M. Roland du LUART

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

- L'année 2007 doit permettre de consolider les acquis de la LOLF dans les juridictions, de poursuivre l'acclimatation à la culture de performance qu'elle induit et de pérenniser les bonnes habitudes prises par les gestionnaires.

- Au regard des objectifs fixés par la LOPJ en termes de création d'emplois, on constate un taux d'exécution, relativement satisfaisant, de 81,7 % pour les magistrats mais de seulement 57,9 % pour les greffiers. Dans une perspective plus « lolfienne » (fondée sur une unité de calcul en ETPT), ce taux d'exécution est de 66,2 % pour les magistrats et de 52,2 % pour les greffiers.

- L'évolution du ratio entre le nombre de magistrats et celui de fonctionnaires est « défavorable » aux greffiers (2,69 magistrats pour un greffier), ce qui implique un certain recul du soutien logistique susceptible d'être attendu par les magistrats, tant pour le rendu des décisions juridictionnelles que pour la gestion des juridictions.

- Le problème des frais de justice est en passe d'être réglé . Au vu des premiers éléments d'appréciation sur la gestion 2006, la chancellerie est amenée à estimer que la dotation pour 2006 s'avérera suffisante (moyennant toutefois l'abondement supplémentaire tiré de la réserve des 50 millions d'euros mise en place à cette fin en loi de finances pour 2006).

- La maîtrise en cours des frais de justice s'explique, d'une part, par une prise de conscience et de réels efforts des magistrats en tant que prescripteurs de la dépense , et, d'autre part, par un plan d'économies efficace mené par la chancellerie . Par exemple, en matière d' analyses génétiques , la passation de marchés publics s'est, d'ores et déjà, traduite par une baisse considérable des tarifs unitaires proposés par les laboratoires. Ceux-ci ont, en effet, été réduits de plus de la moitié.

- Etant donnée la spécificité des programmes immobiliers pénitentiaires et les délais incompressibles qu'ils imposent (validation de projet, études, conception, réalisation, passation des marchés), les efforts consentis au titre de la LOPJ ne feront sentir leurs premiers effets positifs qu'à partir de 2007. A supposer que le nombre de détenus reste au niveau actuel et que les prévisions en matière de création de places de détention soient respectées, ce n'est que dans le courant de 2009 que le nombre de places égalera le nombre de personnes détenues.

- Concernant le programme « Protection judiciaire de la jeunesse », le présent projet de loi de finances prévoit une augmentation de 43 millions d'euros de l'enveloppe budgétaire consacrée au secteur associatif habilité (SAH) , de manière à faire face à la montée en charge de ce secteur tout en engageant un travail de résorption des reports des années précédentes.

- Votre commission estime trop faible le montant de l'enveloppe budgétaire consacrée à l'aide juridictionnelle dans le projet de loi de finances pour 2007 (323 millions d'euros) et propose de l'augmenter de 5,7 millions d'euros, en réduisant à due concurrence les crédits des deux autres programmes.

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA MISSION

A. UNE MISSION SANS LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Votre rapporteur spécial estime nécessaire de rappeler, en préambule à son rapport, que les juridictions administratives ne relèvent pas de la mission « Justice » et que cette question avait, d'ailleurs, été largement débattue lors de la définition du périmètre de cette même mission.

La « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice »

Les deux avant-projets de nomenclature budgétaire , présentés au Parlement pour concertation en 2004, faisaient figurer les juridictions administratives, comme les juridictions judiciaires, au sein de la mission « Justice », ce que votre commission des finances avait approuvé.

Cependant, le gouvernement a annoncé 1 ( * ) , puis confirmé dans le projet de loi de finances pour 2006, la création d'une mission « Conseil et contrôle de l'Etat » comprenant trois programmes :

- « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » ;

- « Conseil économique et social » ;

- « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

La première conséquence de cette décision, la sortie de la Cour des comptes (et des autres juridictions financières qui lui sont associées en gestion) du « giron de Bercy » correspondait à une demande explicite de votre commission 2 ( * ) , fondée sur la charge de certification des comptes de l'Etat, confiée à la Cour des comptes par le 5° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) 3 ( * ) . Votre commission avait considéré que les moyens de certification ne doivent pas dépendre du certifié.

La deuxième conséquence, à savoir le renoncement à une mission mono programme pour le Conseil économique et social, n'avait soulevé aucune critique particulière, d'autant qu'elle apparaissait conforme à la lettre de l'article 7 de la LOLF.

En revanche, la troisième conséquence de cette décision, la « sortie » non concertée avec le Parlement des juridictions administratives de la mission « Justice » , était plus surprenante.

En effet, selon l'article 7 de la LOLF, « une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ». Or, la justice - tant administrative que judiciaire - constitue bien une politique au sens de la LOLF.

A l'initiative de votre rapporteur spécial, votre commission des finances a « condamné le fait que les juridictions administratives aient été « sorties » de la mission budgétaire « Justice », dans le but le but affiché de préserver leurs spécificités, alors même que l'indépendance de l'autorité judiciaire est garantie par la Constitution, qui lui confère aussi la mission de gardienne de la liberté individuelle. Elle a préconisé le regroupement dans une seule mission des juridictions judiciaires et administratives , qui n'empêchera pas, bien au contraire, la nécessaire adaptation de certaines règles budgétaires à leurs spécificités » 4 ( * ) .

Au demeurant, l'engagement a été pris par le gouvernement d'étendre aux juridictions judiciaires les mesures budgétaires dérogatoires en matière de gel de crédits. En réponse à votre rapporteur spécial, devant le Sénat le 10 novembre 2005 5 ( * ) , M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a précisé que le Premier ministre avait décidé de ne pas soumettre les services judiciaires aux « gels budgétaires », ainsi que d'alléger les contrôles a priori des contrôleurs financiers . Plus précisément, la Cour de cassation est, désormais, exonérée de « gels budgétaires », tandis que, pour les autres juridictions judiciaires, ceux-ci sont soumis à l'accord du ministre de la justice.

Si le bon fonctionnement de la mission « Justice » n'est, certes, pas entravé par la « sortie » des juridictions administratives de cette mission, la question reste néanmoins posée de la cohérence d'ensemble du traitement « budgétaire » des juridictions .

B. LES FORCES ET LES FAIBLESSES DU BUDGET DE LA MISSION « JUSTICE »

La mission « Justice », composée de cinq programmes 6 ( * ) , est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2007, de 6.271,1 millions d'euros de crédits de paiement , soit une progression de + 4,8 % .

Le tableau ci-après ventile les crédits, ainsi que les plafonds d'emploi en équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Au-delà de la progression globale des crédits , qui ne saurait suffire à leur appréciation, mais qui renforce l'obligation de résultat pour les acteurs de la justice, le projet de budget de la présente mission soulève plusieurs interrogations 7 ( * ) :

- les crédits d' aide juridictionnelle sont-ils prévus à un niveau suffisant, compte tenu de l'évolution du nombre des dossiers de demandes ces dernières années ?

- le rythme de sortie et le volume des promotions de l'école nationale des greffes (ENG) ne permet pas de compenser le déficit actuel de greffiers au regard du nombre de magistrats en juridiction . L'allongement de la durée de scolarité à l'ENG (passée de 12 à 18 mois en 2003) ainsi que la pyramide des âges des greffiers (nombreux départs à la retraite dans les années à venir) ne peuvent, à cet égard, que contribuer à creuser encore un peu plus le différentiel d'effectifs ;

- les services administratifs régionaux (SAR) chargés d'assister les chefs de cour 8 ( * ) , co-ordonnateurs secondaires du programme « Justice judiciaire », ne sont pas renforcés en personnels de greffe, malgré une charge de travail supplémentaire liée à la mise en oeuvre de la LOLF ;

- pour ce qui est de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) , dont les violences urbaines récentes illustrent, si besoin était, l'importance cruciale, le passif né des reports de crédits concernant le secteur associatif habilité (SAH) doit être résorbé.

En sens inverse, votre rapporteur spécial tient à souligner, pour s'en réjouir :

- une maîtrise satisfaisante des frais de justice au cours de l'exercice 2006. Après avoir connu une progression exponentielle qui avait notamment été analysée par votre rapporteur spécial dans son rapport d'information « La LOLF dans la justice : indépendance de l'autorité judiciaire et culture de gestion » 9 ( * ) et à la suite de l'enquête demandée à la Cour des comptes en application de l'article 58-2 de la LOLF 10 ( * ) , ces frais ont été contenus sous le double effet bénéfique des mesures volontaristes prises par la chancellerie et d'une prise de conscience salutaire de cet impératif par les magistrats prescripteurs. Cette maîtrise a, en outre, été obtenue sans remise en cause de la liberté de prescription du magistrat. Cette tendance demande à être confirmée en 2007 ;

- le développement d'une culture de gestion dans l'esprit de la LOLF , comme a pu le souligner votre rapporteur spécial dans son récent rapport d'information sur la formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion 11 ( * ) ;

- la poursuite de la mise en oeuvre de la LOPJ 12 ( * ) pour la rénovation et la construction d'établissements pénitentiaires .

Comme il l'avait souligné l'an dernier 13 ( * ) , votre rapporteur spécial attache une importance particulière à ce programme pénitentiaire , eu égard à la vétusté et au surpeuplement de ces établissements.

Pareille situation, qui traduit des dizaines d'années d'insuffisance, est tout à la fois attentatoire à la dignité humaine et source de promiscuité , c'est-à-dire facteur de « contagion » de la délinquance , contraire à l'objectif premier de la peine, à savoir l'amendement du condamné.

* 1 Le 9 mai 2005.

* 2 Les crédits des juridictions financières figuraient traditionnellement parmi ceux du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

* 3 Rapport d'information n° 292 (2003-2004), pages 40 et 41.

* 4 Rapport d'information n° 478 (2004-2005) : « La LOLF dans la justice : indépendance de l'autorité judiciaire et culture de gestion », page 5.

* 5 Débat de contrôle budgétaire faisant suite au rapport d'information précité de votre rapporteur spécial.

* 6 « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire », « Protection judiciaire de la jeunesse », « Accès au droit et à la justice » et « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés ».

* 7 Ces points sont développés dans la présentation ci-après des programmes correspondants.

* 8 Premier président et procureur général de cours d'appel.

* 9 Sénat, rapport d'information n° 478 (2004-2005).

* 10 Sénat, rapport d'information n° 216 (2005-2006) « Frais de justice : l'impératif d'une meilleure maîtrise ».

* 11 Sénat, rapport d'information n° 4 (2006-2007) : « La justice, de la gestion au management ? Former les magistrats et les greffiers en chef à la gestion ».

* 12 Loi d'orientation et de programmation pour la justice n° 2002-1138 du 29 septembre 2002, concernant les moyens pour les années 2003 à 2007.

* 13 Rapport spécial « Justice », n° 99 - tome III - annexe 15 (2005-2006).