D. Des percées décisives

De rapides progrès, déjà accomplis ou en cours, au niveau des équipements terminaux, accélèrent l'évolution des réseaux vers le multimédia. Quatre séries d'exemples en seront données qui concernent respectivement :

•  les modems RNIS et câble,

•  les processeurs,

•  les écrans,

•  la reconnaissance de la voix et de l'écriture.

1. Les modems

La rapidité avec laquelle ont été mis sur le marché des nouveaux modems à haut débit permettant d'accéder à Internet est un nouvel exemple des vitesses de réaction de l'industrie liée au numérique :

•  par le RNIS (modem Bitsufr de Motorola avec téléphonie et données simultanées ayant une capacité totale de 128 Kbit/s, quatre fois plus élevé que les modems précédents les plus performants ;

•  par les réseaux câblés (débits allant jusqu'à une dizaine de Megabit/s).

Time Warner, TCI et Comcast ont déjà commandé 500.000 de ces modems câbles, il y a un an, à Motorola et Hewlett-Packard. Zenith a sorti en même temps ses propres produits qui sont distribués en France par la SAT. Intel, considérant comme stratégique tout ce qui concourt à accroître la bande passante (car cela nécessite des processeurs plus puissants), compte travailler avec Hewlett-Packard dans ce domaine.

2. Les processeurs

Le développement du multimédia et sa diffusion dans le grand public dépendent, dans une large mesure, d'avancées dans le domaine des microprocesseurs. Actuellement, ces composants sont conçus selon deux types d'architecture :

•  l'une dite CISC ( Complex Instruction Set Computer ), complexe mais offrant une grande souplesse de programmation ;

•  l'autre appelée RISC ( Reduced Instruction Set Computer ) qui part du principe qu'un nombre d'instructions réduit suffit aux tâches les plus fréquentes, celles plus complexes pouvant être exécutées par logiciel.

A priori , l'architecture RISC permet une meilleure rapidité de traitement pour une consommation d'électricité réduite. C'est la raison pour laquelle elle a inspiré les premières puces pour terminaux Internet arrivées sur le marché (LSI Logic, Sun et Digital Semiconductor). Sun a, par ailleurs, proposé récemment des Java Processeurs destinés à accélérer l'exécution des applications programmées dans ce langage.

Mais les applications multimédia ne peuvent se contenter de microprocesseurs classiques, fussent-ils de plus en plus puissants, elles nécessitent des capacités de traitement très étendues et spécifiques (image, son, synchronisation des sources...).

De nouvelles puces, dites média processeurs ont donc été conçues [37] , leur architecture ressemble souvent à celle des processeurs numériques de signaux (DSP) qui exercent des fonctions semblables (traitement de signaux audio et vidéo). Elles sont appelées, dans un premier temps, à jouer le rôle de coprocesseurs dans les ordinateurs personnels. Mais d'autres terminaux peuvent être aussi visés (téléphone, visiophone, fax/modems, etc...).

Selon Business Week du 13 mai 1996, c'est vraiment une ère nouvelle qui est ainsi ouverte :

•  des fonctions logicielles de plus en plus sophistiquées seront intégrées dans des puces de plus en plus intelligentes ;

•  celles-ci migreront du P.C. vers des terminaux fixes ou mobiles de plus en plus variés (décodeurs de télévision câblée, ordinateurs de réseaux...) ;

•  le marché potentiel est énorme [38] et la compétition très ouverte. Le quasi monopole d'Intel (dont les processeurs équipent 80 % des ordinateurs), n'est plus assuré. Ce dernier, se sentant menacé, a d'ailleurs lancé un programme de développement sur plusieurs années baptisé NSP ( Native Signal Processing ) pour la conception de nouveaux processeurs destinés au multimédia et à la communication, mais demeurant, semble-t-il, dans l'univers P.C. d'IBM.

3. Les écrans

L'écran a toujours constitué un obstacle à la progression de l'ensemble des techniques numériques audiovisuelles. Au fur et à mesure que la définition de l'image s'enrichit, la profondeur du tube cathodique s'accroît qu'il s'agisse d'un écran de télévision ou d'ordinateurs, pour atteindre des dimensions rédhibitoires dans le cas d'un récepteur de TVHD.

Pour la mise au point tant attendue d'écrans plats, des progrès considérables ont déjà été accomplis en matière d'écrans à cristaux liquides. Ceux-ci équipent désormais les ordinateurs portables, les assistants numériques personnels ou les petits téléviseurs que l'on trouve dans les avions long courrier.

Ce marché représente actuellement 6 milliards de dollars. Il est entièrement dominé par les Japonais (notamment Sharp, NEC et Toshiba...). La technique employée ne convient cependant qu'à des écrans de taille réduite (moins de 30 cm de diagonale).

Des dimensions plus importantes pourraient être cependant atteintes par d'autres procédés à la mise au point desquels des firmes nippones consacrent des sommes très importantes : il s'agit des écrans à plasma dont la technique semble en voie d'être maîtrisée. Les coûts sont encore prohibitifs (8000 $ pour un poste d'un mètre de diagonale).

NEC a investi 230 millions de dollars dans la construction d'une usine de production d'écrans de ce type à Kagoshima (150.000 unités par mois devraient être fabriquées en l'an 2000).

Hitachi suit avec retard. Quant à Sony, il a parié sur une technologie mixte (à plasma et cristaux liquides) développée conjointement avec l'Américain Tektronix.

Une autre technique, rivale de celle à cristaux liquides, est explorée par la société française Pix-Tech. Il s'agit d'une variété d'écran à émission de champ [39] mise au point par le LETI (laboratoire du CEA). La cadence de production ne dépasse pas encore quelques dizaines d'unités par mois, et la dimension des écrans 20 cm de diagonale. L'idée est séduisante et le procédé intéresse des partenaires étrangers de gros calibre (comme Motorola et Texas Instrument...). Les structures financières de capital risque et de capital développement en France, et même en Europe, ne sont malheureusement ni assez dynamiques, ni assez puissantes pour que ce procédé puisse bénéficier du financement initial lui permettant de conquérir les marchés mondiaux. Les gouvernements devraient mieux prendre en compte ce point essentiel de leur métier : prévoir !

4. La reconnaissance de la voix et de l'écriture (selon Le Monde du 8 novembre 1995)

a) La voix

Microsoft se donne cinq ans pour mettre au point un logiciel capable de répondre aux ordres vocaux sans l'intermédiaire du clavier, ni de la souris. Le vocabulaire employé sera au début réduit, la reconnaissance de la parole n'étant utilisée que lorsqu'il est impossible de s'en passer (cas des chirurgiens qui dictent, dans leur langage technique, parce qu'ils ont les mains occupées lorsqu'ils sont en train d'opérer).

La reconnaissance du langage naturel et la dictée correspondante restent un objectif à moyen terme.

b) L'écriture

Les informaticiens s'attachent également à résoudre les problèmes de l'identification de l'écriture manuscrite qui suppose, non seulement de reconnaître les mots présents dans les textes, mais d'en comprendre le sens, compte tenu du contexte qui permet de lever les ambiguïtés.

c) Le dessin

En revanche, selon Nathan Myrhrvold, responsable de la recherche chez Microsoft, "la puissance des microprocesseurs progresse si vite que le dessin en trois dimensions va se trouver rapidement à la portée des ordinateurs personnels. D'ici cinq ans, précise-t-il, les ordinateurs familiaux seront capables de dessiner des dinosaures tels que ceux qui ont été créés à grands frais pour Jurassic Park" .

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Ce qui est le plus fascinant dans l'évolution accélérée des nouvelles techniques d'information et de communication, c'est leur aptitude à concilier les contraires :

unité , permise par la syntaxe commune du numérique et diversité des techniques et de leurs applications (Internet, fédérateur de réseaux et transporteur des contenus les plus variés en est une illustration éclatante...) ;

convivialité (encore perfectible mais en grand progrès) et complexité , pour y parvenir.

Une véritable course de vitesse est engagée entre les progrès des capacités des composants et ceux de l' intelligence nécessaire pour en tirer parti. Parfois, ce sont les composants qui sont en avance sur les logiciels (cas des nouvelles consoles de jeux vidéo à 64 bits) parfois, c'est l'inverse et les fonctions logicielles dont directement gravées dans le silicium.

Beaucoup de conquêtes récentes (langage hypertexte, technologie orientée et même langage Java ) correspondent à des concepts anciens qui deviennent brusquement réalité. La recherche ressemble ainsi parfois à une eau souterraine qui jaillit de façon imprévisible.

Grâce à ces acquis, les nouveaux médias sont devenus à la fois des mass media universels et des médias intelligents et personnalisés (car interactifs). Leur faim insatiable de contenus pourra ainsi être conciliée avec l'offre à l'usager de moyens de maîtriser le flot d'informations qui aurait pu le submerger. L'extraordinaire outil de communication entre les hommes est une ouverture vers le développement de groupes humains conviviaux pour lesquels la distance géographique ou la diversité sociale ou culturelle est abolie. Ceci est vrai depuis plus de vingt ans pour les scientifiques, familiers d'Internet, qui conversent chaque jour avec des partenaires ayant les mêmes pôles d'intérêt. C'est désormais possible pour tous.

La rapidité des changements en cours ouvre la possibilité de bouleversement de l'ordre établi. L'informatique du futur sera-t-elle "recentralisée", "réseau-centrique" ou davantage partagée entre des micro-ordinateurs, de plus en plus puissants, capables d'être à la fois clients et serveurs ? Sans doute les deux avec un progrès vers la convivialité. Tout reste ouvert : certains terminaux (ordinateur de réseau, P.C. multimédia, P.C.-T.V. ...) et des puces de plus en plus intelligentes susceptibles d'être implantées dans toutes sortes d'appareils.

Les enjeux de ces évolutions sont considérables et les gains potentiels énormes. Rien n'est jamais acquis, mais rien n'est jamais définitivement perdu non plus.

Pour profiter des nouvelles donnes possibles, il faut faire preuve de détermination, d'audace, de mobilité et de clairvoyance stratégique.

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