N° 18

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 octobre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi portant adaptation de la législation française aux dispositions de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et tendant à améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Par M. Paul GIROD, Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat 611 (1993-1994)

Stupéfiants.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 11 octobre sous la Présidence de M. Jacques Larché puis de M. Pierre Fauchon. la commission des Lois du Sénat a examiné, sur le rapport de M. Paul Girod le projet de loi portant adaptation de la législation française aux dispositions de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et tendant à améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants.

M. Paul Girod, rapporteur, a mis en avant l'importance de l'économie souterraine en indiquant que le seul trafic de stupéfiants représentait en France un chiffre d'affaires annuel de 14 milliards de francs. Il a précisé que cette évaluation ne donnait qu'un aperçu fort limité de l'activité de la grande criminalité qui peut porter sur toutes sortes d'autres infractions (vols, trafics d'arme, proxénétisme...).

Il a ensuite résumé les trois séries de dispositions prévues par le premier projet de loi pour remédier à cette situation :

- la création d'une infraction générale de blanchiment. Cette mesure permettra de sanctionner toute personne qui apporte son concours à la dissimulation d'un produit d'origine criminelle alors qu'actuellement seul le blanchiment des fonds provenant du trafic de stupéfiants est punissable ;

- une meilleure coopération internationale afin de tenir compte du caractère généralement transfrontalier du grand banditisme. Elle vise à assurer la confiscation des instruments ou des produits du crime quand bien même elle aurait été décidée par une juridiction étrangère ;

- une amélioration de la lutte contre le trafic de stupéfiants par la sanction des personnes qui ne peuvent justifier de leurs ressources tout en étant en relations habituelles avec des trafiquants ou de celles qui recourent aux services d'un mineur pour le transport ou la cession de stupéfiants. Cette dernière série de mesures a pour but de remédier à une difficulté majeure dans la lutte contre le trafic de stupéfiants : le recours à des mineurs, dont les délinquants savent qu'ils bénéficient d'une immunité de fait.

M. Paul Girod, rapporteur, a proposé de préciser expressément que le délit de blanchiment supposerait une volonté délictuelle de la part de l'auteur des actes. Après un large débat, la commission n'a pas jugé souhaitable une telle précision au motif que le code pénal prévoit de manière générale que, sauf dans les cas d'imprudence ou de négligence prévus par la loi, il ne peut y avoir crime ou délit sans intention de le commettre.

Sur la proposition de M. Paul Girod, rapporteur, la commission a adopté treize amendements. Afin d'éviter des situations paradoxales, où l'auteur du blanchiment serait condamné alors que celui de l'infraction originaire échapperait à toute sanction, la commission a notamment souhaité appliquer au blanchiment les règles de poursuites prévues pour l'infraction originaire. L'intervention d'autorités telles que la commission des opérations de bourse pour la poursuite de certains délits sera donc également requise pour le blanchiment des fonds provenant de ces délits.

Ce projet de loi sera examiné en séance publique le 17 octobre 1995.

Mesdames, Messieurs.

Défini par le dictionnaire de l'Académie française comme le fait de « réintroduire dans le circuit financier des fonds provenant d'actions ou de trafics délictueux afin d'en dissimuler leur véritable origine », le blanchiment de l'argent sale permet à la grande criminalité organisée de s'abriter et de prospérer sous le masque de la probité.

Il donne en effet des apparences de légalité à des fonds provenant d'infractions et portant sur des sommes considérables. Ainsi, selon les informations fournies par l'Association Française des Banques, le seul blanchiment de l'argent issu du trafic de stupéfiants aurait représenté en 1990 85 milliards de dollars pour l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord. En 1993, le Ministère de l'Economie évaluait à 14 milliards de francs, dont la plus grande partie ferait l'objet de blanchiment, le chiffre d'affaires annuel du commerce de la drogue en France. Les éléments statistiques disponibles, qui n'illustrent pourtant que la face émergée du phénomène, révèlent la progression constante de ce type de trafic. Les évaluations précitées ne donnent en outre qu'un aperçu limité d'une activité qui peut concerner tous les produits du crime et notamment le trafic d'armes, le vol, la fraude fiscale ou le proxénétisme.

Ce constat appelle une réaction vigoureuse pour élaborer un arsenal répressif permettant de lutter sans relâche contre cette délinquance. Votre commission des Lois y est d'autant plus déterminée que le trafic de stupéfiants implique de plus en plus les jeunes : il constitue un facteur d'accroissement de la délinquance juvénile.

Aussi la lutte contre la grande criminalité organisée doit-elle mettre l'accent sur le blanchiment de l'argent, véritable trait d'union entre l'économie souterraine et l'économie régulière.

C'est dans cette voie que s'est engagée la France, avec la plupart des démocraties occidentales, depuis la fin des années 1980.

Ainsi, en juillet 1989, au sommet de Paris des sept principaux pays industrialisés, fut décidée la création d'un groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) pour organiser l'action des pouvoirs publics tant sur le plan national que sur le plan international.

Le blanchiment présente en effet deux caractéristiques essentielles limitant sensiblement l'efficacité d'une initiative isolée pour le prévenir et le réprimer et rendant par conséquent nécessaire une étroite coopération internationale.

C'est tout d'abord son extrême hétérogénéité qui fait du blanchiment un phénomène particulièrement difficile à appréhender. Les délinquants peuvent par exemple réinjecter dans l'économie régulière les fonds frauduleusement acquis au moyen de techniques fort diverses telles que le prêt à soi même, l'échange de devises, l'achat de bons anonymes ou le recours à l'intermédiaire d'une personne physique (parfois appelée « prête nom ») ou d'une « société écran ».

C'est aussi en raison de son caractère généralement transfrontalier que les autorités nationales éprouvent les plus grandes difficultés à lutter efficacement de manière isolée contre le blanchiment. Les fonds obtenus à la suite d'une infraction commise dans un État donnent souvent lieu à une opération en numéraire (achat de devises, placement auprès d'établissements financiers...) dans un autre, avant d'être réintroduits dans l'activité économique (opération immobilière...) dans un troisième État.

La première traduction concrète de cette nécessaire coopération internationale fut la convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, faite à Vienne le 20 décembre 1988. Celle-ci avait notamment imposé aux États parties d'ériger en infractions le blanchiment de fonds provenant du trafic de stupéfiants. Elle avait également prévu une étroite collaboration des États « en vue de renforcer l'efficacité de l'action de détection et de répression visant à mettre fin » à de telles infractions.

Cette convention, approuvée par la France en 1990, était cependant d'une portée limitée, ne serait-ce qu'en raison de son objet, réduit au seul blanchiment de l'argent provenant du trafic de stupéfiants.

Dans le souci de renforcer la lutte contre la grande criminalité, une réflexion fut conduite au sein du Conseil de l'Europe. Elle aboutit à l'adoption à Strasbourg, le 8 novembre 1990, de la convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et tendant à améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants.

La France, dont le Gouvernement était alors dirigé par Mme Edith Cresson, signa cette convention le 5 juillet 1991.

Le Gouvernement de M. Edouard Balladur déposa par la suite, parallèlement au projet d'autorisation d'approbation de cette convention rapporté au nom de la commission des Affaires étrangères par notre excellent collègue Hubert Durand-Chastel, un projet de loi d'adaptation de la législation française aux stipulations de cet engagement international, comprenant également des dispositions tendant à améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants. C'est ce projet de loi (Sénat - n° 611 ; 1993-1994) qui est aujourd'hui soumis à notre examen.

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