IV. AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE TRICHET, GOUVERNEUR DE LA BANQUE DE FRANCE

Au cours d'une séance tenue le mercredi 1er avril, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France.

M. Christian Poncelet, président, a fait trois remarques préliminaires. D'une part? il s'est inquiété de l'absence d'obligation pour la Banque centrale européenne d'informer régulièrement les Parlements nationaux et a souhaité la mise en place de procédures spécifiques d'information directe. D'autre part, il a fait part de certaines craintes quant à l'éventualité d'une politique trop rigoureuse de la future banque centrale européenne, qui conduirait à l'aggravation du chômage. Enfin, il s'est interrogé sur les capacités de la France et de l'Italie à poursuivre l'ajustement de leurs politiques budgétaires.

M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, a rappelé les caractéristiques principales de la conjoncture des pays européens, en précisant que la croissance dans l'ensemble des pays de l'Europe continentale était probablement passée d'un taux de l'ordre de 2 % à un taux de 3 % environ, tirée essentiellement par la demande interne.

Il a souligné les bons résultats de la France : une inflation parmi les trois plus basses de l'Union européenne et des taux d'intérêt à long terme les plus bas avec ceux des Pays-Bas. Il a estimé que cette très bonne compétitivité monétaire constituait une condition nécessaire mais non suffisante pour assurer l'avenir économique de la France, qui dépend également d'une politique budgétaire adaptée, d'indispensables réformes structurelles et d'un bon environnement économique international.

Concernant le projet de loi modifiant le statut de la Banque de France, M. Jean-Claude Trichet a souligné qu'il s'agissait essentiellement d'adapter ce statut de la Banque de France aux exigences juridiques provoquées par le passage à la 3ème phase de l'Union Economique et Monétaire. Puis, il s'est félicité de ce que la convergence de l'ensemble des pays appartenant à l'Union européenne ait été beaucoup plus rapide que le pronostiquait l'ensemble des acteurs économiques. En particulier, 14 pays sur 15 respectent les critères de l'inflation, des taux d'intérêt à long terme et du déficit budgétaire.

Il a récusé les critiques concernant les sacrifices trop importants que les pays auraient dû consentir pour satisfaire les critères définis lors du sommet de Maastricht, en faisant remarquer que même les pays refusant pour l'instant de participer à l'Union monétaire avaient suivi des politiques identiques. Les pays européens ont poursuivi des politiques conformes à leurs intérêts nationaux, qui se trouvaient au surplus correspondre aux objectifs de convergence économique, monétaire ou financière.

M. Jean-Claude Trichet a ensuite souligné que la situation de certains pays pouvait être jugée délicate à cause de l'importance de leur encours de dette en proportion du produit intérieur brut.

Il a également souligné que le respect du critère de déficit public sera décisif pour le bon fonctionnement de l'Union monétaire. Il a rappelé un récent sondage qui révèle que 95 % des Français intéressés souhaitent que la nouvelle monnaie soit au moins aussi solide et stable que le franc. En outre, il a refusé l'idée selon laquelle une monnaie solide, en inspirant confiance, pouvait conduire à un chômage élevé. Il a donc estimé que la nouvelle banque centrale européenne maintiendra durablement la stabilité d'un euro au moins aussi solide que le franc ou le Mark aujourd'hui.

Ensuite, M. Jean-Claude Trichet a fait part de trois réflexions sur la future Union monétaire. Il a jugé que le Conseil des ministres aurait à fonctionner de manière efficace pour assurer la surveillance mutuelle des budgets des différents pays européens. Il a en effet souligné qu'il existait un risque si un pays aggravait fortement son déficit dans la nouvelle Union européenne sans que les autres gouvernements ne réagissent. Il a toutefois contesté les critiques selon lesquelles l'Union monétaire ne pouvait fonctionner sans fédéralisme budgétaire. Concernant les déficits budgétaires, il a insisté sur le fait que tous les Etats membres s'étaient donné pour objectif l'équilibre, voire l'excédent des finances publiques. C'est ce qui figure dans le pacte de stabilité et de croissance signé par les quinze pays de l'Union. En effet, seule cette stratégie permet la consolidation des bas taux d'intérêt sur les marchés financiers, le financement dans de bonnes conditions de l'investissement productif, le renforcement de la confiance des ménages et des entreprises et l'utilisation des stabilisateurs automatiques en période de basse conjoncture. A propos du chômage, il a déclaré que toutes les analyses sur ce sujet convergent pour en dénoncer les causes structurelles et que l'accent devait donc être mis sur la mise en oeuvre de réformes structurelles. En conséquence, il s'est déclaré favorable au renforcement de la coordination des politiques économiques des Etats membres de l'Union décidée au conseil de Luxembourg.

Un large débat s'est alors ouvert. M. Alain Lambert, rapporteur général, a demandé des renseignements supplémentaires sur la parité externe du futur euro, sur le décalage entre les prévisions de la Banque de France et l'évolution réelle de la masse monétaire, sur la constitution du Conseil politique comme contrepoids à la future Banque centrale européenne, sur la composition du directoire de celle-ci et sur la réforme du statut de la Banque de France.

En réponse, M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, a tenu à préciser les conditions dans lesquelles les Parlements seront informés des actions menées par la Banque centrale européenne. Il a insisté sur le fait que le Traité de Maastricht avait organisé le même type de relations entre la Banque centrale européenne et le Parlement européen que celles qui existent entre la Banque de France et le Parlement français. Ainsi, le président de la Banque centrale européenne pourra être entendu par le Parlement européen. Par ailleurs, les gouvernements nationaux continueront d'expliquer aux parlements la politique de la Banque centrale européenne.

A propos du rôle futur du Conseil politique et monétaire de la Banque de France, il a estimé que celui-ci serait au moins aussi important qu'aujourd'hui, même si les décisions finales seront prises en dernier ressort par le Conseil de la Banque centrale européenne, composé du Collège des gouverneurs et des membres du directoire. Il sera chargé, demain comme aujourd'hui, de synthétiser l'état économique, monétaire et financier de notre pays à partir des informations recueillies dans les régions, de préserver des contacts étroits avec les leaders d'opinion de toutes sensibilités dans l'ensemble de la France, d'expliquer la politique du Système européen de banques centrales.

Concernant la parité externe de l'euro, M. Jean-Claude Trichet a insisté sur le rôle des marchés et sur la concertation au niveau du G7 qui régule, dans le régime des changes flottants actuel, les rapports entre l'euro, le dollar et le yen. Il a estimé que la parité externe du futur euro serait probablement dans la continuité des relations observées au cours des dernières années entre le dollar et les monnaies du coeur de l'Europe.

Concernant l'évolution des agrégats monétaires, M. Jean-Claude Trichet a rappelé que l'évolution de référence de la Banque de France, soit une augmentation à moyen terme des agrégats monétaires de 5 % par an, était établie compte tenu d'une croissance potentielle non inflationniste de 2,5 % et d'un objectif d'inflation de moins de 2 %. Il a noté que l'évolution effectivement observée de ces agrégats avait été inférieure, certaines années, à la valeur de référence et qu'elle était aujourd'hui supérieure à cette valeur de référence.

Concernant les pouvoirs de l'exécutif européen, il a estimé que l'on sous-estimait souvent le degré d'union politique déjà atteint dans le volet "Union économique" de l'Union économique et monétaire. En effet, le Conseil des gouvernements dispose de pouvoirs considérables en matière budgétaire, notamment pour influencer, voire sanctionner, les Etats membres. Par ailleurs, il a noté que, dans le Traité de Maastricht comme dans la loi française ou dans la loi allemande, le dernier mot appartenait aux gouvernements ou au Conseil après concertation étroite avec la Banque centrale en vue de trouver un consensus, sur la question d'un réalignement au sein d'un mécanisme de change.

Concernant la réforme de la Banque de France, M. Jean-Claude Trichet a rappelé que, pour le Conseil de la politique monétaire, l'objectif de la stabilité des prix était réalisé lorsque l'inflation s'élevait à moins de 2 %. Au niveau européen, il appartiendra au Conseil de la Banque centrale européenne de décider l'objectif fixé.

Concernant la possibilité d'émettre des obligations indexées sur l'inflation, M. Jean-Claude Trichet a indiqué qu'il ne s'agissait pas d'une responsabilité de la Banque de France, mais de l'Etat. Il s'est borné à mentionner la réserve des banques centrales en général à l'égard du concept d'indexation.

M. Denis Badré s'est inquiété de l'importance du déficit budgétaire et de l'encours de la dette en France. Il s'est étonné que la France connaisse les taux d'intérêt les plus bas de la Communauté européenne alors que son déficit est parmi les plus élevés. Il a également plaidé pour un budget européen limité.

M. Roland du Luart a souhaité des renseignements complémentaires sur les réformes structurelles à entreprendre.

Mme Marie-Claude Beaudeau a demandé des informations sur les modifications qu'entraînera le passage à l'euro pour la gestion des réserves par la Banque de France et s'est inquiété du plan de restructuration lancé par celle-ci et visant la suppression de plus de huit cents emplois et de quatre-vingt-dix succursales.

M. Maurice Blin s'est inquiété de la diminution des marges de manoeuvre des pays de l'Union monétaire pour conduire leurs politiques économiques internes.

M. François Trucy s'est interrogé sur l'avenir de "l'euro/CFA", en remplacement du franc CFA.

M. Yann Gaillard a souligné la continuité de la politique monétaire de la France malgré les alternatives politiques.

M. Henri Collard a demandé des renseignements supplémentaires sur les pouvoirs du Conseil européen et sur l'état de l'opinion publique face à la perspective de l'euro.

M. Jean Clouet s'est interrogé sur la procédure de rachat des monnaies nationales. Il s'est également demandé si un état fédéral européen n'était pas de facto en train de se constituer.

M. Christian Poncelet, président, a rappelé que M. Patrick Artus, directeur du service des études économiques et financières de la Caisse des dépôts et consignations, avait estimé, au cours de son audition, que le franc, à cause de son "arrimage" au Deutsche Mark, était surévalué aux débuts de la réunification allemande, ce qui aurait causé 1,5 million de chômeurs. Il a donc demandé si l'euro serait également surévalué. En outre, il a demandé un rapport détaillé de la Banque de France sur analyse de la convergence économique, telle qu'elle a été appréciée par la Commission européenne et par l'Institut monétaire européen.

En réponse, M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, a souligné les risques que courrait la France si elle négligeait la croissance de l'encours de sa dette. Il a estimé que la France disposait de très nombreux atouts, mais qu'elle devait également combattre ses défauts. Concernant le paradoxe de taux d'intérêt très bas malgré un déficit élevé, il a déclaré que cette situation résultait de la remarquable position de la France face aux quatre autres critères du Traité de Maastricht, de l'état exceptionnellement bon de ses comptes extérieurs et de la confiance qu'avait su acquérir la Banque de France.

Concernant le fonctionnement du système de banques centrales européennes, il a insisté sur le caractère collégial des décisions prises par la Banque centrale européenne.

Par ailleurs, M. Jean-Claude Trichet a indiqué qu'il était erroné d'imputer notre chômage à la politique du franc fort et stable. Cette politique a permis de préserver non seulement le pouvoir d'achat des Français mais aussi de bas taux d'intérêt de marché et une bonne compétitivité, ce qui est bon pour la croissance et la création d'emplois. Cependant, une bonne politique monétaire est une condition nécessaire mais pas suffisante pour vaincre le chômage. Encore faut-il des réformes structurelles.

Puis, il a indiqué que la quote-part de la France dans le montant des réserves de la future Banque centrale européenne constituerait une part ténue des réserves de la Banque de France. Il a souligné que la restructuration de cette dernière avait pour objectif d'abaisser le coût des services rendus dans le domaine de la circulation fiduciaire et qu'il n'était pas question de fermer la moindre succursale. En outre, il a insisté sur les rencontres organisées entre la Banque de France et les maires concernés par les suppressions d'emplois afin de trouver des solutions concrètes et adaptées aux conditions locales. La Banque de France entend aider le mieux possible les villes concernées.

S'agissant de l'avenir du franc/CFA, il a fait remarquer que la Banque de France n'intervenait pas puisque le franc/CFA est relié au franc par l'intermédiaire du budget de l'Etat. Il a estimé qu'à sa connaissance, la France et les pays africains n'entendaient rien changer dans leurs relations.

Ensuite, M. Jean-Claude Trichet a déclaré que la construction européenne conduisait probablement moins à la création d'un Etat fédéral "de facto" qu'à une organisation originale confiant au collège des gouvernements de l'Union des pouvoirs importants et qu'il ne fallait pas sous-estimer l'efficacité de la construction institutionnelle sans précédent que les Européens s'étaient donnée. Il a également annoncé que le "rachat" des monnaies nationales se ferait partout en Europe, à partir du 1er janvier 2002, avec l'aide des banques commerciales.

Enfin, il a répondu favorablement à la demande de rapport présentée par M. Christian Poncelet, président.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page