M. Michel Charasse

II. LES EFFORTS D'AMÉLIORATION DE LA COORDINATION ET DE L'EFFICACITÉ DE L'AIDE

Bien que le CICID ne se soit pas réuni depuis juin 2006, la gamme des instruments de coordination entre les multiples acteurs et d'amélioration de l'efficacité de l'aide a été approfondie et étendue. Il importe à présent de respecter la doctrine de ces cadres d'intervention et de ne pas tomber dans le syndrome d'une « technocratie de la coordination ».

A. LE NOUVEAU PLAN D'ACTION POUR L'EFFICACITÉ DE L'AIDE

Dans la continuité de la Déclaration de Paris de mars 2005, construite autour de cinq principes (appropriation, harmonisation, alignement, résultats et responsabilité mutuelle), la France a élaboré un plan d'action détaillé, validé par la Conférence d'orientation stratégique et de programmation (COSP) le 14 décembre 2006, qui devrait permettre d'atteindre des objectifs fixés en cohérence avec le suivi et les indicateurs retenus au sein du CAD. Il est organisé autour de 12 mesures se rapportant à trois axes principaux :

- la priorité donnée au renforcement des capacités (opportunité pour valoriser l'expertise française en la matière) ;

- l'approfondissement des documents cadre de partenariat (DCP, cf. infra ), instruments de référence de la programmation de l'aide française à moyen terme et outil de mise en oeuvre de la Déclaration de Paris. L'annexe chiffrée des DCP doit devenir un outil de pilotage de l'aide et d'amélioration de la maîtrise des flux de décaissement, et il est prévu que l'aide s'inscrive davantage dans le cadre d'une approche par programmes (aide budgétaire, fonds communs, aide projet coordonnée) ;

- l'amélioration des procédures et des pratiques de gestion françaises : il devrait en résulter une déconcentration accrue de la prise de décision pour permettre aux acteurs de terrain de participer de façon efficace au dialogue sur la concertation et l'harmonisation entre bailleurs.

B. LES DOCUMENTS-CADRE DE PARTENARIAT (DCP) ET STRATÉGIES SECTORIELLES

1. Les DCP : outils structurant ou alibi ?

Validés par la COSP, les DCP constituent, pour chaque pays, l'instrument de cadrage pluriannuel (pour une durée de 5 ans) de l'APD française, et tendent à renforcer la concentration sectorielle de l'aide et la concertation de l'ensemble des acteurs. Signe par les deux parties et rendu public, le DCP est appelé à jouer un rôle de levier de changement et de modernisation de l'aide française, en la rendant plus lisible, prévisible, partenariale et efficace.

Localement, l'ambassadeur organise un rendez-vous annuel de bilan et de suivi du DCP, auquel sont associées les ONG, à l'issue duquel il adresse au Département un rapport sur l'exécution du DCP, comportant notamment un diagnostic sur la situation migratoire, et organise avec le pays partenaire une réunion d'évaluation de la mise en oeuvre du DCP. Une revue à mi-parcours doit permettre de dresser un bilan plus complet et, le cas échéant, d'actualiser le DCP.

Depuis septembre 2005, 30 DCP ont été signés et 16 autres 13 ( * ) sont en cours d'examen . Ces 30 pays concentrent 82 % de l'aide bilatérale programmable pour 2007 dans les pays de la ZSP. En montants agrégés, le secteur des infrastructures représente environ 37 % des actions bilatérales financées par la France dans le cadre des DCP signés, l'appui au développement du secteur productif 11,6 %, la santé et la lutte contre le sida seulement 4,1 % 14 ( * ) , et les secteurs transversaux non transférés à l'AFD 15 ( * ) 19,6 %.

Lors de ses contrôles effectués en Afrique australe et en Asie du sud est 16 ( * ) , votre rapporteur spécial a constaté que les DCP examinés étaient plutôt bien conçus et témoignaient d'un effort de réflexion stratégique comme de hiérarchisation des priorités. L'identification systématique de 2 ou 3 secteurs de concentration n'exclut toutefois pas la tentation de l'éparpillement et de la présence dans tous les domaines. La dimension partenariale peut aussi être ambiguë ou servir d'alibi : « shopping list » extensive du pays récipiendaire, objectifs de sélectivité et d'une meilleure acceptabilité d'une diminution des montants d'aide du côté français. En outre, avec 4 secteurs de concentration, le DCP de Madagascar n'est pas conforme aux règles d'élaboration de ces documents . Certaines fourchettes d'engagements sont apparues trop larges (DCP du Mozambique).

Le statut des DCP est hybride et sa portée juridique (en particulier s'agissant des montants d'aide) peut être perçue différemment : à caractère indicatif pour la France, ou « engageant » du point de vue du pays bénéficiaire. Il serait sans doute utile de prévoir deux tranches de crédits, l'une ferme et l'autre conditionnelle , pour préserver une certaine marge de négociation, et de mieux faire apparaître l'ampleur de l'aide française transitant par les canaux multilatéraux (FED, Fonds mondial de lutte contre le sida, Banque mondiale...).

2. Les stratégies sectorielles et thématiques

Afin de renforcer la lisibilité et l'efficacité de l'aide, le CICID a validé sept stratégies dans les secteurs suivants : éducation, eau et assainissement, santé et lutte contre le sida, agriculture et sécurité alimentaire, développement des infrastructures, protection de l'environnement et de la biodiversité, développement du secteur productif.

Une stratégie sur la gouvernance a également été validée par la COSP en décembre 2006 et repose sur des objectifs de modernisation de l'Etat, de renforcement de la gouvernance locale, de promotion d'une action publique transparente et de lutte contre la corruption. Enfin une stratégie d'intervention dans les pays émergents a été arrêtée dans la continuité de la mission confiée à M. Hervé Gaymard sur l'influence française dans ces pays, et est déclinée notamment dans les cadres d'intervention pays (CIP) de l'AFD afférents à sa nouvelle zone d'intervention (cf. infra le commentaire du programme 110).

C. LE RENFORCEMENT DES FONCTIONS DE PILOTAGE DE LA DGCID

Ainsi que votre rapporteur spécial l'a détaillé dans son rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2007, l'année 2006 a été marquée par des changements importants dans l'organisation de la DGCID , destinés à prendre en compte l'évolution du rôle du MAEE dans la coopération internationale et la montée en puissance des acteurs non gouvernementaux, et à rationaliser le réseau à l'étranger. Une direction des politiques du développement (DPDEV) et une sous-direction de la coordination géographique (par fusion des chargés de mission géographiques et des bureaux dits « stratégies-pays ») ont été constituées, et l'accompagnement de la coopération décentralisée et des ONG a été rationalisé.

La DGCID tend donc à se recentrer sur des fonctions de pilotage stratégique et de coordination d'acteurs (AFD, opérateurs, ONG, collectivités territoriales) qui jouent un rôle croissant dans la mise en oeuvre des actions de coopération. Cette coordination est indispensable pour maintenir la cohérence de l'aide française et se prémunir du risque de l'autonomie, de l'éparpillement et de l'illisibilité pour les pays récipiendaires . La revue générale des politiques publiques pourrait conforter ce mouvement consistant à « faire faire », ce qui suppose une implication totale de la DGCID dans le suivi et le contrôle des opérateurs.

Ce cadre d'intervention conduit le ministère à étendre la conclusion de conventions d'objectifs et de moyens avec les opérateurs (AFD, AFVP, FCI, CulturesFrance, CampusFrance, IRD, CIRAD... cf. infra le commentaire du programme 209) et à poursuivre la restructuration du réseau culturel et de coopération (regroupements de SCAC et établissements culturels, adaptation du réseau au contexte politique de certains pays, résorption de doublons alliances françaises - centres culturels). Votre rapporteur spécial considère que les centres culturels et alliances françaises doivent autant que possible fusionner dans les capitales et grandes villes, afin notamment de dégager quelques marges de manoeuvre pour ouvrir de petites alliances dans des régions isolées où perdure une forte demande de français.

Le réseau dans les pays éligibles à l'APD a connu quelques adaptations au cours des derniers mois avec la fermeture de l'ambassade de Kigali (Rwanda) en novembre 2006 à la suite de la rupture des relations diplomatiques, la création d'une antenne diplomatique au Sud-Soudan (Juba) fin 2006, et l'ouverture d'une ambassade à Monrovia (Libéria) début 2007. Aucune fermeture de centres culturels n'est intervenue en 2006 et 2007 dans ces pays, hormis la fermeture du centre de Lagos au Nigeria (après l'ouverture de celui d'Abuja en 2005).

Le ministère a également recours aux partenariats public-privé (PPP), permettant de mieux associer les acteurs privés à la politique française d'aide. L'Alliance pour le développement est ainsi un PPP entre l'Etat (MAEE et MINEFE), l'Institut Pasteur, Sanofi Aventis, Veolia Environnement et l'AFD, formalisé par un GIP institué en 2006. Ce groupement mène des actions de développement dans le domaine de la santé, de l'assainissement et de l'accès à l'eau. Trois projets sont en cours au Niger, au Vietnam et à Madagascar. En comptabilisant les frais de fonctionnement du GIP (pris en charge par le MAEE), le montant total mobilisé par l'Alliance est de 2,24 millions d'euros sur 3 ans, dont 52 % à la charge des partenaires publics.

De son côté, l'AFD envisage également la création d'une fondation AFD - Proparco , dont l'objet serait de promouvoir la responsabilité sociétale des entreprises dans les PME des pays en développement, par la formation professionnelle et le montage de projets ciblant des objectifs sociaux et environnementaux.

Votre rapporteur spécial promeut le développement de ce type d'initiative , qui permet d'associer le secteur privé aux objectifs gouvernementaux de l'APD française et de tirer profit de l'expérience d'entreprises privées en matière de montage de projets ou sur certaines compétences spécifiques.

D. UNE AMÉLIORATION ENCORE LIMITÉE DE L'IMPACT CONCRET DE LA LOLF SUR LA GESTION DES SCAC

1. La lente diffusion des outils de contrôle de la gestion et de la performance

La mise en oeuvre de la LOLF exerce quatre types de conséquences sur la gestion et l'organisation des services de coopération et d'action culturelle : prise en compte des objectifs stratégiques des programmes, fongibilité des crédits 17 ( * ) , recherche de la performance et contrôle de gestion , reporting des postes vers l'administration centrale. Votre rapporteur spécial, ainsi que notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat », avaient cependant considéré en 2006 que l'appropriation des enjeux de la LOLF était encore très insuffisante dans les postes .

Quelques progrès ont néanmoins été accomplis. Concernant la traduction des objectifs, la construction des indicateurs de performance et le reporting ascendant, la cellule contrôle de gestion de la DGCID a travaillé conjointement avec les postes diplomatiques et les services de la DGCID. Quatre postes diplomatiques sont en expérimentation depuis le début de l'année 2006 (Dakar, Ljubljana, Madrid, Prague) et l'expérimentation sera élargie à 10 postes pour le rapport annuel de performance de 2007. Douze indicateurs de performances 18 ( * ) ont été définis avec ces postes et sont présents dans le PAP du programme 185.

Des actions de sensibilisation et de formation à la LOLF ont été menées. L'ensemble des services de la DGCID, en liaison avec les postes en expérimentation, a défini les objectifs et sous-objectifs les concernant et a ainsi pu déterminer les indicateurs de performance y afférents. La cellule contrôle de gestion et chaque poste ont ensuite organisé la collecte des données relatives aux indicateurs, ainsi que le renseignement des tableaux de bord créés lors de la mise en place de la LOLF. Puis, il a été organisé des comités de gestion dans chaque poste, qui analysent les données du tableau de bord, expliquent les écarts et mettent en place des actions correctrices. Suite à ces comités de gestion, une remontée d'informations est effectuée auprès de l'ambassadeur et de l'administration centrale.

2. La finalisation d'un logiciel unique

L'indispensable adaptation des outils informatiques est également en cours. La DGCID utilise actuellement 4 logiciels (SCOP 19 ( * ) , BMI, Persat et Exepro 20 ( * ) ) pour programmer et suivre la consommation de ses crédits, outre le logiciel comptable Corège. Ces outils, développés grâce à des technologies anciennes, ne communiquent pas directement entre eux , ce qui nécessite un processus lourd de double saisie de la part des SCAC puis de vérification de la cohérence de ces chiffres par la sous-direction de la programmation et des affaires financières. Il n'y a pas non plus de lien avec les applications comptables. Les montants des dépenses comptables doivent donc être saisis une seconde fois dans l'utilitaire de suivi. De plus, ces outils ne sont pas adaptés aux nouveaux besoins introduits par la LOLF , en particulier à la pluriannualité des crédits. Enfin, ces outils ne sont pas stables et demandent une maintenance régulière au cas par cas.

La DGCID a donc lancé un projet de fusion de ces 4 applications en fin d'année 2006. Le futur logiciel unique, dont la mise en place est prévue pour mars 2008, doit permettre :

- d'assurer une continuité et un suivi entre le projet de loi de finances, la programmation des crédits et la programmation budgétaire initiale destinée au contrôleur budgétaire ;

- d'assurer le suivi de l'exécution (rapport annuel de performance et éventuellement contrôle de gestion) pour tous les types de crédits, y compris le titre 2, ainsi que le calcul des ETP aussi bien pour la centrale que pour l'étranger ;

- de restituer les données par étapes et d'être consulté par tous les agents de la DGCID, tant en centrale qu'à l'étranger, le contrôle de gestion et la hiérarchie ;

- de réaliser des gains de temps et de productivité à tous les niveaux.

Votre rapporteur spécial salue ces efforts de rationalisation , qui répondent notamment aux imperfections et lourdeurs qu'il a pu constater lors de ses contrôles sur pièces et sur place. Il constate néanmoins que les « expérimentations LOLF » s'étendent à un rythme très lent, qu'il importe donc d'accélérer. Les postes que votre rapporteur spécial a récemment contrôlés en Afrique et en Asie semblaient en effet plutôt éprouver les désagréments que les avantages de la LOLF, ne profitaient pas de la démarche de performance pour mieux suivre et évaluer les projets du FSP, et n'utilisaient que marginalement les marges de fongibilité , a fortiori asymétrique.

* 13 Afghanistan, Algérie, Guinée équatoriale, Haïti, Mauritanie, Namibie, Nigeria, République centrafricaine, République dominicaine, Rwanda, Sao Tome et Principe, Suriname, Togo.

* 14 L'annexe de programmation du DCP ne rend cependant pas compte des financements par les canaux multilatéraux.

* 15 Soit la gouvernance, la diversité culturelle, la francophonie, la recherche et la coopération universitaire.

* 16 Cf. rapport d'information n° 374 (2006-2007).

* 17 Les postes peuvent demander en juin des réaffectations de crédits et des redéploiements d'emplois, mais cette faculté paraît encore insuffisamment mise en oeuvre.

* 18 7 indicateurs de performance pour les SCAC ; 4 indicateurs pour les EAF et un indicateur pour les instituts de recherche.

* 19 Programmation des crédits sous forme de projet.

* 20 Suivi de la consommation des crédits.