MM. Thierry Foucaud et Bertrand Auban

CHAPITRE II I

LE COMPTE SPÉCIAL « PENSIONS »

I. PRÉSENTATION DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

A. UNE APPROCHE COMPTABLE DE LA CHARGE DES PENSIONS...

Le compte d'affectation spéciale « Pensions » représente 47,99 milliards d'euros de crédits de paiement , soit plus de 17 % du total des crédits de paiement du projet de loi de finances pour 2008, en progression de 2,8 % par rapport à 2007. Il retrace essentiellement le financement des pensions civiles et militaires de l'Etat.

Jusqu'alors disséminées dans le budget de l'Etat, le financement des pensions n'était pas identifié en raison du principe de non affectation des recettes. L'article 21 de la LOLF a ainsi prévu l'instauration d'un « Compte de pension » en 2006, équilibré en recettes et en dépenses. Les recettes prévues pour financer les opérations du compte d'affectation spéciale doivent être « par nature, en relation directe avec les dépenses concernées », et complétées par des versements du budget général.

Les recettes afférentes aux pensions sont affectées au présent compte d'affectation spéciale (CAS) et ce dernier doit être équilibré en dépenses et en recettes.

Les principales dépenses du CAS « Pensions » portent sur le paiement :

- des pensions civiles et militaires de retraite (PCMR) ;

- des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat ;

- des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ainsi que des traitements versés au titre de la reconnaissance de la Nation.

Les recettes afférentes sont constituées principalement par :

- la contribution de l'Etat au titre des taux de cotisation employeur ;

- les cotisations salariales ;

- les contributions des autres employeurs que l'Etat.

Le principe de fonctionnement du CAS « Pensions »

Trois règles de fonctionnement du CAS résument les implications des articles 21-II de la LOLF et 51-II de la loi de finances pour 2006. C'est leur respect qui dirige les opérations de suivi du CAS :

- le respect à tout moment et en fin d'année de l'équilibre budgétaire du CAS en maintenant le montant des AE ouverts par la constatation des recettes, dans la limite fixée par la loi de finances initiale, supérieur au montant des dépenses ;

- la tenue de cet équilibre de trésorerie en dépenses et en recettes ;

- et enfin la bonne réalisation de l'exécution de l'année relativement à ce qui a été décidé en loi de finances initiales, pour les recettes comme pour les dépenses.

La mise en place du CAS « Pensions » a donc apporté une clarification comptable du financement des retraites des fonctionnaires de l'Etat . Même s'il ne s'agit ici que d'une individualisation comptable, et non juridique, la contrainte de financement , la LOLF n'ayant pas autorisé le recours à des crédits évaluatifs pour le CAS « Pensions », pèse sur les ministères employeurs et les gestionnaires de programmes. Le financement des pensions résulte, pour partie, de la fixation d'un taux de contribution employeur qui doit être établi avec la double préoccupation d'assurer l'équilibre du CAS « Pensions » , par un niveau de contribution suffisant, et de ne pas contraindre exagérément les budgets des programmes employeurs .

Un des enjeux principaux qui ressort de la création du nouveau CAS « Pensions » repose sur la responsabilisation des gestionnaires qui doivent désormais, au titre des programmes dont ils ont la charge, verser les « cotisations employeurs » se rapportant aux fonctionnaires qui en relèvent.

C'est pourquoi, il convient, lors de l'examen des dépenses du titre 2 relevant des programmes du budget général, de ne pas faire d'erreur d'interprétation à la lecture des éventuelles augmentations de frais afférents au personnel. Ceux-ci peuvent en effet résulter de l'augmentation de la cotisation employeur et non de l'augmentation du nombre d'emplois.

Votre commission des finances s'était interrogée sur les raisons du faible taux de contribution employeur (33 % en 2006) qui pesait sur les organismes publics et semi-publics qui emploient des fonctionnaires. Après une augmentation à 39,7 % en 2007, le projet de loi de finances pour 2008 fixe à compter du 1 er janvier 2008 un taux de contribution de 50 %. Il rejoint ainsi le taux de contribution au titre des personnels civils, fixé à 55,71 %. Celui des personnels militaires s'établit à 103,5 %.

Les crédits du CAS « Pension » augmentent en 2008 de 1,33 milliard d'euros pour s'établir à 47,99 milliards d'euros.

Le compte d'affectation spéciale « Pensions » est composé de 3 programmes, constituant autant de « sections », dont les moyens sont récapitulés par le tableau ci-dessous :

Décomposition des moyens du compte d'affectation spéciale « Pensions »

(en milliards d'euros)

Crédits de paiement pour 2007

Crédits de paiement pour 2008

Part des crédits du compte d'affectation spéciale

Evolution des crédits 2008/2007

Programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité »

42,10

43,44

90,5 %

3,2 %

Programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'Etat »

1,71

1,75

3,6 %

2,3 %

Programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions »

2,97

2,80

5,8 %

-5,7 %

Compte d'affectation spéciale « Pensions »

46,67

47,99

100 %

2,8 %

Le programme 741 comporte les neuf dixièmes des crédits dévolus au compte de pension.

Si la clarification des conditions de financement du régime des pensions civiles et militaires de retraite de l'Etat (PCMR) constitue l'objet principal du CAS « Pensions », l'article 21 de la LOLF prévoit plus généralement que sont retracées de droit sur ce compte « les opérations relatives aux pensions et avantages accessoires ».

Si le CAS « Pensions » pouvait être a priori constitué d'autant de programmes -ou de « sections »- qu'il devait lui être imputé de « régimes » de pensions différents, certains régimes, correspondant à des pensions peu nombreuses ou de faibles enjeux financiers, ont été regroupées, notamment au sein du programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions ».

Les pensions retracées par le CAS « Pensions »

Sont imputées au présent CAS les pensions réunissant trois conditions :

1. nature d' avantages (et non de versements en contrepartie d'un travail) à vocation viagère ou quasi viagère 27 ( * ) ;

2. l'« Etat » en est la personne morale redevable ;

3. le bénéficiaire doit être une personne physique , ce qui exclut les versements effectués par l'État en vue de financer les pensions à la charge d'autres personnes morales (cf. mission « Régimes sociaux et de retraite »).

Ainsi, les pensions ici retracées sont :

(au titre du programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité »)

1. les pensions du régime des pensions civiles et militaires de retraite 28 ( * ) ;

2. les allocations temporaires d'invalidité (ATI) ;

(au titre du programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'Etat »)

3. les opérations du fonds de pension des ouvriers des établissements industriels de l'État (FSPOEIE) ;

4. les opérations du fonds relatif aux rentes accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM) ;

(au titre du programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions »)

5. la retraite du combattant ;

6. les traitements attachés à la Légion d'honneur et à la médaille militaire ;

7. les pensions servies au titre du code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre (PMIVG) et les allocations rattachées ;

8. les opérations du régime des pensions d'Alsace-Lorraine ;

9. les allocations de reconnaissance des anciens supplétifs ;

10. les pensions des anciens agents du chemin de fer franco-éthiopien ;

11. les pensions servies au titre du régime d'indemnisation spécifique des sapeurs-pompiers volontaires ;

12. les pensions de l'ORTF.

En revanche, les versements qui ne constituent pas des engagements de l'Etat portant directement sur les pensions sont exclus du CAS « Pensions ». Il en va ainsi :

- des cotisations que l'Etat verse en tant qu'employeur à diverses caisses de retraite ou fonds au bénéfice de ses agents non titulaires (CNAVTS, IRCANTEC, ARRCO, AGIRC) ainsi qu'au régime additionnel institué sur les primes des fonctionnaires 29 ( * ) instauré par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, dues à des personnes morales ;

- des subventions versées par l'Etat à des régimes de retraite ou des régimes sociaux versant des pensions, qui transitent par la mission « Régimes spéciaux et de retraite ».

B. ...QUI NE PREND PAS EN COMPTE LES COÛTS DE GESTION

Les ressources humaines participant à la mise en oeuvre des actions du compte d'affectation spéciale, et plus globalement les coûts afférents à la gestion des pensions dont les systèmes d'information, ne sont pas retracés dans le CAS « Pensions ».

Cette non intégration résulte de l'application de l'article 20 de la loi organique relative aux lois de finances qui « interdit d'imputer directement à un compte spécial des dépenses résultant du paiement de traitements, salaires, indemnités et allocations de toute nature ». L'intégralité des dépenses relatives aux frais de personnel, qui représentent la partie la plus importante des frais de gestion, est donc de facto exclue du CAS pensions.

Les coûts de gestion et les objectifs de qualité de service du régime sont retracés dans l'action « Gestion des pensions » du programme « Gestion fiscale et financière de l'Etat et du secteur public local » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » du budget général. Ils sont donc identifiés et isolables, mais en dehors du périmètre du programme 741.

Ils couvrent essentiellement les frais de personnel du service des pensions , qui concède les pensions de retraite et d'invalidité ainsi que les allocations temporaires d'invalidité, et des 27 centres régionaux des pensions (CRP) , services déconcentrés de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) qui paient les pensions. L'ensemble constitué par le service des pensions et le réseau de la DGCP regroupe 1.119 ETPT prévus en 2008 dont 449 ETPT pour les services pensions.

Au total, l'action « Gestion des pensions » représente 68,1 millions d'euros en crédits de paiement pour 2008, dont 57,9 millions au titre 2. Ce montant est cependant loin de recouvrir l'intégralité des moyens humains dévolus aux pensions, car il ne tient pas compte des personnels consacrés à la préparation des dossiers de pension dans les différents ministères employeurs qui sont évalué à 1.800 ETPT.

En revanche, les dépenses de gestion des deux régimes de pension des ouvriers des établissements industriels de l'Etat (FSPOEIE et RATOCEM) sont rattachées au compte pour une lecture des coûts complets. Il s'agit cependant de dépenses d'intervention, correspondant aux frais de gestion de la Caisse des dépôts et consignations, qui ne sont donc pas exprimées en ETPT.

C. LA MODERNISATION À VENIR DE LA « CHAÎNE DE TRAITEMENT » DES PENSIONS

En application de l'article 58-2° de la LOLF, la Cour des comptes a réalisé, à la demande de votre commission des finances, sur une proposition de M. Thierry Foucaud, co-rapporteur spécial des missions « Pensions » et « Régimes sociaux et de retraite », une enquête sur « le service des pensions de l'Etat ».

Dans son rapport particulier d'avril 2003, la Cour des comptes avait critiqué la gestion des pensions de l'Etat en soulignant la lourdeur de son organisation et la déficience des systèmes d'information . Il s'agissait par cette enquête, quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi de 2003 portant réforme des retraites, de dresser le bilan des améliorations attendues dans la gestion administrative des pensions ainsi que dans le pilotage du nouveau compte d'affectation spéciale « Pensions » créé par la LOLF et mis en place en 2006.

Si elle relève les efforts accomplis, l'enquête juge la réforme « encore inaboutie » pour répondre aux défis lancés par la mise en oeuvre du droit à l'information sur les retraites et la création du compte individuel retraite (CIR) des agents de l'Etat. La Cour des comptes dénonce le « cloisonnement administratif tenace » entre les ministères employeurs, le service des pensions et le réseau du Trésor public . Elle estime que cet éclatement de la chaîne des pensions contribue à la dispersion persistante des responsabilités et au retard pris dans la rationalisation des systèmes d'information.

La Cour des comptes a formulé trois recommandations :

1) créer une autorité fonctionnelle unique et interministérielle chargée du pilotage de la chaîne des pensions et du compte d'affectation spéciale « Pensions » ;

2) reconfigurer le système de calcul et de concession des pensions autour du compte individuel retraite (CIR) ;

3) définir rapidement une stratégie d'ensemble fondée sur l'adaptation profonde des missions et du statut du service des pensions.

Il en ressort que des gains de productivité notables peuvent résulter de la rationalisation des systèmes d'information et de l'optimisation des ressources humaines. Ainsi, votre commission des finances 30 ( * ) a considéré que la gestion des pensions de l'Etat représentait un gisement d'économie de 1.200 emplois sur les quelque 3.000 emplois répartis entre le service des pensions, les ministères employeurs et le Trésor public. Le redéploiement pourrait concerner 300 ETPT pour ce qui concerne les emplois relevant de l'action « Gestion des pensions ».

La modernisation de la gestion des pensions est intégrée dans la démarche de réforme menée par le gouvernement dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dont les conclusions seront rendues en mars 2008.

D. LE BESOIN DE FINANCEMENT DES PENSIONS

Le 4 ème rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), présenté en janvier 2007, actualisait les projections effectuées dans les travaux précédents. Il statuait que « les nouvelles projections démographiques [...] ne remettent pas en cause l'estimation du besoin du financement du système de retraite à l'horizon 2020, tel qu'il a été présenté au Conseil en mars 2006 ».

Selon les résultats des projections réalisées en mars 2006, l'impact de la réforme des retraites d'août 2003 sur la situation financière des principaux régimes de base à l'horizon 2020 serait conforme à ce qui avait été annoncé lors de la préparation de la loi. De nouvelles projections seront produites par le COR d'ici décembre 2007.

S'agissant du régime des fonctionnaires de l'Etat, les différentes mesures mises en oeuvre réduiraient de 8,3 milliards d'euros le besoin de financement ; cette réduction atteindrait 3,9 milliards d'euros pour le régime des fonctionnaires des collectivités territoriales et hospitalières (CNRACL). La réforme a donc permis d'amortir les effets défavorables du choc démographique, globalement dans les proportions qui étaient attendues.

Cependant, les projections du COR - reprises par le rapport de M. Michel Pébereau de janvier 2006 - montrent que des besoins de financement importants subsistent. A taux de cotisations inchangés 31 ( * ) , le besoin de financement du régime des fonctionnaires de l'Etat devrait s'aggraver de 14 milliards d'euros entre 2000 et 2020 (36 milliards d'euros à l'horizon 2050), et celui de la CNRACL de 2 milliards d'euros (10 milliards d'euros en 2050).

Le tableau ci-dessous récapitule l'impact estimé de la première étape de la réforme des retraites.

(en milliards d'euros)

2003

État

CNRACL

Total

Solde technique 1 en 2020, avant réforme

-25,4

-4,4

-29,8

Solde technique en 2020, après réforme

-17,1

-0,5

-17,6

Impact de la réforme 2003

8,3

3,9

12,2

Solde élargi 2 en 2020, après réforme

-14,0

-2,0

-16,0

1 le solde technique est égal à la différence projetée entre cotisations (salarié+employeur) et prestations versées.

2 le solde élargi tient compte notamment des transferts de type compensations et des subventions.

Une actualisation des projections financières sera réalisée par le COR au 4 ème trimestre 2007, en fonction notamment des dernières hypothèses démographiques.

* 27 Le compte comprend ainsi les allocations temporaires d'invalidité (ATI) versées leurs cinq premières années (à l'issue desquelles elles peuvent être conférées à titre viager).

* 28 La réunion sur le même programme 741 des pensions civiles et de pensions militaires de retraite n'empêche pas de différentier le taux de la contribution employeur pour ces deux populations (infra).

* 29 Ce régime est alimenté par des cotisations fixées au taux de 10 % portant sur une assiette de primes plafonnées à 20 % du traitement indiciaire brut total. En 2005, le montant des cotisations versées doit s'établir à 1,5 milliard d'euros, dont la moitié est à la charge des employeurs publics (Etat, collectivités territoriales et hôpitaux).

* 30 Rapport n° 27 (2007-2008)

* 31 Un « taux de cotisation implicite » de l'Etat-employeur inchangé par rapport à sa valeur en 2000 est utilisé pour le calcul.