EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 octobre 2000, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a entendu la communication de M. Alain Lambert , président , sur l'étude qu'il a menée sur la réforme de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que sa communication avait pour but de présenter à la commission l'ensemble des données réunies, depuis le mois d'avril, dans le cadre de ses réflexions sur la rénovation de l'ordonnance organique.

Il a rappelé que ses travaux l'avaient notamment conduit à procéder à 17 auditions et à produire un texte de 69 articles qui se voulait un document de travail n'ayant pas vocation à être déposé, et ouvert à la consultation et formalisant, à titre indicatif et révisable, les diverses pistes de la réforme. Il a dit sa conviction que la réforme de l'ordonnance organique serait examinée et aboutirait et a souligné que le Sénat aurait alors tout son rôle à jouer, pour des raisons juridiques, mais aussi pour des raisons politiques. Reprenant les propos du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il a souhaité qu' " une phase de concertation active " s'ouvre désormais.

M. Alain Lambert, président, a alors justifié la rénovation de l'ordonnance en rappelant certains constats :

- les débats budgétaires provoquent l'ennui et la formule d'Edgar Faure, " litanie, liturgie, léthargie ", est toujours d'actualité ;

- l'ordonnance n'a pas évolué, deux révisions seulement étant intervenues, en 1971 et en 1995, sur des questions purement procédurales ;

- le monde et les finances publiques, eux, ont beaucoup changé.

Il a, à ce sujet, observé que le poids des finances publiques s'était considérablement accru et qu'elles s'étaient complexifiées avec la montée en charge de la sécurité sociale et des collectivités locales ; diversification des relations entre les différentes administrations publiques, diversification des modalités d'intervention de l'Etat, qui se sont affinées et ont vu se multiplier les démembrements de ce dernier.

Il a ajouté que le monde avait changé et restait en mouvement avec une accentuation de la compétition internationale où les finances publiques ont toute leur part, avec l'intégration de l'Europe, l'avènement de l'euro n'étant pas seulement un événement monétaire, mais aussi un événement pour les finances publiques dont témoigne le " pacte de stabilité et de croissance ", enfin, avec la hausse des prélèvements obligatoires et la satisfaction très relative ressentie par les citoyens devant le fonctionnement des services publics, qui attise l'attente de justifications et de transparence.

Il a conclu que l'Etat n'était plus perçu comme puisant son autorité de lui-même, qu'il était appelé à rendre des comptes et que le sentiment prévalait qu'il ne le faisait pas assez. Il a jugé que la coexistence de ce sentiment avec la permanence figée de l'ordonnance organique de 1959, véritable constitution financière du pays, conduisait naturellement à s'interroger sur d'éventuelles interférences entre ces deux phénomènes.

Il a souligné qu'un consensus s'était progressivement forgé pour répondre par l'affirmative à cette interrogation dont peuvent témoigner les réflexions quasi-unanimes des personnes auditionnées par lui, les travaux de l'Assemblée nationale et ceux de la mission pour laquelle la commission des finances du Sénat avait obtenu les prérogatives des commissions d'enquête.

Il a alors recommandé que celle-ci s'inscrive dans ce consensus sous deux réserves : un strict respect de la Constitution, même si des réflexions ultérieures sont appelées à intervenir ; un certain réalisme reconnaissant que la réforme de l'ordonnance organique devrait être accompagnée par une réforme des pratiques et appelant de la part du Parlement, le maintien d'une attitude vigilante.

M. Alain Lambert, président, a poursuivi en estimant que toute rénovation de l'ordonnance organique devait prioritairement satisfaire le souci de refonder le sens des autorisations parlementaires que comportent les lois de finances et de garantir l'autorité de ces dernières.

Il a considéré que ces deux objectifs n'étaient aucunement contradictoires avec le respect de l'équilibre institutionnel entre le Gouvernement et le Parlement et le souci de bonne gestion des finances publiques. Il a insisté sur ce que redonner du sens aux lois de finances était " ipso facto " redonner du sens à l'action publique, mais aussi assurer des souplesses de gestion en contrepartie desquelles toute une série d'atteintes à l'autorité des lois de finances devraient pouvoir disparaître.

Pour refonder le sens de lois de finances, a-t-il indiqué, il convient tout d'abord de combattre l'anomie budgétaire et de réaffirmer le principe d'universalité budgétaire.

Il a suggéré que le premier objectif pouvait supposer de promouvoir une budgétisation par objectifs, estimant que le niveau atteint par les prélèvements obligatoires exigeait que les moyens consentis à l'exécutif ne fassent plus l'objet d'un simple énoncé sans autres repères, mais qu'ils soient mis en relation avec les objectifs poursuivis et les résultats obtenus par les différentes actions publiques.

Il a décliné quelques-unes des options possibles, avec d'abord, l'instauration de programmes comme unités de regroupement et de vote des crédits. Il a précisé que les programmes pourraient regrouper les moyens consacrés à une mission de l'Etat définie par ses objectifs précis et être interministériels. Il a noté que leur instauration ne supprimerait pas les titres budgétaires qui regroupent les dépenses en fonction de leur nature économique, mais qu'en revanche, la répartition des crédits par chapitre ne serait plus fournie qu'à titre indicatif, les services votés disparaissant.

Il a souligné que des devoirs renforcés d'information de la Nation et du Parlement seraient de nature à asseoir cette finalisation des moyens budgétaires avec pour le projet de loi de finances de l'année, la présentation des plans pluriannuels d'objectifs rappelant les résultats acquis, pour les projets de loi de finances rectificative, un rapport présentant l'état de réalisation des programmes et, pour les projets de loi de règlement, la présentation de rapports de performance.

M. Alain Lambert, président, a ajouté que la mise en perspective des lois de finances supposait également de prendre en compte la durée. Il a rappelé qu'actuellement l'horizon des lois de finances était au plus d'une année, tout le monde s'accordant pour reconnaître cette perspective temporelle trop courte et synonyme de myopie budgétaire. Il a jugé souhaitable d'allonger la perspective temporelle des débats relatifs aux finances publiques. Il a estimé que cet objectif ne signifiait pas qu'il faille renoncer au principe d'annualité budgétaire, observant que la tendance généralement observée dans les organisations soumises à contraintes de performances était plutôt à un " reporting " infra-annuel. Il a précisé que le principe d'annualité devait être concilié avec la prise en compte de la nécessité, pour les gestionnaires, de disposer de perspectives plus longues et considéré qu'à cette fin, les autorisations de programme devaient être maintenues et leur champ d'application probablement un peu étendu.

Il en a également appelé à une meilleure prise en considération de la dimension pluriannuelle des finances publiques. Il a, à ce propos, estimé que l'instauration d'une comptabilité en droits constatés, l'exigence d'une étude d'impact des mesures nouvelles évaluant leur incidence sur plusieurs années, une revue des performances dans la durée, la présentation des projections à moyen terme relatives aux finances publiques, avec l'énoncé transparent de leurs hypothèses devraient contribuer à réduire la myopie des décideurs.

Il a alors jugé qu'instaurer un système comptable réellement informatif devrait contribuer à atteindre ce même objectif. Il a estimé que, si l'ordonnance développait avec un certain détail les principes de la comptabilité budgétaires, l'essentiel des règles de comptabilité publique était relégué dans des textes subalternes, et qu'il était tentant de mettre cette situation en relation avec les retards pris par notre système financier et dénoncés dans le rapport de M. Jean-Jacques François sur la comptabilité patrimoniale de l'Etat.

Il en a conclu qu'il conviendrait donc de mettre à niveau notre système comptable afin que la comptabilité de l'Etat se rapproche de la comptabilité générale, d'une part, en en respectant les obligations de base, la sincérité, l'exhaustivité, la certification, d'autre part, en prenant en compte l'ensemble de ses éléments financiers et patrimoniaux et, enfin, en fournissant une aide à la gestion.

Il a alors mentionné certaines des propositions pouvant découler de ces principes : une présentation des opérations des lois de finances sincère et exhaustive, les comptes de l'Etat devant partager ces dernières caractéristiques ; la certification par la Cour des comptes de la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'Etat à l'occasion du rapport qu'il lui incombe de présenter au moment du projet de loi de règlement.

Enfin, rappelant que la restauration du système comptable de l'Etat n'impliquait pas de supprimer la règle des inscriptions comptables en encaissements et décaissements, règle chargée de signification et adaptée au sens des autorisations budgétaires, il a observé que celles-ci ne constituaient pas l'alpha et l'oméga des événements financiers pouvant concerner l'Etat. Evoquant certaines évolutions inéluctables (les charges latentes de pensions, le vieillissement des immobilisations), il a jugé que celles-ci devaient être retracées et a proposé d'instaurer une comptabilité financière de l'Etat basée sur le principe des droits constatés. Il a considéré que celle-ci devrait permettre d'extérioriser des comptes de résultat et de bilan significatifs de la situation financière de l'Etat.

M. Alain Lambert, président , a alors affirmé que la refondation du sens des lois de finances passait aussi par une restauration du principe d'universalité budgétaire.

Il a observé que les atteintes portées à ce principe proviennent d'abord de la complexification de nos finances publiques et de l'affirmation, en leur sein, de la place des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales, mais aussi d'artifices destinés à amputer le budget de l'Etat d'une partie de sa substance.

Considérant que le premier phénomène ne pouvait être entièrement contenu, mais devait être mieux maîtrisé, il a souhaité que le second soit combattu avec détermination. Avant d'exposer ses propositions, il est revenu sur un point suscitant souvent des ambiguïtés, la coexistence au sein du budget de l'Etat de trois unités comptables : le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor qui peut paraître constituer en elle-même un élément portant atteinte à l'universalité budgétaire. Il n'a pas partagé cette approche, estimant que si les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor se détachaient du budget général, ils appartenaient comme lui au budget de l'Etat. Leurs opérations, tout comme celles du budget général, devaient gagner en visibilité, mais il a estimé que leur disparition priverait le budget de l'Etat de comptes qu'il est utile d'isoler pour leur logique et qui ont l'immense mérite de permettre d'identifier l'affectation de recettes de nature particulière.

Abordant les problèmes de frontière existant entre les différentes catégories d'administration publique, il a considéré qu'il y avait lieu de défendre le principe d'universalité des lois de finances, mais dans le respect du principe de libre administration des collectivités locales et de la réforme constitutionnelle de 1996 qui a instauré les lois de financement de la sécurité sociale. Il a douté, à ce propos, que les évaluations de recettes de ces organismes puissent, et même doivent, être votées dans le cadre des lois de finances lorsqu'il s'agit de recettes qui leur sont directement affectées. Mais, il a estimé souhaitable de réaffirmer que les lois de finances étant les seules à pouvoir autoriser la perception des impositions de toutes natures y compris des impôts directement affectés à ces organismes, elles avaient une vocation éminente pour intervenir afin d'organiser le régime de ces impôts. Il a jugé naturel que parmi les informations fournies par le Gouvernement, figure en bonne place une présentation consolidée des ressources et des charges de l'ensemble des administrations publiques.

Il a estimé que les relations financières entre l'Etat et les autres administrations publiques devaient être, quant à elles, plus clairement identifiées. Il a exposé à ce sujet la proposition de consacrer dans la loi organique le système des prélèvements sur recettes, jugeant qu'il permettrait d'identifier les recettes brutes et les recettes nettes de l'Etat ainsi que la destination précise des recettes versées aux organismes extérieurs à ce dernier. Pendant de cette proposition, il a indiqué queles lois de finances pourraient être amenées à définir les modalités de répartition des concours financiers versés par l'Etat.

M. Alain Lambert, président, a manifesté une ferme volonté de remédier aux débudgétisations d'artifice, ce qui pourrait conduire à prévoir :

- d'évaluer les fonds de concours dans les lois de finances, la plupart d'entre eux étant récurrents, et le montant des fonds de concours exceptionnels, faible d'ordinaire, pouvant faire l'objet d'une estimation statistique ;

- de remédier aux débudgétisations qui proviennent de l'affectation directe de recettes publiques à des démembrements de l'Etat en exigeant que ces recettes -hors celles affectées à la sécurité sociale ou aux collectivités locales- transitent par le budget de l'Etat ;

- d'introduire des dispositions diverses pour que les lois de finances intègrent des opérations financières qu'elles ignorent aujourd'hui, comme les ressources d'emprunt nécessaires au financement du solde de l'année ou au remboursement du stock de dettes, les dépenses correspondantes, et les garanties octroyées par l'Etat.

M. Alain Lambert, président, a alors exposé les différentes propositions envisageables pour réaffirmer l'autorité du Parlement dans le domaine financier. Ayant indiqué que, les propositions qu'il venait d'exposer, destinées à éclairer efficacement et le plus complètement possible sur les ressources, les charges et l'équilibre financier du budget de l'Etat, seraient de nature à affirmer l'autorité des votes du Parlement, il a estimé qu'il fallait encore que ces votes soient respectés et que le Parlement ne soit pas borné par le cadre étroit des débats relatifs aux projets de loi de finances.

Il a alors souligné que défendre l'autorité du Parlement n'était pas incompatible avec l'octroi de davantage de souplesse de gestion à l'exécutif et que le desserrement de plusieurs contraintes de gestion devait être envisagé. Il a, à ce propos, mentionné la simplification de la nomenclature budgétaire. Rappelant qu'actuellement, si l'unité de vote était le titre, l'unité d'exécution était le chapitre budgétaire, niveau de nomenclature si fin que de nombreux aménagements avaient été inventés pour lever les contraintes d'exécution qu'il comporte, il a proposé d'envisager de substituer le titre au chapitre comme unité d'exécution des lois de finances. Il a observé que la commission des finances de l'Assemblée nationale partageait cette approche même s'il était sans doute souhaitable d'instaurer une nomenclature un peu moins agrégée que dans la proposition de loi du rapporteur général du budget.

Il a ensuite suggéré qu'une procédure plus souple de transformations d'emplois soit inventée, estimant que, sur ce point, des réflexions approfondies s'imposaient.

Il a enfin considéré comme possible de reconnaître sous condition les annulations de crédits destinées à prévenir la détérioration de l'équilibre financier défini par les lois de finances. Il a rappelé qu'en l'état, la faculté de procéder à des annulations de crédits était limitée au cas où les crédits deviennent sans objet, mais que dans les faits, les annulations formelles ou informelles (le gel, les contrats de gestion) intervenaient à la discrétion du Gouvernement à des fins de pilotage budgétaire.

Il a proposé de tenir compte de cette réalité mais de l'encadrer. A cet effet, un autre cas d'annulation des crédits serait prévu : pour éviter une détérioration de l'équilibre financier de la loi de finances mais, ces annulations, tout comme celles concernant les crédits devenus sans objet, seraient soumises à une information préalable des commissions des finances. Enfin, pour tenir compte des pratiques de régulation budgétaire qui ne prennent pas la forme d'annulations formelles, il serait prévu que toutes les décisions, même non réglementaires, visant à suspendre les possibilités d'exécution des crédits ouverts feraient également l'objet d'une information des commissions des finances.

M. Alain Lambert, président, a alors souhaité qu'un respect plus strict des autorisations parlementaires soit à l'avenir garanti. Il a proposé d'éliminer plusieurs anomalies budgétaires. Il a souhaité que le recours aux décrets d'avances soit limité et conditionné à un avis des commissions des finances du Parlement. Dans cette perspective, un seul cas de décret d'avances subsisterait, celui où l'urgence le justifierait, les crédits globaux pour dépenses accidentelles étant supprimés. Il a concédé que sur ce point, la position du Sénat était plus exigeante que celle défendue à l'Assemblée nationale où les crédits globaux pour dépenses accidentelles sont maintenus. Mais, il a jugé seulement relative la rigueur de sa proposition puisque l'urgence pourrait justifier l'ouverture de crédits supplémentaires et qu'en outre, la procédure de virement de crédits pourrait être mobilisée. Enfin, il a observé qu'il serait toujours possible au Gouvernement de déposer un projet de loi de finances rectificative si les arbitrages que le nouveau régime des décrets d'avances lui imposerait d'entreprendre ne lui convenaient pas.

Il a en outre estimé souhaitable que les dépenses pouvant être payées à partir de crédits évaluatifs soient plus strictement définies, sur la base de leur caractère aléatoire et que les possibilités de transfert et de virement étant maintenues, le régime des virements soit encadré. Il a remarqué que sur ce point il pouvait y avoir une difficulté à accepter les propositions faites à l'Assemblée nationale, considérant qu'il serait sans doute justifié de prévoir qu'aucun virement ne puisse intervenir entre programmes afin de ne pas affaiblir à l'excès la portée du vote par programme qui serait désormais la règle.

Ayant indiqué que les facultés de reports pourraient être utilement encadrées elles aussi, il a souhaité que les opérations de fin de gestion puissent être surveillées. Une règle d'apurement des comptes d'imputation provisoire avant la fin de l'exercice pourrait être posée tandis que, si la période complémentaire ne devait pas être supprimée, elle devrait au moins être limitée dans son objet et dans le temps, les opérations réalisées entre le 1 er décembre et la fin de la période complémentaire devraient de plus faire l'objet d'un rapport justifiant de manière précise chacune d'entre elles afin que la période complémentaire ne puisse plus servir à des fins de pilotage du solde budgétaire à l'abri des regards du Parlement.

Il a enfin insisté sur l'importance d'édicter dans la loi organique les principes généraux relatifs aux pouvoirs et aux prérogatives de contrôle des commissions des finances du Parlement.

Rappelant qu'en l'état du droit, les dispositions relatives au contrôle parlementaire étaient contenues dans les lois de finances comme la possibilité en est prévue par l'article 1 er de l'ordonnance organique, il a observé que la rénovation de l'ordonnance offrait l'occasion de faire accéder le contrôle parlementaire des finances publiques à la dignité et à l'autorité d'une loi organique, de niveau quasi-constitutionnel. Il a estimé qu'il serait d'autant plus regrettable de ne pas saisir cette occasion que les propositions de réforme de l'ordonnance sont axées sur l'objectif de mieux évaluer les politiques publiques.

Il a alors énuméré quelques-unes des propositions envisageables :

- la consécration des pouvoirs de contrôle des commissions des finances et de leurs membres ;

- la reconnaissance des moyens nécessaires à l'accomplissement des missions de contrôle ou d'évaluation, comme le droit d'accès aux documents et en particulier aux rapports des organismes chargés du contrôle de l'administration, avec un sort particulier à réserver aux informations nominatives que ces rapports pourraient comporter, le droit d'auditionner ;

- le droit de saisir la Cour des comptes d'une enquête qui devrait être conclue dans les huit mois ;

- le droit de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière.

Il a souhaité ouvrir un débat sur la reconnaissance des moyens de contrôle du Parlement, à savoir les personnes habilitées à assister les parlementaires participant aux missions d'évaluation ou de contrôle, précisant que ces personnes pourraient être, d'une part, les fonctionnaires parlementaires, d'autre part, des organismes extérieurs susceptibles d'être habilités par une assemblée aux fins de contribuer à une mission donnée, placée sous la direction du ou des parlementaires chargés de la mission et assujetties à un strict secret professionnel. Il a indiqué qu'il s'agissait de renforcer les moyens offerts aux parlementaires, dans le cadre de leurs missions et de lever les objections qu'en l'état actuel du droit, les personnes contrôlées sont en mesure de formuler dès lors qu'un rapporteur est accompagné. Il a rappelé que pareils obstacles étaient rarement utilisés, tout en évoquant le souvenir d'un incident passé. Soulignant que la participation de personnes entièrement extérieures au Parlement soulevait de réels problèmes, il a appelé de ses voeux un débat en profondeur sur ce dernier sujet, en faisant part de ses réticences personnelles.

Il a enfin signalé une dernière innovation consistant à prévoir l'obligation pour le Gouvernement de répondre dans un délai raisonnable aux observations notifiées à la suite d'une mission de contrôle des commissions des finances.

M. Alain Lambert, président, a conclu en jugeant qu'il convenait de mieux respecter le Parlement dans sa fonction tribunicienne. Il a mis en débat plusieurs propositions : la reconnaissance du débat d'orientation budgétaire ; la suppression du principe selon lequel le rejet de la première partie du projet de loi de finances entraîne " ipso facto " la fin de la discussion budgétaire avec l'instauration d'une procédure de discussion sans vote de la deuxième partie ; la faculté d'organiser des débats thématiques sur les prélèvements sur recettes, désormais consacrés, mais aussi sur la politique de l'emploi public ou d'investissement ; l'assouplissement des irrecevabilités financières de l'article 42 de l'ordonnance dans le respect de l'article 40 de la Constitution ; la reconnaissance d'une possibilité d'affectation de recettes à l'initiative parlementaire sous réserve d'intervenir sans créer de charge publique et de se situer dans le cadre des affectations spéciales prévues par la loi organique.

Enfin, M. Alain Lambert, président, a appelé de ses voeux une concertation fructueuse entre l'Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat. Il s'est par avance réjoui des apports que les membres de la commission pourraient fournir. Il s'est déclaré confiant dans le succès de cette réforme, essentielle pour le pays.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est félicité de ce que le document élaboré par le président présente toutes les questions devant être tranchées, même s'il devra encore faire l'objet d'arbitrages et de précisions. Il a souligné que l'ordonnance organique de 1959 constituait un beau texte, instituant des notions claires et définissant précisément la place du Parlement. En conséquence, il a considéré qu'il ne convenait pas de le jeter hâtivement aux orties.

Concernant les orientations présentées par le président, il a souligné que la création d'un titre spécifiquement consacré à l'information et au contrôle du Parlement en constituait l'élément le plus significatif et le plus innovant. En particulier, il a noté que ce titre permettait de regrouper des propositions éparses dans le texte de l'Assemblée nationale.

Il s'est prononcé en faveur de l'instauration d'une distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement de l'Etat, considérant qu'elle constituait un apport pédagogique significatif, ayant prouvé son utilité dans le cadre de la présentation des budgets des collectivités locales. Il a reconnu que cette distinction était plus difficile à appliquer au budget de l'Etat. Il a cependant estimé que cette disposition devait être introduite, afin d'appliquer au budget de l'Etat la " règle d'or ", interdisant le financement par l'emprunt de dépenses de fonctionnement.

Il a estimé que la représentation nationale devait connaître, avec précision, le niveau des prélèvements obligatoires, et que cette exigence impliquait une consolidation des prévisions et des comptes de l'Etat, de ceux des collectivités locales, ainsi que des dispositions contenues dans la loi de financement de la Sécurité Sociale.

Il a ensuite évoqué la question de la présence de moyens extérieurs au côté des rapporteurs effectuant des missions de contrôle ou d'évaluation pour le compte des commissions des finances. Il a indiqué que la nature juridique des moyens auxquels le rapporteur pourrait avoir recours importait peu, dès lors que sa responsabilité était clairement réaffirmée.

Concernant la possibilité de discuter la deuxième partie d'un projet de loi de finances en cas de rejet de la première partie, il a rappelé que, dans la conception du législateur de 1959, le rejet de la première partie mettait fin à l'examen du texte. Il s'est demandé si les parlementaires étaient devenus suffisamment raisonnables pour qu'une telle contrainte puisse être levée.

En réponse à M. Philippe Marini, rapporteur général, M. Alain Lambert, président, a reconnu que la qualité du texte de l'ordonnance organique de 1959 exigeait une rédaction approfondie de la nouvelle loi organique. Il a indiqué que la partie consacrée au contrôle pourrait incomber plus particulièrement au Sénat dans les propositions de réforme. Concernant la distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement, il a reconnu que l'interdiction de financer des dépenses de fonctionnement par emprunt était fondamentale. Il a cependant souligné que la mise en oeuvre de cette distinction posait le problème technique de la définition des investissements de l'Etat.

Il a considéré que la possibilité pour une assemblée de poursuivre ses travaux en cas de rejet de la première partie d'un projet de loi de finances pourrait être envisagée, compte tenu des quarante années passées de " sage pratique " du Parlement et pour ne pas priver l'assemblée considérée du débat sur les dépenses.

Mme Maryse Bergé Lavigne s'est interrogée sur la place du Parlement en France aujourd'hui, notamment en matière budgétaire. Elle a estimé qu'il convenait de restaurer le pouvoir plus que l'autorité du Parlement : le pouvoir du Parlement s'exprime par la voie de l'amendement ainsi que par le recours à des organismes extérieurs pour en évaluer, de manière indépendante, les conséquences. Elle a considéré que l'absence d'évaluation des propositions parlementaires nuisait au sérieux de ces dernières et elle a plaidé pour doter le Parlement français d'un tel outil.

M. Jacques Chaumont s'est déclaré en plein accord avec sa collègue et a estimé que la clef du succès reposait sur l'existence d'un organisme d'évaluation extérieur mais au service du Parlement, afin d'éviter que ce soient les mêmes personnes qui, par une sorte de consanguinité malsaine, élaborent le budget et évaluent leur propre travail.

S'agissant des missions de contrôle, il a estimé que le travail de la Cour des comptes était d'une utilité manifeste.

M. Michel Charasse, après avoir remercié le président de susciter ainsi une discussion libre ne préjugeant pas des prises de positions finales de la commission, s'est dit partager pleinement le souhait d'une actualisation de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Il a appelé l'attention de ses collègues sur les risques qu'il y aurait cependant à donner l'impression que le Parlement entend profiter de cette réforme pour revenir à la situation antérieure au décret de 1956, sorte de photographie à l'envers de ce dont la démocratie française a souffert. Il a estimé qu'il s'agissait avant tout d'assurer et de garantir la continuité du rôle de l'Etat et donc d'affirmer le sens de la loi de finances et de renforcer la place du Parlement dans le domaine budgétaire. Il a rappelé que la loi organique devrait se conformer à la Constitution et ses interprétations, notamment quant à la doctrine d'application de son article 40. Il s'est inquiété des risques de confusion des pouvoirs, et de retrait de toute possibilité de souplesse de gestion nécessaire au Gouvernement lorsqu'il est confronté à une situation imprévue.

S'agissant des pouvoirs de contrôle parlementaire, il a considéré que leur quantité n'influençait pas nécessairement leur utilisation, et a soulevé la question de l'opportunité juridique de la présence en loi organique de dispositions sur ce thème. Il a estimé que le recours à des organismes extérieurs devait rester exceptionnel, ces derniers faisant bien trop rarement preuve du sens de l'Etat et de culture de la sphère publique. Il a plaidé pour que la pratique du contrôle par les parlementaires devienne obligatoire. Il a rappelé qu'à ses yeux, le contrôle parlementaire était un contrôle de régularité et qu'il ne devait en aucun cas être instrumentalisé à des fins politiques. Evoquant la question de l'universalité et de l'annualité, il en a rappelé l'importance et s'est interrogé sur leur atteinte potentielle par la mise en place de programmes pluriannuels. Il a rappelé qu'il revenait au Parlement et au Gouvernement de faire la politique, et non à la Cour des comptes, dont le rôle est de juger les comptes et non de juger la politique de ceux qui font les comptes. Il a considéré que l'enjeu de la réforme de l'ordonnance était de permettre aux citoyens et à leurs représentants de savoir et de décider dans le cadre d'un fonctionnement harmonieux des pouvoirs publics : il ne s'agit pas de laisser au Parlement ce qui fait plaisir, et au Gouvernement ce qui fâche. De ce point de vue, il s'est prononcé contre la possibilité d'une discussion sans vote de la deuxième partie de la loi de finances en cas de rejet de la première partie. Il a conclu en mettant en garde contre le danger de chercher à tout prix à transformer le débat budgétaire en un grand spectacle oscillant entre le " théâtre des deux ânes " et le " café du commerce " : " le budget c'est l'Etat, et ce n'est pas drôle ", a-t-il conclu.

M. Jacques Oudin a rappelé que, quoique texte fondateur, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 n'avait jamais donné lieu à débat et s'est donc félicité de la possibilité qui s'ouvre d'en discuter et de la réformer. Il a appelé à un débat clair et transparent où chacun pourrait prendre ses responsabilités. Puis il a émis six observations :

- il convient de traiter les problèmes de la dette et des engagements de l'Etat dans la loi de finances ;

- il faut davantage intégrer la loi de financement de la sécurité sociale à la loi organique ;

- il faut introduire l'interdiction du financement du fonctionnement par l'emprunt et contraindre l'Etat à consolider les dettes qu'il garantit (par exemple celles du Réseau ferré de France) ;

- il faut obliger ceux qui fournissent des évaluations à en communiquer les hypothèses ;

- il faut préciser les sanctions applicables à ceux qui s'opposent à l'exercice du contrôle parlementaire ;

- il faut interdire tout ce qui porte atteinte à la clarté des comptes publics, à commencer par le système des mises à disposition, " emplois fictifs légaux ".

M. Maurice Blin a dit sa satisfaction devant l'exposé introductif du président Alain Lambert. Il a noté le changement de l'environnement et de la situation des finances publiques qui met en cause la notion même de l'Etat. Reconnaissant les difficultés de distinguer des sections de fonctionnement et d'investissement, il a néanmoins estimé qu'il convenait d'éclaircir ce point et d'en tirer des conséquences sur le financement par l'emprunt. Il a dit partager le point de vue du président Alain Lambert sur l'importance des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor qui permettent d'affecter, en préservant l'universalité de la loi de finances, une recette à une dépense. Il s'est montré hésitant sur la notion de programme et a plaidé pour un strict encadrement des procédures de report en les limitant notamment aux dépenses en capital. Il a estimé que le contrôle sur pièces et sur place devait rester le fait du parlementaire sans le recours à un organisme privé extérieur ; en revanche, s'agissant de l'évaluation et de la contre-expertise, il s'est prononcé pour un appui du Parlement sur un organisme de cette nature. Afin de ne pas mélanger les genres, il s'est prononcé contre une possibilité d'examen sans vote de la deuxième partie de la loi de finances et s'est dit d'accord avec M. Jacques Oudin sur l'interdiction de mise à disposition de fonctionnaires. Il a conclu en rappelant la formule de Goethe : " les chiffres ne gouvernent pas le monde, ils montrent comment le monde est gouverné ".

M. Roland du Luart a demandé à M. Alain Lambert, président, s'il estimait qu'un accord était possible avec l'Assemblée nationale. Il s'est prononcé en faveur de la mise en oeuvre d'une distinction entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement au sein du budget de l'Etat, considérant que celle-ci avait prouvé son utilité pour les collectivités territoriales. Enfin, il s'est interrogé sur la taille et le degré de précision du texte organique, exprimant une préférence pour une loi concise.

M. Joël Bourdin s'est félicité de la volonté affichée d'introduire des concepts issus de la comptabilité privée dans la comptabilité de l'Etat. Il s'est également prononcé pour l'introduction d'une distinction des dépenses de fonctionnement et d'investissement dans le budget de l'Etat, assortie d'une règle d'équilibre. Instruit par l'expérience de sa mission accomplie en septembre, il a souligné que les moyens de contrôle et d'évaluation dont dispose le Parlement français sont largement insuffisants, au regard des moyens dont dispose le Congrès aux Etats-Unis, notamment le Congressional Budget Office et le General Accounting Office.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a précisé que sur le plan terminologique, il préférait voir introduite une distinction entre dépenses ordinaires et dépenses en capital plutôt qu'entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement, afin d'éviter, autant que faire se peut, les problèmes liés à la définition des investissements de l'Etat, et s'en tenir à une distinction comptable simple. Il a également indiqué qu'il était favorable à la mise en oeuvre d'une comptabilité consolidée de l'Etat, comprenant un bilan, au sein duquel figurerait l'ensemble des dettes de l'Etat et celles des autres organismes étant à sa charge, ainsi que l'avait souhaité M. Jacques Oudin.

M. Alain Lambert, président, a remercié ses collègues pour la qualité de leur écoute et de leurs interventions.

En réponse à Mme Maryse Bergé-Lavigne, il a considéré que, en matière de lois de finances, l'initiative devait rester au Gouvernement, l'autorité du Parlement étant celle de l'organe constitutionnel qui autorise, et dont les autorisations doivent être respectées. Il a souligné que les comparaisons entre les moyens de contrôle du Parlement français et du Congrès américain étaient justifiées, mais qu'elles devraient être établies à l'aune de la différence entre les deux régimes politiques. Il a souligné que les moyens humains, matériels et techniques de contrôle ne tiendraient jamais lieu de volonté politique, et a souhaité que chacun s'interroge sur le point de savoir si le travail des parlementaires était à la hauteur de ce que les Français pouvaient en attendre de ce point de vue.

En réponse à M. Jacques Chaumont, M. Alain Lambert, président, a rappelé que le Sénat disposait par lui-même de l'indépendance requise à son activité de contrôle, et qu'il l'avait prouvé à l'égard de Gouvernements appartenant à la même majorité que lui. Il a noté que l'appel à des instituts d'étude indépendants, auquel il arrivait à la commission des finances d'avoir recours, ne résolvait pas la difficulté du monopole des ressources statistiques entre les mains du Gouvernement, et que les moyens techniques et humains nécessaires afin de rivaliser sur ce point seraient immensément coûteux.

En réponse à M. Michel Charasse, M. Alain Lambert, président, a affirmé que s'il s'agissait de changer de régime ou de république, il ne faudrait pas compter avec lui. Il a considéré cependant que le temps était venu de rééquilibrer les relations entre l'exécutif et le législatif, afin que le peuple souverain soit pleinement informé. Il a estimé que l'exécutif devait bénéficier de davantage de souplesse de gestion en contrepartie des exigences nouvelles qui lui seraient imposées. Il a considéré que l'introduction de dispositions relatives au contrôle du Gouvernement par le Parlement dans la loi organique se justifiait dès lors qu'il s'agissait des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Enfin, il a également rappelé que, à son sens, la volonté politique devait précéder les demandes de moyens de contrôle supplémentaires exprimées par les parlementaires.

En réponse à M. Jacques Oudin, M. Alain Lambert, président, a indiqué que les remarques techniques qu'il avait énoncées seraient prises en compte dans ses travaux. Il a noté que la mise en oeuvre d'une comptabilité patrimoniale devait permettre une évaluation de l'ensemble des dettes de l'Etat. Il a également indiqué qu'il souhaitait pousser aussi loin que possible le champ de la loi de finances, sans empiéter toutefois sur celui de la loi de financement de la sécurité sociale, ce qui nécessiterait une révision de la Constitution, ni sur l'autonomie des collectivités locales.

En réponse à M. Maurice Blin, M. Alain Lambert, président, a souligné que ses orientations de réforme prévoyaient une évaluation de l'incidence des dépenses nouvelles sur plusieurs exercices, ce qui était particulièrement nécessaire s'agissant des créations d'emplois publics. Il a également indiqué qu'il comprenait les réserves que les programmes pouvaient susciter à l'heure actuelle, compte tenu de leur aspect novateur, mais qu'il était indispensable de raisonner désormais en termes d'objectifs et de résultats, et non plus seulement de moyens.

En réponse à M. Roland du Luart, M. Alain Lambert, président, a déclaré qu'une volonté forte était partagée par les deux assemblées et le Gouvernement afin d'aboutir rapidement à une réforme de l'ordonnance organique de 1959.

En réponse à M. Joël Bourdin, M. Alain Lambert, président, a précisé que ses orientations proposaient d'inclure les dépenses de remboursement de la dette dans le champ de la loi de finances.

M. Jacques Oudin a demandé si, compte tenu du statut de la réforme envisagée, une réunion informelle avec les membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale pouvait être envisagée.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que la concertation serait poursuivie compte tenu de la nature organique de la réforme, mais sans porter atteinte aux principes du bicamérisme.

Pour conclure, M. Alain Lambert, président, a souligné que cette réunion de commission ouvrait un chantier appelé à durer plusieurs mois. Il a demandé que chacun puisse participer à ce débat en lui faisant part de ses contributions.

La commission a alors donné acte au président de sa communication et a décidé d'en publier les conclusions sous forme d'un rapport d'information .

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