EXAMEN DES ARTICLES

Article premier A (nouveau)
(article 2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986)

Modification de la composition du Conseil de la concurrence

A l'initiative de sa commission des lois et de M. Raoul Béteille, l'Assemblée nationale a introduit un article additionnel avant l'article premier, modifiant l'article 2 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, afin de porter de seize à dix-sept le nombre de membres, et de deux à trois le nombre de vice-présidents du Conseil de la concurrence.

Ce nouveau membre serait nommé parmi les membres ou anciens membres du Conseil d'État, de la Cour de Cassation ou de la Cour des Comptes.

Le dernier alinéa de l'article précise que parmi le président et les vice-présidents, trois au moins sur les quatre sont nommés parmi les huit membres du Conseil issus des juridictions précitées. Seul l'un d'entre eux (« au plus ! ») serait nommé parmi les autres catégories de membres. Rappelons qu'il s'agit :

- des quatre personnalités choisies en raison de leur compétence en matière économique, ou de concurrence et de consommation ;

- des cinq personnalités exerçant ou ayant exercé leurs activités dans les secteurs de la production, de l'artisanat, des services ou des professions libérales.

L'Assemblée nationale a justifié cet amendement par la nécessité de voir la Cour de cassation représentée au sein du Conseil et de la commission permanente, les juridictions de l'ordre judiciaire étant compétentes pour connaître des affaires touchant au droit privé et au droit commercial et 1'appel d'une décision du Conseil étant d'ailleurs interjeté auprès de la Cour d'appel de Paris. Bien qu'étant qualifié d'autorité administrative indépendante par le

Conseil constitutionnel, le Conseil de la concurrence appartiendrait plutôt à la « filière judiciaire », selon M. Raoul Béteille.

Votre commission n'est cependant pas favorable à une telle modification de la composition du Conseil de la concurrence, ceci pour trois raisons principales :

- en premier lieu, elle estime qu'on accroîtrait ainsi davantage la proportion des juristes au sein du Conseil, alors que ces membres bénéficiant d'une bonne connaissance de l'entreprise et des pratiques commerciales y sont très minoritaires. Le Conseil ayant à connaître des pratiques anticoncurrentielles sur le marché, cette disposition n'apparaît pas souhaitable ;

- en second lieu, cet inconvénient serait aggravé s'agissant des affaires portées devant la commission permanente, puisque celle-ci serait composée aux trois-quarts (aux deux-tiers aujourd'hui) de membres issus des juridictions susmentionnées.

Rappelons, en effet, que la commission permanente est composée du président et des vice-présidents et qu'elle statue au nom du Conseil sur les affaires dont son président estime qu'elles doivent être portées devant elle (article 22 de l'ordonnance) ;

- en troisième lieu, elle relève que rien n'empêche qu'au prochain renouvellement du Conseil, un magistrat ou ancien magistrat de l'ordre judiciaire soit nommé vice-président, en application de l'article 2-3 de l'ordonnance ;

- enfin, le Conseil de la concurrence n'a pas tant besoin d'un nouveau vice-président que de rapporteurs supplémentaires pour faire face à la charge de travail que lui occasionnera l'adoption du présent projet de loi.

Ces raisons expliquent que votre commission vous propose de supprimer cet article.

Article premier B (nouveau)
(article 4 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986)

Modification de la composition de la commission permanente

Cet article est le résultat d'un amendement de conséquence adopté par l'Assemblée nationale à la suite du vote de l'article premier A. Il modifie le premier aliéna de l'article 4 de l'ordonnance de 1986, de façon à modifier la composition de la commission permanente du Conseil de la concurrence pour y intégrer un troisième vice-président.

Pour les mêmes raisons que celles exposées à l'article premier A, votre commission vous propose de supprimer cet article.

Article premier C (nouveau)
(article 10 de l'ordonnance n° 86-243 du 1er décembre 1986)

Modification des causes d'exonération des pratiques d'entente

1. Quelques rappels sur le droit en vigueur

Le fait pour des partenaires de s'entendre n'est pas en soi répréhensible. Il est de bonnes et de mauvaises ententes. La distinction fait appel à une analyse plus économique que juridique, car elle repose sur la notion d'atteinte à la concurrence.


• Toutes les ententes ne sont donc pas interdites. Tant l'ordonnance du 1er décembre 1986 que le Traité de Rome ne répriment que les ententes anticoncurrentielles.

Sont anticoncurrentiels, les accords qui portent atteinte aux trois grands principes qui fondent le fonctionnement libre des marchés :

- le principe d'autonomie des entreprises qui doivent déterminer en toute liberté et de façon indépendante leur politique commerciale ;

- le principe d'incertitude, qui permet d'éviter que les entreprises ne coordonnent leurs comportements ;

- le principe de libre accès au marché, qui tend à éviter la constitution de barrières artificielles et conditionne le dynamisme du marché.

En application de cette analyse, beaucoup d'accords, qui sont bien des ententes, ne relèvent pas des dispositions de l'ordonnance ou du Traité.

Il existe, dans la pratique, des milliers de réseaux de franchise, de distribution sélective, de GIE, de groupements d'artisans et jamais ceux-ci n'ont été contestés au regard du droit de la concurrence.

A la différence du droit allemand, qui a créé une présomption générale d'illicéité (avec pour conséquence l'obligation, sous sanction, de notifier tous les accords), le droit français présume que les ententes sont bonnes et qu'elles ne relèvent du droit de la concurrence que si elles affectent le fonctionnement du marché. L'article 7 de l'ordonnance de 1986 prohibe les pratiques concertées « lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet » de fausser le jeu de la concurrence. Il ne suppose pas la preuve d'une intention anticoncurrentielle.

Il cite, à titre d'exemple, l'entente sur les prix, l'entente visant à instituer des barrières à l'entrée sur le marché, le boycott, l'entente de répartition de marchés ou de sources d'approvisionnement et l'entente de quotas. On peut y ajouter l'entente constituant une barrière à la sortie du marché ou au changement de partenaire, sans que la liste soit exhaustive.

Les autorités de contrôle retiennent une application raisonnable de l'article 7, en adoptant une règle de raison que la jurisprudence américaine et, dans une certaine mesure, la jurisprudence communautaire ont développé.

Par le jeu de cette règle de raison, certaines ententes, formellement restrictives de concurrence, ne tombent pas sous le coup de cet article dans la mesure où les restrictions de concurrence sont proportionnées à l'objectif à atteindre. Un bilan concurrentiel est dressé, où le juge met en balance les effets négatifs sur la concurrence et les effets positifs de la clause ou du contrat. Les effets négatifs doivent être raisonnables et indispensables pour atteindre l'objectif recherché, telle l'amélioration de la distribution ou de la production. Des clauses restrictives de concurrence peuvent être validées si la clause apporte un effet positif sur la concurrence. La clause est validée, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'exemption de l'article 10. L'article 7 est déclaré inapplicable par le jeu de la règle de raison.


Par ailleurs, l'article 10 de l'ordonnance de 1986 prévoit des cas dans lesquels, en dépit des effets anticoncurrentiels, aucune sanction n'est prononcée car les ententes sont conformes à l'intérêt général.

Il prévoit trois causes d'exonération des pratiques anticoncurrentielles. Certaines conduisent à une exemption individuelle, d'autres à une exemption collective.

S'agissant des exemptions individuelles, le Conseil de la Concurrence peut être conduit à exempter une pratique anticoncurrentielle qui est imposée par la loi ou par un règlement pris en application de la loi (article 10-1). Il peut également accorder une exemption s'il considère que la pratique apporte une contribution suffisante au progrès économique (premier alinéa de l'article 10-2).

Ainsi la pratique concertée est exonérée lorsqu'elle produit des effets favorables, tels que l'accroissement des investissements par la conclusion d'accords de spécialisation permettant une diminution des prix de revient, l'augmentation des exportations, l'amélioration de la qualité ou de la distribution, l'organisation de recherches coûteuses, la fabrication de produits nécessitant des technologies de pointe...

Pour établir la justification de la contribution au progrès économique, trois conditions doivent être réunies :

- les restrictions à la concurrence doivent être raisonnables, proportionnelles à l'objectif recherché et indispensables ; l'entente doit être le seul moyen d'assurer le progrès ;

- la pratique, ne doit pas éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits ;

- les conséquences bénéfiques doivent profiter à la collectivité.

Les autorités de contrôle doivent donc établir un bilan économique pour apprécier les effets positifs et négatifs de l'entente.

Par ailleurs, le deuxième alinéa de l'article 10-2 de l'ordonnance, s'inspirant du droit communautaire, prévoit une mesure d'exemption a priori par décret, après avis conforme du Conseil de la concurrence.

L'autorisation prend la forme d'une exonération collective en faveur d'accords ayant des conséquences bénéfiques. Mais, à ce jour, aucun décret d'exemption n'a été pris en France (on verra, ci-après, que deux décrets sont, toutefois, en cours d'examen par le Conseil de la Concurrence). Le conseil des Communautés a, en revanche, édicté un nombre important de règlements d'exemption par catégorie.

2. L'Assemblée nationale a modifié les causes d'exonération des pratiques d'entente prévues à l'article 10 de l'ordonnance de 1986

L'Assemblée nationale a, sur la proposition de M. Jean-Paul Charié, rapporteur de la commission de la Production et des échanges et contre l'avis du Gouvernement, introduit un article additionnel avant l'article premier. Il a ainsi modifié le troisième alinéa de l'article 10 de l'ordonnance de 1986 (article 10-2).

Dans cette perspective, le 1° et le 3° de l'article Premier C (nouveau) ont pour objet d'étendre les causes d'exonération, qui visent notamment la participation au progrès économique, la contribution « au maintien ou au développement de l'emploi ».

Une telle notion ne peut être retenue.

En premier lieu, il est toujours extrêmement difficile d'évaluer a priori l'effet réel d'une pratique sur l'emploi.

Il paraît donc pour le moins hasardeux de permettre des pratiques concurrentielles pour sauver ou créer des emplois qui pourraient se révéler très hypothétiques.

En second lieu, les autorités de contrôle peuvent d'ores et déjà intégrer des considérations relatives à l'emploi lorsqu'elles établissent le bilan économique de la pratique concertée. La jurisprudence en la matière est, il est vrai, rare. On peut, cependant, citer l'affaire « Métro-Saba », à l'occasion de laquelle la Cour de justice des Communautés européennes a retenu des considérations sociales pour accorder l'exemption. Elle a ainsi admis que « la conclusion de programmes de livraison pour une durée raisonnable constitue, pour ce qui concerne le maintien de l'emploi, un élément de stabilisation, (...) (qui entre) dans le cadres des objectifs que l'article 85 § 3 permet de viser » 7 ( * ) .

Votre commission est donc défavorable à l'adoption du 1° et du 3° de l'article C. Elle est également opposée à l'adoption du 8° de cet article qui, sous couvert d'illustrer les pratiques pouvant être exonérées de l'application de l'article 7 de l'ordonnance sur les ententes autoriserait celles pouvant « consister à organiser les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale y compris en convenant d'un prix de cession commun. ».

Or, les ententes relatives au prix ou à son mode de calcul, les recommandations tarifaires, les accords portant sur des remises cartellisées ou des remises de fidélité indépendamment du chiffre d'affaires réalise, les accords sur des marges minimales, ou ceux portant sur les conditions de paiement, par exemple sur les délais de règlement, sont systématiquement pourchassées.

L'adoption de ce texte serait la « porte ouverte » à toutes les ententes abusives.

C'est pourquoi votre commission vous propose d'adopter une nouvelle rédaction de l'article premier C, totalement différente de celle retenue par l'Assemblée nationale.

Il s'agirait de créer une présomption de respect des conditions édictées à l'article 10-2, permettant de déroger à l'interdiction des ententes, pour certains accords relatifs aux productions agricoles ou alimentaires assurant l'organisation concertée de celles de ces productions qui :

- bénéficient d'une garantie officielle d'origine ou de qualité,

- ou se trouvent en situation de déséquilibre important de l'offre et de la demande.

Il est cependant évident que la loi ne saurait autoriser les accords contre lesquels les autorités de contrôle, tant françaises que communautaires, ont toujours lutté, à savoir les ententes en matière de prix.

C'est pourquoi, l'amendement que votre commission vous propose d'adopter précise que les accords précités ne pourront pas « comporter des dispositions relatives aux prix de cession des produits » .

La possibilité de déroger à l'interdiction des ententes pour les produits agricoles ou alimentaires de qualité se justifie par le fait que la politique de certification de la qualité et de l'origine des produits agricoles et alimentaires est une orientation majeure de la politique agricole. Elle permet d'ancrer des productions dans les terroirs, de dégager de la valeur ajoutée et de faire reconnaître le savoir-faire des agriculteurs.

Rappelons quelles sont les garanties officielles d'origine et de qualité :

- l'appellation d'origine contrôlée,

- le label agricole,

- la certification de conformité,

- les produits reconnus comme issus de l'agriculture biologique,

- l'appellation montagne ou les noms géographiques spécifiques de montagne au sens de la loi de modernisation de l'agriculture du 1er février 1995.

On sait que les filières agro-alimentaires sont marquées par l'atomisation de la production, la mondialisation de la concurrence et la forte concentration des acheteurs.

L'élargissement des possibilités de déroger à l'interdiction des ententes en cas de crise sur ces marchés permettra aux différents opérateurs d'un même secteur de production d'affronter une crise de désajustement structurel entre la production et les marchés, en leur donnant les moyens de s'organiser dans le cadre d'un « cartel de crise » pour restructurer l'offre notamment par la diminution des volumes produits ou présentés sur le marché.

La nouvelle rédaction que votre commission vous propose d'adopter à l'article premier C du projet de loi donnera donc aux opérateurs concernés, les moyens de s'organiser pour adapter leur production aux exigences du marché en termes de qualité et/ou de quantité, mais pas en termes de prix.

Deux décrets d'exemption ont certes été récemment élaborés par le Gouvernement dans le but d'autoriser ce type d'entente dans le secteur agro-alimentaire.

Ils sont en cours d'examen par le Conseil de la concurrence, dont l'avis, on l'a vu, doit être conforme, pour qu'ils soient valides. Cet avis n'étant pas encore connu, votre commission a préféré inscrire ces exemptions dans la loi.

Votre commission vous demande d'adopter l'article premier C dans la nouvelle rédaction qu'elle vous propose.

Article premier D (nouveau)
(Article 12-1 (nouveau) de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986)

Offre ou vente aux consommateurs à un prix abusivement bas

A. A L'HEURE ACTUELLE, SEULE LA JURISPRUDENCE SANCTIONNE LES PRIX PRÉDATEURS

1. Le droit en vigueur ne sanctionne pas l'offre de prix de vente abusivement bas

C'est au travers de la réglementation du prix d'appel que les pouvoirs publics ont jusqu'ici tenter de lutter contre l'offre de prix anormalement bas.

Des circulaires sont ainsi intervenues en 1960, 1970 et 1978, qui se sont révélés inefficaces. La dernière en date est la circulaire du 22 septembre 1980 qui, pour la première fois, a défini le prix d'appel.

Il s'agit d'une pratique consistant « à mener une action de promotion par les prix sur un produit déterminé, pour lequel (le distributeur) adopte un niveau de marge si faible et dispose de quantités tellement insuffisantes que les avantages à attendre ne peuvent être en rapport avec l'action de promotion engagée, sauf pour le distributeur à pratiquer la dérive des ventes, c'est-à-dire à inciter, par quelque moyen que ce soit, les clients attires par la publicité à acheter un produit substituable à celui sur lequel la publicité a porté. »

Mais ses modalités et conditions d'application n'ont pas permis de sanctionner sur cette base la plupart des pratiques de prix d'appel.

2. La jurisprudence, tant communautaire que nationale, sanctionne des pratiques de prix inférieurs aux coûts variables

La commission européenne poursuit des prix prédateurs sur le fondement de l'article 86 du traité de Rome lorsqu'ils sont le fait d'entreprises exploitant de façon abusive une position dominante. La Cour de justice des Communautés européennes a établi, pour la première fois, dans un arrêt du 3 juillet 1991 (AKZO Chimie c /Commission), une définition du prix abusivement bas. Il s'agit des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables, ou, quand ils ont un but prédateur, inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables.

Le Conseil de la concurrence (mesures conservatoires du 14 septembre 1994), puis la Cour d'Appel de Paris (arrêt en appel du 3 novembre 1994), ont repris cette définition du prix prédateur. Ils ont ainsi condamné la vente à un prix inférieur au coût variable de production du béton prêt à l'emploi de filiales de grands groupes du ciment et du béton de la région de Toulon. Cette pratique a été analysée comme une présomption d'entente entre des entreprises visant à empêcher l'accès d'une entreprise concurrente sur ce marché.

* 7 CJCE - 25 octobre 1977 « Métro-Saba »

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