B. DONT LE TRAFIC EST APPELÉ A CROÎTRE

1. Les avantages de la voie d'eau

De l'avis unanime des experts consultés par votre commission d'enquête, la voie d'eau jouit d'un avantage comparatif en termes de sécurité, de gabarit, de consommation d'énergie et, par conséquent, de respect de l'environnement.

Le transport fluvial est particulièrement sûr

Les accidents y sont relativement rares et leur gravité est limitée 21( * ) .

Une personnalité entendue par votre commission d'enquête rappelait qu'en Allemagne, plus de 45 % des transports d'hydrocarbures étaient assurés par la voie d'eau, parce que la navigation intérieure offrait des conditions de meilleure sécurité. D'ailleurs, selon la même source, " les bateaux citernes sont de plus en plus à double coque [...] Ils sont lents : en cas d'accident, les conséquences sont toujours beaucoup moins graves ".

Le même interlocuteur soulignait également le recours fréquent des entreprises de chimie à la batellerie , pour l'acheminement de matières dangereuses . Sur le Rhône, Elf Atochem a récemment décidé de transporter chaque année par bateau 400.000 tonnes de chlorure de vinyle monomère.

Le gabarit important de la voie d'eau lui permet également de transporter des objets de dimensions exceptionnelles , tels que des pièces lourdes destinées à des projets d'implantation d'usine, ou encore les éléments de la fusée Ariane.

Tout comme le chemin de fer, le transport fluvial consomme peu d'énergie et pollue peu par rapport au transport routier .

Selon une étude réalisée par l'Institut national de la santé et de l'environnement des Pays-Bas en 1997, la consommation d'énergie du chemin de fer et celle de la voie d'eau étaient évaluées à 0,60 mégajoules par tonne-kilomètres, tandis que celle du transport par semi-remorques était d'environ 1,2 mégajoule par tkm, soit le double.

De même, les émissions polluantes du chemin de fer et de la voie d'eau étaient beaucoup plus faibles que celles du transport routier de marchandises. Elles variaient du simple au double pour les émissions de dioxyde de carbone et le dioxyde de souffre. Elles étaient neuf fois plus faibles pour l'oxyde de carbone. Ces éléments sont présentés dans le tableau ci-dessous :

CONSOMMATION D'ÉNERGIE ET FACTEURS D'ÉMISSION DANS LE TRANSPORT DE MARCHANDISES EN 1995

(y compris les carburants et la production électrique)

 

Semi-remorque

Train

Voie d'eau

Énergie en mégajoules par tonne-kilomètre

1,2

0,61

0,60

Émissions en grammes par tonne-kilomètre :

- CO2

- CO

- SO2

88

0,36

0,11

44

0,02

0,02

44

0,04

0,06

Source : Institut national de la santé publique des Pays-Bas

Les valeurs tutélaires relatives à la pollution atmosphérique des divers modes de transport destinées aux évaluations des projets fixées par la circulaire du 13 octobre 1995 relative aux méthodes d'évaluation économique des grands projets d'infrastructure de transport concordent avec les données précitées. Dans le cas le plus favorable à la route (rase campagne) le transport fluvial est considéré comme de 4 à 7 fois moins polluant (selon la taille des navires) que le transport routier . Les valeurs tutélaires retenues en Allemagne pour procéder à des calculs analogues sont d'ailleurs comparables à celles utilisées en France, comme le montre le tableau ci-dessous :

VALEURS TUTÉLAIRES RELATIVES À LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE
EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE

 

Valeurs tutélaires françaises (cts/tkm)

Valeurs tutélaires allemandes

 

rase campagne

milieu urbain

 

Route

7,6

9,6

8,3

Rail dont :

- Électrique

- Diesel

0,1

0,94

0,1

1,14

1,15

Voie navigable

dont :

- 350 T

- 750 T

- 1.350 T

- > 2.000 T

1,77

1,39

1,07

1,07

2,17

1,69

1,27

1,27

1,19

L'avantage comparatif détenu par la voie d'eau en termes de consommation d'énergie est d'ailleurs souligné par les personnalités entendues par votre commission d'enquête au titre des associations écologistes. Ces dernières ne le contestent que pour le trafic réalisé sur les voies fluviales interbassins dotées de nombreuses écluses, comme on l'a vu au I, A du présent chapitre.

La voie d'eau stimule la concurrence et concourt à faire baisser les prix des autres modes de transport .

Transport économique, la voie d'eau à grand gabarit offre une alternative peu coûteuse pour l'acheminement de frets massifiés. Ainsi, comme le faisait observer M. Raphaël Walewski, le Directeur général de Touax, société de transport et de location de matériel de transport fluvial, lors de la semaine internationale du transport et de la logistique 1998, la massification des flux au moyen de grands bateaux permet d'abaisser considérablement le coût unitaire de la tonne transportée.

Alors que le prix moyen de la tonne-kilomètre sur le réseau Freycinet -estimé à 30 centimes- n'est pas compétitif, le transit de convois poussés de 5.000 tonnes sur 200 à 500 km sur les réseaux de la Seine et du Rhône, permet d'atteindre un prix de 10 à 15 centimes par tonne-kilomètre. Sur le Rhin et le Danube, le prix de la tonne-kilomètre avoisine 5 centimes pour des convois de 12.000 tonnes. Aux États-Unis, entre la Nouvelle-Orléans et Saint-Louis, ce prix peut atteindre 1 centime pour des convois de plus de 40.000 tonnes.

Alors que le transport d'un conteneur de 40 pieds de Rotterdam à Berne est facturé 7 500 francs environ par la route, un acheminement par voie fluviale (avec délivrance par la route au client final) coûtera environ 4 500 francs, soit 40 % de moins.

Il ressort des informations communiquées à votre commission d'enquête qu'en Europe la création des voies fluviales à grand gabarit les plus récentes a été systématiquement suivie d'une baisse des tarifs ferroviaires, d'environ 30 %. Il en fut ainsi en 1964, après la canalisation de la Moselle et en 1975 à l'occasion de l'ouverture du canal latéral à l'Elbe destiné à désenclaver Hambourg. On a observé le même phénomène en 1988 après la canalisation de la Sarre et en 1992 à la suite de la mise en service de la liaison Rhin-Main-Danube.

La voie d'eau française est sous-utilisée

A la différence du rail et de la route qui sont confrontés à des problèmes d'engorgement, de concurrence entre les trafics voyageurs et marchandises voire même d'interdiction de circuler certains jours de la semaine pour des raisons de sécurité, la voie d'eau à grand gabarit dispose de capacités disponibles.

A l'exception de la Moselle dont on a évoqué la saturation de la partie allemande, les voies d'eau françaises sont notablement sous exploitées. Alors que le sillon rhodanien est, en plusieurs noeuds routiers et ferroviaires, menacé d'embolie, le Rhône pourrait accueillir un trafic cinq fois supérieur à celui qui le traverse actuellement ! La flotte publique n'y dépasse d'ailleurs pas une centaine de navires !

Une personnalité entendue par votre commission d'enquête estimait que la Seine n'était plus utilisée qu'à 25 % de sa capacité compte tenu de la baisse du trafic observée ces dernières années.

L'engorgement progressif du sillon rhodanien conduira nécessairement les pouvoirs publics à s'interroger sur le développement de la voie d'eau. Comme le déclarait M. Raymond Barre devant votre commission d'enquête : " Dans dix ans, nous verrons les mêmes problèmes de saturation que ceux que l'on a observés en Autriche ou en Suisse. La SNCF tire argument de cela pour dire : on fera du ferroutage. Mais les autoroutiers se heurteront aussi à l'opposition systématique des Verts sur les parcours. Donc ils auraient eu de bonnes raisons de voir l'intérêt de Rhin-Rhône, d'autant plus qu'aux divers ports, ils auraient pu organiser la répartition pour les transports routiers ".

Ce jugement formulé au sujet du couloir rhodanien vaut aussi pour d'autres liaisons telles que Paris-Lille.

L'accroissement des exigences de l'opinion publique en termes de sécurité routière et de respect de l'environnement conduit à s'interroger sur l'utilisation des capacités fluviales disponibles et le cas échéant, sur leur extension.

La voie d'eau permet une gestion des livraisons en " juste à temps "

La lenteur du transport par voie d'eau est son principal handicap concurrentiel. Il est souvent présenté comme radicalement incompatible avec les nécessités du transport moderne en termes de gestion des stocks et de fiabilité.

Une telle approche est singulièrement réductrice ! Comme le soulignait une personnalité auditionnée par votre commission d'enquête, la relative lenteur de la voie d'eau est parfaitement compatible avec la livraison " juste à temps ". Le même intervenant ajoutait : " On peut très bien concevoir une politique d'optimisation des stocks qui permet d'entreposer sur le bateau pendant qu'il se déplace. Les experts ne sont pas assez rigoureux en n'ayant pas une approche globale de la systématique logistique et en ne s'interrogeant pas sur les lieux de stockage. Le bateau fait aussi du juste à temps, et comme il est moins cher, il y a un optimum à trouver ".

L'analyse des flux internationaux de marchandises débarquées dans les ports français conduit aussi à nuancer la " lenteur " du transport fluvial. L'acheminement en Europe d'un conteneur nécessite huit jours de mer à partir de la côte Est des États-Unis, et 21 jours au départ de l'Extrême-Orient. Dès lors, le transporteur n'est pas nécessairement sensible à l'accroissement du délai de livraison de quelques heures qu'impose le transport fluvial en Europe, tant par rapport au rail que vis-à-vis de la route.

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