'en prendre aux opposants, notamment sous l'angle fiscal ou économique.

À ce stade, je m'abstiendrai sur ce texte eu égard aux pratiques passées du régime concerné.

Mme Michelle Gréaume. - Je m'abstiendrai sur ce vote, notre groupe souhaitant la tenue d'un débat en séance publique sur la question du respect des droits de l'homme.

M. Guillaume Gontard. - Je souhaite m'associer à la demande de Michelle Gréaume et du groupe CRCE. Je salue la qualité du rapport de M. Cambon, mais cette convention n'est pas anodine. Il nous semble donc important de tenir un débat sur ce sujet.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur Lemoyne, c'est à la demande pressante du Gouvernement que cette convention nous parvient.

Il s'agit en somme de l'éternelle question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Il faut encourager le Cambodge, qui a pris de bonnes résolutions auprès du gouvernement français, notamment lors de la visite du Premier ministre en janvier dernier. Cela étant dit, la volonté d'en débattre en séance publique me paraît tout à fait légitime.

Le projet de loi est adopté sans modification.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Pour le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :

- M. Michael LI, rédacteur Cambodge, sous-direction d'Asie du Sud-Est, direction d'Asie et d'Océanie,

- Mme Claire GIROIR, conseillère juridique, mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.

Pour le ministère de la Justice :

- Mme Claire HARISMENDY, magistrat, rédactrice, bureau de la négociation pénale européenne et internationale, direction des affaires criminelles et des grâces.


* 1 Citons notamment la visite de HUN Manet en Chine en septembre 2023, premier déplacement à l'étranger du Premier ministre depuis son accession au pouvoir en août, après avoir accompagné son père à Pékin en février 2023.

* 2 Article 32 de la Constitution cambodgienne.

* 3 Article 132 de la Constitution cambodgienne.

* 4 Article 51 de la Constitution cambodgienne.

* 5 Article 31 de la Constitution cambodgienne.

* 6 Article 41 de la Constitution cambodgienne.

* 7 Article 38 de la Constitution cambodgienne.

* 8 Soit : Algérie, Argentine, Australie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Burkina-Faso, Cameroun, Canada, République Centrafricaine, Chine, Colombie, Congo-Brazzaville, Corée du Sud, Costa Rica, Cote d'ivoire, Cuba, Djibouti, Égypte, Émirats Arabes Unis, Équateur, Etats-Unis, Gabon, Inde, Iran, Jordanie, Kiribati, Kosovo, Laos, Liberia, Macédoine, Madagascar, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Mexique, Monaco, Monténégro, Niger, Nouvelle-Zélande, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Sainte-Lucie, Saint-Marin, Sénégal, Suisse, Tchad, Togo, Tunisie, Uruguay, Venezuela, Vietnam.

La France a négocié d'autres accords bilatéraux, qui sont en cours de signature ou de ratification : Hong-Kong, Panama, les Seychelles.

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