N° 164

__

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 janvier 1996

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d' Albanie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ,

Par M.Guy PENNE ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet l'approbation d'un accord signé à Paris le 13 juin 1995 entre la France et l'Albanie sur l'encouragement et la protection des investissements.

Après quarante cinq années d'isolement où l'avait plongé la dictature d'Enver Hoxha, l'Albanie s'ouvre enfin au monde. Les changements paraissent incontestables et les biens de consommation commencent à circuler dans une société où, par exemple, la propriété de voitures particulières avait longtemps été bannie. Il reste toutefois à apprécier la profondeur et la pérennité de ces mutations dans un pays où les structures économiques sont frappées d'obsolescence et où les comportements restent modelés par des décennies d'immobilisme.

Aussi, afin de mieux mesurer la portée du présent texte et avant d'en présenter le contenu d'ailleurs classique, votre rapporteur présentera les facteurs politiques et économiques dont l'évolution conditionne l'intérêt de nos investisseurs pour l'Albanie.

I. UNE TRANSITION DÉMOCRATIQUE ENCORE FRAGILE

A. LES PROGRÈS VERS LA CONSTRUCTION DE L'ETAT DE DROIT

Rarement autant qu'en Albanie les effets de la tyrannie auront touché à l'absurde (interdiction de porter des lunettes de soleil, de posséder une voiture ...). C'est à l'aune de ce régime despotique qu'il convient de juger les changements, incontestables mais encore incertains, vers la démocratie.

Les progrès dans la construction d'un Etat de droit se sont manifestés d'une part par la formation d'une vie politique pluraliste, d'autre part par la mise en oeuvre d'une constitution respectueuse des principes démocratiques.

1. 1992 : La première alternance au pouvoir après quarante-sept ans de dictature

Le successeur d'Enver Hoxha (1945-1985), Ramiz Alia, a voulu maintenir l'isolement dans lequel son ancien maître avait enfermé l'Albanie. Mais ce pays, bien qu'avec retard, n'allait pas échapper à l'ébranlement général des régimes communistes européens. Le régime de Ramiz Alia crût pouvoir préserver l'essentiel de son pouvoir en composant en apparence avec le mouvement de démocratisation : il consentit à l'organisation d'élections législatives que la faiblesse et le manque de moyens de l'opposition l'assuraient d'emporter. Mais ces expédients firent long feu.

Devant l'ampleur des manifestations et les vagues de départ des réfugiés vers l'Italie, le pouvoir se résigna à accepter des élections, réellement libres, placées sous le contrôle d'observateurs internationaux . Le suffrage populaire permis en mars 1992 au parti démocratique fondé en 1990 -premier parti d'opposition créé en Albanie depuis la fin de la guerre- de conquérir les deux tiers des sièges du Parlement. Le nouveau président de la République, M. Sali Berisha, qui à la tête du parti démocratique, avait animé le mouvement étudiant contre l'ancien régime en 1990, disposait ainsi d'une large majorité confortée encore par deux petites formations (républicains et socio-démocrates).

2. Des principes constitutionnels respectueux de l'Etat de droit

Le renouveau de la vie politique repose sur une assise constitutionnelle respectueuse des principes démocratiques. Compte tenu du rejet du projet de constitution lors du référendum de novembre 1994, la loi constitutionnelle provisoire adoptée en avril 1991 sous la pression du parti démocrate alors dans l'opposition, conserve sa validité. Ce texte pose les principes fondamentaux de la nouvelle « République d'Albanie » : souveraineté nationale exercée par le peuple, Etat de droit, défense des droits de l'homme, séparation des pouvoirs, droits des minorités ...

L'organisation institutionnelle s'apparente au régime d'assemblée 1 ( * ) . Le président de la République, élu pour cinq ans par l'assemblée populaire, désigne le Premier ministre qui forme le gouvernement et engage sa responsabilité devant les députés. Malgré l'importance des pouvoirs dévolus au parlement, la personnalité actuelle du président de la République, doté d'un réel charisme, lui permet de jouer un rôle majeur dans la vie politique albanaise.

Par ailleurs, la loi électorale adoptée en janvier 1992 conjugue le scrutin majoritaire uninominal au premier tour et la proportionnelle au second tour.

B. UNE DOUBLE MENACE D'INSTABILITÉ INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE

Le processus de démocratisation reste fragile. Deux sources de tension menacent en effet de le ralentir, voire de le remettre en cause : les incertitudes politiques intérieures en premier lieu, un environnement extérieur instable ensuite.

1. Les incertitudes politiques

Comment gérer l'héritage politique du communisme ? Faut-il ouvrir le procès des anciens représentants d'un régime désormais honni ou, au contraire, oublier les blessures du passé ? Ce débat, présent dans tous les anciens pays du bloc communiste, se présente avec une vive acuité en Albanie où la démocratisation apparaît plus récente et où une très large partie de l'élite s'est compromise avec le régime d'Enver Hoxha.

Le gouvernement albanais semble avoir hésité entre les deux positions : condamnation de quelques personnalités de l'ancien régime (la veuve d'Enver Hoxha et Ramiz Alia) avant que leur peine ne soit réduite aux termes d'une loi d'amnistie en novembre 1945. Mais il n'évite pas toujours les ambiguïtés. Ainsi, les chefs d'inculpation retiennent plus souvent la corruption que les crimes politiques.

La condamnation en 1994 pour détournement de fonds publics de M. Fatos Nano, président du parti socialiste et ancien premier ministre de Ramiz Alia pendant la période de transition a en particulier soulevé une large réprobation, au-delà des seuls rangs de l'opposition. Les intérêts politiques peuvent interférer avec le souci de sanctionner les comportements répréhensibles.

La position du président Berisha s'est en effet affaiblie au cours des deux dernières années : le rejet (par 54 % des voix) du projet de nouvelle constitution jugé trop « présidentiel et personnel » par l'opposition a constitué un premier avertissement suivi d'ailleurs par un large remaniement ministériel (décembre 1994) et une reprise en main du parti démocratique par le président Berisha en mars 1995.

Après l'échec du référendum, le parti social-démocrate et le parti républicain ont rejoint l'opposition où le parti socialiste (héritier du parti communiste défunt) pourrait jouer un rôle clef. La désaffection des Albanais, déçus par le coût social des réformes, à l'égard du pouvoir en place pourrait faire le lit d'un retour des anciens communistes sur le devant de la scène politique. Dans ce contexte politique, les résultats des prochaines élections législatives du printemps 1996 demeurent très incertaines.

2. Un environnement extérieur tendu

La stabilité de l'Albanie et la pérennité des réformes entreprises restent également conditionnées par l'environnement extérieur. Or plusieurs contentieux opposent l'Albanie à ses voisins immédiats : ils trouvent leur origine dans la présence, dans les Etats limitrophes, d'importantes minorités albanaises -estimées à 2,5 millions de personnes et concentrées principalement au Kosovo (1,8 million), en Macédoine (400 000) et en Grèce (200 000)-. Dans les frontières de l'Etat albanais, la population s'élève à 3,37 millions d'habitants.

La province serbe du Kosovo est peuplée à plus de 90 % par des Albanais. L'autonomie dont cette province avait été dotée en 1974 lui a été retirée en 1988. Tirana soutient la volonté d'indépendance de la communauté kosovare (qui a élu clandestinement un parlement et un président) alors que le Kosovo demeure pour les Serbes le berceau historique de leur nation.

En Macédoine , les Albanais (23 % de la population) se concentrent principalement à l'ouest du pays autour de la ville de Tetovo. Tirana souhaite la reconnaissance des Albanais comme peuple constitutif de la République (et non comme minorité), le statut de langue officielle pour l'Albanais et enfin une régionalisation fondée sur une base ethnique. Ces revendications ont paru à l'Albanie mieux servies par une politique de bon voisinage : reconnaissance de la Macédoine en avril 1993, ouverture du port de Durrës au commerce macédonien menacé d'étouffement par l'embargo décrété en février 1994 par les Grecs. Cependant ce rapprochement reste à la merci d'incidents comme ceux survenus à Tetovo en février 1995 (opposition des autorités macédoniennes à l'ouverture d'une université albanaise réclamée par des manifestants).

Les relations avec la Grèce paraissent compliquées par la présence en Albanie d'une minorité hellénophone (estimée à 60 000 personnes par Tirana et à 300 000 par Athènes) dont les droits sont jugés insuffisants par la Grèce et par la présence de travailleurs clandestins albanais en Grèce (environ 200 000) dont le statut reste très précaire. Des incidents de frontière ont opposé les deux pays en 1994. Toutefois les fils du dialogue n'ont pas été rompus comme en témoigne la visite du ministre des affaires étrangères grec, M. Papoulias en mars 1995.

Dans ce contexte régional marqué par d'importantes tensions, le gouvernement de Tirana cherche de nouveaux partenaires. Il a notamment renforcé ses liens avec les Etats-Unis (adhésion de l'Albanie au partenariat pour la paix, accueil d'experts militaires américains, installation d'une base américaine de drones -avions de reconnaissance sans pilote-). De même l'Albanie a adhéré à l'Organisation de la Conférence islamique : si elle a refusé les avances de rapprochement de pays réputés extrémistes (la Libye) elle a signé des accords de coopération économique avec l'Egypte et l'Arabie saoudite et surtout la Turquie avec laquelle elle a également noué une coopération militaire.

C'est toutefois de l'Europe que l'Albanie a souhaité se rapprocher le plus : signature d'un accord de commerce et de coopération avec l'Union européenne en avril 1992, octroi, au titre du programme Phare , d'une aide de 35 millions d'écus pour 1995 et de 210 millions d'écus pour les années 1996-1999.

Par ailleurs, l'Albanie est devenue membre du Conseil de l'Europe le 13 juillet 1995.

Si parmi ses partenaires européens l'Albanie tend à privilégier l'Italie, pour des raisons historiques mais aussi en raison de l'importance des vagues de réfugiés qui a conduit Rome à apporter une assistance massive à l'Albanie, elle nourrit aussi un intérêt pour la culture française . Même si le français n'occupe que la seconde place des langues étrangères derrière l'anglais, son apprentissage concerne 95 000 élèves dans le primaire et le secondaire, encadrés par 900 professeurs de français. Les moyens mis à la disposition de l'action linguistique (1,5 million de francs en 1995) paraissent insuffisants au regard des enjeux que présente la consolidation de la francophonie en Albanie. Quant à la coopération économique, elle reste très en deçà des besoins et de l'attente exprimée par nos partenaires albanais.

* 1 Voir à cet égard les développements très intéressants consacrés à l'Albanie par M. Claude Marcus, député, membre de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale dans son rapport La France et l'Albanie nouvelle , rapport d'information n° 2372

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page