EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'un projet de loi portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité, adopté par l'Assemblée nationale le 4 juin 1998.

L'annonce de ce projet figurait dans la déclaration de politique générale de M. Lionel Jospin en juin 1997 et avait été réitérée lors du colloque de Villepinte, en octobre de la même année.

Ce projet a pour objet de créer une nouvelle autorité indépendante chargée de faire respecter les règles déontologiques par les acteurs de la sécurité sur le territoire français.

Dans la lignée de la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1995, qui avait prévu une " coproduction " de la sécurité par des acteurs publics et privés, ce projet de loi a la particularité de vouloir soumettre l'ensemble des acteurs tant privés que publics à la régulation de la nouvelle autorité.

La déontologie a pris une importance grandissante depuis le début des années 1980, sous l'influence notamment des travaux du Conseil de l'Europe. Son respect est le gage des relations de confiance pouvant s'instaurer entre les forces de sécurité et les citoyens.

Saisie des réclamations des citoyens par l'intermédiaire des parlementaires, la nouvelle commission devrait développer une action complémentaire à celles du pouvoir disciplinaire et de la justice pour répondre à une préoccupation croissante de transparence des forces de sécurité.

I. L'ÉMERGENCE D'UNE DÉONTOLOGIE DE LA SÉCURITÉ

La déontologie, étymologiquement " science des devoirs " tend à fixer des règles de comportement dans l'exercice d'une profession donnée. Distincte du droit et de la morale, elle ne peut manquer d'interférer avec ces deux disciplines.

Le serment d'Hippocrate a été considéré comme la première tentative pour imposer le respect volontaire de devoirs à une profession. Les médecins se sont dotés en 1945 d'un code de déontologie, approuvé par décret en Conseil d'État, dont leur ordre professionnel est chargé d'assurer le respect.

Le principe d'application de règles déontologiques aux acteurs de la sécurité est relativement récent. Alors que la protection des droits de l'homme devenait une préoccupation majeure de nos démocraties, il s'est affirmé progressivement comme un élément essentiel de sauvegarde de la liberté individuelle. Il a ainsi précédé un mouvement de prise en compte de la déontologie dans l'ensemble de la fonction publique.

Dès 1979, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, considérant notamment que " le système européen de protection des droits de l'homme serait renforcé si la police se voyait proposer des règles de déontologie tenant compte des droits de l'homme et des libertés fondamentales ", a adopté une résolution (n° 690) relative à la Déclaration sur la police. Cette déclaration avait la particularité de prévoir aussi bien les devoirs incombant aux policiers dans l'exercice de leurs fonctions que les garanties statutaires dont ils devaient bénéficier en contrepartie.

Depuis lors, la déontologie est prise en compte à des degrés divers par l'ensemble des corps de fonctionnaires participant à la sécurité publique que ce soit par l'élaboration de règles spécifiques ou une sensibilisation des personnels à des règles préexistantes. Le contrôle du respect de cette déontologie est effectué par l'autorité hiérarchique et les corps de contrôle propres à chaque corps. Dans les cas graves, le juge pénal intervient. Les manquements à la déontologie sont donc susceptibles de faire l'objet de sanctions disciplinaires et de sanctions pénales.

Le secteur privé, en revanche n'est à l'heure actuelle pas soumis à des règles déontologiques propres.

A. LES RÈGLES DÉONTOLOGIQUES APPLICABLES

L'ensemble des acteurs publics ou privés de la sécurité est en tout état de cause soumis aux principes de valeur constitutionnelle et principalement à la déclaration universelle des droits de l'Homme de 1789.

Les agents doivent également respecter certaines normes internationales :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, et notamment son article 3 prohibant les traitements inhumains ou dégradants ;

- la convention européenne pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants ouverte à la signature des membres du Conseil de l'Europe le 26 novembre 1987 ;

- les pactes de l'ONU du 16 décembre 1966 sur les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux.

Les acteurs de la sécurité doivent également se conformer aux dispositions du code pénal et du code de procédure pénale .

Les fonctionnaires sont soumis aux lois statutaires de la fonction publique réglant leurs droits et obligations : loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, (titre  I du statut général) et loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (titre II du statut général).

Outre ces textes, s'appliquent aux fonctionnaires les principes jurisprudentiels dégagés par le Conseil d'État , notamment celui de la non-dissociation de la vie privée et de la vie professionnelle quand le comportement de l'agent peut porter atteinte à l'image de l'administration.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme prend une importance accrue. La France a d'ailleurs été condamnée pour torture le 28 juillet dernier pour des faits intervenus lors d'une garde à vue, à Bobigny, en 1991, avant même que la condamnation des policiers mis en cause, prononcée par la Cour d'appel de Versailles, le 1 er juillet 1999, ne soit devenue définitive.

S'agissant du secteur privé , l'exercice d'activités de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds est soumis, par la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983, à une autorisation préfectorale subordonnée à l'absence de condamnation disciplinaire ou pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou au bonnes moeurs ou pour atteinte à la sécurité des personnes et des biens. Aucune règle déontologique spécifique n'est applicable à la profession.

S'agissant les polices municipales , la dimension déontologique a été intégrée dans la loi n° 99-291 du 15 avril 1999, l'article 10 ayant prévu l'élaboration d'un code de déontologie, par décret en Conseil d'État après avis de la commission consultative des polices municipales. Ce décret n'est pas encore intervenu.

Des textes spécifiques s'appliquent en outre aux différents corps de fonctionnaires.

1. Le code de déontologie de la police nationale

Dans le droit fil de la Déclaration sur la police de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe de 1979, l'article 4 de la loi n° 85-835 du 7 août 1985 relative à la modernisation de la police nationale, initiée par M. Pierre Joxe, prévoyait l'élaboration d'un code de déontologie de la police nationale .

Ce code résulte du décret n° 86-592 du 18 mars 1996 pris sur le rapport de M. Pierre Joxe. Composé de vingt articles répartis en trois titres, il traite successivement des devoirs généraux de la police nationale, des droits et des devoirs respectifs des fonctionnaires de police et des autorités de commandement, et du contrôle de la police.

Il prévoit notamment le respect des personnes, sans distinction d'origine, l'obligation d'assistance aux personnes même quand le fonctionnaire n'est pas en service, l'usage proportionné des armes, l'interdiction d'exercer des violences à l'encontre des personnes gardées à vue et l'obligation de ne pas se conformer à un ordre manifestement illégal.

Les manquements à ses dispositions sont, d'après l'article 6, susceptibles d'entraîner des sanctions disciplinaires, voire pénales.

La loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1995 a précisé dans son article 4 que les missions de la police devaient être exécutées dans le respect du code de déontologie de la police nationale.

Les fonctionnaires de police sont soumis à leurs statuts particuliers résultant des décrets du 9 mai 1995. L'article 3 du décret n° 95-654 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale fait référence au code de déontologie de la police nationale. Les articles 113-38 à 113-40 du règlement général d'emploi résultant de l'arrêté du 22 juillet 1996 sont consacrés à la pratique de la déontologie policière.

De nombreuses instructions définissent en outre des principes d'action à portée déontologique. On en donnera comme exemple l'instruction ministérielle du 22 décembre 1995 pour une action plus soutenue de la police auprès des usagers et des victimes d'infractions ou celle du 10 avril 1997 sur l'exercice de l'autorité hiérarchique dans la police nationale.

2. Les textes régissant la gendarmerie nationale

La gendarmerie n'a pas élaboré de code de déontologie spécifique.

Les principes déontologiques sont compris dans différents textes , à savoir, essentiellement : la loi du 28 germinal An VI relative à l'organisation de la gendarmerie, le serment du gendarme, le décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l'organisation et le service de la gendarmerie, la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires et le décret n° 75-675 du 28 juillet 1975 portant règlement de discipline générale dans les armées.

Ces textes concernent principalement le respect de la loi, le contrôle de l'usage de la force, le respect de la personne humaine, la transparence dans l'exercice des missions, la neutralité, la disponibilité et les règles liées à l'état de militaire.

3. Les textes spécifiques aux autres administrations

S'agissant des douaniers , il convient de souligner que la notion de corruption figurant à l'article 59 du code des douanes est plus stricte que celle donnée par le code pénal.

L'administration pénitentiaire va être dotée d'un code de déontologie précisant les règles du code de procédure pénale s'appliquant aux agents de l'administration pénitentiaire (art. D 219 à D 221 du code de procédure pénale). Le projet de code a été présenté à la commission consultative des droits de l'Homme. Il fera l'objet d'un décret en Conseil d'État.

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