C. Des acteurs souvent en difficulté

1. Le contexte général

Les délais nécessaires à la constitution d'un marché européen réellement unique et ouvert à la concurrence ont évidemment désavantagé les industries européennes par rapport à leurs rivales américaines ou japonaises.

Presque toujours la conquête de positions internationales favorables suppose de solides bases nationales ou régionales. S'agissant des acteurs des différents États membres de la Communauté, de telles "bases arrières" ne peuvent être qu'européennes, étant donnée l'étroitesse des marchés nationaux.

Dans un ouvrage intitulé Les 100 technologies clés pour l'industrie française , la Direction générale des stratégies industrielles estime que l'Europe souffre de plusieurs handicaps dans la compétition internationale, en matière de technologies de l'information:

•  un manque de cohésion des acteurs,

•  des coûts sociaux élevés (notamment par rapport aux pays asiatiques),

•  un développement international tardif et trop faible, alors que de nombreuses sociétés européennes sont sous contrôle étranger.

Enfin, les industriels européens ont toujours rencontré des problèmes pour transformer leurs avancées technologiques en produits industriels, puis en succès commerciaux. Il semble que s'y ajoutent des difficultés à produire, en gros volumes et avec de faibles marges, des biens de technologie évoluée. Or, cela devient un impératif, imposé par la concurrence, dans presque tous les domaines (électronique grand public, micro-ordinateurs...).

En résumé, le ministère de l'Industrie constate que "les technologies de l'information et de la communication apparaissent comme une zone de faiblesse majeure, tant de l'Europe que de la France, sur le plan industriel comme sur le plan scientifique (...) le décalage entre les positions scientifiques et industrielles étant particulièrement marqué" .

On constate :

•  une interdépendance croissante entre industries situées en amont (biens d'équipements professionnels) et en aval de la filière (différents terminaux) et industries transversales (composants et logiciels) ;

•  une diffusion de masse de ces technologies devenues, à la fois génériques et applicatives, dans l'ensemble des secteurs de l'économie ;

•  enfin, une importance stratégique de plus en plus affirmée de la Recherche et Développement.

2. L'informatique en posture délicate

a) Une importance majeure

Comme ce rapport l'a déjà démontré, l'informatique joue, avec les composants qui y sont de plus en plus liés, un rôle majeur dans la transformation rapide des techniques de l'information. Les logiciels sont le facteur déterminant de la maîtrise de la complexité des matériels et des réseaux.

Les ordinateurs sont partout : dans les nœuds (routeurs) et à la commande des réseaux intelligents, au cœur de la fourniture des informations (serveurs), comme instruments de travail ou de communication des entreprises, enfin pour offrir aux particuliers des loisirs interactifs.

L'informatique directement présente dans tous les terminaux, les transforme, les décline en toute une gamme de produits portables ou fixes, personnels ou familiaux.

b) De rares points forts dans les logiciels

Dans le domaine du logiciel , l'Europe et la France possèdent un certain potentiel (voir plus loin). Cependant, la France n'est en position de force, selon le tableau suivant, que dans quatre secteurs : algorithmes de compression de données (image et/ou son), architecture massivement parallèle, ingénierie linguistique et reconnaissance de la parole :


Position scientifique Position industrielle
France Europe France Europe
Algorithmes de compression moyenne moyenne forte moyenne
Architectures massivement parallèles forte moyenne faible faible
Ingénierie linguistique forte forte moyenne faible
Reconnaissance de la parole forte moyenne faible faible

Source : Ministère de l'Industrie

Le décalage entre la position scientifique et la position industrielle de notre pays est toutefois préoccupant, dans la mesure où :

•  à une position scientifique forte ne correspond qu'une position industrielle moyenne (ingénierie linguistique) ou même, carrément faible (architectures massivement parallèles, reconnaissance de la parole) ;

•  notre avance dans la mise en œuvre industrielle d'algorithmes de compression pourrait être remise en cause par une position scientifique seulement moyenne.

Des faiblesses inquiétantes peuvent, en outre, être déplorées dans des technologies importantes, émergentes ou croissantes, telles que :

•  l'architecture client-serveur,

•  le middleware (connexion de machines et/ou d'applications différentes), sur le plan scientifique,

•  les images de synthèse,

•  les interfaces métaphoriques, essentielles en ce qu'elles sont destinées aux utilisateurs non spécialistes de l'informatique,

•  le génie logiciel (programmation), sur le plan scientifique,

•  la sécurité pour systèmes transactionnels,

•  les serveurs vidéo (où nous sommes inexistants),

•  ou les agents intelligents.

Dans d'autres secteurs d'avenir tels que la programmation orientée objet, la reconnaissance des formes (écriture) ou les navigateurs, notre situation n'est que moyenne.

On est effaré de constater que, loin de constituer une priorité, ce secteur clef et stratégique est, en matière de budget recherche, nettement moins bien traité que beaucoup d'autres, alors que les faibles montants de financement attribués, par exemple à l'INRIA, pourraient sans dommage majeur être doublés, quitte à prévoir des conversions d'équipes de fonctionnaires ailleurs.

De même, à la suite de la modification de structure de France Télécom, l'inquiétude concernant la recherche fondamentale en logiciels de base, jusqu'à présent réalisée par le CNET, constitue une question non résolue, car les moyens de recherche affectés aux écoles d'ingénieurs compétentes en la matière stagnent.

c) Les déboires de l'industrie des équipements

Bien évidemment, il est difficile de briller dans le logiciel lorsque la situation de l' industrie des équipements informatiques est ce qu'elle est en Europe. La dissociation en 1976 du consortium européen Unidata (CII, Siemens et Philips), pour constituer "une grande entreprise informatique française", a sonné le glas des espoirs d'unification européenne dans ce domaine. On en connaît les responsables.

La position trop protégé de CII n'a pas favorisé son dynamisme.

La nationalisation de facto de CII-Honeywell Bull par suite de celle de l'actionnaire majoritaire Saint-Gobain en 1982, a été suivie d'opérations presque toutes malvenues, mal préparées, ou ne tenant pas compte des nouvelles donnes du marché.

Certes, il est facile a posteriori de critiquer. Mais ainsi, au début de la création de Sun, les missions de l'École des Mines, de l'INRIA et de Bull se sont rencontrées dans la Silicon Valley . L'opinion des ingénieurs de Bull était que les stations de travail de Sun étaient un amusement de scientifiques sans aucun avenir, alors que les scientifiques de l'INRIA et de l'École des Mines présents leur en vantaient les mérites et suggéraient l'achat de Sun par Bull. On connaît aujourd'hui la suite et la valeur de Sun Microsystem. Le tournant vers la micro-informatique n'a pas été pris à temps. Or, c'est le marché le plus fort.


Progression des ventes mondiales d'ordinateurs personnels
1993 + 19 %
1994 + 23 %
1995 + 22,1 %

Selon Dataquest, le marché devrait continuer à s'accroître de 17 % en moyenne jusqu'en l'an 2000. Le groupe français, qui doit être prochainement privatisé, devrait en retirer quelques dividendes à travers sa participation de 20 % dans le capital de Packard Bell, auquel il a cédé ZDS.

En attendant, les déconfitures européennes dans la micro-informatique, devenue une industrie de gros volumes et de faibles marges, se multiplient :

•  la société allemande ESCOM a été placée en règlement judiciaire en juillet 1996,

•  Olivetti cherche et n'a, à ce jour, semble-t-il, pas encore trouvé un repreneur pour son activité d'ordinateurs personnels et pourrait se recentrer sur les télécommunications.

Les perspectives de croissance des ventes semblent pourtant particulièrement bonnes dans ce secteur, en Europe, le taux de pénétration des P.C. y étant encore relativement faible, par comparaison avec les États-Unis (moins de 15 % contre plus de 30 % dans les foyers).

d) Les problèmes des sociétés de services

Jadis considérées comme un des fleurons de l'informatique française, nos SSII (sociétés de service et d'ingénierie informatique) se trouvent, elles aussi, dans une situation difficile. La France, où il y a pléthore de telles sociétés, est le seul pays d'Europe ou ce secteur n'ait pas encore été restructuré. Résultat :

•  déjà cinq des douze premières sociétés de services informatiques sur le marché français sont américaines,

•  beaucoup de sociétés françaises sont à vendre ou à la recherche de nouveaux partenaires (les actionnaires fondateurs cherchant à se retirer faute de pouvoir répondre, notamment, aux augmentations de capital nécessaires).

L'internationalisation et l'industrialisation des prestations des SSII françaises sont insuffisantes. Basée sur l'infogérance, les services informatiques, l'ingénierie (intégration de systèmes, l'offre de progiciels (logiciels standard), l'activité de ces sociétés, à l'origine proches des grands constructeurs, a beaucoup évolué. La concurrence s'intensifie. L'ère de la croissance facile est terminée, la rentabilité est en baisse. Pour poursuivre leur développement, les SSII doivent :

•  trouver de nouveaux actionnaires, se restructurer et s'internationaliser,

•  à la fois industrialiser les offres et en concevoir de plus spécialisées,

•  adopter une vraie démarche commerciale.

Mais elles sont handicapées par une situation française médiocre, marquée par :

•  un sous-investissement global en informatique : en 1995, 1,67 % du PIB, contre 2,8 % aux États-Unis, 2,35 % en Grande Bretagne, 1,72 % en Allemagne ;

•  une croissance moyenne du secteur des logiciels (de l'ordre de 4 à 5 %) au lieu de + 15 % au Royaume Uni et + 10 % Outre Rhin ;

•  un développement de l'infogérance moins rapide qu'à l'étranger : + 12 à 13 %, contre + 40 % en Grande Bretagne et plus de 25 % en Allemagne.

Concernant l'intégration de systèmes, les SSII françaises, à l'exception de Cap Gémini et de quelques autres, n'ont pas suivi le rythme du développement des Intranet d'entreprises. (Elles pourraient pourtant y jouer aussi un rôle important dans les services correspondants : maintenance des serveurs web .)

3. Un recul dans les télécommunications

a) Les résultats décevants des industries d'équipements

Avec en particulier Alcatel et Siemens, les télécommunications demeurent l'un des principaux points forts de l'Europe dans le domaine des technologies de l'information. Mais Alcatel doit s'adapter aux mutations de ce secteur. Il faut :

•  traiter non plus seulement avec des opérateurs publics en situation de monopole, mais aussi avec des clients privés en compétition, y compris en ce qui concerne les infrastructures de réseaux ;

•  suivre les évolutions très rapides du multimédia ;

•  acquérir des compétences logicielles face à des concurrents venus de l'informatique (spécialistes de l'interconnexion de réseaux).

Numéro un mondial incontesté au début des années quatre-vingt-dix, Alcatel s'est fait dépasser par AT & T et Motorola, après avoir subi une stagnation de son chiffre d'affaires pendant deux ans, puis de lourdes pertes en 1995 [40] . Il n'a pas su, semble-t-il, tirer parti de l'explosion de la téléphonie mobile comme certains de ses concurrents (se contentant d'une modeste part de marché de 10 %, deux fois moins élevée que sa performance globale tous secteurs confondus).

Il lui faut se positionner rapidement, non seulement sur le marché émergent des terminaisons des réseaux multimédia, mais aussi sur celui de la commutation ATM. C'est d'ailleurs son objectif. Il s'intéresse par ailleurs, on l'a vu, aux transmissions de données mondiales par satellite (projets Globalstar et Sativod ).

Le numéro deux français des télécommunications, le groupe SAGEM, a affiché un résultat négatif pour le premier semestre de 1996 (- 4,8 %) après une progression, cependant, de 11 % en 1995. Sa stratégie est très axée sur les réseaux et sur certains terminaux. (C'est le n° 1 des constructeurs de télécopieurs en Europe.)

Matra communication, déficitaire en 1995 (en raison de mauvais résultats de sa filiale allemande), qui se classe au troisième rang français, est également impliqué dans les réseaux et communications d'entreprises.

Les sujets de préoccupation pour l'avenir paraissent être :

•  le dynamisme de la concurrence américaine et son rythme d'innovation technologique,

•  une certaine faiblesse :


· dans l'ingénierie logicielle des réseaux (accès et transmissions) dont le marché devrait être supérieur en 2000 à celui de la commutation,


· dans l'offre française actuelle d'équipements ATM (dont les ventes, en pleine expansion, devraient passer de 525 millions de dollars en 1995 à 4 milliards en 2000).

Siemens, pour sa part, a déjà conçu des autocommutateurs ATM et conclu, pour les utiliser, une alliance avec la société canadienne, Newbridge, spécialiste de l'interconnexion de réseaux locaux.

Il semble enfin que la France ait pris un certain retard sur l'Allemagne dans la conclusion d'alliances [41• • ] destinées à l'exploitation commerciale des réseaux de télécommunication dits "alternatifs" (ceux des compagnies de chemins de fer et d'autoroutes, d'EDF, etc...).

Siemens prévoit, néanmoins, une stagnation de son chiffre d'affaires en 1997 après des résultats satisfaisants en 1995/1996), son développement à l'étranger ne suffisant pas à compenser la faiblesse de l'activité intérieure, consécutive à la retombée de l'impulsion résultant de la réunification.

b) Des perspectives d'investissement en baisse chez les opérateurs

Comme cela a déjà été souligné, France Télécom privilégie son désendettement, dans la perspective de sa privatisation partielle (l'État devant rester majoritairement dans son capital) et de son entrée en bourse en 1997. Comme le groupe ne peut pas réduire ses effectifs, il joue sur les investissements qui ont reculé en 1995 (30,4 milliards de francs contre 32,4 milliards un an plus tôt). Il bénéficie cependant de la baisse du prix de certains équipements et d'un réseau déjà entièrement numérisé. Il pourra bientôt faire appel aux actionnaires privés et, enfin, augmenter les tarifs d'abonnement, trop faibles.

Tout aussi, voire plus préoccupant encore, apparaît le risque d'un désengagement de l'opérateur national en matière [42] de recherche de base. Certes, France Télécom, qui se situe aux sommets européens en la matière, est tout à fait conscient du caractère stratégique et prioritaire de la recherche. Il la voudrait cependant plus réactive et tournée vers le client, ainsi que centrée sur la conception des architectures de réseaux.

Qui prendra en charge la recherche plus en amont, notamment dans les domaines des mathématiques appliquées, l'informatique réseau des télécommunications large bande par satellite et mobiles, de l'optoélectronique, de la physique du solide pour composants ?

France Télécom sera concurrencé, sur le marché français, par la Compagnie générale des Eaux, alliée à Mannesmann, British Telecom et l'américain SBC (Cegetel) en attendant la constitution éventuelle d'un troisième pôle [43] , souhaitée par le ministre des Télécommunications, François Fillon.

Ces divers pôles peuvent s'appuyer sur des infrastructures déjà existantes (outre celles des cablo-opérateurs, citons la SNCF, les sociétés d'autoroutes, EDF-GDF). Les concurrents américains ATT, mais aussi les Nynex, Bell Atlantic, Ameritech ne manqueront pas d'être présents en Europe.

British Telecom, auquel la fusion avec MCI ouvre les marchés américains et asiatiques, et qui continue à contrôler 85 % du marché britannique, a développé en Europe une stratégie d'alliances qui lui permet d'encercler littéralement l'axe franco-allemand constitué par France Télécom et Deutsche Telekom. Ces derniers ont surtout misé sur leur alliance avec Sprint, qui fait bonne figure aux États-Unis actuellement.

L'opérateur allemand, en situation de sureffectifs et devant gérer l'après-réunification, n'est pas en situation facile. Quant à France Télécom, il semble que si les textes récemment adoptés (relatifs à son statut et à la réglementation des télécommunications), lui imposent, au titre du service public et de l'aménagement du territoire, des obligations contraignantes, elles seront compensées par une participation de ses concurrents.

4. Les mécomptes de l'Électronique Grand Public

Comme la micro-informatique, l'électronique grand public est devenue un secteur difficile. Sauf à monter en gamme, gros volumes et faibles moyens doivent être conciliés (la concurrence asiatique excelle dans cet exercice...).

Pourtant, les industriels français auront su compenser, en 1995, un recul de 4 % du marché national par une progression de 16 % de leurs exportations et le résultat net d'exploitation de Thomson, redevenu positif depuis 1993, le sera resté (+ 350 millions de francs).

Évolution du marché français

de l'électronique grand public en 1995

1. Téléviseurs : montée en gamme

•  Son stéréo Nicam + 35 %

•  16/9 + 55 %

2. Nouveaux produits

•  micro-ordinateurs et consoles de jeux + 63 %

•  nouveaux terminaux de télécom + 35 %

3. Déclin des produits traditionnels (en valeur)

•  T.V. - 3 %

•  Magnétoscopes - 9 %

4. Percée de Sony

•  Ventes sur le marché européen 16 % de parts de marché (n° 1)

•  Progression en France + 25 %

L'année 1996, cependant, paraît sous de moins bons auspices pour l'Europe comme pour la France.

En juillet 1996, Nokia s'est désengagé de la production de téléviseurs, activité qu'il a cédée, en même temps que ses marques et ses réseaux de distribution, au groupe de Hongkong, Semi-Tech.

Philips, en difficultés (l'exercice 1996 risque de se solder par un déficit), poursuit la restructuration de sa branche audiovisuelle, marquée par de nombreux licenciements, des fermetures de sites, et une montée en gamme dans le domaine des téléviseurs (voir plus haut web et Internet T.V.).

Pour sa part, Thomson multimédia, numéro quatre mondial derrière Sony, Matsushita et Philips, a affiché une perte nette de 2,8 milliards de francs à l'issue du premier semestre 1996. Sa dette est de 14 milliards. La valeur de l'entreprise (voir plus loin) ne doit cependant pas être uniquement appréciée à l'aune de ces mauvais résultats. Comme dans le cas d'Alcatel, la perte nette du premier semestre s'explique pour moitié par des provisions pour restructuration. La dette, elle résulte, en grande partie, d'opérations de croissance externes (rachat de RCA aux États-Unis), son statut d'entreprise publique ayant empêché l'entreprise de procéder à des augmentations de capital, tandis que l'État ne jouait pas son rôle d'actionnaire.

Par rapport à Philips et à Sony, présents dans les consoles de jeux, le radiotéléphone, la micro-informatique et l'industrie du contenu, la stratégie de Thomson est cependant peut-être trop centrée sur le téléviseur. Le groupe français n'a sans doute pas les moyens de se diversifier actuellement. Pourtant il dispose d'atouts clés dans ce domaine, dans la perspective du développement de la télévision numérique.

Si Thomson multimédia devait être vendu à un groupe asiatique (on ne voit pas de quel autre continent pourrait venir un repreneur éventuel, à moins de trouver une solution partiellement française ou communautaire), Philips demeurerait le seul groupe européen encore indépendant.

5. Une masse critique difficile à atteindre dans les composants

Concernant les composants au sens large, l'Europe est assez largement distancée par le Japon dans les écrans plats (voir plus haut). Elle s'est mobilisée dans le cadre du programme Eurêka Jessi pour rester présente dans le secteur des semi-conducteurs.

A la fin de 1994, un rapport présenté au nom de l'Office par le sénateur Charles Descours avait constaté une diminution des parts de l'Europe, au profit de celles des États-Unis et de l'Asie, non seulement dans le marché mondial mais, pis encore, sur son propre marché.

Malgré le succès de Jessi qui a permis de "limiter les dégâts" (son vice-président, Guy Dumas, déclarait en avril 1996 que "l'Europe n'a pas encore retrouvé sa place sur la scène mondiale" , le marché européen continue certes de représenter environ 1/5e d'un marché mondial d'à peu près 150 milliards de dollars en 1996 mais, selon Le Monde du 29 novembre 1996, les trois principaux européens Philips, Siemens et SGS Thomson ne couvrent que 7 % de ce total.

La domination américaine est totale dans le segment stratégique des microprocesseurs (le cœur des micro-ordinateurs et de la gamme des futurs terminaux multimédia) dont la demande devrait augmenter de 18 % par an jusqu'à l'an 2000.

Intel (75 % du marché mondial) investit environ un milliard de dollars par an dans la R & D et devrait consacrer, en commun avec Hewlett Packard, 3 milliards de dollars à la mise au point d'une puce conçue selon une toute nouvelle technologie [44] . En outre, le coût de la construction d'une unité de production double tous les trois ans [45] . Il semble être difficilement à la portée d'industries françaises souvent sous capitalisées et que leurs mauvais résultats ou la morosité de la conjoncture dissuadent d'investir. SGS-Thomson tire toutefois, dans ce contexte, remarquablement son épingle du jeu grâce à une stratégie adaptée (voir plus loin).

Mais quels nouveaux actionnaires remplaceront Thomson-CSF, France Télécom et CEA Industrie si ceux-ci viennent à se dégager du capital du groupe franco-italien ? Les synergies actuelles seront-elles maintenues avec Thomson Multimédia, lorsque ce dernier aura été privatisé ?

6. Des inquiétudes concernant la recherche

a) Toujours dans le secteur des composants , un nouveau programme Eurêka, dénommé Médéa , doit venir relayer le programme Jessi . Les priorités en paraissent bien orientées (voir plus loin). Mais les dépenses correspondantes permettront-elles de relever les défis, notamment ceux de la concurrence américaine ?

On peut s'inquiéter, de ce point de vue, d'un certain retrait, voire d'un désengagement total, de France Télécom de la recherche fondamentale dans ce secteur. Or, le Centre Norbert Segard de Grenoble dépendant du CNET (Centre national d'études des Télécommunications) joue actuellement un rôle clé, au côté du LETI du CEA, dans la recherche française en micro-électronique [46] .

b) Autre sujet d'inquiétude, les faiblesses de l'industrie française et européenne du logiciel , y compris sur le plan scientifique, ont déjà été soulignées dans ce rapport.

c) Enfin, d'un point de vue plus général, on se doit de signaler qu'un Panorama de l'industrie , publié par la Commission de Bruxelles, a fait état, dernièrement, d'une détérioration de la part de brevets détenue par des pays de l'Union européenne dans tous les secteurs, à l'exception des transports et du secteur aérospatial, particulièrement dans l'électronique où les positions de l'Europe étaient déjà faibles.