7. DIVERSITÉ DE CONCEPTIONS CITOYENNES

• Pour M. J.-C. COIFFET [142] , universitaire, la citoyenneté est une conquête sur les lois des hommes, sur celles des religions ou, aujourd'hui, sur celles du marché. L'ancrage se fait dans des lois humanistes qui ne se plient ni aux lois divines (les religions), ni aux lois diaboliques (de l'économie, des financiers, du marché). " Je ne suis ni diable ni dieu, mais athée ".

Le citoyen doit refuser d'être traité comme consommateur, comme usager : il a un engagement civique.

Devant la mondialisation, il ne doit pas s'effrayer ; il doit maintenir sa revendication et son action comme citoyen dans la cité, exercer une citoyenneté de proximité.

Il doit exiger des lois humanistes qui constitueront les règles permettant de s'opposer aux volontés d'une nouvelle religion, qui a ses grands prêtres qui savent organiser la prébende en leurs faveurs : elles s'appellent la main invisible, les règles déclarées indiscutables du marché, de l'économie, de la productivité, des bénéfices pour les uns, du travail et de la soumission à ces règles pour les autres. Il ne faut pas céder à la loi économique, il ne faut pas accepter de s'agenouiller devant le moloch économique, il faut s'y opposer par des lois humaines.

Voter c'est refuser la machine. Être citoyen, ce n'est pas seulement être électeur, exprimer sa volonté politique, c'est aussi exister dans d'autres communautés, associatives notamment, mais également dans l'entreprise, partout où l'homme doit revendiquer d'être considéré comme tel.

Aujourd'hui intervient une disparition, celle de la nation, d'où un retour devant un phénomène massif et la création d'un pouvoir mondial occulte. Il faut devenir ou redevenir un citoyen, refuser ce qui serait une fatalité de lois dites naturelles, retrouver le pouvoir du verbe, de la parole ayant un sens politique, réclamer, construire une démocratie de participation et non de délégation, et donc une participation de proximité ; écartelé entre une nouvelle et nécessaire citoyenneté mondiale et une citoyenneté de proximité à réorganiser, il faut éviter le repli associatif, réclamer une citoyenneté polyvalente, politique, culturelle, sociale, économique " ancrée dans une terre qui a une mémoire, une histoire qu'on ne saurait négliger ou violenter. "

• Pour M. Philippe HERZOG, député européen, le citoyen ne doit pas se limiter à une résistance, il doit reconstruire, dans des cadres nouveaux, ou des contenus nouveaux dans des cadres anciens ; il s'agit d'une reconquête dans le cadre de la commune et des nouvelles structures extra-communales (syndicats, communauté, etc.) et en même temps d'une conquête dans le cadre européen : c'est là le défi européen par excellence.

Les NTIC sont peut-être le facteur essentiel d'une communication permettant une meilleure information, la création de solidarité d'objectifs sur le plan européen, mondial. S'emparer des réseaux pour créer une fraternité des expériences. Faire appel à l'intelligence humaine pour mieux utiliser les machines. Éviter d'opposer nation et Europe.

Mais la démocratie est en échec ; échec des modèles de nos politiques culturelles, sociales comme économiques du fait d'une conception du pouvoir par délégation.

La décentralisation peut être un bien face à la mondialisation ; être attentif aux réformes institutionnelles et réclamer une démocratie de participation.

• M. Jean GLAVANY (député, vice-président de l'Assemblée nationale) s'interroge : la mondialisation peut-elle être une belle promesse au moment où nous perdons nos repères, ceux de nos frontières ? Celle de la frontière communale qui se dilue dans des structures intercommunales, celles du canton qui se perd dans les arrondissements de ville qui n'ont rien à voir avec le canton rural, celles des départements qui se diluent dans les régions, celles de la nation qui éclatent dans l'Europe, des Six, Douze, Quinze ou plus ? Et demain dans le mondial.

La mondialisation ouvre sur des découvertes, des notions différentes de salaire, etc. Elle élargit notre horizon, permet des comparaisons, des progrès de connaissances, mais amène la dérégulation, la délocalisation.

Quelle peut-être la dimension de mon jardin ? Où se limite mon horizon ? Quelle frontière pour trouver mes repères ? Comment donner un sens à notre concept républicain et ne pas le soumettre au concept européen et encore moins mondial ? Comment lutter contre les cauchemars des Français et se sentir aussi proches entre citoyens de l'Aveyron et du Pas-de-Calais qu'avec ceux d'Irlande ou d'Australie ? Comment devenir citoyen du monde ?

- Rôle premier essentiel, l'éducation et la formation des hommes ;

- rôle aussi de la laïcité devant le retour des religions ;

- rôle de la notion de responsabilité au moment où elle se dilue dans des structures non participatives et non élues au suffrage universel;

- créer une démocratie vivante, de participation et d'arbitrage.

• Pour M. Claude JULIEN (président de la Ligne de l'enseignement), le citoyen ne subit pas, il porte un jugement aussi éclairé que possible. Comment trouver le lien entre les lieux où nous pouvons agir et dans des cadres nouveaux (citoyen local-citoyen mondial). Ne pas abandonner, ne pas céder, échapper, au local, aux extrémistes de tout poil.

Comme le souligne Claude JULIEN [143] , les représentants du peuple passent à l'action quand le peuple les y contraint : tel est le sens même de la démocratie. " Nous ne sommes même pas de simples électeurs, périodiquement convoqués aux urnes et, entre temps, priés de se tenir tranquilles. Nous sommes des citoyens, douze mois sur douze, par nos actions d'éveil, d'information, de formation, de mobilisation sur les grands problèmes, chacun de nous deviendra plus pleinement citoyen et rendra contagieux le goût d'assumer le devoir de solidarité seul capable d'imposer le respect de nos droits de citoyens, à la fois pour nous-mêmes et, plus encore, pour le service d'une conception exigeante de la République ".

•  M. Albert DESSERPRIT évoque un changement de mentalités [144] : " Nous sommes actuellement confrontés à deux visions de ce qu'est un citoyen.

" La première considère que le citoyen est quelqu'un qui bénéficie de droits lui permettant de vivre sa vie personnelle et familiale en toute liberté et quiétude. Pour répondre à ses besoins de formation, santé, justice, sécurité, emploi, etc., il choisit des hommes et des femmes qu'il contrôle et sanctionne au terme de leur mandat. Mais dans l'entre-deux chacun conduit ses affaires (vie privée ou vie publique) quasi séparément.

" L'autre tendance considère qu'est citoyen celui qui prend sa part de responsabilité dans la gestion de la cité ; il s'engage au service des autres, est solidaire et actif en vue de parvenir à une certaine réalisation du bien public.

" La première tendance est plus " libérale " et marquée par la liberté de l'individu et l'importance de la vie privée ; la seconde est plus " sociale " et soucieuse de la dimension communautaire et responsable de l'homme.

" L'élévation du niveau des études est sans doute un des facteurs importants qui fait que le citoyen n'entend plus se contenter d'élire des représentants. Il veut participer à l'élaboration des décisions. Le mouvement des internes à propos de la réforme de la Sécurité sociale voulait peut-être aussi dire cela ; au-delà d'intérêts catégoriels, il exprimait les réactions d'acteurs importants du système de santé laissés pour compte et manifestait une demande profonde de légitime participation.

" Nous sommes dans une situation où co-existent sans cohabiter deux conceptions de la citoyenneté, donc de la démocratie ; l'une représentative, l'autre participative. "

A. et H. TOFFLER [145] , évoquent les possibilités d'expressions démocratiques supplémentaires, offertes par le développement et l'utilisation des NTIC :

" Dans le monde dangereux qui est aujourd'hui le nôtre, on ne peut se permettre de déléguer le pouvoir absolu à personne, on ne peut même renoncer à la modeste influence qu'exerce le peuple dans les systèmes où règne la règle majoritaire, on ne peut laisser des minorités groupusculaires prendre des décisions de grande envergure qui tyranniseraient d'autres minorités… Nous avons besoin d'approches nouvelles adaptées à une démocratie des minorités, de techniques visant à révéler les différences au lieu de les écraser sous le poids de majorités de commandes ou de majorités postiches reposant sur la limitation des droits électoraux… Il nous faut une modernisation du système dans son intégralité afin de renforcer le rôle des différentes minorités tout en leur donnant la possibilité de constituer des majorités… " (p. 137)

" La seconde pierre de l'architecture politique de demain est le principe de la démocratie semi-directe : nous nous substituerons à nos représentants. " (p. 139)

" Les progrès spectaculaires de la technologie des télécommunications ouvrent pour la première fois une extraordinaire panoplie de moyens en matière de participation directe des citoyens à la décision politique. " (p. 143)

" Le troisième principe vital de la politique de demain aura pour objet de faire sauter le verrou de la décision et de le transférer là où il convient… pas simplement un changement de dirigeants… mais un remède que nous appelons la division de la décision. " (p. 145)

" Les élites les plus éclairées ne peuvent pas, à elles seules, bâtir une nouvelle civilisation ; pour cela, il faut les énergies des peuples entiers… Si nous fixons explicitement pour objectif à la prochaine génération la création d'institutions et de Constitutions résolument nouvelles… peut-être libérerons-nous l'imagination collective… plus tôt nous commencerons à jeter l'ébauche d'institutions politiques nouvelles fondées sur trois principes - pouvoir des minorités, démocratie semi-directe, division de la décision - plus les chances d'une transition pacifique seront grandes. " (p. 155)