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Rapport n° 308 (1997-1998) de M. Jean HUCHON , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 25 février 1998

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N° 308

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 février 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution , présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par MM. Jacques GENTON et Georges OTHILY sur :

- la proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane ,

- la recommandation de décision du Conseil autorisant la Commission à négocier un accord avec les pays ayant un intérêt substantiel à la fourniture de bananes pour la répartition des contingents tarifaires et de la quantité ACP traditionnelle (n° E-1004),

Par M. Jean HUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti, vice-présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Michel Barnier, Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut , Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Hilaire Flandre, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Gérard Larcher, Edmond Lauret, Pierre Lefebvre, Jean-François Le Grand, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Jean-Baptiste Motroni, Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Bernard Piras, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, M. Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 298 (1997-1998).

Union européenne.

Mesdames, messieurs,

La proposition de résolution n° 298, dont vous êtes saisis, porte, d'une part, sur une proposition de règlement modifiant l'organisation commune du marché de la banane (OCMB), entrée en vigueur en juillet 1993, et d'autre part, sur une recommandation de décision autorisant la Commission à négocier un accord avec certains pays pour la répartition des contingents tarifaires.

Cette proposition d'acte communautaire, transmise au Sénat le 3 février 1998 sous le numéro E 1004, a été adoptée par la Commission européenne le 14 janvier 1998. Le Conseil des ministres de l'agriculture procède actuellement à l'examen de ce nouveau règlement qui devrait être adopté sous présidence britannique.

Les modifications proposées par la Commission sont de nature substantielle. Elles portent, en effet, sur le titre IV de l'OCMB relatif au régime des échanges avec les pays tiers. Elles font suite à la notification par l'Union européenne, le 25 septembre dernier, à l'Organe de Règlement des conflits de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de sa décision de mettre en oeuvre la décision de l'OMC plutôt que d'accorder des compensations aux plaignants.

Ayant trait à un secteur dont les enjeux sont considérables, la proposition E 1004 ne tend pas, selon votre commission, à un démantèlement complet de l'OCMB. Elle présente néanmoins des risques importants, notamment en matière d'écoulement de la production communautaire. Certains aménagements s'avèrent donc nécessaires, la mise en cause de l'économie même de l'OCMB ayant suscité l'inquiétude de votre commission et motivé la proposition de résolution qu'elle vous soumet.

I. UNE INTERVENTION OPPORTUNE DE L'UNION EUROPÉENNE À LA SUITE DE LA CONDAMNATION PAR L'OMC

Après une décision rendue en appel par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le 27 septembre 1997 sur une précédente condamnation d'un « panel » en avril 1997, la Commission européenne pouvait, soit proposer une réforme de l'OCMB, soit s'abstenir de toute proposition. Cette dernière solution aurait entraîné la condamnation de l'Union européenne à verser aux plaignants, fort nombreux au demeurant, des compensations financières élevées selon le règlement de l'OMC.

Votre commission des affaires économiques approuve, en raison de l'importance du marché de la banane pour la Communauté, la démarche positive adoptée par la Commission européenne ayant consisté à présenter des propositions de réforme, et ce dès le mois de janvier 1998.

A. L'IMPORTANCE DU MARCHÉ DE LA BANANE

1. Une production concentrée et en pleine expansion

La banane est une herbe géante, du genre « nusa », qui donne des fruits ou des légumes. Il existe environ huit cents variétés naturelles de bananes-fruits qui sont le résultat d'une grande migration végétale transcontinentale depuis l'Extrême-Orient. La banane a fait l'objet, tout au long de ce périple, de nombreuses mutations génétiques.

La banane est un des fruits les plus consommés au monde. Avec plus de 84 millions de tonnes produites en 1996, elle se place au tout premier rang de la production fruitière mondiale devant les agrumes. Cette production globale a connu une vive expansion au cours des dernières décennies : de 12 millions de tonnes de « bananes-desserts » produites en 1949, elle est passée à 38 millions -le reste étant des bananes-légumes- soit une progression de 44 % sur les seules seize dernières années.

Cette envolée de la production tient autant à une demande globale croissante qu'à une organisation déjà centenaire des marchés bananiers, qui repose sur un système performant de production et de distribution, ainsi que sur une intégration verticale des filières.

La production mondiale se concentre sur deux grandes régions du monde : l'Amérique latine à hauteur de 44 % de la production totale en 1996, et l'Asie du Sud-Est, pour 43 %. L'Afrique ne produit que peu de « bananes-desserts (moins de 15 % de la production totale)-. En revanche, elle se situe largement en tête pour la production de bananes-plantain (bananes-légumes).

Cependant, l'Amérique latine et l'Asie du Sud-Est ne sont pas intégrées au commerce international de façon identique. En effet, le plus souvent, la production nationale de bananes reste majoritairement orientée vers les marchés locaux. Ainsi, le Brésil et l'Inde, premiers producteurs mondiaux, consomment la totalité de leur production.

Trois groupes de pays producteurs, pleinement intégrés au commerce international, sont à distinguer :

- les producteurs de  « bananes communautaires », ainsi nommés parce qu'ils sont membres de l'Union européenne au travers de leurs pays respectifs : il s'agit de la Guadeloupe, de la Martinique, des Iles Canaries, de Madère et de la Crète. En 1996, leur production totale s'élevait à 712.000 tonnes ;

- les producteurs de « bananes ACP » , pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique, liés à l'Union européenne dans le cadre de la Convention de Lomé et défendus par les anciennes puissances coloniales telles que la France ou le Royaume-Uni. On y trouve Belize, Madagascar, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, Cap Vert, la Côte d'Ivoire, la Jamaïque, la Somalie et le Cameroun. En 1996, leur production s'élevait à 2,2 millions de tonnes ;

- les producteurs de « bananes dollars » qui rassemblent l'ensemble des producteurs d'Amérique latine (Costa Rica, Honduras, Colombie, Nicaragua, Equateur...). Leurs bananes sont commercialisées par des firmes multinationales. En 1996, leur production totale s'élevait à plus de 10 millions de tonnes .

2. Le commerce international de la banane : un marché conflictuel

Le commerce mondial de la banane est très concentré. Il porte sur un peu plus de 12 millions de tonnes . Les importations sont le fait d'un nombre très limité de pays : l'Union européenne concentre 36 % de la demande globale et les Etats-Unis, 34 %. Les autres pays ne représentent que de faibles quantités.

EXPORTATIONS ET IMPORTATIONS DE BANANES

(en millions de tonnes)

1989

1990

1991

1992

1993

1994

Exportations mondiales

9,4

10,3

10,7

11,6

12,0

dont Equateur

1,6

2,1

2,6

2,7

2,3

2,4

Costa Rica

1,4

1,5

1,5

1,7

1,9

2,0

Colombie

0,9

1,0

1,2

1,4

1,6

1,7

Philippines

0,8

0,8

0,9

0,8

1,1

1,1

Panama

0,7

0,8

0,7

0,7

0,7

0,7

Importations mondiales

8,5

9,4

10,3

10,8

11,4

12,4

dont Etats-Unis

2,8

2,8

2,9

3,7

3,7

3,8

l'Union européenne

3,0

3,3

3,6

3,7

3,9

4,2

dont Allemagne

0,9

1,1

1,3

1,4

1,2

1,1

Royaume-Uni

0,4

0,4

0,4

0,5

0,6

0,6

France

0,5

0,5

0,5

0,5

0,6

0,6

Source : FAO

Ces deux gros importateurs de bananes que constituent l'Europe et les Etats-Unis présentent des caractéristiques bien distinctes.

Les Etats-Unis, tout d'abord, sont le berceau des compagnies multinationales qui dominent le marché bananier mondial . Elles sont au nombre de trois : Chiquita Brands international Inc, fondée en 1899 qui reste le leader mondial, Dole Food Compagny Inc. et Del Monte Fresh Produce. Ces trois compagnies transnationales, malgré l'apparition récente de nouveaux acteurs sur la scène bananière, ont une mainmise sur l'ensemble du marché et font peser sur les Etats Unis le poids colossal de leur lobby. Elles ont pratiqué une intégration verticale des filières à outrance : de la production agricole à la distribution, elles contrôlent jusqu'aux activités de conditionnement et de transport maritime. Leur maîtrise des technologies de production s'appuie sur une organisation logistique tentaculaire, des systèmes d'information très fiables et une communication marketing impressionnante.

PÉNÉTRATION DU MARCHÉ EUROPÉEN PAR LES MULTINATIONALES

(% DES IMPORTATIONS TOTALES)

1991

1994

Chiquita (USA)

25,1

18,5

Dole (USA)

11,0

15,0

Del Monte (USA)

7,5

8,0

Sous-total

43,6

41,6

Geest Plc (GB)

Fyffes Plc (GB-IRL)

9,9

16,5

Total des cinq firmes

53,5

57,0

Les grandes multinationales détiennent ainsi 70 % du commerce mondial et se battent pour l'approvisionnement de leur principal débouché avec les Etats-Unis : l'Europe. En effet, l'approvisionnement de l'Union se fait à hauteur de 20 % par les pays ACP, 20 % par leur production intérieure et donc 60 % par d'autres fournisseurs. Les premiers concernés sont les pays d'Amérique latine.

L'Union européenne, premier consommateur mondial, est, quant à elle, soumise à un jeu d'influences complexe. L'Europe du Nord réunit des pays exclusivement consommateurs et en grande quantité : l'Allemagne, par exemple, est le plus gros consommateur mondial de bananes, à raison de 16 kgs par personne et par an ( à titre de comparaison, la France n'en consomme que 8 kgs). Ces pays (l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l'Irlande et le Luxembourg) cherchent à s'approvisionner au meilleur prix sur le marché mondial. Leur propre marché est très déréglementé, les droits de douane réduits au maximum ou inexistants. Ce groupe est favorable à l'ouverture totale du marché européen.

A l'inverse, l'Europe du Sud souhaite un prix à la consommation élevé et une limitation des importations, de manière à soutenir ses anciennes colonies.

UNION EUROPÉENNE

ÉVALUATION DE LA CONSOMMATION DE LA BANANE

Type ou origine des bananes

ACP

Année

Communautaires

Traditionnels

Non trad.

Autres ($)

Sous-total

Exports

Approvisionnement net

1988

719 270

513 043

1 018

1 644 100

2 877 431

17 265

2 860 166

1989

698 925

542 628

1 792

1 716 500

2 959 845

13 415

2 946 430

1990

710 635

617 353

4 523

2 024 243

3 356 754

36 219

3 320 535

1991

695 402

584 516

11 898

2 286 014

3 577 830

53 468

3 524 362

1992

711 191

641 005

39 161

2 366 800

3 758 157

39 689

3 718 468

1993

646 242

677 326

70 785

2 219 715

3 614 068

36 138

3 577 930

1994

478 760

629 595

97 338

2 102 375

3 308 068

58 044

3 250 024

1995

614 907

670 479

93 486

2 386 931

3 765 803

43 082

3 722 721

1996

650 736

682 526

116 866

2 466 380

3 916 508

30 598

3 885 910

Source : Eurostat

En ce qui concerne les exportations, le marché est tout aussi concentré. L'Amérique latine, premier exportateur mondial, rassemble, à elle seule, 75 % du total des exportations ; les territoires d'Outre-Mer de l'Union européenne et les cinq principaux pays ACP représentent environ 15 % de ce total.

Notons que ces exportations représentent environ 22 % de la production mondiale, soit un taux d'internationalisation assez élevé par rapport aux autres grands produits agricoles (4 % pour les viandes, 14 % pour les céréales et 15 % pour les oléagineux).

Au total, le marché mondial de la banane rassemble donc peu d'acteurs dominants, sur les positions de vente comme d'achat, chaque protagoniste s'engageant dans la défense de ses intérêts propres. Ces trente dernières années ont d'ailleurs été témoins de l'affrontement de ces intérêts divergents.

B. LA SPÉCIFICITÉ DE L'OCM BANANE

En mars 1957, la banane, objet d'un différend, a retardé de quatre jours la signature du Traité de Rome. L'organisation de ce marché s'est élaborée d'une façon segmentée pendant une trentaine d'année. Or la volonté d'achever le marché unique pour le 1er janvier 1993 a rendu urgente l'instauration d'un régime communautaire unifié. C'est ainsi que différentes organisations nationales qui coexistaient dans un premier temps, ont laissé place en 1993 à une organisation commune qui a tenté d'uniformiser les régimes et d'harmoniser un système relativement éclaté 1 ( * ) .

1. Une organisation longtemps éclatée

L'organisation du marché de la banane a été caractérisée jusqu'en 1993 par l'addition de marchés nationaux spécifiques. Chaque Etat membre pouvait imposer des mesures discriminatoires à l'entrée des bananes sur son territoire afin d'accorder un accès préférentiel à certaines zones productrices. Ainsi, on distingue traditionnellement les pays à « marché fermé » qui donnaient de façon privilégiée des avantages à des pays exportateurs proches, et les pays à « marché ouvert » au sein desquels la situation de l'Allemagne apparaissait spécifique depuis le traité de Rome.

a) Les marchés nationaux protégés

L'Espagne, la France, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni étaient communément qualifiés de pays à « marché fermé » ou à « accès préférentiel ». Au-delà de quelques similitudes 2 ( * ) chaque marché possédait une réelle spécificité.

L'Espagne restreignait le marché national des bananes aux seules importations en provenance des Iles Canaries en application d'un loi datant de 1972. Le traité d'adhésion à la Communauté de 1986 prévoyait le maintien de ce tarif préférentiel jusqu'au 31 décembre 1995. Enfin pour les importations exceptionnelles de bananes de pays tiers, un droit de 20 % était appliqué.

La France voyait au minimum les deux tiers de ses besoins couverts par les régions qui lui étaient historiquement ou commercialement proches, à savoir les départements d'outre-mer, et certains pays de la zone ACP (Côte d'Ivoire, Cameroun Madagascar) exonérés de tout droit d'importation. Pour le reste, la France accordait des licences à certains pays tiers en les assujettissant au droit de 20 %. En fait, existait depuis 1932 un système de protection du marché national réservant quasi-exclusivement son accès aux bananes de la Martinique, la Guadeloupe, la Côte d'Ivoire, du Cameroun et de Madagascar.

Seul le comité interprofessionnel bananier (CIB) 3 ( * ) était chargé d'ouvrir un contingent pour l'importation de bananes de pays tiers, uniquement lorsque le marché français n'était pas suffisamment approvisionné par la production « nationale ». Or, pendant de nombreuses années, s'est posé un problème quant au prix selon la zone de production concernée. En effet, en 1986 par exemple, le prix des bananes antillaises était de 653 écus par tonne, de 612 écus pour les bananes des pays ACP et de 525 écus seulement pour celles de la zone dollar. Ainsi, à partir de 1987, la France, comme la Grèce, l'Italie et le Royaume-uni ont eu recours à l'article 115 4 ( * ) du traité de Rome pour protéger leur production nationale ou leurs importations des pays ACP. La France a, de la sorte, été autorisée à plusieurs reprises par la Commission à exclure du traitement communautaire les bananes de la « zone dollar » mises sur le marché dans d'autres Etats membres.

L'Italie , jusqu'en 1965, connaissait un monopole d'Etat pour le transport maritime et la commercialisation des bananes. Elle a, en outre, entretenu de façon traditionnelle des relations privilégiées avec la Somalie, exemptée de droits de douane.  Elle allouait à des pays ACP tels le Costa-Rica, l'Equateur, la Colombie des licences d'importation en exonération des droits de douane. Enfin, elle appliquait le taux communautaire de 20 % pour environ 10 % de ses importations.

Le Portugal favorisait pareillement les îles de Madère jusqu'au 31 décembre 1995, tout en permettant à partir de 1985 des importations supplémentaires en provenance d'Amérique latine au taux ordinaire de 20 %.

Le Royaume-Uni offrait un marché garanti aux Iles Sous-le-Vent (Dominique, Sainte Lucie, Saint Vincent, Grenade) ainsi qu'à la Jamaïque en leur accordant l'exonération des droits de douane. Les Winward Island assuraient ainsi 50 % de l'approvisionnement du marché britannique. Les autorités britanniques attribuaient également des licences d'importations à la Colombie, au Belize et au Surinam pour les besoins non satisfaits au taux normal de 20 %, l'octroi de licences à ces pays de la zone dollar étant garanti à un minimum de 10  % du marché à partir de 1988.

On voit ainsi que sur les « marchés nationaux protégés », les opérateurs économiques, commercialisant des bananes communautaires et traditionnelles ACP, étaient assurés de pouvoir écouler leur production sans être exposés à la concurrence des distributeurs plus compétitifs de bananes pays tiers. C'est par contre sur les « marchés nationaux ouverts » que la compétitivité des bananes pays tiers a pu être appréciée.

b) Les marchés nationaux ouverts

Deux catégories de pays à « marché ouvert » coexistaient dans la CEE.

D'une part, la Belgique, le Danemark, la Grèce 5 ( * ) , l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas , étaient des pays à « accès libre ». Il était possible dans ces Etats d'importer des bananes en provenance d'Amérique latine sans limitation de quantité, mais en les soumettant à une taxe d'entrée au taux uniforme de 20 %.

D'autre part, l'Allemagne revêtait au sein de ces pays libéraux un aspect particulier puisque son marché était l'un des plus importants 6 ( * ) et que les prix y étaient les plus bas. Mais surtout, en vertu d'un protocole spécial annexé au traité de Rome 7 ( * ) , ce pays bénéficiait d'une exonération totale des droits de douane pour les importations de bananes sur son territoire, et ne pratiquait pas de restrictions quantitatives. Historiquement, les bananes importées en Allemagne provenaient pour plus de 90 % des pays latino-américains, où des sociétés allemandes étaient implantées 8 ( * ) .

A cet égard, la déclaration d'intention contenue dans le protocole au sujet des pays et territoires d'outre-mer n'a pas entraîné de modification notables dans la source des approvisionnements allemands.

Ainsi, en 1992, 63 % des achats de la CEE provenaient de pays tiers, 19 % de pays ACP et 18 % avaient une origine communautaire. L'adhésion des trois nouveaux Etats membres en 1995 a accru le poids des pays à marché ouvert, puisque l'Autriche, la Finlande et la Suède s'approvisionnent exclusivement en bananes provenant des pays tiers.

Du fait d'une telle hétérogénéité des réglementations nationales et communautaires relatives à l'importation de bananes, l'organisation commune des marchés mise en place en 1972 pour les fruits et légumes n'a pas été appliquée aux bananes. Il a fallu attendre 1993 pour qu'une organisation commune des marchés spécifique aux bananes soit réalisée. En effet, l'avènement du marché unique européen en 1993 a nécessité la mise en place d'une réglementation communautaire spécifique aux bananes, permettant leur libre circulation au sein du marché communautaire.

2. L'organisation commune du marché de la banane

Les préparatifs et les négociations antérieurs à l'entrée en vigueur de l'organisation commune ont été relativement longs et difficiles 9 ( * ) . La mise en place de l'OCMB a montré très tôt que la grande complexité du nouveau système et la remise en cause d'avantages financiers longtemps incontestés allaient inévitablement entraîner des contestations.

a) La préparation de l'OCMB

Pendant plus de vingt-cinq ans, la Communauté a donc connu un régime « transitoire » durable dans le secteur de la banane. Ce n'est qu'à partir de 1989 que les travaux de réflexion menés par les institutions européennes se sont développés avec la création d'un groupe interservices des directions générales de la Commission. Cependant, jusqu'en 1992, l'avenir de la banane paraissait encore incertain 10 ( * ) . Les discussions n'ont réellement débuté qu'après la publication de la proposition de la commission le 7 août 1992. Par la suite, de nombreuses instances -nationales, communautaires ou internationales- ont apporté leur contribution à ces réflexions. Il devenait, en effet, urgent dans la perspective du marché unique au 1er janvier 1993 de prévoir la suppression des obstacles à la libre circulation de toutes les marchandises entre les Etats membres de la Communauté.

Plusieurs impératifs, parfois contradictoires, ont dû être conciliés : l'écoulement des bananes communautaires et ACP, le respect des règles du GATT et le maintien de prix équitables pour les consommateurs.

Trois options paraissaient envisageables :

- la création d'un marché intérieur libre, mais avec une application d'un tarif extérieur commun de 20 %, soit sur toutes les bananes, soit sur les « bananes dollars » uniquement ;

- la mise en place d'un mécanisme de soutien des prix, les producteurs communautaires et ACP percevant une aide financière en fonction de l'état du marché ;

- l'établissement de quotas à l'importation, chaque zone de production se voyant réserver une portion du marché communautaire.

Finalement, après la publication des dernières propositions pour l'établissement d'un marché commun de la banane par la Commission européenne en août 1992, le Conseil a adopté en février de l'année suivante le règlement portant organisation du marché commun de la banane 11 ( * ) , contre l'opinion de la République Fédérale d'Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas 12 ( * ) . Ce n'est que sous la menace de certains Etats membres, dont la France, de cesser tous travaux au Conseil, que l'organisation commune du marché a finalement été adoptée.

L'entrée en vigueur de ce règlement a été précédée par une phase d'adaptation des opérateurs multinationaux aux nouvelles conditions du marché mises en place par l'OCM . Ainsi, de 1991 à 1993, les importations de bananes dans l'Union européenne se sont accrues fortement, non en raison d'une augmentation de la demande des consommateurs européens, mais du fait de la stratégie des multinationales qui ont surapprovisionné le marché en « bananes dollars » afin de consolider leurs positions commerciales en Europe. Il s'agissait, pour les opérateurs américains, d'accroître leurs volumes d'importation qui devaient éventuellement servir de référence pour le calcul des attributions des futures licences d'importation prévues par le nouveau règlement. Ces augmentations ont entraîné une baisse brutale du prix de détail des bananes et une hausse concomitante de leur consommation. Dès lors, les différents opérateurs pouvaient attendre l'entrée en vigueur du nouveau règlement régissant le marché de la banane.

b) Le mécanisme de l'OCMB

Le règlement n° 404/93 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane du 13 février 1993 13 ( * ) a mis en place un système de normes communes de qualité et de commercialisation de bananes (titre I), des règles régissant les organisations de producteurs et des mécanismes de concertation (titre II), un régime des aides à la production (titre III) et enfin un dispositif réglant des échanges avec les pays tiers (titre IV).

Sur le terrain strictement communautaire, le règlement 404/93 favorise une production plus efficace par la mise en place de garanties pour le consommateur, d'une part, et d'un soutien pour le producteur, d'autre part.

Ainsi, selon la réglementation en vigueur, des normes communes de qualités sont requises « afin de permettre l'approvisionnement du marché en produits de qualité homogène et satisfaisante dans le respect des particularités et des différentes variétés produites et d'assurer l'écoulement des produits communautaires à des prix rémunérateurs garantissant une recette adéquate ».

En outre, des organisations de producteurs 14 ( * ) et des associations de producteurs, dont la création est favorisée notamment par l'octroi d'aides au démarrage de la part des Etats membres, sont constituées en vue de réaliser des actions d'intérêt commun, d'assurer une meilleure connaissance du marché, de réduire la dispersion de l'offre et de promouvoir l'amélioration qualitative de la banane. Les organisations de producteurs doivent respecter en contrepartie un certain nombre de règles et de principes pour fonctionner et, le cas échéant, bénéficier de la croissance des Etats membres.

De plus, au-delà de la protection accordée dans le cadre des programmes opérationnels (établis en conformité avec la gestion des fonds structurels), un soutien est garanti aux producteurs . En effet, le régime des aides prévoit une aide compensatoire à la perte de recettes aux producteurs communautaires, dans la limite d'un quota global de 854.000 tonnes (réparti par régions productrices), calculée sur la base de la différence entre la « recette forfaitaire de référence » et « la recette à la production moyenne » , c'est-à-dire entre le prix de vente moyen et le prix de vente effectif. Le régime des aides prévoit, enfin, une prime à la cession de la culture de la banane pour les exploitants renonçant à effectuer toute plantation de bananiers pendant vingt ans à partir de l'année d'arrachage.

Sur le plan des échanges avec les pays tiers, le règlement 404/93 prévoit un code des relations entre producteurs, ou plutôt entre zones de production.

S'agissant des contingents d'importation , le règlement a fixé en annexe les seuils pour chaque catégorie de bananes importées.

Pour la catégorie dite des bananes traditionnelles ACP, c'est-à-dire les bananes exportées par les fournisseurs ACP traditionnels de la Communauté, la quantité est fixée à 857.700 tonnes par an.

Pour les bananes non traditionnelles ACP, c'est-à-dire les bananes exportées par les fournisseurs ACP au-delà de la quantité de 857.700 tonnes, et les bananes pays-tiers, c'est-à-dire les bananes exportées par les autres pays tiers, dites aussi « bananes dollars », le contingent tarifaire était initialement fixé à 2 millions de tonnes par an 15 ( * ) .

Dans le cadre de ce contingent, le droit de douane est nul pour les bananes ACP non traditionnelles, alors qu'il est fixé à 100 écus par tonne pour les « bananes dollars » 16 ( * ) . En cas de dépassement du contingent, les importations non traditionnelles ACP doivent acquitter un droit de 750 écus par tonne et celles des pays tiers un droit de 850 écus par tonne.

Ce contingent est encore réparti entre trois catégories d'opérateurs et trois types de sources d'approvisionnement.

D'une part, la Commission délivre des licences d'importation à trois catégories d'opérateurs sur la base des quantités de bananes commercialisées durant trois années de référence :

- 66,5 % du contingent sont attribués aux opérateurs qui ont commercialisé des bananes des pays tiers et/ou non traditionnelles ACP (dits « opérateurs de la catégorie A) ;

- 30 % aux opérateurs qui ont commercialisé des bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP (dits « opérateurs de la catégorie B ») ;

- 3,5 % aux nouveaux opérateurs sur le marché de la banane, autre que communautaire et traditionnelle ACP (dits « opérateurs de la catégorie C »).

D'autre part, la réglementation communautaire a instauré en 1994 une répartition du contingent tarifaire par origine à la suite de la conclusion de l'accord-cadre sur les bananes annexé aux accords de Marrakech du 15 avril 1994. Désormais, un peu moins de 50 % du contingent tarifaire sont alloués aux quatre pays latino-américains signataires de l'accord -cadre sur les bananes ; un peu plus de 50 % reviennent aux bananes des pays-tiers non signataires du compromis ; enfin les 90.000 tonnes du contingent restant sont réservées aux ACP, qui sont donc très défavorisés par l'accord 17 ( * ) .

Le règlement prévoit, de plus, en cas de perturbations graves ou de menace de perturbations dues à des importations ou des exportations, que « des mesures appropriées peuvent être appliquées dans les échanges avec les pays-tiers ». Ces mesures dites de sauvegarde, à l'initiative de la Commission ou d'un Etat membre, qui peuvent aller de la suspension des importations ou des exportations à l'instauration d'un prélèvement à l'exportation, sont immédiatement applicables une fois adoptées.

Un bilan du fonctionnement de l'OCM depuis quatre ans paraît difficile à réaliser, tant il est controversé. Il semble néanmoins incontestable que l'OCM ait permis l'émergence d'un marché unique au sein de l'Union européenne, à travers une augmentation des flux d'importation, un décloisonnement progressif des marchés nationaux, une convergence des prix à l'importation, ainsi que l'amorce d'un mouvement de concentration des entreprises du secteur bananier.

Sur un plan plus théorique, il est indéniable que la philosophie générale de la nouvelle réglementation européenne portant organisation du marché de la banane va dans le sens d'une préférence communautaire non dissimulée, justifiée par la précarité de la production communautaire et par les engagements pérennes de la Communauté à l'égard des pays signataires de la convention de Lomé. C'est probablement cette préférence communautaire qui explique l'importante pression à laquelle est soumise l'OCMB depuis son existence et les concessions auxquelles la Communauté européenne a dû consentir pour y faire face.

En modifiant profondément l'état du droit antérieur, l'OCMB a inévitablement engendré une forte contestation qui a suscité une des plus importantes batailles juridique, économique et politique de l'histoire des Communautés dans ses relations avec des Etats tiers.

C. LA CONTESTATION DU MARCHÉ DE LA BANANE ET LA CONDAMNATION DE L'UNION EUROPÉENNE PAR L'OMC

La contestation de l'OCMB a été initiée par les plaintes de puissantes compagnies américaines, au premier rang desquelles la société Chiquita Brands. Avant même l'entrée en vigueur du règlement 404/93, des recours ont été intentés simultanément devant les juridictions nationales et communautaires, ainsi que devant les instances juridictionnelles du GATT puis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre le régime de préférences tarifaires accordé par la Communauté européenne aux pays signataires de la Convention ACP.

1. La contestation de la réglementation du marché de la banane au sein de la Communauté

a) La contestation devant la CJCE

Suite à l'entrée en vigueur de l'OCMB, l'Allemagne a donc été contrainte de payer plus cher les bananes importées. Par requête déposée, le 14 mai 1993, elle a demandé l'annulation du titre IV du règlement (CEE) n° 404/93 fixant le régime des échanges avec les pays tiers et l'article 21, paragraphe 2 de ce règlement supprimant le contingent tarifaire relatif aux importations de bananes prévu par un protocole annexé à la convention d'application relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté (art. 136 du traité CE). Puis, par acte séparé, déposé le 19 mai 1993, elle a demandé à la Cour de Justice des Communautés européennes de l'autoriser, en attendant que celle- ait statué au principal, à importer en franchise de droits de douane des bananes originaires de pays tiers (au sens de l'article 15, point 3 du règlement) dans les mêmes quantités annuelles qu'en 1992 18 ( * ) .

La Cour a rejeté le recours par un arrêt du 5 octobre 1994 en affirmant pour la première fois la légalité de l'OCMB, la primauté de la PAC sur la politique de la concurrence, la légitimité des objectifs d'intérêt général communautaire et l'inapplication directe des dispositions de l'Accord du GATT.

A plusieurs reprises (arrêts Atlanta du 9 novembre 1995, T. Port du 26 novembre 1996, Comafrica SpA et Dole Fresh Fruit Ltd du 11 décembre 1996), la Cour de Justice a confirmé la validité des règlements communautaires pris dans le cadre du marché communautaire de la banane . La cour s'est également prononcée dans le même sens face à un recours du Gouvernement des Pays-Bas contre la Commission (7 octobre 1996).

Par la suite, l'Allemagne a demandé à la Cour de justice de se prononcer sur la compatibilité au droit communautaire de l'accord-cadre conclu à l'issue du cycle de l'Uruguay-round par la Communauté avec la Colombie, le Costa-Rica, le Nicaragua et le Venezuela. La CJCE, dans un avis du 13 décembre 1995, a débouté à nouveau le requérant.

b) La contestation devant les juridictions nationales

Non satisfaits de la sentence communautaire, des importateurs allemands se sont tournés vers leurs tribunaux pour faire reconnaître la violation du droit à la protection de la propriété privée par le droit communautaire en raison des risques économiques que leur fait courir l'OCM, et ont insisté à nouveau sur la violation des règles du GATT, selon eux supérieures aux normes communautaires.

Après avoir été déboutés à de nombreuses reprises, un tournant s'est opéré dans la jurisprudence à partir de l'ordonnance du 25 janvier 1995, rendue par la Cour constitutionnelle de Kalsruhe . Celle-ci a jugé que les tribunaux allemands devaient protéger les droits fondamentaux des importateurs dont la situation financière serait menacée par la législation communautaire. Dans un second jugement du 26 avril 1996, faisant lui-même suite à un arrêt de la Cour fédérale des finances du 9 janvier 1996 et précédant un autre jugement du tribunal administratif de Francfort du 24 octobre 1996, l'Allemagne s'est en définitive partiellement exonérée elle-même de certaines des obligations de l'OCMB.

Un certain nombre de commentateurs ont souligné que, au-delà de l'organisation du marché de la banane en Europe, ces jugements allaient permettre aux juridictions allemandes d'examiner la validité d'actes juridiques communautaires dans des conditions pouvant conduire à atténuer la primauté du droit communautaire. Dans le cas particulier de l'OCMB, cette possibilité a déjà conduit les cours administratives allemandes à prendre des mesures de référé enjoignant aux autorités allemandes de délivrer des certificats d'importation supplémentaires pour préserver les droits des importateurs de bananes.

La contestation de l'organisation commune du marché de la banane s'est finalement cristallisée sur la préférence commerciale accordée à quelques pays sur la base du système de la licence B. La majorité des critiques s'est focalisée sur les profits supposés par des opérateurs européens, sans jamais prendre en compte le fait que le système instauré visait à compenser la différence importante des coûts de production et de commercialisation entre les différentes zones de production. L'on va alors retrouver devant les instances commerciales internationales de règlement des conflits, les mêmes arguments, mais développés par de nouveaux requérants.

2. La contestation internationale du marché de la banane

Parallèlement au recours de l'Allemagne devant la Cour de Justice, le marché de la banane a été contesté au niveau du cercle des pays adhérant aux règles du commerce mondial (tout d'abord représentés au sein de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, puis par l'Organisation mondiale du Commerce) avant même l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation commune de marché de la banane et de façon récurrente, jusqu'à l'avis rendu par le panel le 29 avril 1997. Ce « panel » est le premier à mettre en oeuvre les nouvelles règles sur le règlement des différends de l'OMC dans le contentieux international de la banane.

a) La condamnation des régimes d'importation selon les règles du GATT

Avant les rapports du panel d'avril 1997, le marché de la banane avait déjà donné lieu à deux séries de plaintes devant le GATT. La première portait sur l'ancien régime d'approvisionnement du marché communautaire, et la seconde sur le nouveau système mis en place à partir du 1er juillet 1993.

Ce sont d'abord les systèmes nationaux organisant le marché de la banane qui ont été condamnés par le rapport du 3 juin 1993 sur la requête de la Colombie, du Costa Rica, du Guatemala, du Nicaragua et du Venezuela. Le « panel » a, en effet, conclu à la condamnation de certains régimes nationaux en raison de l'existence de restrictions quantitatives à l'importation et de tarifs préférentiels en faveur des bananes ACP. D'autre part, le groupe spécial a conclu à l'incompatibilité des préférences tarifaires accordées par la CEE aux importations de bananes originaires des pays ACP avec les dispositions de l'article I du GATT. Ce rapport n'a cependant pas été entériné par le Conseil du GATT.

C'est ensuite l'OCMB qui a fait l'objet d'une condamnation par le rapport du 11 février 1994. Le « panel » a reconnu néanmoins certains des arguments de la CEE. En effet, il a admis que le contingent tarifaire à l'importation de bananes n'était pas incompatible avec les articles XI et XIII du GATT, et que les formalités liées à l'importation de bananes n'étaient pas incompatibles avec l'article VIII.

Par ailleurs, le groupe spécial a condamné le règlement 404/93 sur les points relatifs aux droits de douane, au système de préférences et aux certificats d'importation. Le « panel » a considéré, d'une part, que les droits spécifiques perçus à l'importation de bananes par la CEE étaient incompatibles avec l'article II du GATT. D'autre part, il a été jugé que les droits préférentiels accordés par la CEE pour les bananes en provenance des pays ACP étaient incompatibles avec l'article I et ne pouvaient pas être justifiés par l'article XXIV du GATT . Enfin l'attribution préférentielle du contingent tarifaire aux importateurs qui achètent des bananes ACP et communautaires a été considéré comme incompatible avec les articles I et III.

Finalement, un compromis a été trouvé entre la Commission et quatre pays latino-américains (la Colombie, le Costa Rica, le Nicaragua, le Venezuela) ainsi qu'un pays ACP (la République dominicaine). Ce compromis a abouti lors des négociations des accords de Marrakech à la conclusion d'un « accord-cadre », dont le texte est annexé au document final du GATT. Selon cet accord, et en échange de l'assurance pour la Commission que les Etats signataires n'attaqueront pas à nouveau l'OCMB devant le GATT jusqu'en 2003, le contingent tarifaire pour les bananes non traditionnelles ACP et pour les bananes pays tiers passe de 2 millions de tonnes à 2,1 millions en 1994 et 2,2 millions en 1995. En outre, les droits de douane sont réduits de 100 à 75 écus par tonne. Les Etats signataires sont ainsi en mesure de se partager 49,4 % du contingent global à taux réduit. De plus, l'Union européenne s'est vue accorder au mois de décembre de l'année 1994 une dérogation sur la base de l'article XXV.5 du GATT jusqu'en février 2000 pour les dispositions commerciales de la convention de Lomé.

Cependant, à la suite de la signature de l'accord-cadre, les Etats latino-américains non signataires et les Etats Unis non satisfaits par le partage établi, ont engagé un type de procédure jamais encore conduit à son terme, qui met en oeuvre le nouveau mécanisme de règlement des différends de l'OMC.

b) La condamnation de l'OCMB sur la base de l'OMC

La demande de constitution d'un panel devant l'OMC a émané de quatre pays d'Amérique latine : le Guatemala, le Honduras, le Panama et l'Equateur, avec le soutien des Etats-Unis. L'Organisme de règlement des différends (ORD) a donc établi à leur demande, le 8 mai 1996, un groupe spécial chargé d'examiner leurs plaintes et les parties ont été entendues à partir du mois de septembre 1996.

Comme précédemment, les pays latino-américains ont fait valoir à l'appui de leur demande, l'incompatibilité, du régime communautaire introduit par le règlement 404/93 avec un certain nombre de dispositions de GATT.

Les pressions des multinationales américaines et du Gouvernement américain ont été particulièrement fortes dans le contexte général de ce panel. Ce Gouvernement a ainsi pu notifier à la Commission européenne, sur la requête de la firme Chiquita Brands International, des menaces de représailles unilatérales à l'encontre de l'Union européenne sur la base de la section 301 de la loi américaine générale de 1988 sur le commerce et la compétitivité. Les Etats Unis ont ouvert une procédure d'enquête concernant l'incidence de l'OCMB sur les intérêts commerciaux et économiques américains. Les règles de l'OMC n'autorisent pas néanmoins le recours à des mesures de rétorsion avant la fin des travaux de l'ORD.

La défense principale de l'Union européenne a consisté à souligner la situation des pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique et leur nécessaire stabilité. Elle a porté également sur des éléments plus juridiques tendant notamment à s'interroger sur la capacité des Etats-Unis à intervenir, étant donné que la production de bananes y est faible et que ce pays n'exporte pas directement de bananes. En outre, la Commission s'est interrogée sur la non-applicabilité de l'accord sur les procédures de licences d'importation aux contingents tarifaires et sur la supériorité des dispositions de l'accord sur l'agriculture par rapport aux règles générales du GATT.

Les pays ACP, admis à intervenir lors des consultations et des audiences, se sont fondés sur l'argument principal de la Communauté en rappelant l'importance de l'organisation actuelle du marché des bananes pour leur stabilité économique. Ils ont également justifié leur traitement privilégié, qui fait principalement l'objet de la contestation, par l'existence de la convention de Lomé, et par la dérogation aux règles du GATT obtenue en 1994.

Le groupe spécial a suivi les conclusions du rapport intérimaire du 18 mars 1997, en considérant, dans quatre rapports du 29 avril 1997, que l'OCMB était en contradiction avec certaines règles du commerce international.

C'est principalement l'allocation de licences d'importation aux opérateurs de la catégorie B, créant une incitation à acheter des bananes traditionnelles ACP, qui a été mise en cause par le groupe spécial. Comme le rapport de 1994 l'avait constaté, le panel de 1997 est d'avis que le fait d'attribuer 66,5 % du contingent tarifaire aux opérateurs qui ont commercialisé des bananes des pays tiers ou non traditionnelles ACP ne peut compenser ou justifier l'incompatibilité du régime des certificats avec les articles III.4 et I.1 du GATT. Le groupe spécial a, en outre, considéré que l'allocation de quotas préférentiels aux pays ACP et aux pays signataires de l'accord-cadre sur les bananes était contraire aux dispositions de l'article XIII.1 selon lequel aucune prohibition ou restriction ne sera appliquée par une partie contractante à l'importation d'un produit originaire du territoire d'une autre partie contractante. Néanmoins, cette contrariété était couverte, a estimé, le panel, par la dérogation accordée à l'Union européenne et aux Etats ACP en décembre 1994, pour autant que la part du contingent tarifaire applicable aux bananes ACP n'excède pas le meilleur chiffre des exportations de ces pays vers la CEE effectuées avant 1991.

Le groupe spécial a considéré surtout que l'OCMB était en contradiction avec les règles du GATS 19 ( * ) et spécialement avec l'article XVII et II, tant dans sa globalité qu'en ce qui concerne l'attribution de certificats « tempête ». Il n'a ainsi pas retenu l'objection soulevée par l'Union européenne selon laquelle le marché communautaire de la banane régissait des marchandises et non des services, et n'avait en toute hypothèse que des répercussions indirectes sur les activités des fournisseurs de services. Il a suivi les conclusions des plaignants qui faisaient valoir que l'allocation d'un bien pouvait avoir des répercussions sur l'ensemble des activités de service des opérateurs, aussi bien au niveau de la production, de la distribution, du marketing, de la vente ou de la livraison.

Si cette décision de l'OMC ne remet pas en cause l'équilibre général de l'OCMB, elle est néanmoins un précédent auquel il convient d'être particulièrement attentif, compte tenu des décisions des premiers panels du GATT qui étaient très négatifs pour l'OCMB.

II. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE PRÉSENTENT UN RÉEL DANGER POUR LA PRODUCTION COMMUNAUTAIRE

Le 25 septembre 1997, l'Union européenne a notifié formellement à l'Organe de Règlement des Conflits de l'Organisation mondiale du commerce qu'elle décidait de mettre en oeuvre la décision de l'OMC plutôt que d'accorder des compensations aux plaignants.

La proposition d'acte communautaire transmise au Sénat le 3 février 1998 sous le numéro E 1004 a été adoptée par la Commission européenne le 14 janvier 1998. Elle vise à modifier le régime actuel des échanges avec les pays tiers (titre IV du règlement 404/93). Comme le souligne d'ailleurs la Commission dans l'exposé des motifs, la plupart des dispositions de l'OCM n'ont pas été mises en cause par l'Organisation mondiale du Commerce : il s'agit de la taille du contingent tarifaire, du régime des aides aux producteurs communautaires, mais aussi de la préférence pour l'importation des bananes ACP traditionnelles et du traitement tarifaire préférentiel des bananes ACP. Aussi, la proposition de réforme ne concerne que le régime des échanges .

Ce texte a été présenté lors du Conseil « Agriculture » du 20 janvier 1998. La mise en oeuvre doit s'effectuer dans un délai de 15 mois à compter de son acceptation, c'est-à-dire avant le 25 décembre 1998. Il est à noter que certains textes d'application (notamment ceux relatifs à l'attribution des licences) devraient être applicables au plus tard en novembre 1998 pour ne pas perturber l'approvisionnement de la Communauté.

A. PRÉSENTATION DE LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Le système de contingentement

Le système de contingentement des importations, qui n'a pas été condamné par le panel, est maintenu. Le contingent tarifaire consolidé est maintenu à 2,2 millions de tonnes à 75 Ecus par tonnes.

Pour tenir compte de l'élargissement, un contingent tarifaire additionnel de 353.000 tonnes est créé. Le droit de douane réduit est fixé à 300 Ecus par tonne pour les bananes pays tiers. La préférence tarifaire pour les importations non traditionnelles de bananes ACP est de 200 Ecus. Les importations au-delà du contingent tarifaire sont taxées à 737 Ecus par tonne (537 Ecus par tonne pour les importations non traditionnelles de bananes ACP).

La répartition des contingents européens de bananes

Seuls les principaux pays fournisseurs -« ayant un intérêt substantiel dans le marché communautaire »- en bénéficieront par application d'un critère unique pour tous les contingents. Il s'agit de l'Equateur, de Panama, du Costa Rica et de la Colombie (ces 4 pays assurent plus de 10 % des importations)

Des négociations seraient engagées avec les pays concernés et en cas de désaccord, la Commission procéderait à la répartition de ces contingents en coopération avec un comité composé des représentants des Etats membres. Un mandat de négociation est donc demandé au Conseil sur cette base.

Les importations traditionnelles des Etats ACP

L'accès privilégié pour les bananes ACP traditionnelles (857.700 tonnes à droit nul) est maintenu pour respecter le protocole n° 5 de la Convention de Lomé, mais sans aucune répartition individuelle puisque les Etats ACP ne peuvent être considérés comme des pays « fournisseurs substantiels ».

Une assistance technique aux pays ACP qui exportent traditionnellement vers l'Union européenne sera financée à hauteur 370 millions sur dix ans afin d'améliorer la compétitivité des bananes ACP et sans doute de compenser financièrement la suppression des licences B.

Les importations non traditionnelles des Etats ACP

Bien que cela ne soit pas mentionné dans sa proposition, la Commission propose de supprimer la part du contingent tarifaire de 90.000 tonnes attribuée à ces importations. La préférence tarifaire est maintenue puisque ces États disposent d'un droit de douane de 0 Ecu/tonne dans le contingent de 2,2 millions de tonnes, de 100 Ecus/tonnes dans le contingent additionnel et de 565 Ecus/tonnes au-delà.

La gestion des contingents

La Commission propose de supprimer la répartition des certificats d'importation entre les catégories A, B et C et d'attribuer les licences d'importation selon une méthode fondée sur la prise en compte des courants d'échanges traditionnels. Elle demande un mandat au Conseil pour la laisser gérer les contingents tarifaires et les importations de bananes traditionnelles ACP au mieux. Elle envisage, si nécessaire, de recourir à d'autres méthodes de gestion.

Les circonstances exceptionnelles

La proposition envisage, par ailleurs, de permettre l'adaptation des contingents, en cas de circonstances exceptionnelles. Comme le relève l'exposé des motifs, cette possibilité existait déjà en application de l'article 16 du règlement qui « dispose que, en cas de nécessité et pour tenir compte des effets de circonstances exceptionnelles affectant les conditions de production ou d'importation, le bilan prévisionnel peut être révisé et que, en pareil cas, le contingent tarifaire est adapté. »

Il s'agit, par conséquent, de donner un caractère juridique incontestable à ces dispositions en les précisant et en les insérant dans le corps même du règlement de l'OCM-bananes.

La seule différence notable, par rapport à la réglementation en vigueur, est que la Commission renvoie une fois de plus l'adoption de ces dispositions réglementaires en comité de gestion.

Les mesures particulières arrêtées par la Commission se traduiront par l'attribution de certificats (augmentation du contingent tarifaire additionnel) qui seront alloués éventuellement selon des modalités particulières).

B. UNE PROPOSITION INACCEPTABLE EN L'ÉTAT

1. Une proposition globalement déséquilibrée

La proposition de la Commission sur la réforme de l'OCM bananes est véritablement déséquilibrée. Elle ne prévoit pas en effet de mesures relatives au maintien du revenu des producteurs communautaires et à la garantie d'écoulement des productions commerciales.

En effet, cette proposition ne prend pas en compte les intérêts des producteurs communautaires de bananes et des opérateurs qui assurent la commercialisation des bananes communautaires. Aucun considérant, aucun article n'envisage des mesures compensatoires prenant en compte les conséquences de la suppression des licences B sur l'écoulement des productions communautaires et sur le revenu des producteurs.

Or, la Commission reconnaît la nécessité d'une compensation financière pour les producteurs ACP en proposant la mise en oeuvre d'une assistance en leur faveur pour leur permettre de s'adapter aux nouvelles conditions du marché. Ainsi, dans l'exposé des motifs (point 2) de la proposition de règlement du Conseil établissant un cadre spécial assistance en faveur des producteurs ACP traditionnels de bananes, la Commission indique que la Communauté a rempli ses engagements en 1993 vis à vis des fournisseurs ACP traditionnels « en leur attribuant une part réservée du marché et en appliquant un régime spécial de certificats d'importation qui a conduit à un financement croisé entre bananes de la zone dollar et banane ACP. Ce régime de certificats a non seulement incité les opérateurs à poursuivre leurs importations de bananes traditionnelles ACP mais il a également comblé la différence dans les coûts de production entre les bananes de la zone dollar et bananes ACP, augmentant la compétitivité de ces dernières ».

Au point 3 de ce même exposé des motifs, elle indique : « les modifications de l'OCM banane... modifieront substantiellement les conditions du marché pour les fournisseurs ACP traditionnels et mettront en danger la viabilité des livraisons ACP si aucune action spécifique n'est entreprise. Étant donné notamment la proposition de démantèlement du régime spécial de certificats d'importation, l'écart de compétitivité entre les bananes provenant d'Amérique latine d'une part et les bananes ACP d'autre part est susceptible de réapparaître et les fournisseurs de bananes traditionnelles ACP ne pourront plus maintenir leur présence sur le marché communautaire, si aucun effort supplémentaire n'est fait pour combler cet écart . »

Dans ces conditions, la demande de mesures de compensation pour les producteurs communautaires est tout à fait justifiée.

2. Les difficultés du mécanisme proposé

a) La fixation d'un niveau excessif de contingent supplémentaire

La garantie d'écoulement de la production communautaire et ACP, compte tenu de la suppression des licences B (système de couplage entre les origines via l'octroi des certificats dollar), repose entièrement sur le maintien de l'équilibre entre l'offre et la demande et donc sur une évaluation correcte de la consommation européenne. Toute surévaluation de l'approvisionnement européen aurait pour conséquence d'exclure les origines communautaires ou ACP à commencer par les moins compétitives ou ayant une moindre notoriété.

La Commission propose d'accroître le contingent tarifaire consolidé (2.200.000 tonnes) en créant un contingent tarifaire additionnel autonome de 353.000 tonnes. Dans ces conditions, l'approvisionnement potentiel de la Communauté serait le suivant :

Volume attribué

Quantité maximale de bananes communautaires commercialisées pouvant être aidée

854.000

Quantités traditionnelles de bananes ACP

857.700

Bananes pays-tiers (y compris contingent tarifaire additionnelle de 353.000 tonnes)

2 553.000

Total

4 264.700

Source : Ministère de l'agriculture

Selon des données établies objectivement à partir des sources Eurostat, la consommation de bananes s'est établie à 3.886.000 tonnes en 1996 pour l'Union européenne alors que la Commission prévoyait, sur la base des informations transmises par les Etats membres, une consommation de 4.053.000 tonnes, soit une surévaluation de167.000 tonnes de trop.

Seule, la sous réalisation en approvisionnement des origines communautaires et ACP a permis jusqu'à présent que les augmentations du contingent tarifaire (+ 353.000 tonnes) décidées par la Commission ne perturbent pas définitivement le marché. Cependant, les années 1995 et 1996 ont été marquées par une forte chute des cours lors du second semestre.

Contrairement aux années précédentes, la production communautaire atteindra dès 1998, sauf circonstances exceptionnelles, la quantité maximale aidée, soit 854.000 tonnes. De ce point de vue, les prévisions de production sous estiment la production communautaire. Par ailleurs, les dispositions retenues par la Commission dans son projet de réforme de l'OCM concernant la gestion du quota ACP auront pour conséquence un accroissement des expéditions qui atteindront globalement le quota ACP, soit 857.700 tonnes.

En fixant à 353.000 tonnes le volume du contingent additionnel autonome, la Commission va instituer un déséquilibre structurel du marché européen qui aura des conséquences financières fortes pour les producteurs communautaires et ACP et qui risque de réduire leurs possibilités d'écoulement sur le marché européen.

b) Une gestion contestable des contingents

Il est regrettable que la Commission n'ait pas dans sa proposition justifié le choix qu'elle a fait en retenant comme principal méthode de gestion la méthode dite « traditionnels/nouveaux arrivés ». Il est en outre dommage qu'elle ait a priori écarté l'adjudication (par lots composites de différentes origines par exemple) comme possible système de gestion. Il est tout aussi regrettable que nous ne disposions pas d'informations sur les modalités d'application de cette méthode : période de référence, durée de celle-ci, définition de la notion d'opérateurs bénéficiaires...

Alors que les conclusions et recommandations de l'organe d'appel ne condamnent pas l'existence de deux régimes d'attribution des licences distincts, la Commission propose de gérer de façon identique les contingents tarifaires et les quantités de bananes traditionnelles ACP. Une gestion distincte de l'approvisionnement en provenance de ces deux origines doit, au contraire, être maintenue pour éviter de perturber notamment les échanges entre les pays ACP et l'Union européenne.

c) Une réglementation défavorisant les importations traditionnelles et non traditionnelles des Etats ACP

Les propositions de la Commission reviennent, tout d'abord, à instaurer une transférabilité globale de fait entre les pays ACP. Alors que dans ses anciennes propositions de 1995 et 1996, la Commission proposait une transférabilité régionale, les autorités françaises s'étaient exprimés en faveur d'une transférabilité globale.

Il paraît nécessaire que des règles soient néanmoins établies pour ne pas pénaliser les pays ACP caraïbéens -moins compétitifs que certains ACP africains notamment-, et ne pas réduire leur potentiel d'exportation vers l'Union européenne .

QUANTITÉ ACP TRADITIONNELLES

Quotas

Règl. n° 404/93

(en tonnes nettes)

Réalisations

1996

(en tonnes nettes)

Prévision 1999

ACP Caraïbes

- Surinam

38 000

25 966

30 000

- Jamaïque

105 000

89 493

90 000

- Iles du Vent

294 000

191 946

220 000

- Belize

55 000

54 108

100 000

TOTAL

477 000

361 513

440 000

ACP Afrique

Côte d'Ivoire

155 000

180 655

222 000

Cameroun

155 000

166 655

220 000

Somalie

60 000

25 121

25 000

Cap Vert

4 800

-

3 000

Madagascar

5 900

-

-

TOTAL

380 700

371 954

450 000

TOTAL GENERAL

857 700

733 467

890 000

Source : Ministère de l'agriculture et de la Pêche

En outre, la suppression du contingent tarifaire, soit 90.000 tonnes, réservée aux importations non traditionnelles ACP est dangereuse. En effet, dans ces conditions, les pays concernés (St Domingue, Ghana...) seraient traités quasiment de la même façon que les autres pays tiers. Compte tenu du différentiel de compétitivité entre ces Etats ACP et les pays latino-américains, ces Etats ACP risquent d'être exclus du marché européen.

III. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 298 ET LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 298

Déposée par nos collègues MM. Jacques Genton et Georges Othily, en application de l'article 73 bis du règlement la proposition de résolution n° 298 porte sur la proposition d'acte communautaire E 1004.

Après avoir rappelé les préoccupations exprimées en 1991 par la Délégation, elle considère que la Communauté ne doit pas renoncer à « défendre des intérêts essentiels de certains de ses territoires » ni abandonner un outil précieux de sa politique de coopération. Si elle reconnaît que la « proposition E 1004 ne tend pas à un démantèlement de l'OCMB », la proposition n° 298 insiste sur les différents dangers que le texte communautaire présente. Elle conclut que « l'écoulement des producteurs communautaires et ACP ne paraît pas suffisamment garanti par le dispositif proposé, qui va en outre exercer une pression à la baisse sur les revenus des producteurs », et ce d'autant que, malgré la décision nuancée de l'OMC, certains Etats plaignants continuent à souhaiter à terme l'abandon de l'OCMB.

En conséquence, la proposition de résolution demande au Gouvernement de n'approuver la proposition E 1004 que sous réserve d'avoir obtenu, d'une part, une réduction du contingent tarifaire autonome lié au dernier élargissement de l'Union et, d'autre part, une revalorisation de la recette forfaitaire de référence qui sert de base au calcul de l'aide compensatoire versée aux producteurs communautaires.

Il est nécessaire de rappeler, qu'aux Antilles, la banane représente 45.000 emplois, -dont 70 % des emplois ruraux-, la moitié de la valeur des exportations et la quasi-totalité du fret maintenu avec l'Europe continentale. L'économie de la banane est donc tout simplement vitale pour ces territoires.

BILAN DE LA PRODUCTION AUX ANTILLES

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

(prévisions)

Guadeloupe

71 168

(1)

106 555

(2)

115 997

98 976

(3)

81 027

(4)

63 207

(5)

60 919

(6)

106 000

Martinique

194 498

165 476

(2)

166 778

180 861

(3)

151 965

(4)

188 223

(5)

249 733

273 000

1. Effet du cyclone Hugo (1989) en Guadeloupe,

2. Tempête tropicale Claus à la Martinique en octobre 1990,

3. Tempête tropicale Cindy et onde tropicale en juillet août 1993,

4. Tempête tropicale Debby en septembre 1994 (Antilles) et sécheresse en Guadeloupe,

5. Tempêtes tropicales Iris, Luis, Marylin en août et septembre 1995,

6. Tempête tropicale Hortense.

Votre rapporteur souhaite, en outre, rappeler que la production latino-américaine de bananes , outre des atouts physiques indéniables, et un coût moindre des investissements et des intrants, trouve l'essentiel de sa compétitivité dans le niveau excessivement bas des salaires versés aux paysans , alors qu'aux Antilles les salaires qui leur sont versés sont au niveau du smic européen. C'est la raison par laquelle, en raison de l'absence de toute clause sociale, l'Union européenne a mis au point en 1993 un système de protection de la banane produite dans les régions ultrapériphériques de l'Europe, dont les Antilles 20 ( * ) . Soulignons que le coût du kilogramme de la banane communautaire est d'environ 4 francs pour moins d'un franc pour la banane équatorienne.

L'autre raison qui, aux yeux de votre rapporteur, doit conduire à s'opposer à toute remise en cause de cette OCM, c'est que cette dernière est un élément essentiel de la politique de coopération en faveur des pays en voie de développement 21 ( * ) . Ainsi la convention de Lomé a depuis son instauration toujours contenu un protocole relatif aux bananes. Le dernier en date est le protocole n° 5 annexé à la convention ACP-CEE, dite convention de Lomé IV, du 15 décembre 1989, approuvé par décision du Conseil et de la Commission du 25 février 1991. Votre commission estime qu'il n'appartient pas à l'OMC d'interpréter une convention liant des membres, comme celle de Lomé IV.

Votre commission s'inquiète, dans un tel contexte, des futures négociations, à partir de l'automne prochain, sur un nouvel accord de partenariat avec les pays ACP membres de la convention de Lomé IV , qui vient à échéance fin février 2000.

Pour votre commission, l'OCMB, permet d'assurer la sauvegarde de cette production agricole, pivot essentiel de l'économie des Antilles françaises. Elle constitue un volet essentiel de notre politique de coopération et ne saurait donc être remise en cause.

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Les dispositions proposées par la Commission européenne doivent être améliorées et toute disposition susceptible de remettre en cause l'équilibre de l'OCMB, rejetée.

1. Rétablir l'équilibre de l'OCMB

Pour rétablir les équilibres nécessaires dans le fonctionnement de l'OCM entre les différentes sources d'approvisionnement et préserver la préférence communautaire, il convient de modifier le proposition de la Commission dans deux directions essentielles.

L'obtention de compensations pour les producteurs communautaires par le biais notamment d'une revalorisation de la recette de référence pour tenir compte des conséquences négatives de la mise en conformité sur le revenu des producteurs, est impérative.

En effet, la modification du régime de gestion des licences entraînera selon les modalités d'application du nouveau régime proposé par la Commission une perte de revenu au titre de l'utilisation des licences attribuées aux opérateurs de la filière. Cette perte devra être intégralement compensée en particulier au moyen d'une augmentation de la recette forfaitaire de référence.

En tout état de cause, une première augmentation applicable au calcul de l'aide 1997, est absolument nécessaire pour tenir compte de l'évolution des coûts de production depuis 1991.

Ceci est d'autant plus utile que, contrairement aux affirmations de la Commission (qui s'oppose à l'introduction de mesures spécifiques supplémentaires pour les producteurs communautaires sous prétexte qu'il existe déjà un système d'aide compensant les baisses de prix), l'expérience montre que, depuis deux ans, la baisse du revenu des producteurs antillais, suite aux chutes de cours constatées en 1995 et 1996, a été imparfaitement compensée. On peut craindre que cette situation perdure, voire s'amplifie, du fait de l'application de la réforme, certaines quantités de bananes communautaires pouvant ne pas être mises sur le marché en raison d'un surapprovisionnement. Dans un telle hypothèse, l'aide compensatoire n'existe pas pour les bananes non mises sur le marché. La garantie de revenu n'existe que si la garantie d'écoulement est assurée.

Certaines autorités communautaires ont précisé néanmoins que l'introduction de mesures spécifiques complémentaires n'était pas nécessaire, étant donné que l'aide est déjà prévue par le régime actuel. Dans le cas d'une baisse des prix des bananes produites dans l'Union, le niveau de l'aide augmente.

S'il est vrai que le niveau de l'aide est lié au niveau des prix, les modalités de calcul de l'aide compensatoire sont tels que les producteurs antillais , dont la production est plus exposée à la concurrence des bananes pays tiers sur le marché européen que les bananes canariennes, perçoivent une aide compensatoire qui ne leur permet pas d'obtenir la recette forfaitaire de référence depuis 1995.

CAS DE LA MARTINIQUE

1995

1996

Prix moyen sortie exploitation

0,26

0,252

Aide compensatoire

0,2718

0,2905

Recette du producteur

0,5318

0,5425

Recette forfaitaire

0,5929

0,5929

Différence

- 0,0611

- 0,0504

Variation en %

- 10 %

- 8 %

Unité : en Ecu par kg

CAS DE LA GUADELOUPE

1995

1996

Prix moyen sortie exploitation

0,268

0,185

Aide compensatoire

0,2718

0,3491

Recette du producteur

0,5398

0,5341

Recette forfaitaire

0,5929

0,5929

Différence

- 0,0531

0,0588

Variation en %

- 9 %

- 10 %

Unité : en Ecu par kg

Avec un contingent supplémentaire autonome de 353.000 tonnes, votre commission estime, en outre, que la garantie d'écoulement de la production communautaire est compromise.

Ainsi le contingent supplémentaire dû à l'élargissement doit être globalement basé sur la proposition du Parlement européen, soit à 2.300.000 tonnes. Dans ces conditions, le contingent tarifaire additionnel, sous la forme proposée par la Commission, devrait au maximum, être limité à 100.000 tonnes.

A ces conditions, la proposition n° E-1004 pourrait être approuvée.

2. Réaffirmer l'attachement de la France à l'OCMB

Compte tenu des menaces qui pèsent aujourd'hui sur l'OCMB, votre commission estime nécessaire qu'à l'occasion de l'examen de cette proposition d'acte communautaire, la France, avec l'aide des pays producteurs, réaffirme sa résolution de maintenir l'économie de l'OCMB.

Pour votre commission, la nécessité de maintenir l'équilibre entre les intérêts des producteurs d'Amérique latine, des pays ACP et de la Communauté doit être réaffirmée et la France doit s'opposer à toute dérive.

Cette position française est particulièrement importante dans le contexte actuel : en effet, le 13 février dernier, le « G-6 » (Etats-Unis, Equateur, Guatemala, Honduras, Mexico et Panama) a critiqué point par point la nouvelle proposition de la Commission européenne, concluant que « cette proposition ne mettrait pas en conformité le régime de l'Union européenne avec les accords de l'OMC. »

*

* *

Telles, sont, Mesdames et Messieurs, les raisons qui justifient la proposition de résolution que vous soumet votre commission des affaires économiques.

* 1 Revue du marché commun et de l'Union européenne, n° 411, septembre-octobre 1997 - Article de M. Paul Cassia et Mme Emmannuelle Saulnier.

* 2 Dans les pays à marché fermé, les bananes des pays tiers était soumises au tarif extérieur commun de 20 % et devaient obtenir des licences d'importation.

* 3 Le CIB, qui regroupe tous les représentants de la filière, déterminait le volume des approvisionnements pour chaque origine admise. C'est exclusivement le Groupement d'intérêt économique bananier (GIEB) qui effectuait les achats complémentaires nécessaires à l'approvisionnement du marché.

* 4 Par cet article, la Commission peut autoriser les Etats membres à prendre des mesures de protection.

* 5 La Grèce était en fait un marché très protégé jusqu'en 1987, puisqu'elle s'approvisionnait presque exclusivement en Crête tout en imposant des restrictions à l'importation des bananes des pays tiers. Ce marché a été progressivement ouvert à d'autres origines par l'attribution de quotas, jusqu'à devenir un marché libre en février 1990 suite à l'abolition des restrictions à l'importation.

* 6 Le marché allemand est toujours le plus important des l'Union européenne. En 1994, l'Allemagne était le second importateur dans le monde avec 762 millions de dollars, devançant largement le Japon (483 millions de dollars) ou la France (426 millions de dollars).

* 7 Protocole concernant le contingent tarifaire pour les importations de bananes. Ce protocole a continué à être appliqué malgré le fait que la Convention d'association ait cessé d'être en vigueur à compter du 31 décembre 1962.

* 8 Ces sociétés ont été progressivement remplacées par les groupes américains Chiquita, Dole et Del monte.

* 9 L'Europe était avant l'organisation commune, le deuxième importateur mondial de bananes, après les Etats-Unis. Ce marché européen de la banane représentait environ 1,5 milliard de dollars, dont 60 % étaient assujettis à des taxes.

* 10 En effet, certains commissaires européens ont suggéré en mars 1992 que le GATT « fasse exception » pour les bananes comme il l'a fait pour le riz japonais » et donc de ne pas l'inclure dans la négociation de l'Uruguay Round.

* 11 Règlement n° 404/93 du Conseil du 13 février 1993 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane.

* 12 Ces trois pays se sont opposés sans succès, lors du Conseil des ministres de l'agriculture de 1993, au vote du nouveau système d'importation des bananes.

* 13 Cette organisation commune ne s'intéresse qu'aux bananes fruits ; les bananes légumes ou plantains sont régies depuis le 1er janvier 1993 par le règlement n° 638/93 du Conseil du 17 mars 1993 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.

* 14 Selon le règlement l'organisation de producteurs est toute organisation de producteurs de bananes établie dans la Communauté qui est constituée à l'initiative des producteurs eux-mêmes afin de «promouvoir la concentration de l'offre et la régularisation des prix au stade de la production » et de mettre à la disposition des producteurs associés des « moyens techniques adéquats pour le conditionnement et la commercialisation » des bananes (article 5). Lors de l'entrée en vigueur de l'OCM, existaient la SICABAM (Société coopérative d'intérêt collectif agricole bananière de la Martinique) et le GIPAM (groupement des importateurs de produits agricoles pour la Martinique).

* 15 Article 18 du règlement 404/93. Ce contingent a progressivement été augmenté par la suite. Il a été fixé en dernier lieu à 2,553 millions de tonnes.

* 16 Ce droit a, par la suite, été réduit à 75 écus par tonne.

* 17 Cet accord donne à l'Union européenne et aux pays d'Amérique latine « l'assurance que les fournisseurs ACP ne viendront pas en plus de leur propre quota traditionnel (de 857.700 tonnes), exporter sur le contingent tarifaire réservé en quasi-totalité aux origines-dollar ».

* 18 Revue de droit rural - n° 254, juin-juillet 1997. Article de M. Joël Boudant, p. 339

* 19 Accord international sur les services.

* 20 Rapport d'information n° 303, mai 1993, Sénat présenté par MM. Jean Huchon et Jean-François Le Grand.

* 21 Cf l'avis présenté au nom de la Commission des affaires économiques par M. Alain Pluchet sur l'accord instituant l'OMC n° 153, décembre 1994.

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