Proposition de loi relative à la chasse

HEINIS (Anne)

RAPPORT 408 (98-99) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES

Table des matières




N° 408

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de loi de MM. Roland du LUART, Gérard LARCHER, Philippe ADNOT, Jean BERNARD, Jean BIZET, Paul BLANC, Gérard BRAUN, Auguste CAZALET, Gérard CÉSAR, Michel CHARASSE, Gérard CORNU, Jean-Patrick COURTOIS, Désiré DEBAVELAERE, Jean-Paul DELEVOYE, Fernand DEMILLY, Michel DOUBLET, Philippe FRANÇOIS, Alain JOYANDET, Mme Anne HEINIS, MM. Pierre LEFEBVRE, Jacques LEGENDRE, Jean-François LE GRAND, Guy LEMAIRE, Pierre MARTIN, Jacques OUDIN, Xavier PINTAT, Ladislas PONIATOWSKI, Henri de RAINCOURT, Henri REVOL, Michel SOUPLET, Martial TAUGOURDEAU, Jacques VALADE et Alain VASSELLE portant diverses mesures d'urgence relatives à la chasse ,

Par Mme Anne HEINIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat
: 394 rect.


Chasse et pêche.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Force est de le reconnaître : depuis plusieurs années, la réglementation relative à l'organisation de la chasse en France fait l'objet de multiples contestations, au niveau tant national qu'européen, sur des thèmes aussi divers que les périodes de chasse du gibier d'eau, la chasse à l'ortolan ou à la palombe, les compétences respectives de l'Office national de la chasse et des fédérations départementales de chasseurs, le statut des gardes-chasse, la sécurité des chasseurs et des promeneurs en période de chasse, la chasse à la passée du gibier d'eau ou de nuit à partir de postes fixes ou encore l'application de la " loi Verdeille "...

Les très nombreuses décisions de justice rendues en ces matières par les tribunaux français sont loin d'être toujours cohérentes, traduisant ainsi les évolutions contrastées de l'opinion publique à l'égard d'une activité de loisir pratiquée par 1,5 million de personnes et enracinée dans une tradition historique forte.

A tort ou à raison, la chasse incarne un acquis fondamental de la Révolution française à travers l'abolition du privilège du droit de chasse, satisfaisant ainsi les revendications des paysans du XVIIIe siècle qui ne supportaient plus de voir leurs récoltes détruites soit par les passages des chevaux ou des chiens, soit par la présence des animaux sauvages contre lesquels ils n'avaient pas le droit de se défendre.

Mais la transformation de la société française qui, de profondément rurale, est devenue majoritairement urbaine, s'est traduite par des évolutions culturelles contrastées et un abandon progressif de certaines références à des us et coutumes centenaires. A bien des égards, le débat sur la chasse illustre cette évolution.

Dans ces conditions, le vote d'une loi d'orientation sur l'organisation générale de la chasse en France apparaît désormais indispensable. Elle aura pour objectif de dégager, à partir d'un consensus entre tous les partenaires concernés : chasseurs, protecteurs et usagers de la nature, un corps de principes rénové réglementant l'exercice de la chasse.

De façon plus immédiate, deux décisions de justice récentes fragilisent la réglementation de la chasse et pourraient avoir des conséquences graves dès la prochaine saison de chasse.

Dans un arrêt du 7 avril 1999, le Conseil d'Etat a annulé pour excès de pouvoir une instruction du 31 juillet 1996 de l'Office national de la Chasse notamment parce qu'elle organisait un régime de tolérance s'agissant de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau.

Compte tenu de cette décision, on peut considérer que ces modes de chasse qui se pratiquent dans plus de 42 départements sont désormais dépourvus de base juridique.

Dans un arrêt rendu le 29 avril dernier, la Cour européenne des Droits de l'Homme a considéré que l'application de la " loi Verdeille " en imposant aux petits propriétaires non chasseurs de faire apport de leurs terrains à une association communale de chasse agréée (ACCA) portait atteinte de façon disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d'association eu égard à l'intérêt général poursuivi.

Etant donné l'importance des ACCA dans certains départements du Sud-ouest et du rôle très positif qu'elles ont en ce qui concerne la gestion des territoires de chasse et la bonne conservation de la faune sauvage, il convient d'éviter leur éclatement.

C'est dans le souci de permettre un déroulement harmonieux de la prochaine saison de chasse que votre commission a examiné le contenu de la proposition de loi n° 394 rectifié déposée par MM. Gérard Larcher et Roland du Luart et plusieurs de leurs collègues d'appartenances politiques diverses et membres du groupe d'étude sur la chasse. Ce texte prévoit deux mesures d'urgence relatives l'une à la chasse de nuit du gibier d'eau et l'autre aux règles constitutives des territoires de chasse gérés par les ACCA. Elle vous proposera d'adopter ce dispositif assorti de quelques modifications.

I. LA CHASSE DE NUIT DU GIBIER D'EAU : UN RÉGIME JURIDIQUE PRÉCAIRE ET INCERTAIN

A. UN RÉGIME DÉROGATOIRE QUI REPOSE SUR LA COUTUME

1. Un principe général d'interdiction de chasser la nuit

L'article 9 de la loi de police de la chasse du 3 mai 1844, repris à l'article L.224-4 du code rural, énonce que " le permis donne à celui qui l'a obtenu, le droit de chasser de jour, soit à tir, soit à courre.

De plus, le droit pénal de la chasse punit sévèrement la pratique de la chasse de nuit puisque l'article L.228-5 du code rural indique que " seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5 ème classe et d'un emprisonnement de dix jours à un mois, ceux qui auront chassé pendant la nuit ".

La prohibition générale de la chasse de nuit tient, essentiellement, à des raisons de sécurité et de surveillance. Outre que les actions de chasse menées la nuit comportent des risques évidents pour la sécurité de ceux qui y participent, il est clair que le braconnage de nuit, notamment du grand gibier, est beaucoup plus difficilement contrôlable.

D'où l'interdiction posée de la chasse de nuit, pour des raisons de sécurité publique, par la loi de 1844 alors même que depuis 1790, l'abolition des privilèges avait donné le droit de chasser à tous et en tous temps.

Malgré la clarté de son énoncé, l'application de ce principe a toujours soulevé des problèmes, en raison de la difficulté à définir la nuit ! La jurisprudence a parfois privilégié l'application de l'heure légale, à savoir celle de l'Observatoire de Greenwich augmentée d'une heure, tout en admettant que les heures de lever et de coucher du soleil n'étaient pas identiques sur l'ensemble du territoire.

Les tribunaux ont d'ailleurs souvent privilégié une analyse pragmatique des faits en indiquant que " la nuit doit s'entendre du temps quotidien pendant lequel la clarté est insuffisante pour permettre de distinguer la forme et la couleur des objets " 1( * )

2. Une tolérance pour la chasse de nuit du gibier d'eau

La réglementation instituée par la loi du 3 mai 1844 avait pour objet la lutte contre le braconnage de nuit, notamment du grand gibier, ce qui explique le principe général d'interdiction posé à l'article 9 de la loi. Mais cet article prévoyait également que " néanmoins les préfets des départements sur avis des conseils généraux prendront des arrêtés pour déterminer :

- l'époque de la chasse des oiseaux de passage ;

- le temps pendant lequel il sera permis de chasser le gibier d'eau dans les marais, sur les étangs, les fleuves et rivières ".


Les travaux préparatoires autour de la loi de 1844 montrent très clairement que le législateur était favorable à l'autorisation de certaines chasses de nuit pratiquées dans plusieurs départements, car elles ne présentaient aucun danger.

Entre 1850 et 1989, va s'instaurer un droit parallèle spécifique pour le domaine public maritime incluant la pratique de la chasse en bateau ou à partir des huttes, hutteaux, tonnes et gabions. Ce droit parallèle va s'étendre de fait à toutes la chasse du gibier d'eau, même si une réglementation exclusivement maritime trouve difficilement à s'appliquer s'agissant des postes fixes installés sur le domaine terrestre.

Le régime dérogatoire prévu par l'article 9 de la loi du 3 mai 1844 ne sera pas réellement élaboré dans les formes recommandées.

Néanmoins, l'administration, à travers la réglementation élaborée par l'Office national de la chasse (ONC), a encadré la pratique cynégétique de la chasse de nuit ou à la passée : instruction 77/126 du 12 juillet 1977, note d'information aux gardes 742/83 du 5 juillet 1983, circulaire 86/246 du 26 mars 1986, circulaire 88/467 du 13 juillet 1988, circulaire 90/732 du 25 octobre 1990 et, enfin, circulaire 96/351 du 31 juillet 1996 qui vient d'être en partie annulée par le Conseil d'Etat.

En ce qui concerne la chasse du gibier d'eau à la passée, notamment aux heures crépusculaires, la circulaire du 31 juillet 1996 retient la période en-deçà des deux heures avant le lever du soleil et au-delà des deux heures après son coucher.

Quant à la chasse à la hutte, au hutteau, à la tonne ou au gabion, elle est reconnue comme constituant un usage local et autorisée à ce titre dans quarante-deux départements métropolitains.

En 1981, l'administration a d'ailleurs procédé au recensement des installations concernées sur le domaine terrestre et a ainsi comptabilisé 8.016 installations. Une étude complémentaire sur le domaine public maritime a relevé 1.569 installations.

3. L'absence d'une réglementation claire au niveau européen

Dans le principe, la plupart des Etats européens interdisent la chasse de nuit, mais un certain nombre d'entre-eux prévoient des dérogations, notamment pour la chasse du gibier d'eau. Parmi les quinze pays de l'Union européenne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, l'Irlande et le Royaume-Uni autorisent des exceptions pour la chasse de nuit.

Du point de vue des textes, la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 relative à la conservation des oiseaux sauvages ne contient pas de dispositions spécifiques relatives à la chasse de nuit.

L'article 8 de la directive, relatif à la chasse ou la capture d'oiseaux, interdit tous les moyens ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective, énumérés à l'annexe IV.

Sont ainsi interdits, par cette annexe, tous les dispositifs de lumière artificielle ou qui éclairent les cibles, ainsi que les dispositifs de visée comportant un convertisseur d'image ou un amplificateur d'image électronique pour tir de nuit. Il ne s'agit donc pas d'une interdiction expresse et généralisée de la chasse de nuit, mais plutôt de la condamnation d'un certain nombre de procédés prohibés lorsque la chasse de nuit est pratiquée .

Néanmoins, il faut indiquer que la Commission européenne soutient une position restrictive d'ensemble à l'encontre de la chasse de nuit en se fondant sur l'application du critère de non sélectivité 2( * ) . Rappelant que l'article 7 de la directive dans son paragraphe 4, dispose que la pratique de la chasse doit respecter un objectif de régulation équilibrée et de conservation, des espèces d'oiseaux concernés, la Commission européenne souligne que la pratique de la chasse de nuit, en raison de son absence de sélectivité, n'est en principe pas compatible avec les objectifs défendus par la directive.

Mais ce critère ne trouve pas à s'appliquer dans le cas de la chasse du gibier d'eau à la passée ou pratiquée de nuit à partir d'un poste fixe. L'expérience montre en effet que les chasseurs qui pratiquent ce type de chasse, du fait de leurs connaissances sur l'avifaune, sont capables d'identifier " leur gibier et de faire la distinction entre espèces chassables et non chassables ". De plus, dans ces conditions de chasse, le tir s'effectue posé ce qui laisse au chasseur le temps d'identifier son gibier.

B. LE VIDE JURIDIQUE RÉSULTANT DE L'ARRÊT DU CONSEIL D'ÉTAT DU 7 AVRIL 1999

L'arrêt du Conseil d'Etat du 7 avril 1999 statue sur deux recours présentés, l'un le 21 janvier 1997 par le Syndicat indépendant de la garderie nationale de l'environnement (SIGNE) et l'autre, présenté le 31 janvier 1997, assorti d'un mémoire complémentaire en date du 2 juin1997, par le Rassemblement des opposants à la chasse (ROC).

Les deux requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de l'instruction du 31 juillet 1996 du directeur de l'Office national de la chasse, relative aux dispositions applicables à la police de la chasse au gibier d'eau.

Le Conseil d'Etat -qui n'a jugé recevable qu'un seul de ces deux recours- a annulé pour excès de pouvoir les dispositions de l'instruction du 31 juillet 1996, considérant que celle-ci n'est pas interprétative, mais réglementaire et non conforme aux normes juridiques auxquelles elle se rapporte.

Le Conseil d'Etat condamne plus particulièrement :

- les recommandations relatives au tir au gibier d'eau à une distance inférieure à 30 mètres de la nappe d'eau, comme étant contraires aux articles R 224-5 et R.224-6 du code rural qui autorisent seulement le tir au-dessus de la nappe d'eau ;

- les dispositions relatives à l'éjointage des appelants qui méconnaissent l'interdiction de mutiler les appelants vivants édictée par l'article 8 de la directive n°79/409/CEE du 2 avril 1979, faute d'avoir précisé que l'éjointage doit être limité à la taille des rémiges ;

- la mesure prescrivant aux agents de l'Office national de la chasse de ne relever les infractions que dans la période en-deçà des deux heures avant le lever du soleil et au-delà des deux heures après son coucher, parce qu'elle méconnaît l'interdiction légale de la chasse de nuit.

Avec ce dernier considérant, le Conseil d'Etat rappelle strictement le contenu de l'interdiction générale posée par l'article L.224-4 du code rural et indique qu'une instruction administrative ne saurait contrevenir à une loi. Il ne tient pas compte du texte fondateur constitué par l'article 9 de la loi du 3 mai 1844 ni des travaux préparatoires de cette loi, qui auraient pu lui permettre de justifier l'existence d'un régime dérogatoire pour la chasse de nuit au gibier d'eau.

Compte tenu de cette annulation, il faut considérer que la pratique de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau est désormais dépourvue de base juridique.

II. UNE REMISE EN CAUSE DE LA " LOI VERDEILLE "

A. LES OBJECTIFS ET LE CONTENU DE LA LOI DU 10 JUILLET 1964

1. Les excès de la " chasse banale "

La loi du 3 mai 1844 réglementait le droit de chasse en instaurant un permis de chasse et en fixant les périodes de chasse. Son article 1 er -repris à l'article L.222-1 du code rural- rappelait que " nul n'a la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ". Le droit de chasse constituait ainsi un élément du droit de propriété.

Cependant, la jurisprudence considéra que ce consentement pouvait être tacite et qu'il était possible de chasser sur les terres d'autrui tant que le titulaire du droit de chasse n'avait pas expressément manifesté son opposition par des mesures telles que la signature d'un bail, l'assermentation d'un gardien ou l'installation de pancartes " chasse gardée ".

Dans les régions situées au Nord de la Loire, où la superficie des propriétés foncières était suffisamment importante pour que l'exercice du droit de chasse génère des revenus, le droit de chasse fut exercé par le propriétaire. En outre, des associations se sont créées spontanément pour y organiser l'exercice de la chasse. En revanche, la théorie jurisprudentielle de l'autorisation tacite eut pour effet dans le Sud de la France -compte tenu d'un plus grand morcellement de la propriété- de généraliser la pratique de la " chasse banale ". Hormis l'existence de quelques chasses gardées, les chasseurs pouvaient agir où bon leur semblait, et personne n'était responsable de la bonne conservation du capital cynégétique. Dans certaines régions, cette pratique, quasi anarchique, eut des conséquences graves sur plusieurs espèces qui furent décimées ainsi que sur les cultures et sur les écosystèmes en général.

Pour y remédier, la loi n° 64-696 du 10 juillet 1964 dite " loi Verdeille " imposa le principe du regroupement des terres en s'inspirant du régime d'Alsace-Moselle en vigueur depuis la loi d'Empire du 7 février 1881. L'objectif défendu par le législateur et repris à l'article L.222-2 du code rural était de pallier le morcellement foncier et de " favoriser le développement du gibier, la destruction des animaux nuisibles, la répression du braconnage, l'éducation cynégétique de leurs membres dans le respect des propriétés et des récoltes, et, en général, d'assurer une meilleure organisation technique de la chasse pour permettre aux chasseurs un meilleur exercice de ce sport ".

2. Le dispositif de la loi du 10 juillet 1964

La loi prévoit, au sein de la commune ou au niveau intercommunal 3( * ) , la constitution d'une association du type de la loi 1901 mais dotée d'un certain nombre de prérogatives de puissance publique qui va gérer le territoire de chasse constitué par le regroupement des terres des propriétaires de la commune. Cet apport de terres est réalisé pour une période de six ans renouvelable et un retrait ne peut se faire qu'à l'issue de chaque période de six ans avec un préavis de deux ans.

Ainsi, l'association regroupe l'ensemble des habitants de la commune qui sont chasseurs, ainsi que l'ensemble des propriétaires, chasseurs ou non, qui font obligatoirement apport de leur droit de chasse à ladite association dès lors que leur terrain est d'une superficie inférieure à un minimum variant de vingt à soixante hectares. Le but poursuivi par la loi est de protéger le droit des chasseurs locaux en assurant le regroupement des territoires en vue de leur meilleure gestion, tout en préservant le caractère populaire du loisir chasse, puisqu'il n'y a pas mise en adjudication au plus offrant du territoire regroupé.

Aux termes de l'article L.222-10 du code rural, ne sont pas soumis à l'action de l'ACCA les terrains qui sont soit situés dans un rayon de 150 mètres autour des habitations, soit entourés d'une clôture " continue et constante ", soit font partie du domaine public de l'Etat, des départements ou des communes, des forêts domaniales ou des emprises de la SNCF. S'y ajoutent les terrains d'une superficie suffisante et ayant fait l'objet de l'opposition de leur propriétaire ou du détenteur du droit de chasse.

Selon l'article L.222-13 du code rural, " pour être recevable, l'opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse [...] doit porter sur des terrains d'un seul tenant et d'une superficie minimum de vingt hectares.

Ce minimum est abaissé pour la chasse au gibier d'eau :

1. A trois hectares pour les marais non asséchés ;

2. A un hectare pour les étangs isolés ;

3. A cinquante ares pour les étangs dans lesquels existaient, au 1 er septembre 1963, des installations fixes, huttes et gabions.

Ce minimum est abaissé pour la chasse aux colombidés à un hectare sur les terrains où existaient, au 1 er septembre 1963, des postes fixes destinés à cette chasse.

Ce minimum est porté à cent hectares pour les terrains situés en montagne au-dessus de la limite de la végétation forestière.

Des arrêtés pris, par département, dans les conditions prévues à l'article L.222-6 peuvent augmenter les superficies minimales ainsi définies. Les augmentations ne peuvent excéder le double des minima fixés ",
mais dans les départements où les ACCA sont obligatoires, les superficies minima peuvent être triplées par arrêté ministériel.

Le propriétaire ayant formé opposition est tenu de payer les impôts et taxes dus sur les chasses gardées et il doit assurer la garderie de son terrain, procéder à la destruction des nuisibles et en assurer la signalisation au moyen de pancartes.

Sur leur territoire de chasse, les ACCA ont l'obligation de constituer une ou plusieurs réserves de chasse dont la superficie doit être d'au moins un dixième de la superficie totale du territoire et dans lequel tout acte de chasse est interdit sauf si le maintien des équilibres biologiques et agro-sylvo-cynégétique nécessite un plan de chasse autorisé annuellement.

Ces réserves sont soumises, depuis le décret du 23 septembre1991, au régime des réserves de chasse et de faune sauvage qui sont instituées par le préfet.

En ce qui concerne la composition de l'ACCA, peuvent y adhérer les propriétaires des terrains apportés à l'association ainsi que leurs ascendants et descendants, les habitants de la commune domiciliés ou résidents secondaires, les fermiers exploitants des terres agricoles apportées à l'ACCA et 10 % de chasseurs sans lien de rattachement avec la commune. Le propriétaire non chasseur est de droit et gratuitement membre de l'association, sans être tenu à l'éventuelle couverture du déficit de l'association.

La qualité de membre d'une ACCA confère le droit de chasser sur l'ensemble du territoire de chasse de l'association, conformément à son règlement.

Il convient de souligner que le préfet assure une tutelle étroite sur les ACCA, puisque chaque association est agréée par arrêté du préfet après vérification de l'accomplissement des formalités requises et de la conformité des statuts et du règlement intérieur aux prescriptions légales, et que toute modification aux statuts, au règlement intérieur et au règlement de chasse doit être soumise à son approbation. L'article R.222-3 dispose, en outre, que le préfet peut prendre par arrêté des mesures provisoires, voire dissoudre et remplacer le conseil d'administration d'une ACCA, en cas de violation par celle-ci des obligations qui lui incombent en vertu des articles R.222-1 à R.222-81 du code rural.

3. Les vives critiques formulées contre la " loi Verdeille "

a) La non-généralisation du dispositif

Pour permettre une application démocratique -voire volontaire- du principe de regroupement des terres en vue de la constitution d'un territoire de chasse homogène, et pour s'adapter à la diversité cynégétique constatée sur le territoire national, la loi du 10 juillet 1964 conditionne l'instauration d'une ACCA, proposée par le préfet, à l'avis conforme du conseil général. Dans les autres départements, où la création des ACCA est facultative, celles-ci ne peuvent être constituées que dans les communes où une majorité qualifiée de propriétaires représentant une majorité qualifiée de la surface du territoire communal est d'accord.

En définitive, la création obligatoire d'ACCA n'a été prévue que dans vingt-neuf départements métropolitains, et seules 851 communes ont opté de manière facultative pour ce régime.

Au total, en 1998, selon les statistiques de l'Office national de la chasse, on recense environ dix mille ACCA réparties dans soixante-neuf départements et couvrant une superficie totale de 12,3 millions d'hectares.

Le tableau ci-dessous indique la proportion du territoire couverte, pour chaque département, par les associations communales de chasses agréées.

ASSOCIATIONS COMMUNALES DE CHASSE AGREEES

DEPARTEMENTS

POURCENTAGE DU TERRITOIRE DU DÉPARTEMENT COUVERT PAR LES ACCA

Ain

5,62

Aisne

0,79

Allier

5,82

Alpes de Haute Provence

1,43

Hautes Alpes

54,16

Alpes Maritimes

-

Ardèche

84,08

Ardennes

1,21

Ariège

66,28

Aube

-

Aude

50,73

Aveyron

13,82

Bouches du Rhône

-

Calvados

0,29

Cantal

97,01

Charente

0,60

Charente Maritime

79,82

Cher

-

Côte d'Or

0,32

Haute Corse

0,82

Côtes d'Armor

0,99

Creuse

78,32

Dordogne

8,74

Doubs

79,07

Drôme

70,92

Eure

-

Eure et Loir

0,30

Finistère

0,30

Gard

?

Haute Garonne

96,06

Gers

2,91

Gironde

45,63

Hérault

8,04

Ille et Vilaine

68,73

Indre

0,36

Indre et Loire

2,08

Isère

61,85

Jura

75,02

Landes

71,65

Loir et Cher

0,79

Loire

17,61

Haute Loire

99,90

Loire Atlantique

8,35

Loiret

-

Lot

4,48

Lot et Garonne

4,38

Lozère

1,90

Maine et Loire

4,34

Manche

-

Marne

3,39

Haute Marne

2,15

Mayenne

-

Meurthe et Moselle

62,24

Meuse

41,08

Morbihan

13,88

Moselle

-

Nièvre

0,18

Nord

0,26

Oise

47,48

Orne

-

Pas de Calais

-

Puy de Dôme

0,70

Pyrénées Atlantiques

47,82

Hautes Pyrénées

0,33

Pyrénées orientales

75,58

Bas Rhin

-

Haut Rhin

-

Rhône

11,47

Haute Saône

79,61

Saône et Loire

0,30

Sarthe

-

Savoie

82,76

Haute Savoie

99,91

Paris

-

Seine Maritime

-

Seine et Marne

0,25

Yvelines

0,64

Deux Sèvres

56,26

Somme

0,17

Tarn

-

Tarn et Garonne

99,85

Var

0,18

Vaucluse

-

Vendée

-

Vienne

56,16

Haute Vienne

81,46

Vosges

-

Yonne

0,59

Territoire de Belfort

60,60

Essonne

-

Hauts de Seine

-

Seine Saint Denis

-

Val de Marne

-

Val d'Oise

-

Source : Réponse à la question écrite 19375 de M. JP Brard. JO AN 15.03.99 page 1549.

Ainsi, d'un département à l'autre, voire d'une commune à l'autre, alors même que leurs territoires respectifs peuvent présenter beaucoup de similitudes d'un point de vue cynégétique, les propriétaires de biens ruraux sont soumis ou non à l'obligation de faire apport de leurs terres.

Au nom de l'application du principe d'égalité devant la loi, ces modalités ont été fortement contestées, d'autant plus que dans son dispositif-même, la loi introduit également plusieurs règles discriminatoires :

- d'une part, elle exclut a priori du mécanisme de l'apport les terrains appartenant au domaine public de l'Etat et aux collectivités territoriales ;

- d'autre part, s'agissant des propriétaires privés, la loi confère un droit d'opposition aux détenteurs de terrains suffisamment importants, au motif que cette superficie permet d'y organiser une gestion rationnelle de la pratique de la chasse. Pour échapper au regroupement de terrains, les petits propriétaires ont comme seule solution soit d'enclore leur terrain, ce qui est onéreux, soit d'obtenir son classement en réserve de chasse, ce qui est plus aléatoire.

b) La négation des droits des non-chasseurs

La loi du 10 juillet 1964 n'opère aucune distinction entre les propriétaires chasseurs ou non-chasseurs, qui sont tenus de faire apport de leurs terrains si ceux-ci n'atteignent pas une superficie suffisante.

En ce qui concerne l'adhésion à l'association gestionnaire du territoire de chasse, l'article L. 222-19 du code rural précise que le propriétaire non-chasseur est, de droit et gratuitement, membre de l'association sans être tenu à l'éventuelle couverture du déficit de ladite association.

Ce dispositif a suscité une opposition très forte de la part des associations de protection animale ou de protection de la nature et de leurs adhérents ; ces derniers -opposants de conscience à la chasse- se sont vus contraints d'accepter chez eux le passage des chasseurs du fait de l'application de la loi Verdeille. L'évolution rapide de l'opinion publique sur ce sujet et la crispation des comportements au niveau local -tant parmi les opposants que chez les chasseurs- n'a pas permis de dégager la solution de compromis qui aurait pu sans doute être trouvée à travers une gestion concertée des réserves de chasse, que les ACCA doivent constituer en application de l'article L.222-21 du code rural.

B. LA LOI DU 10 JUILLET 1964 CONDAMNÉE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME LE 29 AVRIL 1999

1. L'épuisement des voies de recours interne

En 1985, des propriétaires de terrains inférieurs à 20 hectares adhérents au ROC (Rassemblement des opposants à la chasse) puis de l'ASPA (Association pour la protection des animaux sauvages) apposèrent sur les limites de leurs terrains des panneaux comportant les indications " Chasse interdite " et " Refuge ". Les ACCA concernées obtinrent par une ordonnance de référé, confirmée par la Cour d'appel de Bordeaux en juin 1987 une décision ordonnant l'enlèvement des panneaux.

De ce litige devait découler une longue série de procédures par laquelle les requérants tentèrent en vain d'obtenir le retrait de leurs terrains du périmètre des ACCA et cherchèrent à faire déclarer la " loi Verdeille " incompatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme.

Parallèlement à ce litige, d'autres procédures s'engageaient sur le même fondement juridique et les décisions rendues font apparaître des divergences de position entre les juridictions administratives et judiciaires du premier degré. Plusieurs tribunaux de grande instance saisis constatèrent la violation des droits fondamentaux par la " loi Verdeille " (TGI Périgueux, 13 décembre 1988, TGI Valence, 28 juin 1989, TGI Guéret, 18 juin 1990, TGI Carcassonne, 16 juillet 1990), mais les juridictions administratives ont toujours considéré que l'exercice rationnel de la chasse constituait un motif d'intérêt général, justifiant l'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'association (TA Bordeaux, 16 novembre 1989, TA Limoges, 28 juin 1990).

Les décisions judiciaires furent, pour la plupart, réformées en appel. Certaines cours (Bordeaux, Limoges) ont fait prévaloir un intérêt général s'attachant à l'exercice de la chasse, tandis que d'autres se déclarèrent incompétentes au profit de l'ordre administratif (Grenoble), alors que d'autres enfin retenaient des violations partielles (Montpellier) ou totales de normes internationales supérieures (Poitiers, 10 janvier 1992).

La Cour de cassation refléta ces hésitations en rendant deux arrêts de rejet : l'un constatant l'incompétence du juge judiciaire en la matière (Cassation. 1 ère civile, 15 juillet 1993) et l'autre la compatibilité de la " loi Verdeille " au droit supérieur (Cassation 3 ème civile, 16 mars 1994), précisant que le droit de chasse n'était pas un de ceux protégés par la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Le Conseil d'Etat, quant à lui, confirma la position unanime des juridictions administratives en justifiant la légitimité d'une réglementation restrictive du droit de chasse au nom de l'intérêt général et il considéra qu'il n'y avait atteinte ni au droit de propriété ni à la liberté d'association (CE 30 mars 1995, M. Montion et Société nationale de protection de la nature).

Une fois les voies de recours internes épuisées, des requêtes ont été introduites devant la Commission européenne des Droits de l'Homme en avril 1994 et avril 1995.

2. La condamnation de la " loi Verdeille " par l'arrêt du 29 avril 1999

a) Rappel de la procédure

Après avoir déclaré recevables des requêtes introduites respectivement en avril 1994 et juin 1995, la Commission a adopté, le 30 octobre 1997 et le 4 décembre 1997, trois rapports établissant les faits et déclarant à la majorité, qu'il y avait violation de l'article 1 du Protocole n° 1, de l'article 11 de la Convention ainsi que de l'article 14 combiné avec l'article 1 du Protocole et l'article 11 de la Convention. Les affaires ont été déférées à la Cour par la Commission le 15 décembre 1997.

b) Le contenu de l'arrêt du 29 avril 1999

L'arrêt de la Cour européenne reprend les trois arguments retenus par la Commission, à savoir une atteinte au droit de propriété en violation de l'article 1 du Protocole n° 1, une atteinte à la liberté d'association prévue à l'article 11 de la Convention, ainsi que l'existence d'une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention.

S'agissant de l'atteinte au droit de propriété des requérants, la Cour a considéré que l'objectif de la loi du 10 juillet 1964 était certes d'intérêt général puisqu'il visait à éviter une pratique anarchique de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique ; mais elle a jugé qu'aucune mesure de compensation n'était prévue en faveur des propriétaires opposés à la chasse. En conséquence, elle a estimé que le système de l'apport forcé aboutissait à placer les requérants dans une situation ne respectant pas un juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général ; elle a donc jugé qu'obliger les petits propriétaires hostiles à la chasse à faire apport de leur droit de chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un usage totalement contraire à leurs convictions constituait une mesure " disproportionnée " eu égard à l'intérêt général poursuivi.

De plus, elle a considéré que la différence de traitement entre les petits et les grands propriétaires ne pouvait se justifier au nom de l'intérêt général, et que cette discrimination fondée sur la fortune foncière s'inscrivait en violation de l'article 14 de la Convention.

S'agissant du principe de liberté d'association, la Cour a tout d'abord considéré que les associations communales de chasse agréées, quelles que soient les prérogatives exorbitantes du droit commun dont elles jouissent, constituent bien des " associations " au sens de l'article 11 de la Convention.

La Cour a estimé qu'astreindre les requérants à devenir membre d'une ACCA en dépit de leurs convictions personnelles ne pouvait se justifier au nom de la sauvegarde d'un exercice démocratique de la chasse, et que cette obligation constituait une atteinte à la liberté d'association.

" Contraindre de par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres conviction et l'obliger, du fait de cette adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l'association en question réalise des objectifs qu'il désapprouve va au delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi. Il y a donc violation de l'article 11. "

De plus, la Cour a estimé qu'il n'y avait aucune justification à obliger les petits propriétaires à être membres des ACCA et à permettre aux grands propriétaires d'échapper à cette affiliation obligatoire, " qu'ils exercent leur droit de chasse exclusif sur leur propriété ou qu'ils préfèrent, en raison de leurs convictions, affecter celle-ci à l'instauration d'un refuge ou d'une réserve naturelle. Il y a donc violation de l'article 11 combiné avec l'article 14 de la Convention. "

III. UNE PROPOSITION DE LOI NÉCESSAIRE

A. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

1. La reconnaissance et l'encadrement d'un mode de chasse coutumier

a) La reconnaissance légale de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau

Comme il a été rappelé ci-dessus, la décision du Conseil d'Etat du 27 avril dernier ne condamne pas intrinsèquement la chasse de nuit. S'appuyant strictement sur l'interdiction générale posée à l'article L.224-4 du code rural, et rappelant -compte tenu du principe de hiérarchie des normes- qu'une circulaire administrative ne peut instaurer de restrictions à l'application d'un principe défini au niveau législatif, elle annule pour excès de pouvoir l'instruction de l'Office national de Chasse.

En revanche, rien n'interdit au législateur d'assortir un principe d'un certain nombre d'exceptions ou de dérogations.

Tel est l'objet de l'article premier de la proposition de loi, qui vient compléter l'article L.224-4 du code rural en autorisant expressément, s'agissant du gibier d'eau, la chasse à la passée deux heures après le coucher au soleil et deux heures avant son lever ainsi que la chasse de nuit à la hutte, au hutteau, à la tonne ou au gabion dans les 42 départements où ce mode de chasse se pratique traditionnellement.

Comme il a été indiqué ci-dessus, cette disposition n'est pas contraire à la réglementation communautaire, puisque ces deux modes de chasse répondent au critère de sélectivité requis pour remplir les objectifs fixés par la directive sur la conservation des oiseaux.

Il convient, également, par voie de conséquence, de modifier l'article L.228-5 du code rural qui prévoit les sanctions pénales en cas de chasse de nuit, afin de tenir compte de la passée et de la chasse de nuit du gibier d'eau à partir de postes fixes.

b) Un encadrement plus strict de ce mode de chasse

Pour permettre à l'administration de contrôler le bon usage de ce mode de chasse, l'article premier de la proposition de loi instaure deux obligations. Il impose la déclaration en mairie, contre délivrance d'un récépissé, de toutes les installations à partir desquelles la chasse de nuit est autorisée. Ceci devrait faciliter la mise à jour régulière du recensement des installations fait par l'administration.

Par ailleurs, il prescrit la tenue d'un carnet de prélèvement où seront inscrits les tableaux réalisés pendant ces chasses de nuit. Ceci permettra de mesurer effectivement l'impact de ce mode de chasse sur le capital cynégétique recensé sur les territoires concernés.

Compte tenu des délais imposés pour la mise en oeuvre de ces mesures, il est proposé que leur entrée en vigueur soit fixée au début de la saison de chasse 2000-2001.

2. La reconnaissance d'un droit d'opposition à la chasse

Les conclusions de la Cour européenne des Droits de l'Homme n'annulent pas les dispositions de la loi du 10 juillet 1964, mais, en pratique, elles en rendent l'application quasiment impossible. Toute contestation portée devant les tribunaux bénéficiera de ces conclusions, ce qui, dans l'immédiat, fragilise incontestablement le fonctionnement de toutes les ACCA. Il importe donc de proposer un dispositif qui prenne en compte les aspirations légitimes des non chasseurs, tout en évitant une remise en cause généralisée du principe de l'apport de terrains institué par la loi Verdeille, qui aboutirait inévitablement à la multiplication de petits territoires de chasse. Ce morcellement serait, en effet, très préjudiciable à la bonne conservation du patrimoine cynégétique et à la protection de la faune en général.

En conséquence, l'article 2 de la proposition de loi, dans l'attente d'un texte d'ensemble réformant l'organisation de la chasse en France, crée un droit d'opposition pour les propriétaires opposés à la chasse en complétant l'article L.222-10 du code rural :

- ce dispositif couvre une période allant du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2001, ce qui laisse deux ans pour élaborer un texte définitif ;

- le droit d'opposition est reconnu à tout propriétaire opposé à la chasse et doit faire l'objet d'une déclaration en mairie, sans qu'aucune exigence particulière ne soit requise quant à la superficie des terrains;

- les terrains qui font l'objet de ce droit d'opposition sont interdits de toute action de chasse, ce qui vise à empêcher les petits propriétaires chasseurs de récupérer leurs terrains pour leur propre usage cynégétique.

Cette atteinte au droit d'usage des petits propriétaires chasseurs se justifie au nom de l'intérêt général défendu par la loi, à savoir la constitution de territoires de chasse suffisamment vastes pour gérer correctement le capital cynégétique. Elle répond également à l'exigence d'un juste équilibre entre la défense de l'intérêt général et l'atteinte à un droit reconnu, défendue par la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Dans une décision en date du 19 février 1992, la Commission européenne des Droits de l'Homme, examinant une requête d'un chasseur suédois demandant à ce que son terrain soit retiré du territoire de chasse collectif, a estimé que la création d'un terrain de chasse collectif ayant pour objet la conservation du gibier et la défense de l'intérêt commun des détenteurs du droit de chasse était conforme à l'intérêt général. Elle a considéré que pour parvenir à cet objectif, il était légitime d'obliger les propriétaires chasseurs, qui disposent du droit de chasser sur l'ensemble du territoire collectif, y compris leur propriété, à coordonner leur chasse avec celle des autres détenteurs de droits.

L'article 2 de la proposition de loi précise également que le propriétaire opposant à la chasse reste personnellement responsable des dégâts de gibier.

Enfin, le texte propose que la signalisation du terrain soit effectuée par le propriétaire opposé à la chasse, à moins que, par convention, l'association communale ou intercommunale de chasse ne s'engage à le faire.

Par voie de conséquence, s'agissant de la composition de l'association communale ou intercommunale de chasse agréée, il est précisé à l'article L.222-19 du code rural que les propriétaires opposés à la chasse ne sont pas membres de droit de l'association.

Cette précision est nécessaire afin de tenir compte des conclusions de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui a jugé que la qualité de membre de droit reconnue au propriétaire non chasseur était contraire au principe de liberté d'association s'agissant des propriétaires dont les convictions étaient opposées à la chasse.

B. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

1. La nécessité d'adopter des mesures d'urgence

Compte tenu des deux décisions de justice récentes rendues dans le domaine de la chasse, votre commission est convaincue de la nécessité d'adopter rapidement ce dispositif législatif pour permettre un déroulement harmonieux de la prochaine saison de chasse, dans le respect des conclusions rendues tant par le Conseil d'Etat que par la Cour européenne des Droits de l'Homme.

S'agissant de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau, elle considère que ce mode de chasse traditionnelle ne peut être brutalement supprimé dans les départements où il se pratique habituellement.

On ne peut être ainsi que favorable à la reconnaissance légale de ces deux pratiques, d'autant plus que le dispositif prévoit la déclaration en mairie de toutes les installations utilisées pour la chasse de nuit et impose la tenue d'un carnet de prélèvement. Cette mesure s'inscrit parfaitement dans la continuité des plans de gestion que la Commission des Affaires économiques a prévus dans la loi n° 98-549 du 3 juillet 1998 pour les espèces de gibier de passage ne bénéficiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées entre le 31 janvier et le 28 février. On peut d'ailleurs déplorer que l'arrêté permettant de mettre en oeuvre ces plans de gestion ne soit toujours pas publié.

En ce qui concerne les adaptations proposées à la loi du 10 juillet 1964, votre commission est favorable à l'adoption d'un régime transitoire, dans l'attente d'une loi d'orientation sur l'organisation de la chasse en France qui s'avère désormais indispensable.

Le dispositif proposé, s'agissant du droit d'opposition reconnu aux propriétaires de terrains hostiles à la chasse apparaît équilibré.

Ce droit d'opposition entraîne, de facto, l'interdiction de toute action de chasse sur les terrains concernés, ce qui permet d'éviter le morcellement des territoires de chasse et incite à préserver une unité de gestion cynégétique favorable à la conservation de la faune.

Par voie de conséquence, dans le respect du principe de liberté d'association, la commission est également favorable à la modification de l'article L.222-19 du code rural qui précise que les propriétaires de terrains opposés à la chasse ne sont pas membres de droit d'une ACCA.

2. Les améliorations techniques adoptées par la commission

Sans remettre en cause la cohérence d'ensemble de la proposition de loi, votre commission vous propose d'y apporter des précisions techniques pour améliorer la compréhension du dispositif.

A l'article premier , s'agissant de la modification de l'article L.224-4 du code rural, qui reconnaît la chasse de nuit et à la passée, il vous est proposé de préciser que la chasse de nuit doit s'exercer à partir de postes fixes tels que les gabions, huttes, tonnes ou hutteaux, dans les départements où cette chasse est traditionnelle. L'énumération de ces départements reprend la liste qui figurait en annexe de la circulaire du 31 juillet 1996 relative à la chasse de nuit.

S'agissant de la déclaration en mairie des installations à partir desquelles est pratiquée la chasse de nuit, il convient de préciser que cette déclaration incombe au propriétaire de ladite installation.

Il vous est également proposé de fixer au 1 er juillet 2000 l'entrée en vigueur de cette disposition ainsi que de celle relative à la tenue d'un carnet de prélèvement annuel, compte tenu des délais de publication des textes réglementaires.

S'agissant de la modification de conséquence introduite à l'article L.228-5 du code rural relatif aux sanctions pénales en cas de chasse de nuit, il vous est proposé une simple correction matérielle.

A l'article 2 , qui modifie l'article L.222-10 du code rural afin de créer, pour la période allant du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2001, un droit de retrait au bénéfice des propriétaires opposés à la chasse, la commission souhaite préciser que la responsabilité du propriétaire opposé à la chasse reste engagée pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de son fonds.

Par analogie avec la formulation retenue à l'article L.222-14 du code rural, il vous est proposé que la signalisation du terrain faisant l'objet d'une opposition se fasse en le délimitant par des pancartes.

Votre commission a conclu à l'adoption de la proposition de loi dans la rédaction qu'elle vous soumet.

IV. EXAMEN EN COMMISSION

Après avoir entendu le rapport présenté par Mme Anne Heinis, rapporteur, M. Michel Souplet a souligné que la proposition de loi n°394 rectifié avait été signée par l'ensemble des sénateurs membres du groupe d'études sur la chasse et M. Gérard Larcher a fait valoir que la proposition de loi initiale avait été complétée au cours d'une réunion de ce groupe. Il a déclaré partager la position du rapporteur sur la nécessité de légiférer très rapidement et souhaité que ce texte soit inscrit très prochainement à l'ordre du jour de la séance publique.

M. Gérard Larcher a souligné que la proposition de loi répondait à deux difficultés majeures à savoir le risque pesant sur la chasse de nuit à partir de postes fixes ou à la passée du gibier, en tant que modes de chasse coutumiers pratiqués dans 42 départements français et la remise en cause d'un mode de gestion des territoires de chasse en vigueur depuis plus de trente ans dans le sud-ouest.

Il a ajouté que le texte de la proposition de loi rectifié répondait de plus à un objectif de sécurité en imposant la déclaration en mairie de toutes les installations à partir desquelles se pratiquait la chasse de nuit et à un objectif de gestion en instituant un carnet de prélèvement pour mesurer l'impact de ce mode de chasse sur le capital cynégétique.

M. Jean-Marc Pastor a souligné l'importance de ce texte et souhaité qu'il puisse faire l'objet d'une large concertation. Il s'est félicité de ce que le droit d'opposition reconnu aux petites propriétaires hostiles à la chasse se fasse par une déclaration au maire de la commune, ce qui contribuerait à apaiser les conflits. S'agissant de la chasse de nuit, il a fait valoir que ce type de chasse se pratiquait parfois dans d'autres départements que ceux cités à l'article 1er de la proposition de loi et il s'est interrogé sur l'intérêt qu'il y a aurait à compléter cette liste. Enfin, il a interrogé le rapporteur sur le champ d'application de l'article 2 de la proposition de loi, en lui demandant s'il ne concernait que le fonctionnement des associations communales de chasse agréées.

Lui répondant, Mme Anne Heinis, rapporteur, a rappelé que la liste des départements était identique à celle annexée à l'instruction du 31 juillet 1996 de l'Office national de la chasse, annulée par le Conseil d'Etat, et que toute décision de retrait ou d'ajout nécessitait des vérifications minutieuses pour s'assurer de la réalité des pratiques et de leur ancienneté. S'agissant du droit d'opposition reconnu aux petits propriétaires hostiles à la chasse, elle a indiqué que le dispositif proposé était temporaire et limité aux seules associations créées en application de la loi Verdeille, dans l'attente d'un texte général portant organisation de la chasse, qu'elle a jugé désormais indispensable.

M. Michel Doublet a rappelé, s'agissant de la chasse de nuit, qu'il devait s'agir d'un mode de chasse traditionnelle, pratiqué de façon ininterrompue sur une très longue période et il s'est déclaré réservé quant à une modification de la liste des départements où elle se pratiquait.

M. Jacques Bellanger est intervenu pour reconnaître que l'examen de cette proposition de loi examinée se justifiait sans doute pour apaiser les esprits et éviter les conflits locaux. Mais il a également dénoncé les comportements excessifs de certains chasseurs en période de chasse, notamment en zone périurbaine, et leur refus d' accepter un compromis acceptable entre les multiples usages des espaces naturels. S'agissant de la reconnaissance du droit d'opposition des propriétaires hostiles à la chasse, il s'est inquiété des pressions et des menaces qu'allaient subir ces derniers lorsqu'ils délimiteraient leur terrain. Il a précisé qu'il s'abstiendrait sur ce texte.

M. Gérard Larcher est intervenu pour souligner qu'il y avait moins de conflits entre chasseurs et non-chasseurs sur les territoires de chasse gérés correctement et a considéré qu'une loi générale sur l'organisation de la chasse permettrait de mieux définir les droits et responsabilités de chacun s'agissant d'un usage partagé de l'espace. Il a considéré que, pour éviter les conflits locaux, il fallait encourager les petits propriétaires opposés à la chasse à passer convention avec l'ACCA gestionnaire du territoire de chasse pour qu'elle effectue la délimitation de leurs terrains

Après que la commission eut adopté à l'unanimité moins une voix le texte de la proposition dans la rédaction que lui soumettait son rapporteur, M. Jean François-Poncet, président, a indiqué, en accord avec les commissaires, qu'il demanderait son inscription en séance publique avant le 30 juin prochain.

TEXTE DE LA PROPOSITION DE LOI PRÉSENTÉE PAR LA COMMISSION

Proposition de loi portant diverses mesures d'urgence
relatives à la chasse

Article premier

I - Après le premier alinéa de l'article L. 224-4 du code rural, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :

" Toutefois, la chasse du gibier d'eau peut être pratiquée deux heures avant le lever du soleil et deux heures après son coucher, heure légale. Elle s'exerce également de nuit à partir de postes fixes tels que huttes, tonnes, gabions, hutteau, dans les départements où elle est traditionnelle et qui sont : l'Aisne, l'Ardèche, les Ardennes, l'Ariège, l'Aube, l'Aude, les Bouches-du-Rhône, le Calvados, la Charente-Maritime, les Côtes-d'Armor, la Drôme, l'Eure, l'Eure-et-Loir, le Finistère, la Haute-Garonne, la Gironde, l'Hérault, l'Ille-et-Vilaine, l'Indre-et-Loire, les Landes, la Loire-Atlantique, le Lot-et-Garonne, le Maine-et-Loire, la Manche, la Marne, la Meuse, le Nord, l'Oise, l'Orne, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées, les Pyrénées-Orientales, le Rhône, la Haute-Saône, la Saône-et-Loire, la Seine-Maritime, la Seine-et-Marne, la Somme, le Vaucluse, la Vendée, l'Yonne.

A compter du 1 er juillet 2000, tout propriétaire d'une installation visée à l'alinéa précédent doit en faire la déclaration en mairie contre délivrance d'un récépissé. A compter de la même date, un carnet de prélèvement annuel est obligatoire pour chaque installation.

II - Le 2° de l'article L. 228-5 du code rural est ainsi rédigé :

" 2° Ceux qui auront chassé, pendant la nuit ou à la passée, sauf dans les lieux et selon les modalités prévus aux deuxième et troisième alinéas de l'article L.224-4 ".

Article 2

I - L'article L. 222-10 du code rural est complété par l'alinéa suivant :

" 5° Déclarés en mairie, pour la période allant du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2001, par leur propriétaire opposé à la chasse comme étant interdits de toute action de chasse, sans préjudice des conséquences liées à la responsabilité du propriétaire, notamment pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de son fonds. Dans ce cas, et sauf convention avec l'association communale ou intercommunale de chasse agréée, le propriétaire est tenu de procéder à la délimitation de son terrain par des pancartes. "

II - Le début du dernier paragraphe de l'article L. 222-19 du code rural est ainsi rédigé :

" Sauf s'il a manifesté son opposition à la chasse dans les conditions fixées par le 5° de l'article L. 222-10, le propriétaire non chasseur... (le reste sans changement)

TABLEAU COMPARATIF




1 Tribunal de Quimper, 5 décembre 1900 ou Tribunal civil de Romorantin, 18 mai 1954.

2 Réponse à une question écrite. JOCE n° C289 - 5 novembre 1992).

3 Il ne peut y avoir qu'une seule association communale de chasse agréée (ACCA) par commune, mais deux ou plusieurs ACCA d'un même département peuvent constituer une association intercommunale de chasse agréée (AICA).



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