Rapport n° 58 (1995-1996) de M. Robert PAGÈS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 9 novembre 1995

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N°58

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 novembre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Miche/le DEMESSINE, Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Robert PAGÈS, Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Paulette FOST, MM. Jean GARCIA, Charles LEDERMAN, Félix LEYZOUR, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Ivan RENAR, Robert VIZET, Henri BANGOU, Claude BILLARD, Mme Nicole BORVO, MM. Guy FISCHER, Paul LORIDANT et Jack RALITE tendant à faire du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant,

Par M. Robert PAGÈS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat : 387 (1994-1995).

Cérémonies publiques et fêtes légales

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 8 novembre 1995, sous la présidence de M. Jacques Larché, la commission des Lois du Sénat a procédé, sur le rapport de M. Robert Pagès, à l'examen de la proposition de loi déposée par Mme Marie-Claude Beaudeau et plusieurs de ses collègues, tendant à faire du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant.

M. Robert Pagès a précisé que la date du 20 novembre correspondait au jour anniversaire de l'adoption par l'Organisation des Nations Unies de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Il a estimé que les droits de l'enfant, défini comme la personne âgée de moins de dix-huit ans, étaient aujourd'hui reconnus de manière satisfaisante par la législation française. Il a fait observer que cette situation était à la fois récente et atypique, de nombreux États méconnaissant encore des droits de l'enfant aussi évidents que les droits à la santé, aux loisirs ou même à la vie. Il a cependant considéré que, même en France, les atteintes aux droits de l'enfant n'étaient pas rares, comme en témoigne l'importance des infractions contre les mineurs.

Selon lui, l'institution d'une journée nationale des droits de l'enfant permettrait à chacun de manifester son attachement aux caractères propres de l'enfant, celui-ci devant bénéficier d'une protection particulière en tant que jeune être humain et de prérogatives adaptées à sa qualité de citoyen en devenir. Elle pourrait conduire les différents services de l'État (éducation nationale, jeunesse et sports...), les collectivités locales, les médias et le monde associatif à conjuguer leurs efforts à cette fin.

La commission s'est interrogée sur l'opportunité de la limiter aux seuls droits de l'enfant, estimant notamment que celui-ci avait également des devoirs à l'égard de la société et de sa famille dont le rappel régulier serait souhaitable.

Elle a également constaté que l'institution d'une journée nationale des droits de l'enfant ne ressortissait pas à la compétence du législateur et pouvait se faire par décret, voire par simple circulaire.

La commission a néanmoins approuvé la proposition de loi estimant que son adoption par le Sénat serait de nature à inciter le Gouvernement à instituer une journée nationale des droits de l'enfant par la voie réglementaire.

Mesdames, Messieurs,

Par la ratification en 1990 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, la France a solennellement affirmé son souci de donner à l'enfant -défini comme la personne âgée de moins de dix-huit ans- une protection juridique appropriée à sa spécificité et rendue nécessaire à un double titre :

- en tant que jeune être humain, l'enfant représente l'avenir de la société à laquelle il appartient :

- comme citoyen en devenir, il est titulaire de droits que la société doit non seulement préserver mais également lui donner les moyens d'exercer.

L'insertion de cet accord international dans notre ordre juridique interne ne constituait toutefois qu'une étape supplémentaire dans la protection des droits de l'enfant en France.

Ainsi que l'indiquait notre collègue Jacques Genton, rapporteur du projet de loi de ratification, la législation française, qui était alors déjà en conformité avec la convention sur de nombreux points, devait néanmoins recevoir certaines adaptations. Celles-ci ont fait notamment l'objet de la loi du 8 janvier 1993 dont le rapporteur au Sénat fut notre collègue Luc Dejoie.

Votre commission des Lois considère que, compte tenu de cette évolution, les droits de l'enfant en France sont aujourd'hui formulés de manière satisfaisante.

Aussi s'est-elle interrogée sur les conséquences pratiques de l'objectif de la proposition de loi n°387, présentée par Mme Marie-Claude Beaudeau et les membres du groupe communiste, consistant à faire du 20 novembre, jour anniversaire de l'adoption par l'ONU de la convention précitée, la journée nationale des droits de l'enfant.

Il lui apparaît toutefois que l'institution d'une telle journée permettrait à chacun de manifester, de manière renouvelée, son attachement aux droits de l'enfant et, partant, de mieux assurer leur effectivité.

I. LES DROITS DE L'ENFANT DANS LA FRANCE CONTEMPORAIRE : UNE SITUATION NOUVELLE ET ATYPIQIE

L'institution d'une journée nationale des droits de l'enfant marquerait la consécration d'une évolution qui, sur ce point, place la France contemporaine dans une situation malheureusement atypique. En effet, la reconnaissance de l'enfant comme titulaire de droits constitue un phénomène récent et spécifique à certains États encore largement minoritaires. C'est donc sur un double plan, historique et géographique, qu'il convient d'apprécier la spécificité des droits de l'enfant en France.

A. LES DROITS DE L'ENFANT DANS L'HISTOIRE

Les droits dont bénéficient l'enfant dans la France contemporaine sont le fruit d'une progressive prise de conscience de sa double spécificité par rapport aux adultes.

1. La progressive reconnaissance de la spécificité de l'enfant en tant qu'être humain

La place de l'enfant au sein de la société médiévale donne toujours lieu à débat entre sociologues.

Une thèse largement admise consiste à affirmer que, tout au moins jusqu'à la fin du XVIIè siècle, la spécificité de l'enfance était mal perçue par les adultes. Ainsi que l'écrit Philippe Ariès, l'un des principaux promoteurs de cette thèse :

«la durée de l'enfance était réduite à sa période la plus fragile, quand le petit d'homme ne parvenait pas à se suffire ; l'enfant alors, à peine physiquement débrouillé, était au plus tôt mêlé aux adultes, partageait leurs travaux et leurs jeux. De très petit enfant, il devenait tout de suite un homme jeune sans passer par les étapes de la jeunesse (...).

Le passage de l'enfant dans la famille et dans la société était trop bref et trop insignifiant pour qu'il ait eu le temps et une raison de forcer la mémoire et de toucher la sensibilité».

Même si, pour certains, une telle opinion paraît occulter la conscience d'une spécificité de la petite enfance, il est vraisemblable que le concept actuel d'enfance est alors peu perceptible : l'enfant est davantage considéré comme un adulte en miniature.

La reconnaissance progressive de la spécificité de l'enfant (et non seulement de l' infans) en tant qu'être humain résulte notamment d'une double évolution sociologique :

- une évolution liée au développement de la scolarisation, l'école s'étant progressivement substituée à l'apprentissage comme moyen d'éducation. Ainsi que l'écrit Philippe Ariès, «cela veut dire que l'enfant a cessé d'être mélangé aux adultes et d'apprendre la vie directement à leur contact» ;

- une évolution liée à la famille -conséquence de la précédente, mais aussi, entre autres, de la réduction de la mortalité infantile- qui a conduit à prendre conscience de l'importance de l'enfant puis à s'organiser autour de lui.

2. La reconnaissance de l'enfant en tant qu'objet de droit

La reconnaissance de l'enfant en tant qu'objet de droit, et en conséquence titulaire de droits, est un phénomène récent.

Sans remonter au droit d'exposition reconnu sous l'Antiquité au père de famille, on rappellera que le code civil de 1804 dotait celui-ci d'un véritable pouvoir sur l'enfant : la puissance paternelle.

Ce n'est qu'à compter du milieu du XlXè siècle que la France a progressivement reconnu des droits à l'enfant et s'est efforcé d'en assurer la protection.

Au niveau international, la reconnaissance des droits de l'enfant est encore plus récente.

a) La protection des droits de l'enfant au niveau national

La protection des droits de l'enfant en France est aujourd'hui assurée d'une manière satisfaisante. Cette situation est le résultat d'une évolution relativement récente dont l'origine remonte au milieu du XIXe siècle. Des oeuvres telles que le «Tableau de l'état physique et moral des ouvriers» de Villermé, dans lesquelles était dénoncée l'exploitation des enfants au travail, ont joué un rôle essentiel dans la prise de conscience de la nécessité d'une protection appropriée et, partant, d'une législation propre à la spécificité de l'enfant.

Cette évolution fut générale, se produisant dans les domaines social, pénal et civil.

Sur le plan social, la France a notamment manifesté le double souci de limiter le travail des enfants et d'assurer leur scolarisation. C'est ainsi la loi du 22 mars 1841 qui, pour la première fois, a fixé un âge minimum pour leur emploi, initialement de huit ans. Cet âge fut par la suite progressivement relevé : douze ans en 1974, treize ans en 1882, quatorze ans en 1936. Quant à l'obligation de scolarité, prévue pour les enfants de sept à treize ans en 1882, elle fut étendue aux moins de 16 ans en 1967.

On rappellera par ailleurs le préambule de la Constitution de 1946, dont le onzième alinéa prévoit que la Nation «garantit à tous, notamment à l'enfant (...), la sécurité matérielle, le repos et les loisirs». Le treizième alinéa dispose en outre que «la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture».

Sur le plan pénal, la prise en compte de la spécificité de l'enfant résulte d'abord de la loi du 22 juillet 1912. Celle-ci a notamment eu pour objectif de faire échapper les délinquants de moins de 13 ans à la répression pénale en confiant leur jugement aux juridictions civiles et en prévoyant des mesures mieux adaptées à leur âge. Elle a également permis le placement des mineurs délinquants, quel que soit leur âge, en liberté surveillée.

L'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante a marqué une nouvelle étape dans la protection des droits des enfants en matière pénale. Modifiée à plusieurs reprises, elle prévoit notamment que le mineur auquel est imputé un crime ou un délit relève de juridictions spécialisées, qu'il doit faire l'objet de sanctions appropriées et que le mineur de moins de 13 ans n'est pas susceptible d'être incarcéré.

La protection de l'enfant sur le plan pénal n'est pas seulement prise en compte lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites. Elle joue également lorsqu'il est victime d'une infraction. Ainsi, le nouveau code pénal prévoit fréquemment des peines plus sévères à l'encontre des auteurs d'infraction contre les personnes lorsque la victime a moins de quinze ans.

Sur le plan civil, la notion de puissance paternelle a été supprimée en 1970 et remplacée par celle d'autorité parentale, rappelant davantage le rôle de protection des parents. La loi du 8 janvier 1993 a consacré le droit pour le mineur capable de discernement d'être entendu par le juge ou par une personne désignée à cet effet dans toute procédure le concernant.

Ces exemples, qui ne prétendent d'ailleurs pas à l'exhaustivité, permettent à votre rapporteur d'affirmer que les droits des enfants sont en France largement consacrés.

La création d'une journée nationale permettrait à chacun de mieux connaître et de prendre la mesure de ces droits. Ceux-ci seraient en conséquence mieux assurés.

b) La protection des droits de l'enfant au niveau international

Dès 1924, par la Déclaration de Genève sur les droits de l'enfant, la société internationale a proclamé la nécessité d'accorder une protection spéciale à l'enfance.

En 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme rappelait que «l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance».

Mais ce n'est véritablement qu'avec la convention relative aux droits de l'enfant que ceux-ci ont été consacrés sur le plan international. En vertu de l'article 3 de ce texte, les États-parties reconnaissent que «dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale» et «s'engagent à assurer (sa) protection et les soins nécessaires à son bien-être».

Parmi les droits expressément reconnus à tout enfant par cette convention, on citera notamment :

- le droit inhérent à la vie (art. 6) ;

- le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux (art. 7) ;

- le droit à la liberté d'expression (art. 13) ;

- le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 14) ;

- les droits à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique (art. 15).

Cette convention, adoptée par l'Organisation des Nations Unies le 20 novembre 1989, constitue donc une véritable magna carta des droits de l'enfant sur le plan international.

Aussi, la date du 20 novembre a-t-elle été retenue par votre commission des Lois, comme par les signataires de la proposition de loi initiale, pour constituer la journée nationale des droits de l'enfant.

B. LES DROITS DE L'ENFANT DANS LE MONDE

Bien que plus de 150 États aient ratifié la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, la France demeure malheureusement sur ce point dans une situation atypique.

Votre rapporteur se limitera à trois exemples pour démontrer que les droits de l'enfant sont loin d'être respectés sur l'ensemble de la planète :


le travail des enfants :

L'article 32 de la convention dispose que «les États parties reconnaissent le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social».

Chacun sait pourtant que cette pétition de principe ne fait pas obstacle au travail des enfants, souvent très jeunes, dans des conditions particulièrement difficiles. À la veille du XXIème siècle, peut-on oublier qu'un pakistanais de douze ans a été assassiné pour avoir réclamé avec trop d'insistance la fin des abus en ce domaine ?


la santé des enfants :

En vertu de l'article 24 de la convention, «les États parties reconnaissent le droit de l'enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier des services médicaux et de rééducation. Ils s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services».

Pourtant, et sans sous-estimer les progrès réalisés au cours de la précédente décennie, la coqueluche a encore tué 400 000 enfants de moins de cinq ans dans les pays en développement en 1992 ; la rougeole en a tué 1,1 million, alors que 3,1 millions sont morts de pneumonie. En outre, la malnutrition compromet le développement physique et mental d'un enfant sur trois.

Dans son rapport sur «la situation des enfants dans le monde en 1994», le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) s'est inquiété de la relative indifférence face à cette situation : «bien qu'elles affectent profondément des millions de vies, ces tragédies ne trouvent guère d'écho dans les médias».


les enfants et la guerre :

L'article 38 de la Convention internationale interdit aux Etats parties d'enrôler dans leurs forces armées des personnes n'ayant pas atteint l'âge de 15 ans. Il précise que ces Etats «s'engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s'étend aux enfants.»

En dépit de cette disposition, plus d'un million et demi d'enfants ont été tués dans des conflits armés au cours des dix dernières années et 4 millions ont été gravement blessés.

Par ailleurs, le nombre «d'enfants-soldats», enrôlés dans les forces armées, serait d'environ 200 000.

Cette méconnaissance des droits des enfants conduit en définitive souvent à la méconnaissance de leur droit inhérent à la vie.

La création d'une journée nationale des droits de l'enfant permettrait tout au moins de sensibiliser de manière renouvelée l'opinion française à cette situation.

II. LES OBJECTIFS D'UNE JOURNÉE NATIONALE DES DROITS DE L'ENFANT

Quoique mineur, l'enfant n'en est pas moins titulaire de droits. Une journée nationale des droits de l'enfant permettrait, par des actions concrètes, de lui faire prendre conscience de leur existence et d'en mesurer la portée. Elle rappellerait par ailleurs aux adultes la nécessité de prendre en considération la double spécificité de l'enfant en tant que jeune être humain et en tant que citoyen en devenir.

A. LE RAPPEL DES DROITS DE L'ENFANT EN TANT QUE JEUNE ÊTRE HUMAIN

Ainsi que l'a fort justement résumé Mme Denise Cacheux dans un rapport d'information établi en 1989 au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, « l'enfant est (aujourd'hui) considéré comme un être autonome, titulaire de droits personnels. Ces droits ne sont pas ceux déterminés par les représentaux légaux de l'enfant mais ils sont spécifiques à la personne du mineur, qui devient sujet de droits ». Et Mme Cacheux d'ajouter : « avant tout, (l'enfant) est une personne naturellement titulaire des droits reconnus à la personne. Comme tel, l'enfant doit être respecté, accompagné, protégé et aimé ».

Pourtant, quoique relative atypique, le statut juridique de l'enfant en France est encore loin d'assurer à celui-ci une protection suffisante pour éviter des abus.

Le nombre d'enfants maltraités est ainsi, selon l'Observatoire National de l'Action Sociale décentralisée, en constante augmentation : 35 000 en 1992, 45 000 en 1993, 54 000 en 1994.

Le nombre de condamnations portées au casier judiciaire pour infractions à l'égard des mineurs de quinze ans (dont on sait pourtant qu'il ne donne qu'un aperçu fort limité du nombre effectif d'infractions, compte tenu des faits ne donnant pas lieu à plainte ou donnant lieu à classement), ne laisse pas d'inquiéter. Ainsi, pour 1992, relève-t-on notamment :

- parmi les crimes, 8 infanticides et 407 viols et attentats à la pudeur ;

- parmi les délits, plus de 1 500 violences volontaires et plus de
2 600 atteintes aux moeurs.

Au-delà même des infractions pénales dont ils sont victimes, force est de constater que tous les droits des enfants sont loin d'être respectés de manière véritablement satisfaisante.

Peut-on affirmer que l'enfant jouit en France d'une véritable sécurité alors que le nombre d'accidents domestiques y demeure l'un des plus élevé du monde et que, chaque année, 600 enfants de moins de 14 ans sont tués et 17 000 blessés sur leur trajet domicile-école-lieu de loisir ?

Peut-on véritablement parler de « sécurité matérielle » de l'enfant alors que près de 200 000 allocataires du RMI doivent élever seul un ou plusieurs enfants ?

Comment admettre le nombre croissant d'usagers de stupéfiants parmi les mineurs dans un État où la protection de la santé de l'enfant est constitutionnellement consacrée ?

Peut-on affirmer que les enfants jouissent effectivement d'un droit au loisir et à l'accès à la culture alors qu'une large partie d'entre eux ne partent pas en vacances et vivent dans des cités dépourvues d'équipements sportifs ou culturels ?

Bien entendu, une journée nationale des droits de l'enfant ne résoudrait pas tous ces problèmes. Elle permettrait toutefois de rappeler à chacun, de manière renouvelée, la nécessité de prendre en compte les spécificités de l'enfant.

Des actions sont d'ores et déjà menées à cette fin. De nombreuses associations, des établissements publics et des collectivités territoriales organisent de fréquentes manifestations destinées à rappeler (ou à faire connaître) les droits de l'enfant. Plusieurs de ces organismes ou collectivités participent, en liaison avec des ministères (éducation nationale, jeunesse et sports, intérieur, santé, ...) et des médias, aux travaux du Conseil National des Associations pour les Droits de l'Enfant (COFRADE).

Beaucoup de municipalités conduisent une politique exemplaire en faveur de l'enfant. Tel est notamment le cas de la ville de Périgueux qui ajoute à une action continue substantielle (en matière de crèches, d'hygiène scolaire, d'éducation physique, de centres de loisir, d'action culturelle...) des manifestations périodiques. C'est ainsi que le Centre Information Jeunesse met à la disposition des 6-16 ans qui ne peuvent partir en vacances une carte donnant droit, pour 60 F en 1994, à une large gamme de loisirs (cinéma, sport), aux transports urbains gratuits et à quatre journées de voyage. La ville organise aussi, chaque année, précisément vers le 20 novembre, une manifestation de plusieurs jours, dénommée « Périjeux » ouvrant droit gratuitement à des activités ludiques (patinoire, spectacles, expositions...).

Ces initiatives sont le résultat d'une politique de partenariat associant à la municipalité les structures et organismes qui visent à promouvoir les droits de l'enfant (associations, établissements scolaires, médias locaux, prévention routière...).

Monsieur le Président Jacques Larché a attiré l'attention de votre commission sur le rôle essentiel tenu par les départements, particulièrement dans le domaine de l'aide à l'enfance maltraitée.

La multiplication de telles manifestations au niveau national sur une même journée leur donnerait plus de retentissement et donc rappellerait à chacun la nécessité de prendre en compte la spécificité de l'enfant en tant que jeune être humain.

B. LES DROITS DE L'ENFANT EN TANT QUE CITOYEN EN DEVENIR

Ainsi qu'indiqué précédemment, l'enfant dispose de droits en tant que citoyen en devenir : droit à l'expression, à l'information...

L'institution d'une journée nationale des droits de l'enfant lui permettrait d'en prendre plus aisément conscience, elle éviterait le passage brutal, le jour de sa majorité, de l'incapacité juridique à une pleine capacité.

Sur ce point, un rôle essentiel, mais non exclusif, serait évidemment tenu par les établissements d'enseignement. Ceux-ci pourraient notamment organiser une journée d'information sur les problèmes touchant les enfants, tels que les dangers de la drogue, et sur les droits (et devoirs) qui seront les leurs une fois entrés dans le monde des adultes.

Compte tenu de leur influcence sur les mineurs, la participation des médias à la journée des droits de l'enfant donnerait à celle-ci tout le retentissement nécessaire. Les médias pourraient intervenir non seulement pour l'information des enfants mais aussi, et peut-être surtout, comme moyen de concrétiser leur droit à l'expression, en évoquant leurs inquiétudes et leur attentes face aux problèmes qui sont les leurs.

Plusieurs médias locaux se sont d'ores et déjà déclaré disposés à ouvrir leur antenne à des enfants pour leur permettre de s'exprimer.

Votre commission des Lois comprend le souci de Mme Marie-Claude Beaudeau et de plusieurs de ses collègues d'instituer une journée nationale des droits de l'enfant.

Elle s'est toutefois interrogée sur l'opportunité de limiter cette initiative aux seuls droits. Elle observe notamment que l'enfant a également des devoirs à l'égard de la société et de sa famille dont le rappel régulier s'impose. Elle s'est en conséquence demandé si l'institution d'une journée nationale de l'enfant, sans être limitée à ses droits, ne serait pas préférable.

Votre rapporteur lui a cependant fait observer que le terme de « droits » ne limiterait aucunement à ceux-ci la journée dont l'institution est proposée, laquelle pourrait également concerner les devoirs de l'enfant. Il a en outre considéré que la suppression de la référence aux « droits » pourrait conduire à une fête de l'enfant à finalité essentiellement consumériste, et donc fort éloignée d'une journée pédagogique.

Par ailleurs, votre commission des Lois a observé que, par son objet, la présente proposition de loi relevait de la compétence du pouvoir réglementaire.

Elle a néanmoins décidé de la retenir, estimant que son adoption par le Sénat pourrait inciter le Gouvernement à adopter une mesure réglementaire instituant une journée des droits de l'enfant.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d'adopter la proposition de loi dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE LOI

tendant à faire du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant

Article unique

Le 20 novembre, jour anniversaire de l'adoption par l'Organisation des Nations Unies de la convention internationale des droits de l'enfant, est reconnu journée nationale des droits de l'enfant.

ANNEXE - CONVENTION DE L'ORGANISATION DES NATIONS-UNIES RELATIVE AUX DROITS DE L'ENFANT

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