III. ... UNE ÉVOLUTION QUI S'ACCÉLÈRE

L'accélération de la marche vers la société de l'information résulte de plusieurs facteurs :

•  les chutes de prix à capacité constante en informatique,,

•  les progrès des logiciels de compression et la diversité des diffusions haut débit,

•  la dynamique Internet,

•  les dynamiques Intranet,

•  les percées technologiques prochaines dans certains domaines (écrans plats, reconnaissance vocale, etc...).

A. Des solutions haut débit en attendant la fibre optique ?

Des technologies encore expérimentales ou à l'état de projet, dont certaines ont déjà été évoquées dans ce rapport, pourraient, si elles s'avèrent performantes, hâter l'avènement de la société de l'information. Elles permettraient, en effet, de tester de nouveaux services en utilisant les moyens de transmission existants, donc en évitant les investissements très coûteux que nécessiterait une fibroptisation complète du réseau [18] . Elles offriraient aussi, en même temps, un moyen de décongestionner Internet au niveau de la "boucle locale" (partie terminale des réseaux) en y augmentant les débits.

Elles présentent un intérêt particulier pour des pays comme la France, où la pénétration du câble est faible (20,5 %). Il s'agit, essentiellement, de l'ADSL, du MMDS et de solutions satellitaires.

Les deux premières techniques (ADSL, MMDS) sont en cours d'expérimentation en France, mais ont déjà été testées, avec succès semble-t-il, aux États-Unis (dans un contexte qui n'est pas cependant nécessairement transposable dans notre pays).

Quant aux constellations de satellites d'échange de données, elles n'existent encore qu'à l'état de projet.

Des propositions de type télétexte avancé apparaissent également en ce moment [19] . Il est possible, enfin, de profiter de la multiplication des canaux, permise par le numérique en matière de diffusion par satellite et par câble, pour se contenter d'offrir aux téléspectateurs de la vidéo "quasi" à la demande [20] , beaucoup moins coûteuse que la "vraie" vidéo à la demande.

Ainsi, selon le rapport Breton, 85 % des téléservices ou services multimédias aujourd'hui imaginés peuvent techniquement emprunter les réseaux existants pour atteindre les foyers (mais leur degré d'interactivité est cependant réduit dans ce cas).

1. L'ADSL (Asymetric Digital Subscription Line)

L'ADSL est la variante la plus couramment utilisée d'un groupe de technologies dites DSL ( Digital Subscriber Line ) inventées par les laboratoires Bell à la fin des années quatre-vingt. Des modems analysent les fréquences inexploitées lors du transport de la voix [21] , qui sont utilisées pour transmettre, sur une paire de fils de cuivre traditionnelle, les données numériques de services audiovisuels ou télématiques.

Le débit obtenu, inversement proportionnel à la distance séparant le terminal du central téléphonique, atteint 1,5 Mbit pour moins de 5 km (ce qui correspond à 70 % des cas en France). Il devient ainsi possible d'acheminer par le réseau téléphonique de la vidéo à la demande ou, plus rapidement qu'auparavant, d'autres données véhiculées par Internet.

Débits pour une distance comprise entre 3,5 et 5 km

ADSL ( Asymetric bit rate DSL )

voie de diffusion : 1,5 Mbit/s (une paire) - 6 Mbit/s (plusieurs paires)

voie de retour : 16 kbit/s (une paire) - 64 kbit/s (plusieurs paires)

HDSL ( High bit rate DSL ) : jusqu'à 2 Mbit/s

VDSL ( Very high rate DSL ) : 3 Mbit/s sur deux paires

Alcatel s'est lancé dans cette technologie après en avoir acquis la licence et France Télécom a décidé de la tester dans le cadre du projet Camille (cuivre asymétrique intégré sur lignes locales existantes). Le succès de l'ADSL dépendra du prix des composants (assez complexes) et des modems (qui devraient coûter moins de 2500 F).

2. Le MMDS (Microwave Multiwave Distribution System)

Testées depuis longtemps aux États-Unis en analogique et déjà utilisées en transmission par France Télécom ("faisceaux hertziens" à 140 Mbits), les micro-ondes présentent de nombreux avantages potentiels pour la diffusion de données numériques : installation économique, débit élevé permettant de distribuer jusqu'à une centaine [22] de chaînes de télévision. La portée des émetteurs est inversement proportionnelle à la longueur d'ondes.

Les États-Unis et certains pays européens envisagent d'utiliser la bande de 2,5 Gigahertz (employée en France métropolitaine par la gendarmerie mais dans laquelle vont être effectués des tests dans l'île de la Réunion). Des expériences sont en cours ou envisagées notamment au Mans, dans la Vienne ou en Ariège, dans l'intervalle des 10 à 12 Gigahertz. Cette gamme de fréquences étant déjà mise à contribution pour la réception des émissions par satellite, offre ainsi l'avantage de permettre de recourir aux mêmes décodeurs (mais les antennes doivent être suffisamment sélectives).

Thomson Multimédia (qui a remporté aux États-Unis un important contrat dans le cadre du projet MMDS " Tele T.V. ") cherche pour sa part à exploiter la bande des 3,6/3,8 Gigahertz que TDF [23] serait prêt à lui concéder. Cette gamme de fréquences, elle, se prêterait à une utilisation des décodeurs des réseaux câblés mais nécessiterait de grandes antennes "en râteau".

Il est tout à fait envisageable, par ailleurs, de monter en fréquence pour aller dans la bande, vierge, des 20/40 Gigahertz qui intéresse plusieurs pays. Mais la portée des émetteurs serait, dans ce cas, beaucoup plus réduite (5 à 10 km), ce qui impliquerait une structure de réseaux cellulaire ainsi qu'une implantation en milieu urbain, donc une concurrence vis à vis des réseaux câblés.

C'est dans cette gamme d'hyperfréquences qu'est proposée une variante évoluée du MMDS, le LMDS offrant aux abonnés une véritable palette de services multimédias véritablement interactifs. Le LMDS comporterait, en effet, la voie de retour qui fait défaut au MMDS dont l'interactivité se limite à l'utilisation d'une voie téléphonique.

La loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, considère la transmission d'émissions télévisées par micro-ondes comme des infrastructures de télécommunication, autorisées par le ministre compétent (après accord du CSA pour certaines fréquences) et conçues comme une extension, réservée aux zones d'habitat dispersé, des réseaux câblés (qu'il n'est pas question de concurrencer).

La loi d'avril 1996, relative aux expérimentations dans le domaine des technologies et services d l'information, est venue assouplir ce régime.

Le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) peut, en effet, autoriser l'usage d'hyperfréquences sur des parties limitées du territoire, sans passer par un appel à candidatures, mais à condition qu'il ne soit pas porté préjudice à un réseau câblé existant.

Les opérateurs, candidats aux expérimentations concernées, se plaignent parfois néanmoins de certaines dispositions de cette loi, notamment celles qui prévoient :

•  le conventionnement par le CSA, un par un, de chacun des services de communication audiovisuelle composant les bouquets prévus,

•  l'application, même globalisée, des obligations de quotas et de contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle.

Les intéressés jugent ces contraintes lourdes et souhaiteraient, en ce qui concerne les contenus, être alignés sur le régime des cablo-opérateurs (le MMDS n'est-il pas appelé "câble hertzien" ?). Ces derniers s'estimant, pour leur part, victimes d'une discrimination par rapport aux chaînes télédiffusées directement par satellite.

La bande des 3,6/3,8 Gigahertz qui intéresse Thomson relève, de son côté, non du CSA mais de la DGPT (Direction générale des Postes et Télécommunications), au motif que sa réglementation toucherait au droit international [24] . Selon l'industriel, l'exploitation de cette gamme de fréquences est techniquement la plus avantageuse (zone de couverture étendue...) et la plus facile à mettre en œuvre (puissance limitée des émetteurs...). Thomson estime aussi que l'utilisation du MMDS diminue l'urgence de la numérisation de la télévision hertzienne terrestre dans les fréquences moins élevées actuelles (VHF et UHF).

Par sa souplesse, ses possibilités d'interconnexion, ses débits et son économie, le MMDS peut donc accélérer le déploiement des autoroutes de l'information. Il souffre cependant, en l'état actuel des techniques, d'un manque d'interactivité.

3. Les solutions satellitaires

Les principaux avantages des systèmes satellitaires tiennent :

•  à l'étendue de leur zone de couverture,

•  à la possibilité qu'ils offrent d'atteindre des populations non desservies par les réseaux terrestres (pays sous-équipés, zones d'habitat dispersé, individus isolés...).

En outre, le progrès technique permet aux satellites d'accéder aux services large bande et d'être utilisés pour les communications avec les mobiles [25] .

Jusqu'à présent, cependant, les liaisons par satellite étaient surtout de type point à multipoint ou alors n'offraient que de relativement faibles débits pour atteindre des personnes difficiles d'accès.

L'augmentation de la puissance embarquée et l'amélioration de la directivité des antennes ont permis des applications plus souples, plus variées et plus rentables, dont la télédiffusion directe (la télévision représente aujourd'hui 80 % environ du trafic des satellites). Mais les utilisations vraiment interactives [26• • • ] demeurent pour le moment minoritaires. C'est ce qui fait l'intérêt des nombreux projets de déploiement futur de constellations de satellites. Celles-ci permettraient en effet, de façon indépendante ou en liaison avec les infrastructures terrestres, des échanges de données variées, jusqu'à des débits relativement élevés, entre points fixes ou mobiles, à travers le monde entier.

Exemples de projets de constellations de satellites

1. Téléphonie mobile principalement

GLOBALSTAR (Loral, Alcatel)

48 satellites reliés aux réseaux terrestres - 1,8 milliards de $

Opérationnel en 1998

IRIDIUM (Motorola)

66 satellites interconnectés - 3,7 milliards de $

Opérationnel en 1998

2. Système multimédia

SATIVOD (Alcatel)

64 satellites transparents - 3 milliards ½ de $

débits variables (techniques ATM) jusqu'à 60 Mbit/s par terminal

Premier lancement en 2001.

TELEDESIC (Microsoft - Mc Caw)

840 satellites interconnectés

5,1 milliards de $ (satellites)

+ 2,2 milliards de $ (lancement)

+ 9 milliards de $ (R&D)

débit moyen (liaison Internet) : 1,5 Mbit/s

Opérationnel en 2002.

N.B. : La diminution de l'altitude de l'orbite diminue le temps et la puissance nécessaires à l'acheminement des communications mais aussi la zone de couverture d'où le recours à une multitude de satellites.

Il deviendra ainsi possible, par exemple :

•  de décongestionner Internet en désencombrant la " boucle locale " ;

•  de faciliter l'extension du réseau des réseaux dans les pays en développement ;

•  de le rendre accessible n'importe où à des ordinateurs portables.

C'est en tout cas l'ambition du plus audacieux de tous ces projets, celui de Craig Mac Caw et Bill Gates, qui repose cependant sur des paris financiers et technologiques risqués et ne semble pas encore très au point actuellement.

TELEDESIC : un pari risqué

Technologiquement : •  maîtrise de la commutation à bord

•  liaisons intersatellites hyperfréquences (1,24 Gigabit)

Financièrement : •  16,3 milliards de $ minimum ( cf. encadré précédent) selon une hypothèse très optimiste supposant des économies d'échelle importantes (le coût unitaire d'un satellite est estimé à 5,5 millions de $...)

Chronologiquement : •  lancement de 840 satellites en 2 ans (de 2000 à 2002)

N.B. : En outre, le logiciel n'est pas prêt et la technique de liaison intersatellite (onde radio ou rayon laser) n'a pas été choisie.

Selon The Economist (du 27 juillet 1996), le nombre très important de satellites (840) permettra à chacun d'entre eux de se concentrer sur un nombre d'usagers limités (dans un rayon d'action de 53 km) de façon à leur fournir des prestations satisfaisantes (capacité de 18 liaisons Internet simultanées à un débit de 1,5 Mbit/s).

La diversification de l'offre de technologies et la multiplication de projets qui viennent d'être décrits témoignent d'une sorte d'emballement du rythme de la marche vers la société de l'information.

L'explosion d'Internet en est une preuve plus éclatante encore.