un lent déclin : une mer morte ?

Malgré ses caractéristiques remarquables, l'étang de Berre traverse une crise à laquelle les pouvoirs publics n'ont apporté de premières réponses qu'au début des années 1990.

L'étang marin a été, en effet, l'objet d'une pollution industrielle autant que domestique, d'un bouleversement écologique dû à l'apport excessif d'eaux douces et d'un mouvement accélérée de comblement. Il en est résulté une crise durable du milieu aquatique et une raréfaction du poisson qui témoignent de l'atteinte portée à l'équilibre d'une zone que certains qualifiaient dans le passé de " frayère de la Méditerranée ".

Les pollutions industrielles

Les pollutions d'origine industrielle sont les plus anciennes.

Elles ont gravement endommagé l'étang au cours des années 1950 et ont justifié qu'en 1957 la loi y ait interdit la pêche (cf. ci-dessous). Le déversement incontrôlé de produits toxiques aussi bien par les PME-PMI que par les grandes unités de production, notamment pétrolières, a entraîné une dégradation du milieu marin et une accumulation de métaux lourds dans les couches sédimentaires situées au fond de l'étang.

La présence de vastes zones industrielles dont les eaux de ruissellement se déversaient dans l'étang a également fragilisé ce dernier. Cependant, la création de plusieurs bassins d'orage a récemment permis de limiter ce phénomène.

A la pollution industrielle s'ajoute une pollution d'origine agricole. Des eaux chargées en phosphates, en nitrates et en engrais divers se déversent dans l'étang et contribuent à sa pollution, en favorisant le développement des algues.

Les pollutions domestiques

L'accroissement rapide de la population dans la zone de l'étang de Berre n'a pas été suivi d'une augmentation suffisante des capacités de retraitement des eaux usées. Il s'ensuit que l'étang reçoit une forte quantité d'eaux qui ne sont pas traitées par le filtre des stations d'épuration. Comme le relève, par exemple, une étude récente, la pollution organique et bactériologique de l'anse de Saint-Chamas, du fait notamment de la présence anormalement élevée de coliformes et de streptocoques fécaux, soulève, sur les rives, de sérieux problèmes de salubrité publique.

Les affluents de l'étang sont, eux-mêmes, victimes des rejets d'eaux domestiques non épurées. Au total, sur les dix communes riveraines de l'étang de Berre, seules trois sont dotées, en 1997, d'un système d'assainissement et de stations de traitement des eaux conformes aux dispositions du décret du 3 juin 1994 relatif à la collecte et au traitement des eaux usées urbaines. Une quatrième commune disposera d'un réseau conforme aux textes en vigueur d'ici au 31 décembre 1998 comme le prévoit le décret précité.

On constate, au surplus, que l'imperméabilisation des rives de l'étang due à l'urbanisation a considérablement accru le débit du ruissellement et les flux de pollution pluviale rejetés dans l'étang.

Au total, les affluents de l'étang de Berre sont eux-mêmes les vecteurs d'une série de pollutions diverses, résumées dans le tableau ci-dessous.


AFFLUENT TAILLE DU BASSIN VERSANT POPULATION REJETS URBAINS REJETS INDUSTRIELS
Arc 740 km² 203.000 h 22 stations d'épuration Zone de Rousset

porcherie - usine de pesticide des agglomérations de Gardanne - centrale thermique -

industrie de l'aluminium

Touloubre 400 km² 60.000 h 9 stations d'épuration industries agro-alimentaires base aérienne
Cadière - 65 h 4 stations d'épuration agro-alimentaire - construction électrique

Source : service maritime des Bouches-du-Rhône

Les trois principaux affluents de l'étang sont, à des degrés variables, touchés par la pollution.

La Cadière est caractérisée par une pollution importante concentrée dans un faible débit, la Touloubre par une pollution moyenne à dominante azotée du fait de la prééminence des rejets urbains, tandis que l'Arc est caractérisé par une pollution en azote, phosphates et métaux lourds tels que le cuivre et le plomb.

La pollution par excès d'eau douce

La dégradation du milieu aquatique de l'étang de Berre résulte, pour une large part, de l'accroissement du débit d'eaux douces issues du canal usinier de la Durance qui débouche dans l'étang à la hauteur de Saint-Chamas. Au phénomène global d'abaissement du degré de salinité des eaux, se joint la variation très forte, en fonction des saisons, du volume d'eau douce, rejeté dans l'étang.

Alors qu'avant 1966, date de l'ouverture de la centrale EDF de Saint-Chamas, l'étang de Berre revêtait l'aspect d'une lagune méditerranéenne d'une salinité stabilisée autour de 3,2 %, le déversement des eaux de la Durance a occasionné l'apparition d'un phénomène de manque d'oxygénation (anoxie) des eaux profondes du fait de la stratification de l'eau salée (au fond de l'étang) et de l'eau douce (en surface). Cette situation nouvelle occasionne de graves dommages pour la flore et la faune de l'étang de Berre, ainsi que le relevait, en 1993, le conseil scientifique du comité de bassin Rhône-Méditerranée-Corse :

" Avant le détournement en 1966, des eaux de la Durance, par le canal usinier débouchant à Saint-Chamas, l'étang fonctionnait comme une lagune méditerranéenne typique. [...] Le milieu présentait déjà des signes d'eutrophysation mais la faune et la flore benthiques et pélagiques [4] y étaient abondantes et relativement diversifiées.

Depuis le détournement des eaux, la faune benthique a totalement disparu en raison certes de la dessalure, d'une forte stratification haline mais aussi d'une anoxie quasi-chronique des eaux profondes. Par ailleurs, il n'est pas à exclure un effet synergique lié aux contaminants encore piégés dans les sédiments (toxicité) et à une perturbation induite par les fortes turbidités du milieu. Ce peuplement saumâtre n'a pu être remplacé par une faune et une flore dulçaquicole ni par un maintien d'un peuplement saumâtre, même appauvri, en raison du mode de fonctionnement de la centrale hydro-électrique (rejets variables et discontinus).

En période automnale et hivernale, les rejets importants par le canal usinier font que l'étang fonctionne comme un estuaire : eau dessalée en surface - eau salée au fond. Entre les deux, un gradient halin (salin) très fort empêche les échanges entre la surface et le fond. Les eaux qui arrivent par le canal et les fleuves côtiers séjournent dans l'étang suffisamment longtemps pour que tous les sels nutritifs dissous soient consommés par la flore pélagique (phytoplancton). A la mort de celle-ci, elle sédimente vers le fond tout en étant bio-dégradée par les bactéries. Cette biodégradation, grande consommatrice d'oxygène, amène l'anoxie, une des causes de la disparition des organismes benthiques. L'étang de Berre fonctionne alors, en période de crise, comme une petite mer baltique.

En période estivale, avec l'arrêt des rejets, le gradient halin (...) tend à s'atténuer, voire à disparaître. L'étang de Berre tend alors à retrouver transitoirement sa structure physique et chimique d'étang saumâtre. Ceci explique la possibilité de re-colonisation des eaux de l'étang par des espèces vagiles comme les poissons car leurs déplacements sont rapides. La re-colonisation par des espèces qui se reproduisent par des larves (mollusques, crustacés) est plus lente " [5] .

Au total, l'apport en eaux douces issues du canal usinier de la Durance était, jusqu'à ce que des mesures de réduction ne soient prises, le quadruple du volume de l'étang, atteignant de 3 à 4 milliards de m3 d'eau alors que le volume de l'étang lui-même est estimé à 900 millions de m3. Le déversement de 500.000 m3 de limons chaque année a également contribué au déséquilibre de l'écologie de l'étang en favorisant son comblement progressif.

Le comblement progressif de l'étang

L'étang de Berre est victime, outre les diverses formes de pollutions généralement examinées, d'un lent phénomène de comblement. Les études menées par le service hydrographique de la marine [6] aussi bien que l'expérience empirique des pêcheurs confirment le sens de la variation même si le rythme du comblement est discuté.

Selon les études précitées, en 1925, l'étang comptait encore des fonds de 10 mètres qui avaient disparu en 1962. Le mouvement de sédimentation a davantage touché la partie nord de l'étang, même s'il reste général. Au total, au début des années 1990, la sédimentation maximale pouvait atteindre 3 centimètres par an dans les secteurs les plus profonds de l'étang, qui ne dépassent plus 9,4 mètres.

Certes, l'envasement de l'étang est un mouvement séculaire, antérieur à l'ouverture de la centrale de Saint-Chamas. Cependant, la centrale elle-même a renforcé une tendance de fonds et accru l'envasement de certaines régions spécifiques, comme le soulignent les résultats de l'étude précitée qui " montrent une influence bien établie de la centrale EDF de Saint-Chamas sur l'envasement d'une partie nord de l'étang. A l'écart de ce secteur, il devient difficile de déterminer une telle influence puisque l'envasement de l'étang de Berre a une histoire longue et complexe et que de nombreux facteurs (hydrodynamisme, apport naturel des bassins versants, apports industriels, canalisation, conchyliculture, modification des infrastructures routières ont entraîné des changements des taux et des lieux de sédimentation au cours du temps. " [7]

Ainsi donc, si la centrale d'EDF de Saint-Chamas ne peut, comme le disent ses détracteurs, être considérée comme l'unique responsable de la totalité des maux dont souffre l'étang, elle assume une importante part de responsabilité dans la dégradation écologique de ce dernier.

La crise du secteur de la pêche

L'étang de Berre fut, longtemps, une réserve piscicole de première importance. Alexandre Dumas n'écrivait-il pas, dans ses Impressions de voyage , publiées dans la seconde moitié du siècle passé :

" Ce qui frappe dans Martigue, c'est sa physionomie joyeuse [...] c'est un vaste bateau où tout le monde pêche, les hommes au filet, les femmes à la ligne, les enfants à la main, on pêche par-dessus les ponts, on pêche par les fenêtres, et le poisson, toujours renouvelé et toujours stupide, se laisse prendre ainsi au même endroit et par les mêmes moyens depuis deux mille ans " [8] .

Peuplé de muges, de loups, de roujets et de sardines, l'étang de Berre a longtemps assuré la subsistance d'une communauté de pêcheurs comptant plusieurs centaines de membres. Il y a cependant loin, du tableau idyllique dressé de Martigue par A. Dumas en 1878, à une description de la situation piscicole de l'étang en 1972, selon laquelle :

" Pour l'immédiat, en ce qui concerne la pêche, c'est incontestablement le problème de l'odeur et du goût des poissons qui est le plus préoccupant, sans parler des effets sur la nourriture, le plancton en particulier. Ces problèmes sont liés principalement aux rejets d'hydrocarbures et de phénols. Dès 1952, à cause des hydrocarbures, les muges de Vaïne n'étaient plus consommables. Il semble d'ailleurs qu'il faille envisager cette question [...] du point de vue de la qualité totale des produits nocifs rejetés dans l'étang [qui] peut être considérée comme un bassin d'accumulation. " [9] .

Le nombre de pêcheur qui était de 349 en 1957, lors de la suppression du droit de pêche s'est considérablement réduit, malgré le rétablissement du droit de pêche par l'article 34 de la loi n° 94-114 du 10 février 1994 portant diverses dispositions concernant l'agriculture. Il avoisine actuellement la trentaine. L'essentiel des prises se répartit entre l'anguille (41,6 %), le mulet (25,5 %), le bar (18 %) et l'athérine (14,8 %). Le secteur de la pêche est donc sinistré et ne pourra survivre sans aides financières.

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