C. L'AECG COMPORTE D'IMPORTANTS RISQUES POUR L'AGRICULTURE FRANÇAISE

1. Des modèles d'élevage radicalement opposés

Les différences fondamentales entre les modèles d'élevage canadien et français, voire européen - qu'il s'agisse des modalités de prise en compte du bien-être animal, de l'alimentation animale ou encore de l'administration d'antibiotiques comme activateurs de croissance, mais également des conditions d'élevage, l'engraissement s'effectuant, au Canada, dans des feedlots de grande taille - conduisent nécessairement à un déficit de compétitivité en défaveur de nos éleveurs.

2. L'augmentation du taux d'utilisation des contingents de viande canadienne constitue un scénario vraisemblable

Plusieurs facteurs pourraient conduire à une augmentation du taux d'utilisation des contingents par les éleveurs canadiens.

En premier lieu, le Canada, qui exporte plus de 50 % de sa production nationale de viande bovine6(*), est à l'heure actuelle principalement tourné vers les marchés américain et asiatique. Tout retournement sur ces marchés conduirait les producteurs canadiens à se concentrer sur le marché européen, ce dernier constituant dans cette hypothèse un marché de repli pour le Canada.

En second lieu, si, à l'heure actuelle, les règles européennes relatives à l'utilisation de produits sanitaires et phytosanitaires constituent une limite au développement des importations de viande canadienne, cette situation ne pourrait être que temporaire pour plusieurs raisons :

- les éleveurs canadiens n'ont pas consenti, à ce stade, d'investissements importants pour se conformer aux exigences européennes dans la mesure où l'AECG n'a pas été définitivement ratifié et il existe donc un risque pour que celui-ci soit dénoncé à la suite d'un rejet par un État-membre. L'entrée en vigueur définitive de l'accord changera certainement la donne ;

- d'importants acteurs canadiens tels que JBS et Cargill commencent à manifester des signes d'intérêt pour le marché européen ;

- plus inquiétant, à l'occasion du comité mixte qui s'est tenu du 3 au 5 octobre 2023, l'Union européenne a confirmé que l'EFSA a reçu et évalué le dossier technique du Canada à l'appui de l'acide peroxyacétique (ou peracétique) en tant que substance de décontamination pour les carcasses de boeuf, le Canada indiquant garder « l'espoir d'un résultat favorable de la part de l'EFSA ».

Or, l'interdiction de l'usage de l'acide peracétique comme traitement organique de la carcasse constitue à l'heure actuelle l'une des principales raisons pour lesquelles les producteurs canadiens ne se sont pas tournés vers le marché européen.

Si l'Union européenne devait céder sur l'utilisation de l'acide peracétique pour la désinfection des carcasses, comme elle a pu le faire par le passé pour l'utilisation de l'acide lactique, un obstacle important pour les producteurs canadiens serait levé.

3. Une absence de « clauses miroirs » qui n'est pas acceptable

Les stipulations de l'AECG ne modifient aucune des règles sanitaires applicables à l'entrée dans le marché européen. Mais l'interdiction de l'utilisation de certaines substances applicable dans l'Union européenne ne concerne pas nécessairement les produits importés, du fait de la définition de limites maximales de résidus (LMR), c'est-à-dire de niveaux supérieurs de concentration de substances autorisés dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux.

Une stricte réciprocité des normes applicables nécessite la définition de « clauses miroirs ». Or aucune mesure de ce type ne figure dans l'AECG.

Dans son rapport de 2017, la commission d'évaluation de l'impact de l'AECG sur l'environnement, le climat et la santé relevait ainsi : « Pour les pesticides, le Canada autorise encore 46 substances actives qui ont été interdites depuis longtemps dans les autres pays. Les limites maximales de résidus de pesticides autorisées dans les produits alimentaires sont beaucoup moins exigeantes au Canada, voire pour certaines moins exigeantes que celles du Codex Alimentarius ».

En 2021, 97 substances actives phytopharmaceutiques non approuvées dans l'Union européenne, pour lesquelles des préoccupations sanitaires peuvent exister, et pour lesquelles des LMR supérieures à la limite de quantification sont établies et sont compatibles avec des usages phytosanitaires ont été recensées.

À ce jour, seules deux réglementations européennes peuvent être considérées comme introduisant une forme de mesures miroirs : l'interdiction des traitements hormonaux pour les animaux et l'interdiction d'utilisation de certains antimicrobiens ou de certains usages (promoteurs de croissance) pour les animaux élevés dans les pays tiers, dont les produits seraient importés dans l'Union européenne.

S'agissant de cette dernière interdiction, l'adoption du dernier acte d'exécution nécessaire est intervenue en janvier 20247(*). Ce texte apparaît cependant insuffisant dans la mesure où, d'une part, le contrôle de cette obligation ne reposera que sur la production d'une attestation vétérinaire et, d'autre part, que son entrée en vigueur n'interviendra qu'en 2026.

L'absence de mesures miroirs dans l'AECG se double en outre de demandes régulières de la partie canadienne pour une reconnaissance de certaines pratiques ou certains usages de substances actuellement interdits au sein de l'Union européenne, ou un assouplissement des règles européennes.

Le risque d'un nivellement par le bas des règles européennes ou, à tout le moins, d'un assouplissement de ces dernières en faveur des importations ne semble pas à exclure.

En tout état de cause, le respect de la réglementation européenne par les produits importés suppose l'existence de dispositifs de contrôle efficaces. Or, tant du côté européen que canadien, ceux-ci souffrent de lacunes.

Côté européen, il convient de relever que l'AECG prévoit un abaissement du taux de contrôle physique sur les produits animaux de 20 % à 10 % des lots dans les postes d'inspection aux frontières.

Côté canadien, à l'occasion d'un audit mené en 2019, la Commission européenne a relevé des défaillances dans le système de contrôle et de traçabilité. Un second audit conduit en 2022 a mis en évidence la persistance des lacunes constatées 3 ans plus tôt.


* 6 Source : https://agriculture.canada.ca/fr/secteur/production-animale/information-marche-viandes-rouges/commerce-international/pourcentage-exportations-du-secteur-viande-rouge.

* 7 Règlement d'exécution 2024/399 de la Commission du 29 janvier 2024 modifiant l'annexe III du règlement d'exécution (UE) 2020/2235 et l'annexe II du règlement d'exécution (UE) 2021/403 en ce qui concerne les modèles de certificats pour l'entrée dans l'Union d'envois de certains produits d'origine animale et de certaines catégories d'animaux.

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