IV. AFFIRMER L'OBLIGATION DE SINCÉRITÉ

A. LA SINCÉRITÉ : UN PRINCIPE ESSENTIEL DE LA COMPTABILITE GÉNÉRALE

Le principe de sincérité des comptes constitue l'un des critères déterminant pour l'approbation des comptes d'une entreprise, aux côtés des principes d'image fidèle, de prudence et de permanence. En revanche, elle n'est pas un principe constitutif des règles de présentation des comptes publics, qui doivent avant toute chose répondre à des impératifs de régularité.

Selon le plan comptable général, la sincérité est " l'application de bonne foi des règles et procédures, en fonction de la connaissance que les responsables doivent avoir de la réalité " ; elle implique que la comptabilité donne " des informations adéquates, loyales, claires, précises et complètes ". Elle repose sur la mise en oeuvre des règles en vigueur et l'établissement de trois documents indissociables (le bilan, le compte de résultat, et l'annexe qui explique les choix méthodologiques effectués).

La sincérité implique que les comptes ne cherchent pas à dissimuler des éléments, à masquer des faits ou encore à évaluer de manière biaisée des prévisions de recettes ou de charges. Dans la comptabilité générale, la sincérité est souvent appréciée par rapport aux dotations aux amortissements et aux provisions, pour lesquelles les entreprises disposent d'une marge d'appréciation significative. Par exemple, des provisions peuvent être volontairement sous-évaluées afin de dissimuler les créances douteuses d'une entreprise, et donner ainsi une image positive de sa santé financière.

La comptabilité de l'Etat repose essentiellement sur la gestion annuelle des recettes et des crédits prévus par les lois de finances. Dans ce contexte, le principe de sincérité apparaît d'une application restreinte.

La mise en oeuvre effective de ce principe implique une réforme de la comptabilité de l'Etat que votre commission appelle de ses voeux. Votre rapporteur souligne cependant que la rénovation de la comptabilité de l'Etat a d'ores et déjà été engagée par le gouvernement dans le cadre de la présentation du compte général de l'administration des finances pour l'année 1999. Le rapport de présentation note d'ailleurs que le contexte de la réforme est " la volonté de mieux asseoir la sincérité de la comptabilité de l'Etat et d'enrichir l'information qu'elle délivre en la rapprochant des pratiques de droit commun ".

La question de la sanction à assortir au principe de sincérité apparaît délicate : dans une entreprise, dès lors qu'un expert-comptable certifie les comptes et témoigne donc de leur régularité et de leur sincérité, il peut être tenu pour responsable s'il apparaît que les comptes ainsi certifiés ne sont pas effectivement réguliers et sincères. Or, dans l'appareil d'Etat, une sanction juridique apparaît difficile à mettre en oeuvre. Certes, des sanctions existent à l'égard des ordonnateurs et des comptables. En particulier, la Cour de discipline budgétaire et financière peut délivrer des amendes si une infraction aux règles comptables est prouvée. Cependant, la nécessité de prouver l'existence d'une infraction exclut que la Cour de discipline puisse sanctionner une mauvaise gestion. De plus, les membres du gouvernement ne relèvent pas de la juridiction de la Cour. Enfin, il paraît difficile de mettre en oeuvre, à l'image de la pratique en comptabilité privée, une responsabilité de la Cour des comptes, organisme certificateur, en cas de défaillance de celui-ci.

Les entorses au principe de sincérité peuvent résulter d'infractions, mais pas toujours comptables à proprement parler : il peut en effet s'agir de manipulations comptables régulières, mais visant à dissimuler certaines opérations financières, ou à jouer sur l'imputation de celles-ci. Ces manipulations peuvent en particulier être décidées par le gouvernement afin d'afficher un solde budgétaire conforme aux objectifs qu'il s'est fixé.

En conséquence, votre commission considère que la mise en jeu de la responsabilité des ministres, en cas de non respect de la sincérité des comptes, doit prendre essentiellement la forme d'une sanction politique. Celle-ci peut être la révocation d'un ministre ou le vote par le Parlement d'une motion de censure à l'encontre du gouvernement.

Le plan comptable général indique que " la comptabilité est conforme aux règles et aux procédures en vigueur qui sont appliquées avec sincérité afin de traduire la connaissance que les responsables de l'établissement des comptes ont de la réalité et de l'importance relative des événements enregistrés ". Votre commission considère que cette obligation doit s'appliquer à l'Etat de la même manière qu'aux autres acteurs économiques. Il apparaît en effet inconcevable que l'Etat ne soit pas tenu de respecter ces préceptes. L'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 indique que " tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes, ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ". Or, comment pourrait-il en être ainsi si les informations dont bénéficient les citoyens et leurs représentants, et qui éclairent les décisions de ces derniers, ne sont pas sincères ? La sincérité budgétaire et comptable doit être érigée en principe fondamental de la démocratie , qui suppose que le gouvernement ne cherche pas à tromper la Nation et ses représentants. Une circulaire du Premier ministre parue au Journal Officiel du 24 février 2000 rappelait d'ailleurs fort justement à ce propos que " la transparence de la gestion publique constitue une exigence démocratique ".

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