Rapport n° 294 (1995-1996) de M. Jean HUCHON , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 27 mars 1996

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N° 294

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 mars 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par MM. Jacques GENTON, Denis BADRÉ, Jacques HABERT, Daniel MILLAUD, Yves GUÉNA, Claude ESTIER et James BORDAS, sur la proposition de décision du Conseil concernant la conclusion des négociations avec certains pays tiers dans le cadre de l' article XXIV-6 du GATT et d'autres questions connexes (n° E-580),

Par M. Jean HUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vi ce-présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, se crétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cléach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet, Jean-Pierre Vial.

Voir le numéro :

Sénat : 257 (1995-1996).

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution qui vous est soumise, présentée par M. Jacques Genton, Président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne et plusieurs de nos collègues, concerne la conclusion de négociations entre la Commission européenne et l'Argentine.

La nécessité de ces négociations n'est pas contestable. En effet, en application de l'article XXIV-6 de la Charte du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) 1 ( * ) , -qui reste en vigueur dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC)- la Communauté européenne est tenue, lorsqu'elle accueille de nouveaux États-membres, d'offrir des compensations à ses partenaires commerciaux, dans la mesure où les intérêts de ces derniers sont affectés par cet élargissement. Lors de l'entrée de trois nouveaux États membres, l'Autriche, la Suède et la Finlande, la Communauté a donc été amenée à négocier des compensations 2 ( * ) .

Or, comme le relève la Délégation, le projet d'accord qui vous est soumis soulève plusieurs problèmes :

- les compensations qu'il est envisagé d'accorder à l'Argentine concernent le secteur agricole, et lui seul ;

- ces compensations, qui portent principalement sur les importations de pommes et de poires fraîches, affectent un secteur agricole déjà en difficulté et pénalisent tout particulièrement les intérêts français ;

- enfin, ces compensations sont d'autant plus mal venues que, par ailleurs, la Communauté ne s'est pas dotée des instruments, pourtant prévus par l'accord de Marrakech, lui permettant d'éviter des importations déstabilisatrices sur le marché communautaire.

Votre Commission des Affaires économiques partage les appréhensions formulées par la Délégation.

L'examen du projet d'accord bilatéral (I) a conduit votre commission a estimé que ces concessions étaient inopportunes dans un marché déjà déprimé (II). Seule la mise en place préalable de mécanismes permettant d'assurer une protection -relative- du marché communautaire pourrait les rendre acceptables (III).

I. L'ACCORD BILATÉRAL AVEC L'ARGENTINE

A. DES CONDITIONS DE NÉGOCIATIONS CONTESTABLES

Les accords bilatéraux de compensation entrent dans le cadre de la politique commerciale commune dont la Commission assure les mesures d'exécution sous le contrôle du Conseil. Ce sont les articles 110 à 116 du Traité de Rome qui constituent les bases juridiques de cette politique.

L'article 113, fondement principal de la politique commerciale commune, établit les conditions dans lesquelles la Commission et le Conseil participent aux négociations commerciales internationales : la Commission propose et conduit des négociations, selon un mandat du Conseil ; le Conseil statue à la majorité qualifiée.

Article 113 : « 1. Après l'expiration de la période de la transition, la politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux, l'uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d'exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions.

« 2. La Commission, pour la mise en oeuvre de cette politique commerciale commune, soumet des propositions au Conseil.

« 3. Si des accords avec des pays tiers doivent être négociés, la Commission présente des recommandations au Conseil qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires.

« Ces négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spé cial désigné par le Conseil pour l'assister dans cette tâche, et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser.

« 4. Dans l'exercice des compétences qui lui sont attribuées par le présent article, le Conseil statue à la majorité qualifiée. »

Or, comme le relève la Délégation pour l'Assemblée nationale 1 ( * ) "le mandat de négociation donné à la Commission, le 6 février 1996, présentait un caractère très général. Le fait que la Commission ait signé un accord avec l'Argentine sans en rendre compte préalablement au « Comité 113 », composé des représentants des États membres, rompt l'équilibre institutionnel établi par le Traité entre la Commission et le Conseil. Il convient de dénoncer, une nouvelle fois, à cette occasion, un dévoiement des procédures communautaires ".

B. LE CONTENU DE L'ACCORD

1. Les compensations accordées

L'Union européenne accorde les compensations suivantes :

- une réduction de 2,5 à 3 points du droit de douane ad valorem, sans limitation contingentaire, pour les pommes et les poires fraîches à certaines périodes de contre saison, et une réduction de 3,2 points pour l'huile d'arachide ;

* pour les pommes fraîches (du 1er avril au 31 juillet), une réduction du droit de douane final de 3 % à 0 % 1 ;

* pour les poires fraîches qui respectent le prix d'entrée (du 1er janvier au 31 mars), une réduction du droit de douane final de 8 % à 5 % ;

* pour les poires fraîches (du 1er avril au 30 avril et du 1er au 15 juillet), une réduction du droit de douane final de 2,5 % à 0 % 1 ;

* pour l'huile d'arachide brute, un abaissement à zéro du droit final 1 ( * ) .

- une réduction, pour certaines périodes à contre saison, du prix à partir duquel l'équivalent tarifaire plein s'applique pour les pommes, les poires et les citrons (de 4 à 8 % selon les cas) ;

- pour les jus et moûts de raisin, une ouverture d'un contingent tarifaire de 14.000 tonnes ;

- un ajustement de l'abattement pour le maïs vitreux du 1er janvier au 30 juin 1996.

2. La portée des compensations

Ainsi, la principale concession de la Communauté concerne les importations de pommes et poires fraîches.

Ces concessions excèdent celles octroyées au Chili au mois de décembre 1995, également dans le cadre de négociations au titre de l'article XXIV-6 de l'Accord général. Elles correspondent à un abaissement de la protection de l'ordre de 7 à 11 %.


• Des concessions dont bénéficieront tous les États membres de l'Organisation Mondiale du Commerce.

Les négociations entre l'Argentine et la Communauté européenne précisent bien que cette diminution des droits applicables à l'importation des pommes et des poires et leur recul du prix de déclenchement de l'équivalent tarifaire, sans limitation contingentaire, à certaines périodes de contre saison, ont un effet erga omnes, à la différence de l'ouverture d'un contingent tarifaire pour les jus et moûts de raisin.

Cet effet erga omnes est déterminant : il engage la Communauté européenne à accorder des compensations identiques à l'ensemble des États membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, cet accord spécifique va bien au delà des négociations purement bilatérales entre l'Argentine et la Communauté européenne.

II est donc impératif d'évaluer ces négociations à la lumière des importations de ces produits en provenance de l'ensemble des États membres de l'OMC.


• La réduction puis la suppression, à certaines périodes, de tous droits ad valorem.

Cette mesure s'appliquera hors période traditionnelle de commercialisation de la production européenne.


Le recul du prix de déclenchement de l'équivalent tarifaire plein.

L'équivalent tarifaire n'est dû que si le prix d'entrée du produit dans l'Union européenne est inférieur au prix d'entrée minimum notifié au GATT. Son niveau peut être prohibitif si l'écart est suffisamment important pour déclencher l'application de l'équivalent tarifaire maximum.

Ainsi, lorsque le prix d'entrée est supérieur ou égal au prix d'entrée minimum notifié au GATT, seul le droit ad valorem s'applique. Si le prix d'entrée est inférieur au prix d'entrée minimum notifié au GATT, un équivalent tarifaire vient s'ajouter au droit ad valorem. Le montant de ce droit additionnel varie en fonction de la différence entre le prix d'entrée et le prix d'entrée minimum.

Au total, un plus grand nombre de lots pourront entrer sur le marché communautaire sans la « surtaxe » de l'équivalent tarifaire maximum mais à un niveau de prix au moins égal au prix minimum fixé pour protéger la production communautaire.

C. L'ÉTAT DES NÉGOCIATIONS

Les concessions sur les pommes et les poires sont actuellement contestées par la France, mais aussi par la Belgique, l'Autriche, l'Italie, l'Espagne et la Grèce.

Le comité 113, tenu le 1er mars 1996 a procédé à un premier examen de ce texte. Une majorité d'États-membres s'oppose à la conclusion de l'accord signé par la Commission. Le Gouvernement français a, en tout état de cause, invoqué la réserve d'examen parlementaire.

D'après les informations dont dispose votre rapporteur, la commission devrait soumettre au comité de gestion un projet de règlement permettant la mise en oeuvre de mesures de protection du marché communautaire -comme le souhaite la proposition de résolution n° 257- Le dossier serait ensuite examiné en "comité 113" dans les jours prochains. Il est par conséquent envisageable que les conditions mises à l'adoption de cet accord par la proposition de résolution n° 257 -que votre Commission vous demandera de reprendre- puissent être satisfaites.

Il faut enfin souligner qu'une remise en cause d'un « accord » que les Argentins considèrent pour acquis, pourrait, le cas échéant, permettre à l'Argentine de contester le système des prix à l'importation des céréales et du riz. En effet, en contrepartie, l'Argentine a reconnu les éléments de base de l'approche retenue par la Communauté européenne pour intégrer les offres de la Suède, de la Finlande et de l'Autriche dans le cadre du volet agricole de l'accord de Marrakech (calcul sur une base nette des engagements à l'exportation et des contingents tarifaires, globalisation des engagements concernant les aides nationales).

Il est important d'indiquer que la France a obtenu à ce jour, en dépit d'inévitables concessions, le respect des conditions essentielles qu'elle avait posées dans cette négociation tant dans le domaine tarifaire que non tarifaire. De plus, les négociations menées dans le cadre de l'article XXIV-6 ont été l'occasion de résoudre les contentieux en cours entre l'Union Européenne et des États tiers (États Unis. Canada...). Ainsi, ce projet d'accord bilatéral doit-il être replacé dans le cadre de l'ensemble des négociations conduites dans le cadre de l'article XXIV-6.

II. DES MESURES INOPPORTUNES DANS UN MARCHÉ DÉJÀ DÉPRIMÉ

Si l'impact économique de ces compensations ne sera vraisemblablement pas considérable dans un premier temps, il reste :

- que la Commission européenne accepte « d'écorner » un peu plus la préférence communautaire dans le domaine agricole ;

- que les intérêts français sont particulièrement lésés, la France étant le plus important exportateur de pommes dans les échanges intra-communautaires ;

- qu'une fois de plus, le secteur des fruits et légumes est utilisé comme monnaie d'échange dans les négociations d'accords bilatéraux 1 ( * ) , ce qui ne manquera pas d'accroître les difficultés d'un secteur qui, important employeur de main d'oeuvre agricole, devrait mériter une particulière attention.

A. UN SECTEUR AGRICOLE DONT L'IMPORTANCE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE EST INSUFFISAMMENT PRISE EN COMPTE


• Les compensations affectent, en effet, une partie du secteur des fruits et légumes, lequel consomme peu de terres et génère une plus forte valeur ajoutée à l'hectare que les exploitations moyennes. Ce secteur est également le seul grand employeur de main d'oeuvre agricole, de l'ordre de40 à 60 % du total, avec le même pourcentage tout au long de la chaîne de commercialisation. L'arboriculture est, en outre, localisée dans des régions, souvent éprouvées par le chômage, où n'existent pas de réelles possibilités de diversification de l'emploi.


• Avec 2,09 millions de tonnes en 1995, la production française de pommes représente le quart de la production de l'Union européenne
(7,93 millions de tonnes), au deuxième rang derrière l'Italie.

Répartie sur 56.000 hectares, elle est essentiellement concentrée dans le Sud-est et dans le Pays de Loire. Les surfaces en production, après avoir connu une légère hausse entre 1990 et 1991, se sont stabilisées et ont même diminué de 9 % en 1994 et 1995, suite à la mise en oeuvre de programmes d'arrachage de pommiers.

Or, il ne semble pas qu'à l'occasion de la négociation d'accords bilatéraux ou multilatéraux, le poids économique et social de ce secteur soit toujours suffisamment pris en compte.

B. UN SECTEUR SOUMIS À DE FORTES PRESSIONS

1. Des handicaps structurels

Tout d'abord, la consommation progresse moins et se déplace vers des produits exotiques ou transformés. Le ralentissement de la consommation de pommes, notamment, a été amorcé depuis la fin des années 1980.

La mission sénatoriale sur les fruits et légumes avait déjà conclu, en 1993, à une stagnation, sur le long terme, de la demande intérieure de fruits et légumes en valeur absolue, en dépit de l'accroissement de la population et de l'augmentation des prix.

De plus, la fiscalité et les charges sociales pèsent sur ce secteur dont les exploitations peuvent être comparées à des entreprises industrielles. Ces exploitations sont pénalisées par un cadre fiscal et social inadapté, alors même qu'elles sont caractérisées par le poids des investissements nécessaires et l'importance de la main d'oeuvre.

Ensuite, on peut s'interroger sur une éventuelle situation de surproduction structurelle.

L'exemple de la pomme illustre parfaitement l'évolution du verger, non seulement au niveau français mais européen et mondial. Depuis plusieurs années déjà, le verger français de pommiers évolue et se restructure. Le rythme actuel des plantations est compris entre 4.000 à 4.500 hectares par an. À plus long terme, si les plantations se maintiennent à leur rythme actuel, le verger français de pommiers pourrait, d'ici l'an 2000, avoir progressé de plus de 20 % en surfaces.

De même, le développement de la grande distribution, qui parfois « casse » les prix, sans pour autant augmenter les volumes vendus, accentue la pression sur ce secteur. En effet, aujourd'hui, près de trois achats de fruits sur cinq s'effectuent en grande et moyenne surface.

Enfin depuis quelques années, le marché des fruits et légumes a été fortement fragilisé par la multiplication d'accords multilatéraux ou bilatéraux conclus par la Communauté avec les pays tiers. Il serait donc particulièrement opportun que les autorités communautaires ne s'empressent pas d'appliquer le volet de ces accords abaissant les barrières douanières, mais également celui autorisant des mécanismes de protection du marché communautaire.

2. Des déséquilibres conjoncturels

Le marché national est, en outre, en butte à diverses difficultés, d'ordre conjoncturel.

Ce marché est déséquilibré par une offre surabondante et à des prix inférieurs au coût de revient, menaçant ainsi la position française notamment à l'exportation et ce d'autant plus que le premier bilan de l'année 1995 paraît mitigé. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène.

Tout d'abord, les dévaluations monétaires compétitives.

En effet, les monnaies de notre principal client à l'exportation, la Grande Bretagne (200.000 tonnes), et de notre principal concurrent européen sur les marchés étrangers, l'Italie, sont en chute libre : 20 % pour la livre sterling d'août 1992 à décembre 1995 et 31 % pour la lire italienne sur la même période.

Aussi, l'impact des fluctuations monétaires sur le coût du salaire horaire en France (base 100) et en Italie s'avère excessivement pénalisant.

De plus, malgré les arrachages, la conjoncture reste difficile. Les stocks continuent de gonfler en dépit de la baisse de la production.

En novembre 1995, d'après des données de l'AFCOFEL (Organisation nationale des groupements de producteurs), ces stocks étaient supérieurs de 10 % à ceux de 1994, à la même période de l'année. Cette année, cependant, grâce à la faiblesse des récoltes italienne, allemande et espagnole, due aux aléas climatiques, la production française a pu éviter le retrait et s'est dirigée vers la transformation en Allemagne.

Cette situation, pourtant favorable, est cependant loin de satisfaire les producteurs. Dans l'ensemble, l'indice des prix à la production s'établit en deçà de celui de 1994 (- 20, pour le mois de septembre, -14 pour le mois d'octobre). D'une part, en effet, le prix à la transformation reste inférieur au prix normalement payé sur le marché du frais, d'autre part, les stocks de pommes du Chili, arrivées dès le mois de mars, ont pesé sur les prix jusqu'au mois d'octobre.

Depuis août 1995, les prévisions de récolte de l'Union européenne, plus faibles que ces dernières années, laissaient espérer un marché équilibré, donc une campagne de commercialisation 1995/1996.

Il n'en est rien : les importations ont atteint 850.000 tonnes en 1995, avec des prix d'entrée de produits de l'Hémisphère Sud anormalement bas et théoriquement incompatibles avec le système des prix de référence, tel qu'il devait être appliqué à l'époque.

On a donc assisté en 1995 à des importations records en provenance des pays tiers. Premier marché solvable, l'Union Européenne est déjà très largement ouverte aux importations de ses partenaires.

Importations de fruits d'automne

Partie prenante d'un marché largement mondialisé et où la commercialisation n'est plus affaire de saisons, les producteurs de pommes français sont exposés à une concurrence de plus en plus rude.

Enfin, pour le secteur de la poire, les problèmes conjoncturels sont là aussi importants.

En matière de commercialisation, la fin de campagne est désastreuse avec des retraits conséquents, l'indice de prix à la production en septembre étant inférieur de 2 % à celui, déjà très bas, de 94.

III. LA NÉCESSAIRE MISE EN PLACE DES MÉCANISMES DE PROTECTION DU MARCHÉ COMMUNAUTAIRE

Les risques de déséquilibre sont d'autant plus inquiétants que la Commission européenne s'est jusqu'à présent refusée à prendre les mesures indispensables pour que la « clause de sauvegarde » -prévue par les accords de Marrakech en cas d'augmentation brutale des importations- puisse fonctionner.

Le Conseil avait demandé en décembre 1994 à la Commission de prendre ces mesures. Cette demande n'ayant pas été suivie d'effet, le Conseil l'a réitérée en novembre 1995. La Commission s'est alors engagée à prendre les décisions nécessaires avant la fin 1995, mais cet engagement n'a toujours pas été tenu.

La Communauté n'est donc pas en mesure de faire fonctionner, le cas échéant, la clause de sauvegarde que les accords de Marrakech l'ont autorisée à mettre en place.

La mise en place, dans les délais les plus brefs, des certificats d'importation permettant de connaître les flux réels de marchandises est la condition nécessaire pour que cette clause de sauvegarde ait une réelle efficacité.

A. LA MISE EN PLACE DES CERTIFICATS D'IMPORTATION

La mise en oeuvre de certificats pour le suivi des importations des produits les plus sensibles constituerait une première étape concrète, qui pourrait permettre la mise en oeuvre de la clause spéciale de sauvegarde. D éjà utilisés de façon systématique dans d'autres secteurs, ces certificats ne constituent pas une entrave aux échanges, mais restent le seul moyen fiable et rapide de suivre les importations en provenance de pays tiers. Ces certificats devraient porter sur les pommes, les poires, les tomates et les citrons.

Cette mesure permettrait dans un premier temps de remédier à la méconnaissance, tout à fait anormale des flux d'entrée réels, en permettant de disposer enfin de statistiques douanières fiables sur les volumes de marchandises entrant dans la Communauté.

Le régime de certification est généralement identique pour l'ensemble des secteurs :

- le certificat est délivré par les États membres à tout intéressé établi dans la Communauté ;

- le certificat est valable dans toute la Communauté ;

- la délivrance du certificat est subordonnée au dépôt d'une garantie qui n'est pas remboursée intégralement si l'opération (importation ou exportation), sauf cas de force majeure, n'est pas entièrement réalisée ;

- les modalités d'application, y compris la période de validité et la liste des produits (lorsque le certificat n'est pas rendu obligatoire par l'OCM), seront définies par la Commission en comité de gestion.

Cependant, le régime d'importation des fruits et légumes reste très particulier.

Comme le montant des droits à l'importation inscrit dans le tarif douanier commun (TDC) dépend, pour certains produits, du prix d'entrée, la réalité du prix d'entrée sera vérifiée sur la base d'une valeur forfaitaire à l'importation, elle-même calculée par la Commission par origine et par produit sur la base de la moyenne pondérée des cours des produits concernés sur les marchés représentatifs d'importation.

Ainsi, cette mise en place de certificats d'importations pourrait permettre de s'assurer que les importations dont les droits de douane ont été réduits, rentrent bien sur le sol communautaire en dehors des périodes de commercialisation des produits européens.

Les modalités d'application de ce régime sont définies au Comité de gestion « fruits et légumes » qui pourrait être convoqué, soit avant, soit pendant le Conseil.

Si la mise en oeuvre de certificats d'importation se révèle nécessaire, elle devrait être suivie dans les meilleurs délais, par l'adoption d'un règlement permettant la mise en oeuvre de la clause spéciale de sauvegarde prévue par les accords de Marrakech.

B. UNE CLAUSE DE SAUVEGARDE « VOLUME » EFFECTIVE

1. Le régime général de la clause spéciale de sauvegarde

La clause spéciale de sauvegarde (CSS) se différencie de la clause traditionnelle de sauvegarde : cette dernière est utilisable si, du fait d'importations (ou d'exportations), le marché d'un produit subit des perturbations graves susceptibles de mettre en péril l'un des objectifs que le Traité de Rome assigne à la Politique Agricole Commune (PAC).

L'accord agricole du cycle d'Uruguay prévoit, dans son article 5, la création de ce nouvel instrument de protection aux frontières pour certains produits agricoles (ceux qui ont été « tarifés »). Dans les Organisations Communes de Marché (OCM) concernées, un article est prévu pour que la perception des droits additionnels dans le cadre de cette CSS soit possible, dans les limites prévues par les accord du GATT. Cet article sera le même, quelle que soit l'OCM concernée.

Cette clause de sauvegarde n'entre cependant pas en vigueur lorsque les importations concernées ne risquent pas de perturber le marché communautaire ou si les effets de protection sont disproportionnés par rapport à l'objectif recherché par la clause spéciale de sauvegarde.

Les OCM décrivent succinctement le régime de la clause de sauvegarde en précisant les prix et les volumes de déclenchement.

Deux conditions peuvent déclencher l'application de la clause de sauvegarde et les droits additionnels :

- lorsque le prix mondial du jour se situe au-dessous d'un prix de référence mondial, une clause de sauvegarde « prix » peut être déclenchée ;

- lorsque les importations annuelles dépassent un certain volume, une clause de sauvegarde « volume » peut être mise en place. Le niveau de déclenchement de la clause de sauvegarde est fonction du niveau des importations déjà réalisées par le pays exportateur.

Les modalités d'application, y compris la liste des produits soumis à perception de droits additionnels de la clause de sauvegarde, sont définies par la Commission en comité de gestion.

La clause spéciale de sauvegarde pour tout produit agricole, prévue par les accords de Marrakech, se déclenchant à partir d'un seuil d'un volume ou en prix, n'a toujours pas été mise en oeuvre. Seuls certains secteurs, comme les céréales ou les volailles, bénéficient de ce dispositif mais uniquement pour les prix. La lenteur dans la mise en place des règlements européens, souvent observée, est particulièrement regrettable lorsque ceux-ci ont pour but de protéger la production communautaire contre les importations abusives.

2. La nécessité d'une clause de sauvegarde volume

Concernant les importations de pommes et de poires, l'instauration d'une clause spéciale de sauvegarde « prix » n'est techniquement pas appropriée : en effet, la clause de sauvegarde prix est soumise à un prix de déclenchement, qui en l'espèce est souvent inférieur au prix de déclenchement de l'équivalent tarifaire (c'est-à-dire au prix d'entrée).

Par contre, la clause spéciale de sauvegarde « volume » paraît être l'instrument approprié. Si les importations à un moment donné se révèlent trop importantes et risquent de déséquilibrer gravement le marché national et communautaire, cette clause spéciale de sauvegarde « volume » pourrait s'appliquer.

Il sera, en outre, essentiel de veiller à une application effective de la clause de sauvegarde. Ainsi, la procédure décisionnelle communautaire relative à cette clause de sauvegarde, prévoit une certaine automaticité dans la mise en oeuvre de cette clause, dès lors que les conditions de déclenchement sont réunies.

Reprenant l'essentiel de la proposition de résolution n° 257, votre commission vous propose de demander au Gouvernement de s'opposer à l'adoption des concessions proposées, tant que n'auront pas été obtenues des garanties suffisantes quant à la mise en oeuvre de mécanismes permettant de protéger efficacement le marché communautaire d'importations déstabilisatrices

Tel est l'objet de la proposition de résolution qu'elle vous demande d'adopter.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88.4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil concernant la conclusion des négociations avec certains pays tiers dans le cadre de l'article XXIV-6 du GATT et d'autres questions connexes (proposition d'acte communautaire E 580) ;

Considérant, qu'une fois de plus, les compensations accordées portent sur le secteur agricole, et lui seul ;

Considérant que ces compensations concernent essentiellement le secteur de l'arboriculture qui traverse aujourd'hui une crise profonde ;

Considérant que ces compensations affectent tout particulièrement les intérêts de la France, principal fournisseur de ces produits dans les autres États de la Communauté ;

Considérant qu'en dépit des engagements antérieurs pris par la Commission, le règlement permettant la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde spéciale prévue par l'Accord de Marrakech n'a pas été pris ;

Considérant que fait toujours défaut le règlement permettant la mise en oeuvre de certificats à l'importation qui permettraient d'assurer le suivi des importations de produits sensibles et d'éventuellement, faire jouer la clause de sauvegarde volume ;

Demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption de la proposition E 580 tant que n'auront pas été obtenues des garanties suffisantes quant à la mise en oeuvre de certificats d'importation et de la clause de sauvegarde spéciale.

* 1 Article XXIV-6 du GATT :

Si, en remplissant les conditions énoncées à l'alinéa a) du paragraphe 5, une partie contractante se propose de relever un droit d'une manière incompatible avec les dispositions de l'article II , la procédure prévue à l'article XXVIII sera applicable. Dans la détermination des compensations, il sera dûment tenu compte de la compensation qui résulterait déjà des réductions apportées au droit correspondant des autres territoires constitutifs de l'Union.

* 2 La Commission a déjà paraphé, à la fin de l'année 1995, des accords du même type avec les États-Unis, le Canada, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Chili. Le Conseil avait conclu ces accords lors de sa réunion du 21 décembre 1995. Il reste encore à négocier et à conclure l'accord avec la Thaïlande, pays avec lequel demeurent toujours des contentieux sur le riz et la fécule de manioc.

* 1 Rapport d'information n° 2594 du 5 mars 1996, présenté par M. Robert Pandraud au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

* 1 Soit, dans ces cas, une suppression totale des droits de douane ad valorem.

* 1 Ce point avait d'ailleurs été souligné dans le rapport d'information de la Commission des Affaires Économiques et du Plan sur la filière "fruits, légumes et horticulture" publié en mai 1993.

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