B. POUR UNE BUDGÉTISATION PAR OBJECTIFS

Il apparaît aujourd'hui souhaitable de modifier en profondeur notre système budgétaire en l'orientant vers une budgétisation par objectifs.

Sans sous-estimer les exigences d'une telle réforme, celle-ci doit viser deux buts prioritaires, une rénovation de la vie démocratique du pays et une amélioration des conditions de la gestion publique.

1. Malgré les difficultés, des efforts de budgétisation par objectifs sont engagés

A très juste titre, le rapport de la " mission comptabilité patrimoniale " présenté le 30 juin 1998 par le trésorier-payeur-général Jean-Jacques François 5 ( * ) recommandait la mise en place d'une nomenclature budgétaire par objectifs. Cet aspect doit être placé au coeur de la réforme de l'ordonnance de 1959. Les difficultés qui l'accompagnent ont été décrites par la " mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat " dont les conclusions ont été présentées dans un rapport de l'inspection générale des finances de février 2000. Le principal frein à une présentation du budget par objectifs réside dans l'état d'avancement très inégal de l'analyse des coûts par objectifs.

La présentation du problème dans le rapport de l'inspection générale
des finances 1

Une présentation du budget associant crédits budgétaires d'une part, et résultats escomptés ou atteints d'autre part, suppose la résolution de deux préalables techniques :

la mise en place d'une articulation effective entre la nomenclature budgétaire et la structure des objectifs assignés au gestionnaire de crédits ;

•  la ventilation des crédits budgétaires entre les objectifs de performance, à l'issue d'un processus de répartition analytique des coûts.

L'état d'avancement très inégal dans l'analyse des coûts par objectifs constitue dans la plupart des pays visités le principal frein à une présentation opérationnelle du budget de l'Etat par objectifs. (....)

En Suède et en Finlande, les éléments sur les coûts qui figurent dans les documents budgétaires des agences sont principalement issus d'une analyse en termes de coût standard par processus et de charge prévisionnelle d'activité. Il s'agit donc d'un enrichissement de la logique traditionnelle de présentation des moyens (inputs), qui ne peut s'assimiler à une présentation des crédits par objectifs, aujourd'hui absente. (....)

Ces limites dans l'utilisation de la comptabilité analytique à des fins de présentation des crédits par objectifs se retrouvent dans des pays où l'organisation administrative est moins morcelée. Ainsi, aux Pays-Bas, la présence d'indicateurs d'efficience à l'appui de 65 % des lignes budgétaires fournit déjà une information sur la productivité " physique " de l'administration ou, éventuellement, sur l'efficacité financière dans la gestion des interventions. (....)

De la même manière, le regroupement des chapitres et rubriques du budget opéré en Italie n'a pas atteint l'objectif initial qui consistait à créer des " unités prévisionnelles de base " par grandes fonctions 2 ... L'absence de développement d'indicateurs de résultats limite de toutes les façons singulièrement l'exercice à l'heure actuelle.

Les tentatives d'articulation entre les crédits et les objectifs dans les trois pays les plus orientés vers les mesures d'efficacité socio-économique (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni) se révèlent à ce stade assez théoriques et pauvres en résultats. Au Canada, l'insistance du Conseil du Trésor à une présentation des ressources en fonction des engagements de résultats bute sur l'incapacité actuelle des instruments comptables à mettre en face de chaque objectif des dépenses prévues ou engagées. (...) Il en est de même au Royaume-Uni, pays dans lequel l'affectation des ressources aux différents objectifs poursuivis par les ministères se réalise à un niveau élevé de la structure d'objectifs, et n'emprunte que rarement les voies d'une répartition analytique rigoureuse des crédits.

L'exemple des Etats-Unis, pays qui a cherché de la manière la plus ancienne à articuler les objectifs de performance avec les moyens budgétaires s'agissant du budget de l'Etat, est le plus éclairant quant aux limites de l'exercice...

1 Extraits du rapport de la Mission d'analyse comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat. Inspection générale des finances. Février 2000.

2 Les 6000 chapitres et rubriques qui constituaient le budget en Italie ont été regroupés en 1100 unités prévisionnelles de base (UPB) qui constituent les unités de vote. Les UPB sont elles-mêmes regroupées et mises sous la responsabilité d'environ 200 centres administratifs et 168 centres de responsabilité et centres de coûts, dont la gestion est confiée à un dirigeant identifié.

Ce tableau assez sombre des résultats obtenus dans différents pays ne doit pas masquer l'essentiel : autour de la France se généralise un modèle de budgétisation par objectifs qui n'est pas celui de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 .

Il est indispensable que notre " constitution financière " prenne en compte ce mouvement, difficile mais réaliste.

Des nuances positives se dégagent cependant du tableau plutôt pessimiste dépeint par le rapport précité.

Les progrès en cours selon le rapport de l'inspection
générale des finances
1

En revanche, la plupart des départements ministériels utilisent les facultés octroyées par le GPRA 2 pour consolider, agréger ou désagréger leurs programmes de manière à faire apparaître une cohérence entre moyens et objectifs par fonctions, sous la forme de documents annexés au budget. Des progrès réels sont observés dans une proportion significative d'agences. (....)

Les difficultés à traiter le problème de l'articulation entre les moyens et les résultats sous l'angle de la présentation du budget ne conduisent cependant pas à infirmer toute validité de l'exercice. (...) La focalisation sur les résultats et la nécessité de justifier l'octroi de crédits budgétaires par la poursuite d'objectifs finaux entrent progressivement dans les moeurs dans des pays de culture administrative et politique aussi différents que le Royaume-Uni, la Suède, les Etats-Unis ou l'Italie.

Les initiatives conduites avec plus ou moins de succès en matière de présentation du budget par objectifs ont en particulier contribué à insérer la dépense publique dans une vision sectorielle globale. Ce processus a notamment conduit à affaiblir dans certains pays, lorsqu'elle avait cours, la pertinence de la distinction entre services votés et mesures nouvelles, si l'on reprend la terminologie française. (....)

Dans la plupart des pays visités où cette orientation a été mise en oeuvre, les problèmes techniques rencontrés dans l'articulation entre les moyens et les résultats ne conduisent pas à abandonner toute volonté d'évoluer vers des formes plus ou moins achevées de budgétisation en fonction des objectifs. Les Pays-Bas, la Suède, le Royaume-Uni, et l'Italie sont ainsi engagés dans un processus progressif d'évolution de leur nomenclature budgétaire en ce sens (....).

Les quatre pays concernés font de la présentation du budget de l'Etat par objectifs une déclinaison spécifique des réformes engagées en matière comptable. (....)

De la même manière, au Royaume-Uni, le projet " ressources accounting and budgeting " (RAB) consiste à étendre au niveau ministériel les pratiques de comptabilité analytique développées par les agences. La présentation du budget en fonction des buts et objectifs de performance définis dans les PSA 3 est envisagée comme un produit parallèle à la réforme comptable, qui vise à l'horizon 2002 à comptabiliser les dépenses et les ressources selon un mode analytique. (....)

Il en est de même aux Pays-Bas, pays dans lequel l'évolution de la présentation du budget fait l'objet de travaux concomitants aux réflexions sur le système comptable. L'évolution attendue de la structure du budget vers une mise en regard systématique des programmes conduits par les ministères avec les ressources financières et humaines qui leur sont affectés est l'occasion d'une liaison avec les finalités des politiques publiques. Elle est le second versant de la réforme comptable, qui poursuit les mêmes objectifs et vise notamment à structurer les rapports annuels des départements ministériels de la même façon que les documents budgétaires de la loi de finances.

1 Extraits.

2 Le " Government Performance and Results Act " est la loi américaine du 3 août 1993 qui a introduit la budgétisation par objectifs aux Etats-Unis.

3 " Public Service Agreements "

Les exemples étrangers ne sont pas les seuls. Ainsi, en France, plusieurs pratiques se sont développées en marge de l'ordonnance organique et parfois en marge de la présentation budgétaire, allant dans le sens d'une budgétisation par objectifs.

Votre commission des finances a été à l'origine de l'une d'entre elles. C'est à son initiative que la direction générale de l'aviation civile a dû parachever sa comptabilité analytique afin de justifier le niveau des redevances encaissées par le budget annexe de l'aviation civile en contrepartie des coûts de la mission de navigation aérienne 6 ( * ) . L'exercice consistait bien à mettre en relation les recettes, les coûts et les crédits destinés à une mission particulière de l'Etat.

De la même manière, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a mis en place un système de contrats d'objectifs et de moyens qui concerne d'ores et déjà deux de ses directions, la direction générale des impôts (DGI) et la direction des relations économiques extérieures (DREE).

Le contrat d'objectifs et de moyens
de la direction générale des impôts
1

Les projets de modernisation de la direction générale des impôts sont, à ce stade, formalisés dans le contrat d'objectifs et de moyens conclu entre la DGI et la direction du budget qui concerne la période 2000-2002.

Sur le plan des objectifs, il s'agit d'abord d'améliorer les performances de la DGI, ensuite d'en améliorer l'efficience.

Le volet " moyens " du contrat en découle ; il prévoit l'affectation des gains d'efficacité réalisés.

Le contrat ici examiné constitue, en soi, un facteur d'amélioration important de la gestion publique. Il répond au souhait d'une clarification des coûts et des résultats des missions du ministère. En ce sens, il est exemplaire.

A. Les objectifs en matière de performances

Les objectifs retenus consistent à améliorer les performances de la DGI au regard du dysfonctionnement du système déclaratif et sous l'angle de ses rapports avec les usagers.

Un objectif de respect spontané des obligations déclaratives est énoncé.

Il sera mesuré à travers les indicateurs suivants qui concernent l'assiette et le recouvrement de la TVA, principal impôt géré par la DGI. (....)

B. Les objectifs en matière d'efficience

L'amélioration de l'efficience de la DGI doit résulter en premier lieu de progrès de productivité physique.

Ceux-ci sont décrits ainsi que suit. (....)

Les gains d'efficacité bruts devraient atteindre 3.228 emplois sur la période 2000-2002.

Le contrat d'objectifs et de moyens prévoit les conditions d'utilisation de ces gains. Une partie d'entre eux seraient conservés à la DGI pour être réaffectés aux objectifs mentionnés plus haut et pour contribuer à l'amélioration des qualifications. Une autre partie serait représentative des gains d'efficacité nets qui, au total, porteraient sur 1.380 emplois en trois ans.

1 Extraits du rapport n° 89 sur le projet de loi de finances pour 2000 présenté par le rapporteur spécial des crédits des services financiers, M. Bernard Angels.

L'analyse du contrat d'objectifs et de moyens de la DGI est pleine d'enseignements : les objectifs poursuivis dans le cadre de sa mission sont indiqués ; les résultats acquis et attendus sont explicités à partir de données quantitatives et qualitatives précises ; la traduction budgétaire de ces éléments est clairement mentionnée.

* 5 Le système financier de l'Etat en question. Situation d'urgence ? 16 projets pour avancer ensemble. Jean-Jacques François. Cette mission avait été mise en place par notre collègue Jean Arthuis, alors ministre de l'économie et des finances.

* 6 Amendement présenté par le rapporteur spécial du budget annexe de l'aviation civile, Yvon Collin, au projet de loi de finances pour 1996.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page