2. Les limites probables de la séparation et de la transmutation et le dilemme transmutation-stockage

La transmutation se présente comme la solution idéale en matière de gestion des déchets. Il s'agit, par des réactions nucléaires appropriées déclenchées par des bombardements de neutrons, de transformer des éléments fortement radioactifs en des éléments peu radioactifs et si possible stables ou au moins à courte période, donc à faible durée de vie.

La loi du 30 décembre 1991 a introduit cet axe de recherche en un temps où la solution qui semblait la plus adéquate à l'ensemble des acteurs de la filière était celle du stockage définitif en couches géologiques. Un peu plus de 7 années plus tard, il semble bien que la transmutation soit devenue à son tour une sorte de solution magique pour régler la question des déchets nucléaires.

Pour certains experts, il est en effet très probable que la science trouve une solution à cette question. La base de cette conviction est la rapidité de développement des sciences et techniques nucléaires. En un demi-siècle, l'on est en effet passé de la connaissance de la matière, avec en particulier la découverte de la structure du noyau atomique, à une application industrielle l'électricité d'origine nucléaire qui peut fournir jusqu'à 400 TWh par an dans le cas de la France. Il serait en conséquence pessimiste de penser que l'on ne puisse pas, au cours du prochain demi-siècle, trouver la méthode idoine et économique pour casser les noyaux lourds des actinides mineurs en autant de noyaux de plus petite taille, radioactifs à courte période pour donner in fine des produits cette fois stables et inoffensifs et pour transformer les noyaux légers des produits de fission. Le corollaire de cette position est que dans l'intervalle qui nous sépare de cet idéal, toute décision doit être réversible ou ne pas être.

En réalité, la loi du 30 décembre 1991 a fixé un rendez-vous - 2006 - pour faire le point sur les résultats de recherches, qui dans l'intervalle, doivent concerner aussi bien la séparation et la transmutation que le stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes et que les procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface.

A bien considérer l'avancement de la recherche sur ces questions, force est de constater qu'en l'état actuel des choses, les deux voies de la séparation-transmutation et du stockage paraissent plus complémentaires qu'opposées. Les résultats acquis à ce jour indiquent que la transmutation est probable pour certains éléments et semble difficile pour d'autres. Sans doute s'agit-il d'un état transitoire dans une démarche scientifique et technologique où les progrès ne sont pas souvent linéaires. Mais il apparaît probable qu'il faudra le moment venu sortir du dilemme transmutation-stockage en utilisant des critères sur la définition desquels la réflexion devrait commencer. Parmi ces critères, figurent bien évidemment les coûts absolus et relatifs des différentes méthodes disponibles.

Dans le présent chapitre, vos Rapporteurs traitent du dilemme transmutation-stockage tel qu'on peut en deviner les contours aujourd'hui. Dans un premier temps, leurs réflexions portent sur l'étape préalable et indispensable à la transmutation qu'est la séparation des différents radioéléments présents dans les combustibles irradiés. Cette séparation pose des problèmes techniques difficiles et devra probablement s'effectuer dans des installations complexes dont le coût ne sera pas négligeable.

Quant à la transmutation, si elle apparaît théoriquement fondée, il reste à en explorer la faisabilité spécifique sans doute pour chaque élément en utilisant Phénix, la seule installation existante après la fermeture de Superphénix, mais aussi en imaginant des installations plus durables et plus appropriées aux études. Parallèlement, il faut initier la réflexion sur des incinérateurs dédiés à la transmutation des déchets.

Quant au stockage en couche géologique profonde, il pourrait représenter une solution de rattrapage en cas d'échec de la recherche et en cas d'urgence.

Jusqu'où aller dans la transmutation ? A quelles conditions faudrait-il admettre le recours à la solution de rattrapage qu'est le stockage ? La réflexion proposée ci-après a pour but d'éclairer cette problématique, en commençant à proposer des critères qui pourraient servir à mettre le curseur sur l'une ou l'autre des extrémités de l'échelle ou à mi-distance .

2.1. les difficultés de la séparation

Les recherches sur la séparation sont conduites principalement par le CEA à Marcoule où elles mobilisent environ 230 chercheurs, et concernent la faisabilité scientifique et technique de la séparation.

D'une manière générale, les recherches sur la séparation ont été, au départ, focalisées sur les actinides mineurs. Elles portent désormais aussi sur la séparation des produits de fission à vie longue en raison de leur mobilité potentielle dans le sol. L'approfondissement des recherches se poursuit par la prise en compte de produits de fission et d'activation présents à des concentrations de moins en moins élevées.

C'est la spécificité de la recherche sur les actinides mineurs et les produits de fission que de devoir fragmenter toujours avant les morceaux d'un puzzle que l'on croyait plus grossier au départ.

Pourquoi ce grossissement progressif du microscope et pourquoi cette volonté d'aller toujours plus loin dans la séparation des éléments ? Pour une raison essentielle : pour étudier, à l'étape ultérieure, la transmutation, il faut pouvoir disposer d'éléments individualisés, sous peine de ne pouvoir distinguer les différences de comportement.

La séparation du neptunium et du technétium, un problème réglé

Le procédé PUREX permet la séparation à 99,8 % de l'uranium et du plutonium. L'utilisation du tributylphosphate lors du même procédé permet aussi de séparer le neptunium sans modification importante des installations techniques actuelles.

Ce résultat est très appréciable. Le neptunium 237 est en effet présent à hauteur de 430 g par tonne de combustible UO 2 irradié et sous cette seule forme isotopique. Par ailleurs, sa période est de 2 100 000 années. Il s'agit d'un émetteur .

Le neptunium est présent sous le seul isotope 237, quel que soit le taux d'irradiation du combustible et ceci aussi bien pour le combustible à l'oxyde d'uranium que pour le Mox 52( * ) . La figure ci-après indique l'origine et l'évolution du neptunium présent dans le combustible irradié.

Figure 10 : formation et décroissance radioactive du neptunium 53( * )

Le technétium 99 est également extrait par le même procédé. Toutefois, le résultat n'est que partiel. Cet élément est en effet présent, non seulement en solution, mais aussi sous forme de résidus solides représentant quelques dizaines de pour cents, que l'on ne sait pas traiter pour l'instant.

Mais la séparation du neptunium 237 ne suffit pas. En effet, il est lui-même formé par la décroissance de l'américium 241, ce dernier résultant aussi de la décroissance du plutonium 241. Il importe donc d'extraire aussi ces éléments, faute de quoi celle du neptunium serait inutile.