SENAT

PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Premier budget communautaire intégrant les effets de l'élargissement sur la totalité de l'exercice, le projet de budget pour 2005 repose sur des hypothèses assez volontaristes d'augmentation des crédits d'engagement et de paiement, qui peuvent sembler contradictoires avec les efforts de maîtrise des déficits publics nationaux. L'année 2005 se révèlera surtout décisive pour la fixation du cadre financier pluriannuel de la période 2007-2013, dont les négociations font apparaître des divergences de vue sur la vocation même et la nécessaire modernisation des politiques communautaires.

I. LA CONTRIBUTION FRANÇAISE AU BUDGET EUROPÉEN, UN ENJEU FINANCIER IMPORTANT MAIS MAL MIS EN VALEUR

La contribution française au profit de l'Union européenne est évaluée pour 2005 à 16,6 milliards d'euros, soit près de 6 % des recettes fiscales nettes. Au-delà des observations traditionnelles sur la difficulté d'établir une prévision fiable et sincère de ce prélèvement, il faut souligner le fait que la nature comme la composition de cette contribution, dans un processus de décision budgétaire ambigu, n'incitent guère le citoyen à se préoccuper de l'enjeu financier que représente notre adhésion à l'Union européenne.

A. L'ACTION EUROPÉENNE AU REGARD DE LA LOLF

1. La consécration du prélèvement par l'article 6 de la LOLF

La participation de la France au budget européen est un prélèvement sur recettes, au même titre que celui dont bénéficient les collectivités territoriales, dont le statut budgétaire français a été clarifié par l'article 6 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) :

« Un montant déterminé de recettes de l'Etat peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou des Communautés européennes en vue de couvrir des charges incombant à ces bénéficiaires ou de compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités territoriales. Ces prélèvements sur les recettes de l'Etat sont, dans leur destination et leur montant, définis et évalués de façon précise et distincte ».

La LOLF a donc consacré ce mécanisme, au profit exclusif de l'Union européenne et des collectivités territoriales , après qu'il eut successivement fait l'objet d'incertitudes quant à sa validité au regard des principes budgétaires d'universalité et d'unité 1 ( * ) , puis d'une reconnaissance jurisprudentielle par le Conseil constitutionnel 2 ( * ) . La rédaction de l'article 6 de la LOLF respecte en outre les exigences fixées par la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 juillet 2001 sur la LOLF, qui dispose que l'information budgétaire comporte en la matière « des justifications aussi précises qu'en matière de recettes et de dépenses ».

2. Une insuffisante prise en compte de la dimension européenne dans la nouvelle architecture budgétaire

Le sort réservé par le nouveau cadre budgétaire aux autres dépenses engagées par la France au titre de son action européenne a également été débattu. Votre rapporteur spécial avait de fait attiré l'attention de la commission des finances, lors de son séminaire organisé à Compiègne en février 2004, sur la nécessité d'accroître la visibilité de l'action de la France en faveur de l'Europe au sein de la nouvelle nomenclature LOLF .

Notre collègue Hubert Haenel, arguant du manque de visibilité et de la dispersion des crédits consacrés à la fonction européenne du gouvernement, avait également plaidé en faveur de la création d'un programme spécifique et clairement identifié, consacré aux relations de la France avec l'Union européenne et rattaché à la mission « Direction de l'action du gouvernement », et qui aurait mis en évidence les trois niveaux de coordination de l'action gouvernementale (Etat, collectivités locales, Europe). Ce schéma n'a pas été retenu par le gouvernement pour les raisons suivantes :

- la rebudgétisation en dépenses de la contribution française au budget communautaire, a l'instar d'autres Etats européens, n'était pas envisageable compte tenu des dispositions précitées de l'article 6 de la LOLF ;

- la contribution au Fonds européen de développement (FED) relève clairement de l'aide publique au développement, est comptabilisée comme telle par l'OCDE et a, de ce fait, été incluse dans le programme « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission interministérielle « Aide publique au développement » ;

- les crédits afférents à des actions telles que la défense de Strasbourg comme siège du Parlement européen, la défense et la promotion du français dans les institutions européennes, le Secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI), ou la communication gouvernementale sur l'Europe, ne détiennent clairement pas la taille critique pour constituer un programme .

Les deux structures gouvernementales dont l'action européenne est la mieux identifiée, le SGCI et le ministère délégué aux affaires européennes, ont dès lors fait l'objet de traitements différenciés , compte tenu de la modestie de leurs crédits de fonctionnement. Le SGCI constitue l'action « Coordination de la politique européenne » du programme « Coordination du travail gouvernemental », lui-même intégré dans la mission « Direction de l'action du gouvernement ». Les crédits du ministère délégué aux affaires européennes sont quant à eux identifiés dans l'action « Action européenne » du programme « Action de la France en Europe et dans le monde », qui fait partie de la mission « Action extérieure de la France » dont le ministère des affaires étrangères est chef de file. La dimension européenne de la France est donc bien présente dans les libellés mêmes de la nouvelle architecture budgétaire ;

- on peut enfin considérer que dans la mesure où l'Europe irrigue une large part de l'action publique (législation dérivée, régulation par les autorités administratives indépendantes, aménagement du territoire...), l'identification d'un programme de faible envergure aurait certes eu un impact en termes d'affichage, mais n'aurait pas rendu compte de la totalité de l'emprise communautaire.

Votre rapporteur spécial regrette néanmoins que la nouvelle architecture budgétaire ne comporte pas un programme consacré aux concours de la France à la construction européenne . Il convient en effet de rappeler que cette implication européenne ne se traduit pas uniquement par les actions évoquées supra , mais également par des concours financiers dont l'ampleur budgétaire augmentera sans doute dans les années à venir. Ainsi, outre les crédits de fonctionnement du ministère de l'agriculture dédiés à la gestion de la PAC, la politique de recherche et les réseaux transeuropéens de transport font certes l'objet de crédits communautaires, mais donneront également lieu à des cofinancements croissants de la part des Etats, qu'un programme budgétaire aurait pu opportunément anticiper.

B. LES AMBIGUÏTÉS DU SYSTÈME ACTUEL DE FINANCEMENT

A l'origine fondé sur des ressources propres, le système de financement de l'Union européenne repose aujourd'hui essentiellement sur une ressource d'équilibre dont l'assiette est constituée du PNB communautaire, et qui en tant que variable d'ajustement représente près des trois quarts des recettes de l'Union. Ce système est sécurisant puisque les recettes s'ajustent aux dépenses en vertu de la règle de l'équilibre automatique du budget ; il est également « ambitieux dans son principe, commode dans ses modalités, et encourageant dans ses résultats 3 ( * ) ». Mais le mythe originel d'un budget européen autonome et indépendant des Etats membres a pris fin avec la renationalisation progressive des ressources , devenues de « vraies fausses » ressources propres, c'est-à-dire des contributions nationales « déguisées » en ressources propres (à l'exception des droits de douane 4 ( * ) et des droits agricoles).

Il en résulte une dichotomie originale dans le processus de décision budgétaire puisque les recettes sont votées par les Etats membres, et les dépenses par le Parlement européen, dont les pouvoirs en la matière se sont accrus et le placent en meilleure position pour négocier avec le Conseil. Le niveau des recettes est cependant garanti et n'offre guère de marge de manoeuvre aux Etats membres (même si l'hypothèse d'un blocage par un Etat membre demeure possible), contraignant à déplacer le débat parlementaire sur les grands enjeux communautaires, qu'ils soient ou non d'ordre budgétaire, et donnant le sentiment que les ressources communautaires s'apparentent à un « droit de tirage » sur la richesse nationale. En outre, la compétence institutionnelle varie en fonction de la nature des décisions, selon qu'il s'agit de déterminer les catégories de ressources, leurs modalités de calcul, le montant du plafond global (soumis à un triple verrou 5 ( * ) ) ou le montant de chaque type de ressource prélevée.

On constate alors que « les Parlements nationaux ont été dépossédés de leurs prérogatives sans que le Parlement européen ait été en mesure de prendre le relais » 6 ( * ) , et que ce fonctionnement budgétaire n'apparaît pas conforme aux principes d'une démocratie moderne . Le processus budgétaire européen est alors in fine le suivant : « les parlements nationaux votent des recettes qui financent des dépenses qu'ils ne maîtrisent pas, tandis que le Parlement européen vote des dépenses sans avoir à se soucier de leur financement 7 ( * ) ». On ne peut qu'y voir les ferments d'une déresponsabilisation globale, et à tout le moins d'une dilution des responsabilités, puisque ni la logique de l'autonomie du budget communautaire ni celle du contrôle national n'ont été poussées à leur terme.

En dépit des prélèvements parfois élevés qu'il suscite, ce système est également indolore pour le citoyen puisque les ressources sont majoritairement prélevées sur les recettes globales des Etats membres, ce qui présente l'avantage de la pérennité et prévient les ardeurs anti-fiscalistes, mais nuit à l'appropriation par les Européens des enjeux financiers de l'Union, composante essentielle de la construction et de la vision européennes. Le débat sur les perspectives financières apparaît aux yeux des citoyens d'autant plus aride et éloigné de leurs préoccupations.

C. LA RELÉGITIMATION PAR L'IMPOT EUROPÉEN ?

Ce constat conduit un certain nombre d'observateurs à préconiser la création d'un impôt européen , perspective qui n'est pas nouvelle mais connaît un regain d'intérêt (bien qu'elle n'ait pas été explicitement retenue dans la Constitution européenne), et que la Commission européenne considère pour l'heure avec prudence. Cette imposition, qui ne correspond à aucune nécessité financière, est présentée comme un facteur de renforcement du contenu démocratique de l'Union et de la citoyenneté européenne , par un renouveau du principe fondamental de consentement à l'impôt, de clarification des compétences et des responsabilités des institutions impliquées, et de relégitimation de l'autorité budgétaire du Parlement européen. Les avantages escomptés sont également d'ordre budgétaire. Le système actuel apparaît en effet très complexe, opaque et de nature à privilégier une approche purement comptable focalisée sur le niveau de retour net de chaque Etat membre, qui en théorie des jeux s'apparente à un équilibre sous-optimal et non coopératif . Un impôt européen se prêterait mal à une telle logique individualiste et atténuerait la perception du budget européen en tant que vaste instrument de redistribution.

Plusieurs hypothèses d'assiette pour un tel impôt ont été évoquées par les Etats membres et la Commission européenne (cf. infra , deuxième partie de la présente note ). Les obstacles institutionnels (en particulier la règle de l'unanimité des Etats membres, reprise par la Constitution européenne), techniques (le respect des cinq critères posés par la Commission) et politiques (la crainte du fédéralisme et d'une dérive budgétaire) demeurent toutefois nombreux , de telle sorte que la mise en place d'une telle ressource apparaît peu réaliste à moyen terme. L'affectation d'un impôt européen à une fonction ou à un bien public communautaire , tel que la défense et la sécurité ou les réseaux de transport, permettrait peut-être de lever certaines réticences politiques et de susciter l'adhésion des citoyens.

Votre rapporteur spécial estime donc que la principale légitimité d'un impôt européen réside dans le financement d'une compétence spécifique de l'Union . Dès lors que les ressources propres originelles ont progressivement cédé le pas à une cotisation des Etats membres assise sur le PNB et destinée à financer les politiques communautaires traditionnelles, un impôt européen devrait être affecté à une compétence que les Etats membres auraient transférée à l'Union, et qui impliquerait nécessairement la diminution à due concurrence des impôts nationaux.

* 1 Le mécanisme du prélèvement sur recettes n'était en effet à l'origine pas prévu par l'ordonnance organique de 1959 relative aux lois de finances, ni par le règlement général de comptabilité de 1962, et est apparu de manière empirique entre 1969 et 1971.

* 2 Dans sa décision du 29 décembre 1982, le Conseil constitutionnel a analysé le mécanisme du prélèvement sur recettes comme « une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes de l'Etat au profit des collectivités locales ou des communautés européennes en vue de couvrir les charges qui incombent à ces bénéficiaires et non à l'Etat et qu'il ne saurait, par conséquent, donner lieu à une ouverture de crédits dans les comptes des dépenses du budget de l'Etat ».

Dans sa décision du 29 décembre 1988, le Conseil constitutionnel a admis le principe d'un prélèvement sur recettes au profit des collectivités locales en compensation d'exonération d'impôts locaux « dès lors que celui-ci est, dans son montant et sa destination, défini de façon distincte et précise dans la loi de finances, et qu'il est assorti, tout comme les chapitres budgétaires, de justifications appropriées ».

* 3 Selon les termes de Nicolas-Jean Bréhon, dans sa contribution sur l'impôt européen à l'ouvrage collectif « Quel budget européen à l'horizon 2013 ? Moyens et politiques d'une Union élargie » - Centre des études européennes de Strasbourg (CEES) et Institut français des relations internationales (IFRI), septembre 1994.

* 4 Les droits de douane sont les seuls véritables impôts communautaires puisque l'assiette en est définie par la valeur des biens importés, le taux est décidé par la Commission (par délégation du Conseil), et les importateurs en constituent les redevables clairement identifiés.

* 5 Avec une décision du seul Conseil, prise à l'unanimité et suivie d'une ratification par les Parlements nationaux.

* 6 Jean-François Bernicot in Revue française de finances publiques, n° 80.

* 7 Nicolas-Jean Bréhon, op. cité.