N° 194

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 février 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Philippe ARNAUD, Jean-Paul AMOUDRY, Jean ARTHUIS, Alphonse ARZEL , Denis BADRÉ, René BALLAYER, Bernard BARRAUX, Jacques BAUDOT, Michel BÉCOT, Claude BELOT, François BLAIZOT , Maurice BLIN, Mme Annick BOCANDÉ, MM. Didier BOROTRA, Marcel DENEUX, Gérard DERIOT, André DILIGENT, André ÉGU , Pierre FAUCHON, Jean FAURE, Serge FRANCHIS, Yves FRÉVILLE, Francis GRIGNON, Marcel HENRY, Pierre HÉRISSON, Rémi HERMENT, Jean HUCHON, Claude HURIET, Jean-Jacques HYEST, Henri LE BRETON, Edouard LE JEUNE , Marcel LESBROS, Jean-Louis LORRAIN, Jacques MACHET, Jean MADELAIN , Kléber MALÉCOT, André MAMAN, René MARQUÈS, Louis MERCIER, Daniel MILLAUD , Louis MOINARD, René MONORY, Philippe NOGRIX, Jean POURCHET, Michel SOUPLET et Xavier de VILLEPIN tendant à assurer un service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics,

Par M. Claude HURIET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Henri de Richemont, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir le numéro :

Sénat : 491 (1997-1998).

Service public.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 3 février 1999 sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Claude Huriet sur la proposition de loi n° 491 (1997-1998) de M. Philippe Arnaud et plusieurs de ses collègues, tendant à assurer un service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics .

M. Claude Huriet, rapporteur, a rappelé que la question du droit de grève devait être examinée au regard de deux autres principes à valeur constitutionnelle, à savoir la continuité des services publics et la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens.

Il a observé l'importance du nombre de journées de grève dans les services publics en dépit de ce principe de continuité, élément fondateur de la notion de service public.

Après avoir évoqué les positions adoptées par la commission ainsi que les propositions de loi déjà déposées sur ce thème, il a souligné qu'il était utile de légiférer " à froid " dans un domaine aussi sensible.

En premier lieu, il a constaté que la grève correspondait à un échec du dialogue social confirmé par le détournement dont fait parfois l'objet le préavis rendu obligatoire dans les services publics par la loi du 13 juillet 1963.

A cet égard, il a regretté que la grève soit trop souvent considérée dans notre pays non comme une arme ultime à utiliser en dernier ressort, mais comme un moyen ordinaire de gestion des conflits sociaux.

Il a noté que, malgré l'obligation de négocier pendant la durée du préavis instaurée par la loi " Auroux " de 1982, ce dispositif n'était pas toujours utilisé pour favoriser la recherche d'un accord entre les directions et les syndicats concernés.

Il s'est interrogé sur les insuffisances de l'Etat employeur vis-à-vis de ses agents ou dans l'exercice de sa tutelle, en matière de gestion des ressources humaines, en observant que le coût de ces dysfonctionnements était supporté par les contribuables et les entreprises du secteur marchand.

En second lieu, il a souligné que le service minimum était un " pis-aller " dont la mise en oeuvre soulevait en outre des problèmes techniques.

Il a tout d'abord noté que le service minimum semblerait en retrait par rapport aux dispositifs qui sont appliqués à EDF ou à la Poste.

Il a remarqué que la référence au service minimum, sans définition préalable de ce que serait un service optimal, risquerait de conduire à une banalisation des carences du service public au détriment de l'usager.

Il a noté que la situation particulière des transports en commun dans la région parisienne due à la concentration de la population rendait difficile l'édiction d'un service minimum sans prendre des mesures qui pourraient être perçues, par le Conseil constitutionnel, comme une interdiction du droit de grève pour certaines catégories de salariés.

C'est pourquoi, M. Claude Huriet, rapporteur, a souligné que mieux valait s'inspirer de la démarche en deux étapes voulue par le Président de la République dans son discours du 4 décembre 1998 à Rennes consistant d'abord à instituer des procédures efficaces de prévention des grèves et d'organisation concertée d'un service minimum et, ensuite, à instaurer des règles communes dans les services minimums en cas de carence des partenaires sociaux.

En troisième lieu, M. Claude Huriet, rapporteur, a constaté que le succès de l'alarme sociale mise en place à la RATP montrait que des évolutions favorables s'amorçaient sous la pression conjointe de l'opinion publique, de l'émergence de la concurrence dans les services publics et de la construction de l'Europe sociale.

Il a rappelé les grandes lignes du protocole d'accord du 11 juin 1996 à la RATP en soulignant que ce mécanisme permettait de faciliter la réponse à des revendications qui concernaient la vie quotidienne des agents de conduite et pouvaient donc trouver une solution sans recours systématique à la grève.

Il a noté par ailleurs que les agents des services publics prenaient parfois conscience que l'opinion percevait de manière très négative l'interruption du service public due aux grèves.

Il a rappelé à cet égard qu'il serait aujourd'hui incompréhensible d'interrompre la fourniture d'électricité qui est considérée comme un bien vital.

Evoquant ensuite l'ouverture de divers services publics à la concurrence, il a observé que la disparition des monopoles était un facteur important de réduction du nombre de grèves.

Enfin, soulignant que de nombreux pays européens avaient mis en place des obligations de service minimum sous une forme négociée, il a estimé que la construction de l'Europe sociale pouvait donner une impulsion utile pour mettre fin à certains " archaïsmes " du dialogue social propres à la France.

Dans ce contexte, M. Claude Huriet, rapporteur, a proposé la mise en place d'un dispositif à trois étages.

Tout d'abord, il a estimé que, dans les services publics, le législateur devait appeler les employeurs et les syndicats à conclure des accords collectifs destinés à améliorer le dialogue social et à prévenir le déclenchement de grèves, à l'instar de " l'alarme sociale " mise en place à la RATP.

Ensuite, il a considéré qu'il importait d'améliorer le contenu de l'obligation de négocier durant la période du préavis obligatoire tout en allongeant la durée de ce préavis et en rendant impossible la pratique des " préavis glissants " conformément à ce qui a été institué dans le secteur audiovisuel en 1979.

Enfin, il a proposé que le Gouvernement présente dans un délai de deux ans un rapport complet sur la conflictualité dans le secteur public comportant un bilan des accords de prévention des conflits et de leur application afin que le législateur puisse se prononcer en toute connaissance de cause sur les mesures à prendre dans les secteurs où le principe de continuité des services publics apparaîtrait toujours insuffisamment respecté.

M. Louis Souvet a souligné que la question du respect du principe de continuité des services publics se posait non seulement pour les transports terrestres mais également dans les domaines des services postaux, de la fourniture d'énergie et de la navigation aérienne en remarquant qu'il était difficile d'instituer une norme générale applicable dans tous les secteurs.

Il s'est interrogé sur les modalités de contrôle du respect des règles relatives au préavis et les sanctions applicables aux salariés qui font grève en situation irrégulière. Il a observé par ailleurs la part croissante des grèves résultant de mots d'ordre lancés par des syndicats autonomes ou par des coordinations dont la représentativité lui est apparue contestable. Il s'est demandé comment serait sanctionnée l'absence d'accord de prévention des conflits.

Enfin, il a regretté l'absence d'une gradation dans les motifs justifiant le recours à la grève, qui devrait être elle-même réservée, dans les services publics, aux cas de conflits graves entre une direction et les salariés.

M. Jean Chérioux a souligné que le service minimum dans les services publics était difficile à mettre en oeuvre en raison de la diversité des situations et des contraintes techniques.

Il a insisté sur le respect de la liberté du travail en s'interrogeant sur le contrôle des conditions dans lesquelles une grève peut être réglementairement déclenchée. Il s'est interrogé à cet égard sur l'utilité de rendre obligatoire un vote à bulletin secret.

Enfin, il a souligné que la pratique des " piquets de grève " ou le recours à des séquestrations de responsables constituaient des atteintes graves à la liberté du travail qui devraient être sanctionnées.

M. André Jourdain a approuvé l'accent mis par le rapporteur sur un renforcement de la prévention des conflits dans le secteur public mais s'est demandé quelles sanctions s'appliqueraient si les accords collectifs n'étaient pas mis en oeuvre en ce domaine.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a observé que le rapporteur présentait des conclusions qui témoignaient d'une réelle évolution par rapport au texte initial de la proposition de loi. Elle s'est demandé si l'arsenal législatif actuel ne permettait pas déjà de répondre aux questions abordées par le rapporteur. Constatant l'importance quantitative des diverses négociations collectives conduites dans les services publics, elle a souligné que tout reposait sur la qualité du dialogue social et s'est demandé si le législateur était vraiment apte à intervenir utilement en ce domaine.

Mme Gisèle Printz a rappelé que la grève était un droit imprescriptible pour les salariés et a regretté que la proposition de loi le remette en cause. Elle a rappelé que les jours de grève n'étaient pas payés et a considéré dangereuse l'idée d'appliquer des sanctions en cas d'absence d'accord collectif en matière de prévention des conflits.

M. Guy Fischer a rappelé que les syndicats reçus en audition publique étaient contre l'instauration d'un service minimum et il a considéré que cette notion était une " fausse bonne solution ". Il a estimé que la proposition de loi constituait une nouvelle tentative de revenir sur le droit de grève et il a regretté que l'on cherche à mettre ainsi en opposition les usagers et les agents des services publics.

M. Claude Domeizel a rappelé qu'il était toujours difficile pour un salarié du secteur public de recourir à la grève qui constituait, dans tous les cas, le révélateur d'un malaise social. Il s'est interrogé sur les effets de la baisse relative de l'audience des syndicats institutionnels sur les conflits dans le secteur public. Il a considéré que l'obligation d'un préavis de cinq jours avant le recours à la grève dans les services publics était déjà une restriction importante au droit de grève et qu'il convenait de ne pas aller plus loin.

Mme Annick Bocandé a approuvé les conclusions du rapporteur ; elle a souligné toutefois la faible représentativité des syndicats en France. Elle s'est inquiétée de la " banalisation du recours à la grève " pour les motifs les plus divers.

Mme Nicole Borvo a rappelé que les jours de grève ne donnaient pas lieu à rémunération pour le personnel gréviste. Elle a considéré que l'édiction d'un service minimum dans le transport public constituerait une atteinte au droit de grève. S'agissant de l'appel à négocier suggéré par le rapporteur en matière de prévention des conflits, elle a considéré qu'il n'appartenait pas aux partenaires syndicaux de prendre en charge la gestion des conflits sociaux. Elle a rappelé que, lors des grandes grèves de décembre 1995, la position des grévistes avait été largement comprise par la population.

M. Alain Gournac , rappelant que M. Louis Gallois avait fait état devant le Haut Conseil du secteur public de l'existence d'une " culture de la grève " à la SNCF, a souligné le caractère atypique de la France où la grève dans les services publics était banalisée alors que d'autres pays faisaient de la grève une arme ultime utilisée seulement en cas de conflits graves.

Il a souligné par ailleurs que dans une démocratie fondée sur le respect d'autrui, la pratique des " piquets de grève " ou le recours à des grèves sauvages étaient inadmissibles. Il a considéré que les salariés du service public devraient tenir compte des usagers lorsqu'ils prennent la décision de faire grève.

M. Gilbert Chabroux a estimé que l'intervention du législateur sur le sujet du service minimum pourrait être mal interprétée et apparaître inopportunément comme une tentative de limitation du droit de grève même si, en tant qu'usager, chacun était en mesure de subir les conséquences des grèves dans les services publics.

M. Louis Boyer a approuvé la démarche du rapporteur tout en constatant que l'inadaptation des textes en matière de représentation des salariés dans les procédures de négociation collective risquait de le rendre peu efficace.

M. Jean Delaneau, président, a souligné que la démarche équilibrée du rapporteur était exempte de toute volonté de provocation à l'égard des salariés des services publics et a rappelé la complexité récurrente de l'appréciation de la représentativité des syndicats dans le cadre de la négociation collective.

En réponse, M. Claude Huriet, rapporteur, a tout d'abord tenu à souligner que, lors des auditions des syndicats, ces derniers ne s'étaient pas montrés hostiles à un renforcement des règles de prévention des grèves dans un cadre négocié. Il a évoqué l'accueil favorable reçu par l'avis de M. Guy Naulin, au nom du Conseil économique et social, sur la prévention et la résolution des conflits du travail. Il s'est félicité que l'accord conclu à la RATP ait permis incontestablement d'engager un véritable dialogue social tout en notant que les syndicats qui avaient refusé de signer cet accord ou de l'appliquer avaient enregistré une baisse de leur influence au sein de la RATP.

S'agissant du délai de préavis, il a souligné que le but du dispositif, conformément à l'esprit des lois Auroux, devait être de favoriser une négociation utile avant un conflit. Il a donc considéré que les mesures proposées en ce domaine permettaient de concilier le droit de grève avec le principe de continuité.

Concernant les sanctions applicables, il a évoqué les dispositions prévues dans le code pénal en cas d'entrave à la liberté du travail ainsi que les mesures disciplinaires envisagées à l'article L. 521-6 du code du travail en cas de non-respect des dispositions relatives au préavis obligatoire.

D'une manière générale, il a souligné que la procédure de l'appel à négocier était celle qui avait été préconisée dans le cadre de la loi relative à la réduction du temps de travail et qu'elle s'exercerait sous la contrainte du rapport qui devrait être remis par le Gouvernement dans un délai de deux ans qui permettrait, le cas échéant, au Parlement de prendre des mesures plus contraignantes en matière de service minimum dès lors qu'apparaîtrait une carence de l'autorité de tutelle, des directeurs des entreprises et des organisations syndicales.

Puis la commission a abordé l'examen des articles.

Elle a adopté l'article premier appelant les partenaires sociaux et les employeurs dans les services publics à négocier des accords sur la prévention des conflits, après les interventions de MM. Claude Huriet, rapporteur, Louis Souvet et Mme Marie-Madeleine Dieulangard.

Puis elle a adopté l'article 2 visant à allonger la durée du préavis légal, à proscrire la technique de préavis glissant et à préciser le contenu de l'obligation de négocier.

Enfin, elle a adopté l'article 3 prévoyant un rapport du Gouvernement au Parlement dressant le bilan de la conflictualité dans les services publics, des procédures négociées de prévention des grèves et de dispositifs adoptés en matière de continuité dans les services publics.

Puis elle a modifié l'intitulé de la proposition de loi par coordination avec ses modifications et elle a adopté l'ensemble des conclusions ainsi rédigées.

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