M. Philippe ADNOT

II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

A titre liminaire , votre rapporteur spécial remercie les services du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche pour leurs efforts d'amélioration de l'information budgétaire transmise au Parlement .

Ainsi, plus de 90 % des réponses au questionnaire budgétaire de votre commission des finances ont été transmises dans les délais prescrits par l'article 4 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), ce qui constitue un progrès sensible (puisque moins de 50 % des réponses avaient été transmises dans les délais précités l'an passé), même si certaines réponses demeurent lacunaires ou reproduisent encore à l'identique celles de l'an passé, et si la cohérence entre les différents éléments d'information transmis est parfois difficile à déceler.

En outre, le document de préfiguration des projets annuels de performances (PAP) transmis au Parlement se singularise par un remarquable effort de clarté , ce qui conduit d'ailleurs votre rapporteur spécial à regretter que ce document n'ait pas été transmis plus tôt que le 28 octobre.

A. VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL SE RÉJOUIT DU DIALOGUE CONSTRUCTIF ENGAGÉ ENTRE VOTRE COMMISSION DES FINANCES ET LE MINISTÈRE POUR LA MISE EN oeUVRE DE LA LOI ORGANIQUE DU 1ER AOÛT 2001 RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

Plus généralement, votre rapporteur spécial se réjouit du dialogue constructif engagé entre votre commission des finances et le ministère pour la mise en oeuvre de la LOLF.

En particulier, votre rapporteur spécial note avec satisfaction que la définition des objectifs et des indicateurs envisagés pour les deux programmes « Formations supérieures et recherche universitaire » et « Vie étudiante » prend très largement les observations formulées par votre commission des finances au cours des années précédentes , ce dont atteste, par exemple l'introduction, dans le programme « Vie étudiante », d'objectifs et d'indicateurs relatifs au délai de paiement des bourses et à la satisfaction des usagers des restaurants universitaires.

Cela étant, votre rapporteur spécial regrette que le gouvernement n'ait pas suivi les préconisations conjointes des commissions des finances des deux assemblées relatives à l'architecture d'ensemble de la nouvelle mission interministérielle « Enseignement supérieur et recherche ».

En particulier, on peut déplorer que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministère de l'équipement, des transports et du logement et le ministère de la défense aient consenti à intégrer certains de leur programmes de recherche dans la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, mais pas les écoles d'ingénieurs dans lesquelles s'effectue cette recherche.

Par exemple, la mission interministérielle regroupera la recherche dans le domaine des transports, des logements et de l'habitat conduite par le ministère de l'équipement, des transports et du logement, notamment au sein du laboratoire des ponts et chaussées, mais pas l'Ecole nationale des ponts et chaussées elle-même, ce qui ne sera évidemment pas de nature à faciliter la gestion des écoles doctorales.

B. L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ÉTAIT DEVENU LE « PARENT PAUVRE » DE L'ÉDUCATION NATIONALE AU COURS DE CES DERNIÈRES DÉCENNIES

La dernière édition du rapport annuel de l'OCDE sur l'éducation (« Regards sur l'éducation »), publiée en septembre 2004, met en évidence que la France figure parmi les pays développés où l'échec des étudiants des filières générales est le plus élevé et où les moyens consacrés à l'enseignement supérieur sont les plus faibles.

Comme le soulignait le Conseil d'analyse économique (CAE), dans son rapport de janvier 2004 intitulé « Education et croissance », l'enseignement supérieur est en effet devenu au cours de ces dernières décennies « le parent pauvre de l'éducation nationale » . Ainsi, entre 1975 et 2003 la dépense moyenne par étudiant de l'enseignement supérieur a augmenté en moyenne de 25 % en euros constants, alors que dans le même temps la dépense moyenne par élève de l'enseignement scolaire, tous niveaux confondus, a augmenté de 82 % en euros constants.

Cette évolution a placé la France dans une position singulière , puisque la dépense par élève du secondaire était supérieure en 2003 de 36 % en France par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE, tandis que la dépense par étudiant était inférieure de 11 % par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE. La France consacrerait ainsi,  selon l'OCDE, 6.595 dollars par an à ses étudiants en parité des pouvoirs d'achat (PPA), contre 20.098 dollars pour les Etats-Unis et 8.101 dollars pour le Royaume-Uni.

De même, on peut souligner que les moyens consacrés aux élèves des classes préparatoires relevant du budget de l'enseignement scolaire sont près du double de ceux consacrés aux étudiants des universités relevant du budget de l'enseignement supérieur (13.170 euros contre 6.820 euros).

Quant aux performances , la France se caractérise par une proportion d'abandon supérieure à celle des autres pays, puisque seuls 59 % des étudiants inscrits obtiennent le niveau licence, contre 75 % par exemple au Royaume- Uni ou en Espagne. Elle se singularise également par un faible taux d'accès à l'enseignement supérieur, seuls 37 % des jeunes ayant l'âge d'entrer à l'université entreprenant des études supérieures dans les filières générales (contre 51 % en moyenne dans les pays de l'OCDE).

De ce fait, la France disposerait d'une faible proportion de jeunes issus du tertiaire « long », c'est-à-dire bénéficiant de connaissances avancées, pour reprendre la terminologie de l'OCDE, même si l'OCDE montre que la France obtient des résultats satisfaisants en matière d'études courtes permettant une insertion professionnelle rapide : la France possède ainsi la proportions de jeunes en filières professionnalisées la plus élevée (22 % des élèves en âge d'y accéder s'y inscrivent contre 16 % en moyenne dans les pays de l'OCDE).

Au total, selon le Conseil d'analyse économique, « La France n'investit pas suffisamment en éducation supérieure compte tenu de sa position technologique » , c'est-à-dire qu'elle s'inscrirait davantage parmi les pays dits « d'imitation » et non « d'innovation ».

En d'autres termes, la France ne répond pas à l'objectif fixé par le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 tendant à ce que l'Union européenne devienne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ».

En effet, la qualité de l'enseignement supérieur constitue un intérêt stratégique dans le cadre de l'affirmation d'une « économie du savoir » et de la stimulation de la croissance à long terme.

Le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a d'ailleurs affirmé lors de la pose de la première pierre de l'université Paris-VII Denis Diderot, que « la qualité de notre enseignement, et particulièrement, de notre université, (était) le nerf de la compétition économique, sociale et intellectuelle du 3 e millénaire ».

C. VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL SE FÉLICITE AINSI DE L'EFFORT DE REDÉPLOIEMENT DES MOYENS DE L'ÉDUCATION NATIONALE EN FAVEUR DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Compte tenu des observations précédentes, on ne peut que se féliciter de ce que le projet de loi de finances pour 2005 comporte, pour la seconde année consécutive, un important effort de redéploiement des moyens de l'éducation nationale en faveur de l'enseignement supérieur .

En effet, le budget de l'enseignement supérieur devrait progresser à structure constante de 3,1 % en 2005, contre + 0,5 % pour l'enseignement scolaire hors dépenses de pension et + 1,8 % pour le budget de l'Etat.

Cet effort de redéploiement, qui devra être poursuivi, doit d'ailleurs être inscrit dans les lois de finances initiales, afin que la Représentation nationale en débatte, et non pas prendre la forme de mesures de régulation budgétaire, comme en septembre 2004, quand 42 millions d'euros de crédits budgétaires ont été annulés sur le budget de l'enseignement scolaire, afin de constituer le gage du décret d'avances publié le même jour au bénéfice de la section de l'enseignement supérieur.

Votre rapporteur spécial approuve ainsi les principales mesures du projet de budget de l'enseignement supérieur pour 2005, notamment la création de 1.000 postes d'enseignants chercheurs destinés prioritairement à renforcer les activités de recherche.

Il salue également l'opération « ordinateur à un euro par jour » engagée par le ministère à la rentrée 2004 afin de favoriser l'équipement informatique personnel des étudiants.

Votre rapporteur spécial se félicite plus particulièrement de la progression sensible des crédits d'investissements , dès lors celle-ci reflète l'accélération des projets, notamment dans le cadre des contrats de plan Etat-régions.

Le bilan de la réalisation des contrats de plan Etat-régions n'en demeure pas moins décevant.

Certes, comme le soulignait M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors de son audition par votre commission des finances en date du 4 novembre 2004, les autorisations de programme ouvertes sur la période 2000-2005 correspondent près de 82 % des engagements de l'Etat pour la période 2000-2006, de sorte que le lancement des opérations contractualisées aurait, selon le ministère, tout au plus un an de retard.

Cependant, les crédits de paiement qui devraient être effectivement engagés ne correspondent qu'à 30 % des engagements de l'Etat sur la même période, de sorte que l'on est loin de l'achèvement des opérations contractualisées et que celui-ci représente une « dette » considérable pour l'Etat (de l'ordre de 1,5 milliard d'euros).

D. LE LOGEMENT ÉTUDIANT EST DE PLUS EN PLUS LE « POINT NOIR » DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.

Le logement des étudiants est devenu l'un des principaux problèmes auquel est confronté l'enseignement supérieur.

Cela résulte tout d'abord de l'insuffisance de l'effort budgétaire consenti pendant plusieurs décennies en faveur de l'accueil des étudiants. En effet, le parc des résidences universitaires dites traditionnelles est obsolète en raison du vieillissement des matériaux et des structures, et le coût de sa réhabilitation est estimé à plus d'un milliard d'euros. En outre, le parc existant est quantitativement insuffisant : il y a aujourd'hui autant de places que dans les années 1970 alors que le nombre d'étudiants a plus que doublé. Enfin, les conditions de sécurité des résidences universitaires sont très inégales.

Les difficultés de logement des étudiants se sont en outre récemment avivées du fait des tensions observées sur le marché locatif privé et du fait de l'afflux inégalement maîtrisé des étudiants étrangers, dont la proportion a doublé dans les résidences universitaires en quelques années.

Dans son rapport particulier d'avril 2003 relatif à la gestion du système éducatif, la Cour des comptes concluait ainsi déjà : « la pénurie de logements semble générale » et la situation s'est plutôt aggravée depuis lors.

A la suite du rapport de mission de notre collègue député Jean-Paul Anciaux publié en janvier 2004 sur le logement étudiant et les aides personnalisées, le gouvernement a annoncé, le 18 mars 2004, une série de mesures en faveur du logement étudiant, comportant notamment des objectifs chiffrés : la rénovation de 70.000 chambres, à raison de 7000 par an et 50.00 constructions en 10 ans.

Votre rapporteur spécial se félicite de ce volontarisme .

Il convient toutefois de relever que cet objectif n'est pas nouveau puisque la rénovation de 7.000 chambres par an à moyen terme figurait déjà parmi les engagements pris par M. Luc Ferry, alors ministre, de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, qui avait annoncé 4.680 rénovations en 2003-2004 et plus de 7.000 dès 2004-2005.

Or ces chiffres seront très loin d'être atteints, puisque le ministère prévoit aujourd'hui 3.174 rénovations en 2003 et 3.700 en 2004.

Ces difficultés s'expliquent pour partie par le fait que l'accélération des rénovations conduit à réduire l'offre de logement dans un contexte de pénurie (les logements en cours de travaux ne pouvant être habités), mais aussi par des carences en matière de conduite de projets.

Votre rapporteur spécial s'interroge d'ailleurs sur les capacités techniques des CROUS , dont ce n'est pas le métier, à conduire des chantiers immobiliers d'une certaine ampleur, contrairement, par exemple, aux offices d'HLM.

En conséquence, il souhaiterait que des études soient conduites afin de savoir s'il ne serait pas plus efficace de confier la construction et la rénovation des bâtiments à organismes dont c'est le métier, d'une part, de mobiliser des techniques de financement modernes, comme le « lease-back », d'autre part.

Plus généralement, votre rapporteur spécial rappelle qu'il serait opportun que la mise en oeuvre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances s'accompagne d'une réflexion sur l'organisation et sur les finalités des différentes aides aux étudiants .

En effet, comme M. Luc Ferry l'avait reconnu l'an passé, notre système d'aide est « illisible », « parfois absurde et en tout cas inéquitable ».

On peut ainsi se féliciter du doublement des crédits destinés aux prêts d'honneur, de la création d'une allocation d'aide d'urgence et de l'augmentation du nombre des bourses de mérite, mais ces mesures sont relativement timides au regard des enjeux, d'autant plus que l'expérience suggère que les contingents des bourses et des allocations spécifiques sont très loin d'être consommés.

Enfin, votre rapporteur spécial regrette qu'aucune suite n'ait été données à ce jour à une mesures prometteuse annoncées à la rentrée 2002 : le développement par les universités de l'offre d'emplois adaptés (tuteurs, moniteurs de bibliothèques, etc.) à leurs étudiants afin de leur procurer des activités rémunérées conciliables avec leur réussite, de favoriser leur engagement dans la vie universitaire et d'améliorer l'encadrement des plus jeunes.

E. L'ORGANISATION ET LA GESTION DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR DOIVENT ÊTRE ÉGALEMENT RÉNOVÉES

Lors de son audition par votre commission des finances en date du 29 octobre 2003 M. Luc Ferry, alors ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, avait estimé que notre enseignement supérieur se trouvait en matière d'organisation « dans la pire des situations possibles », puisqu'il était à mi-gué entre une gestion centralisée et l'autonomie des établissements. En effet :

- d'un côté, les travaux successifs de la Cour des comptes et de l'IGAENR ont largement mis en évidence les carences de l'administration centrale et des services des rectorats en matière de réflexion prospective, de gestion budgétaire, de gestion prévisionnelle des ressources humaines d'articulation entre la centrale et les recteurs de tutelle des agences, d'instruction des habilitations, de contrôle de légalité et de contrôle du budget des établissements. De fait, M. Luc Ferry, alors ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche avait confessé à votre commission des finances en date du 29 octobre 2003 que, si l'administration centrale « avait des chiffres » sur la situation financière sur les universités, ceux-ci n'étaient pas fiables.

La Cour des comptes concluait ainsi dans son rapport particulier d'avril 2003 sur la gestion du système éducatif : « L'Etat dispose de pouvoirs importants en matière de gestion, mais surtout en matière de garantie de l'égalité des étudiants, ainsi que de la qualité des formations. Toutefois, l'usage qu'il fait de ces pouvoirs ne peut être considéré comme satisfaisant. L'opacité et les conséquences inflationnistes de la méthode de répartition des moyens condamnent le système actuel ; l'habilitation a conduit à la multiplication souvent injustifiée des formations [plus de 10.000 à ce jour], sans en garantir la qualité, contribuant à remettre en question le caractère national des diplômes dont elle devait pourtant être le garant. Si la contractualisation avec les établissements a constitué un incontestable progrès, ses effets restent marginaux et, au total, la maîtrise du développement d'un ensemble dont il a la responsabilité échappe en grande partie à l'Etat » ;

- de l'autre côté, les rapports de l'IGAENR soulignent de manière récurrente que si la gestion des établissements est « en progrès sensible », elle « laisse subsister d'importantes marges d'amélioration ». En effet, selon l'IGAENR, « la gestion des ressources humaines est encore bien perfectible », les effectifs rémunérés sur budget propre ne sont pas toujours maîtrisés, faute notamment de redéploiements internes ; « la gestion de la recherche est loin d'être partout un modèle de clarté » ; la construction du budget apparaît trop souvent comme une reconduction des situations acquises ; les documents budgétaires manquent de lisibilité, sinon de sincérité ; faute d'analyse des coûts, l'offre de formation n'est pas toujours rationnelle. En outre, selon l'IGAENR, les règles relatives à la passation des marchés sont dans maints endroits « sciemment transgressées » et les établissements font preuve « d'une grande ignorance ou indifférence en matière réglementaire,... [de] légèreté en matière d'examens » et « d'une désinvolture générale vis-à-vis des obligations de service statutaires », « le nombre de contractuels en situation plus ou moins irrégulière étant [notamment] loin de régresser », etc. De même, notre collègue Yves Fréville avait mis en évidence dans son rapport sur la politique de recrutement et de gestion des universitaires et des chercheurs 29 ( * ) « l'opacité des procédures de recrutement » et le caractère « inexistant ou inefficace des contrôles de l'activité », tandis que la Cour des comptes soulignait que les modalités de calcul de la dotation globale de fonctionnement au prorata des m² de bâtiments « incitent peu les universités à un examen critique de l'utilisation de leur patrimoine » .

Au total, la Cour des comptes concluait dans son rapport particulier d'avril 2003 : « Face [à l'Etat], les universités apparaissent encore, dans de nombreux cas tout aussi faibles, notamment en raison des forces centrifuges qui s'y exercent... L'allocation et la gestion des moyens financiers ont encore trop rarement acquis la place centrale qu'ils devraient avoir dans la vie des établissements... Le suivi du potentiel enseignant, depuis la répartition des emplois jusqu'à l'exécution des services relève plus de décisions ponctuelles, voire individuelles, que d'arbitrages globaux, justifiés par la cohérence de l'offre de formation et l'utilisation rationnelle des moyens. La gestion universitaire se caractérise encore trop souvent par l'absence de maîtrise, sans même parler de contrôle, des fonctions essentielles de la vie d'un établissement ».

Ce double constat de carence, de la tutelle, comme des établissements , a d'ailleurs été confirmé par le rapport sur la gestion immobilière et financière des universités réalisé conjointement en 2003 par l'Inspection générale des finances, l'IGAENR et le Conseil général des ponts et chaussées.

En effet, ce rapport relevait que, ni les établissements, ni le ministère, ne connaissaient l'état, voire l'étendue, du patrimoine universitaire, ce qui nuit évidemment à son entretien, empêche toute vision globale de la répartition fonctionnelle des locaux et conduit à répartir les subventions du ministère de manière peu satisfaisante. En outre, il concluait que la maintenance des locaux n'avait un caractère prioritaire ni pour la tutelle, ni pour les établissements, et constituait de ce fait la variable d'ajustement, confirmant les conclusions du rapport 30 ( * ) publié en mars 2003 par la mission d'information de la commission des affaires culturelles du Sénat et l'observation récurrente de l'IGAENR exposant notamment que les crédits d'investissement versés par l'Etat sous la forme de dotations de maintenance et de mise en sécurité correspondraient à un amortissement des bâtiments sur plus d'un siècle.

De même, ce rapport estimait que les pratiques comptables observées étaient « peu conformes aux principes », si bien que le bilan des établissements ne pouvait « offrir d'image fidèle de leur situation patrimoniale ».

Dans un tel contexte, votre commission des finances estimait, à l'instar de la Cour des comptes, que l'on ne pouvait guère s'étonner de la dérive de l'offre de formations ou du bilan mitigé des réformes des premiers cycles : « ces réformes se sont succédé au fil des ans pour diversifier les modes de prise en charge des étudiants sans pour autant qu'elles aient démontré leur efficacité . Appliquées avec lenteur et mises en oeuvre de façon incomplète, elles n'ont pas rencontré une réelle adhésion de la part des universitaires ».

La Cour des comptes préconisait ainsi « d'aller au bout de la logique introduite par la loi de 1984 : que les universités exercent la plénitude de leurs pouvoirs en matière d'enseignement supérieur, sous réserve qu'elles en assument totalement la responsabilité et soient tenues de rendre compte de leurs résultats, qu'ils soient pédagogiques ou financiers. La maîtrise directe de leur personnel technique ou administratif ainsi que la gestion d'un budget global, incluant les dépenses de rémunération, permettraient aux universités de s'organiser comme elles le souhaitent, à partir de principes fixés par l'Etat », ce qui suppose notamment de « renforcer la fonction présidentielle » et de « consolider la fonction administrative et financière ».

F. LE GOUVERNEMENT A FAIT LE CHOIX D'UNE RÉFORME PROGRESSIVE, PERMETTANT AUX DIFFÉRENTS ACTEURS DE S'APPROPRIER DE NOUVEAUX MODES DE GESTION ET DE FONCTIONNEMENT

Confronté aux enjeux précédents, le ministère fait désormais le choix d'une réforme progressive, puisque le dépôt du projet de loi de modernisation des universités initialement envisagé est, pour l'heure, reporté sine die .

Ce choix n'est pas celui de l'inaction.

On peut ainsi relever dans le projet de loi de finances pour 2005 les mesures consistant à poursuivre la requalification de la structure des personnels (en transformant des emplois de catégorie C en emplois de catégorie A et B), d'une part, à revaloriser le régime indemnitaire des personnels administratif et les perspectives de carrière de l'encadrement afin d'accroître l'attractivité de leurs fonctions.

Votre rapporteur spécial se félicite également de l'engagement du ministère de réformer d'ici la fin 2005 l'outil d'aide à la répartition des emplois et des crédits de fonctionnement dénommé SANREMO (acronyme de « système analytique de répartition des moyens »).

Il convient en effet de rappeler à cet égard que le CNESER estimait dès 2001 que « les graves déficiences que génère ce système, comme l'opacité des critères de détermination qu'il utilise ne sauraient perdurer ou se reproduire sans mettre en cause l'unité, le développement et la démocratisation du service public ». De même, après en avoir de nouveau longuement exposé les défauts, la Cour des comptes appelait une fois encore en conclusion de son rapport particulier d'avril 2003 sur la gestion du système éducatif à « reconsidérer le système SANREMO afin, à partir de critères mieux adaptés, de le faire servir à une répartition plus équitable des crédits de l'enseignement supérieur ». En réponse aux question de votre rapporteur spécial, le ministère reconnaît d'ailleurs les défauts du système : « au-delà des faiblesses liées à son instabilité, SANREMO génère des effets de taille et surtout de seuil inhérents à sa conception. En résumé, lorsqu'une université se rapproche du modèle et de ses charges de référence, l'appréciation de son encadrement est convenable ; en revanche, lorsqu'elle s'en éloigne, l'encadrement est mal évalué et la répartition des moyens qui en découle plus ou moins injuste ».

Par ailleurs, il convient de souligner que les mises oeuvre respectives du LMD et de la LOLF constituent deux leviers majeurs de réforme « silencieuse » .

En effet, près trois-quarts des universités auraient d'ores et déjà adopté ou seraient sur le point d'adopter le dispositif licence-master-doctorat (LMD), dont la généralisation à l'ensemble du système universitaire devrait être achevée d'ici 2007 à un rythme plus rapide que prévu.

Or l'introduction du LMD peut être porteuse de grands changements. En effet, elle décloisonne les filières et permet des parcours individuels plus diversifiés au sein d'un éventail de formations resserré. En conséquence, elle invite les établissements à conduire une réflexion sur la rationalisation de leur offre de formation . En outre, la mise en oeuvre du LMD peut également être le point de départ d'un dialogue avec les grandes écoles, le ministère de l'éducation nationale étudiant ainsi avec chaque ministère ayant en charge des formations supérieures les voies et les moyens d'étendre le projet LMD à l'ensemble de l'enseignement supérieur français sur la base d'exigences de qualité de niveau international. Ainsi, la mise en place du LMD pourrait stimuler la constitution de pôles de compétence de taille critique, capable d'offrir une meilleure visibilité internationale à l'enseignement supérieur français . Votre rapporteur spécial estime d'ailleurs que ce rapprochement entre les universités et les grandes écoles devrait se retrouver dans le cadre de l'architecture budgétaire envisagée pour la mise en oeuvre de la LOLF.

Sous la réserve précédente, la mise en oeuvre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances constitue un autre levier de changement . En effet, elle responsabilisera les établissements en autorisant une plus grande souplesse dans l'allocation de leurs crédits, jusqu'à présent étaient majoritairement fléchés. En particulier, la définition d'enveloppes de crédit pour le personnel est de nature à améliorer la définition d'une politique en matière de ressources humaines. Par ailleurs, la bonne mise en oeuvre de la LOLF suppose que les établissements mettent en place un contrôle de gestion et une comptabilité analytique. En effet, la nouvelle architecture budgétaire implique un dialogue de gestion entre le ministère et les établissements, fondé sur la détermination d'objectifs et des obligations de compte-rendu de la part des établissements, afin que le ministère puisse s'assurer que les actions qui lui sont demandées sont bien entreprises au niveau du terrain.

En d'autres termes, la bonne mise en oeuvre de la LOLF nécessite un renouvellement des modes de gestion des universités, ainsi que le développement d'une réelle culture de l'évaluation. Si l'on est pessimiste, on peut en conclure que la mise en oeuvre de la LOLF sera difficile. En revanche, si l'on est optimiste, on peut en conclure que la LOLF sera un formidable vecteur de modernisation des universités.

G. VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL APPROUVE LA MÉTHODE RETENUE POUR MODERNISER NOTRE ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

L'expérience suggère qu'il est beaucoup plus difficile de réformer le statut législatif des universités que de modifier notre Constitution , et que des réformes, comme la diffusion du LMD, qui bénéficiaient d'un consensus politique ex ante et qui recueillent une très large adhésion ex post n'en n'ont pas moins suscité des vagues d'inquiétude irrationnelles.

Il convient donc de s'interroger sur la méthode à retenir pour moderniser les universités

Cette question de la méthode a été longuement abordée par le rapport du CAE, dont les rapporteurs concluent : « notre thèse est que la grande réforme à la Française longtemps différée, décidée par le haut, suscitant des jacqueries et ultimement abandonnée ne mérite guère d'être tentée à nouveau . Notre plaidoyer pour une ingénierie de la réforme basée sur une démarche inductive, exploitant le levier européen du LMD, et mobilisant les incitations qui permettent de mettre en mouvement les acteurs du système a un triple mérite : faire émerger des pôles d'excellence, initier une dynamique de la réforme par la comparaison et par l'exemple, et conjurer la logique de l'échec qui s'installe après chaque grande réforme manquée ».

On peut d'ailleurs se demander si la mise en oeuvre du LMD n'a pas été facilitée par le fait qu'elle découlait d'un processus européen, d'une part, qu'elle a emprunté la voie réglementaire et non législative, d'autre part.

Votre rapporteur spécial approuve ainsi la méthode consistant à renoncer à une réforme législative d'ensemble des universités au profit des améliorations graduelles résultant notamment de la mise en oeuvre du LMD et de la LOLF, afin que les évolutions nécessaire se fassent de manière suffisamment progressive pour que les différents acteurs puissent être à même de participer à ces changements et non plus seulement les subir .

Il comprend d'autant plus ce choix du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, que celui-ci est par ailleurs engagé dans la préparation, d'ici 2005, de deux lois d'orientation, relatives respectivement à l'école et à la recherche, cette dernière loi d'orientation pouvant d'ailleurs contribuer à l'amélioration de la gestion de la recherche universitaire.

Cela étant, on peut se demander si cette méthode ne risque pas d'achopper sur la mal-administration des universités. En effet, si le LMD et la LOLF sont susceptibles de favoriser une plus grande cohérence au sein des universités, ils n'en requièrent pas moins amélioration de leur gouvernance.

Votre rapporteur spécial estime ainsi que les modes de désignation et les prérogatives des présidents d'université comme de leurs conseils d'administration nécessitent d'être révisés, en s'inspirant notamment de l'exemple des universités technologiques.

* 29 « La politique de recrutement et la gestion des universitaires et des chercheurs », rapport d'information du Sénat, n° 54 (2001-2002).

* 30 « Voyage au bout... de l'immobilier universitaire », rapport du Sénat n° 213 (2002-2003).