B. LE PROCESSUS DE PAIX AVEC ISRAËL DANS L'IMPASSE

En 1990, en optant pour la paix avec Israël, le président Assad rompt avec près d'un demi-siècle de conflit. Ce tournant est dicté par plusieurs raisons : l'isolement progressif au sein du monde arabe que vaut à la Syrie son intransigeance vis-à-vis d'Israël, la fin de l'antagonisme bipolaire qui prive Damas de l'appui soviétique, enfin la volonté de développer les liens avec l'Occident, en tirant notamment les bénéfices de la participation syrienne aux côtés des Alliés dans la guerre du Golfe.

Du reste, ce choix consacre aussi un état de fait : depuis la signature d'un cessez-le-feu le 11 juin 1982, à la suite de l'entrée des forces israéliennes au Liban, Israël et la Syrie ont tous deux choisi d'éviter soigneusement tout affrontement direct.

Le " choix stratégique pour la paix " a sans doute eu pour première conséquence positive l' ouverture d'un processus de négociation , même s'il a connu depuis lors de nombreuses vicissitudes et n'a pas permis d'aboutir à la signature d'un accord de paix. Toutefois, pour la première fois, les adversaires d'hier consentaient à se parler.

Le dialogue s'est d'abord noué dans le cadre multilatéral fixé par la Conférence de Madrid à la fin du mois d'octobre 1991. Dans cette enceinte, la Syrie a affirmé la prééminence de la question du Golan et rappelé la position qui ne cessera dès lors d'être la sienne : la restauration de la souveraineté syrienne sur ce territoire constitue la condition irréductible de tout accord avec Israël.

Les discussions bilatérales se sont engagées dans le prolongement de la Conférence de Madrid, mais elles n'ont connu de réels progrès qu'après l'élection d'Itzhak Rabin en septembre 1992: Israël reconnaissait désormais les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité (retrait des territoires occupés). A la suite de la signature, le 13 septembre 1993, de la déclaration de principe entre Israël et l'OLP sur des arrangements intérimaires, le président Assad, à l'issue d'un sommet avec le président des Etats-Unis, Bill Clinton, le 16 janvier 1994, s'était déclaré prêt à établir des " relations normales " avec Israël en échange d'un retrait total du Golan. Le chef de l'Etat syrien refusait cependant de signer d'un accord intérimaire en l'absence d'un accord sur l'ensemble des point en discussion.

Un nouveau cycle de pourparlers débuta en 1995 à Wye River aux Etats-Unis. Il fut interrompu au début de l'année 1996 lorsqu'Israël entrepris son opération militaire au Liban (" Raisins de la colère "). L'élection d'un premier ministre israélien de droite, Benyamin Netanyahou, interdit durablement toute reprise des discussions. L'arrivée au pouvoir de M. Barak, le 17 mai 1999, ouvrit la perspective d'un déblocage de la situation. L'attention du nouveau premier ministre s'était d'abord portée en effet en priorité sur le volet israélo-syrien du processus de paix. Les négociations reprirent effectivement en décembre 1999. Les différentes réunions, cependant, ne permirent pas de surmonter les points de blocage. La négociation a été suspendue à la fin du mois de janvier. Une dernière tentative de médiation américaine, lors d'une rencontre entre les présidents Clinton et Assad, à Genève le 26 mars 2000, s'est soldé par un échec.

Comment expliquer ce résultat décevant ? Quel est, malgré tout, l'acquis des négociations ? Quelles sont les perspectives de reprise des négociations ?

Telles ont été les trois questions principales évoquées par votre délégation au cours des entretiens consacrés au processus de paix.

Depuis l'ouverture de la Conférence israélo-arabe de Madrid, le 30 octobre 1991, les négociations entre Israël et la Syrie s'articulent autour de quatre volets : le retrait israélien du plateau du Golan, les arrangements de sécurité, la normalisation des relations entre les deux pays, la question de l'eau.

Si la question du Golan reste au coeur du contentieux syro-israélien, les autres sujets ont enregistré d'indéniables progrès.

. Les raisons de l'échec

Après un demi-siècle de conflit, la possibilité historique de parvenir à un accord de paix aurait-elle buté, l'hiver dernier, sur une appréciation divergente concernant une bande territoriale de moins de 20 km 2 ? On serait tenté de l'affirmer au vu de l'état actuel du dossier des négociations si cette divergence ne recouvrait pas en fait des enjeux politiques majeurs.

Sur le dossier du Golan, en effet, les positions israéliennes ont beaucoup évolué. Israël, après avoir mis en avant le caractère vital du plateau du Golan pour la sécurité israélienne, a accepté au début de la précédente décennie, à l'initiative de Yitzhak Rabin d'envisager une " restitution partielle " (1992), puis un " retrait significatif et proportionnel à la paix ". Le principe du retrait israélien du Golan est aujourd'hui admis .

La négociation est toutefois compliquée par la référence des deux parties à deux frontières différentes :

- les Israéliens ne reconnaissent que la frontière fixée par les puissances mandataires française et britannique en 1923 : elle leur laisse en effet la rive Est du lac de Tibériade ;

- les Syriens revendiquent un retour à la ligne du 4 juin 1967 ; ce tracé, plus favorable pour Damas, prévalait avant le déclenchement de la guerre des Six jours et résultait du " grignotage " par les Israéliens comme par les Syriens des zones démilitarisées à la suite des accords de Rhodes (1949) ; il laisse à la Syrie plus de la moitié de la rive orientale du lac de Tibériade ainsi que le débouché du fleuve Jourdain sur le lac. Conformément au droit international, la Syrie aurait alors le droit d'utiliser l'eau du lac de Tibériade, au même titre qu'Israël.

Les négociateurs syriens ont réaffirmé devant votre délégation que l'ancien premier ministre, M. Rabin, avait fait savoir, sous le sceau du secret, dès 1994, à la Syrie, par le biais des Etats-Unis, qu'il se rallierait à la ligne du 4 juin 1967, sous réserve qu'un accord puisse être trouvé sur les autres points. M. Barak a d'ailleurs confirmé, en mars 2000, l'existence d'un tel engagement. La reprise des " négociations là ou elles s'étaient arrêtées ", selon la formule du président Clinton, le 8 décembre 1999, impliquait pour les Syriens la reconnaissance par Israël de la ligne du 4 juin 1964. Les Israéliens répugnent à convenir à l'avance de l'issue des négociations. Ce malentendu explique le refus des Syriens de participer à la réunion prévue le 19 janvier 2000.

Votre délégation s'est rendue sur la fraction du Golan restituée par Israël à la Syrie après la guerre de 1973. Elle a notamment traversé la ville de Qouneïtran, réduite à l'état de ruines par l'armée israélienne. Cette partie du territoire syrien est surplombée par une zone que contrôle entièrement les Israéliens. Tirant parti des avantages stratégiques de leur position, ces derniers ont d'ailleurs installé des stations de surveillance, en particulier sur le mont Hermon où a été construite la plus importante de ces structures.

La zone de séparation entre les deux pays est constituée d'une bande étroite placée sur le contrôle exclusif des Forces de Nations unies pour l'observation du désengagement du Golan (FNUOD). De part et d'autre de cette frange s'étendent trois zones dites de " limitation " des armements :

- dans la zone des 10 km au-delà de la zone de séparation : 75 chars, 36 canons de 122 mm ;

- dans la zone des 20 km : 450 chars, 162 canons d'une portée de 20 km ;

- dans la zone des 25 km : interdiction des missiles.

La FNUOD, sur la base de la résolution 350 du Conseil de sécurité (1974), est chargée de veiller au respect de l'accord de cessez-le-feu. Son mandat est renouvelé tous les six mois. Ces forces réunissent un millier d'hommes fournis par cinq Etats (Autriche, Canada, Japon, Pologne, Slovaquie). 78 observateurs militaires (représentant 22 pays) complètent ce dispositif.

Les négociations, en particulier celles qui ont eu lieu entre 1995 et 1996, ont permis d'obtenir sur les autres dossiers de la négociation de véritables progrès.

- les arrangements de sécurité

Entre 1993 et 1995, Israël avait posé une double exigence, difficilement acceptable pour la partie syrienne : la restructuration de l'armée syrienne (réduction des effectifs et contrôle des armements) et le maintien de la station d'écoute israélienne installée sur le Mont Hermon. Les deux pays se seraient accordés en 1995 sur les " buts et principes des arrangements de sécurité " fondés sur l'égalité et la réciprocité, comme le souhaitait la Syrie. Damas, comme l'a confirmé le ministre syrien de la défense devant votre délégation, a par ailleurs admis la présence d'une force multinationale sur le Golan. Cette mesure représente une garantie pour la sécurité d'Israël. Enfin, les Israéliens ne devraient plus faire du maintien de la station de contrôle du mont Hermon un obstacle, dans la mesure où ils disposent désormais de moyens de surveillance aussi efficaces et moins visibles.

- la normalisation des relations

Cette question ne soulève plus de véritable difficultés. Il semble en effet acquis du côté syrien, comme le souhaitaient les Israéliens, qu'un accord de paix devrait conduire à l'ouverture des frontières et à l'échange d'ambassades. Chacun le reconnaît désormais, le développement des liens entre les deux pays prendra du temps et ne peut résulter de mesures institutionnelles.

- l'eau

Compte tenu de l'inclinaison des bassins versants du Golan vers Israël, la question de l'eau constitue un enjeu essentiel pour Israël : le Golan, véritable château d'eau, fournit 770 m3 d'eau à l'Etat hébreu, soit le tiers de sa consommation annuelle.

Cette question pourrait être réglée de manière équilibrée. En effet, si pour Damas, la question du territoire n'est pas négociable, le problème de l'eau peut être traité selon les principes du droit international. La Syrie serait notamment prête à garantir la libre circulation des eaux vers le lac de Tibériade et le Jourdain.

. Les perspectives de reprise des négociations

Votre délégation s'est rendue en Syrie avant l'embrasement dont la région a été le théâtre, depuis octobre dernier, à la suite des affrontements entre Israéliens et Palestiniens. Les réactions des autorités syriennes dont elle fait état auraient été sans doute durcies dans ce nouveau contexte.

Le premier ministre, M. Miro, avait confirmé devant votre délégation la volonté du président Bachar al-Assad de poursuivre le processus de paix dans le respect des principes de la Conférence de Madrid.

Avant même les événements d'octobre dernier, la reprise des négociations apparaissait cependant improbable à horizon rapproché.

En effet, la Syrie pose pour condition préalable la reconnaissance par Israël de la ligne du 4 juin 1967.

Israël refuse d'engager les discussions sur cette base. En outre, la rétrocession du Golan pose au premier ministre israélien des problèmes intérieurs difficiles.

Le démantèlement des 33 implantations du Golan -17 000 colons traditionnellement proches du parti travailliste, à la différence des colonies de Cisjordanie où se rangent les partisans les plus résolus du Likoud- risque de susciter des oppositions dans le propre camp de M. Barak.

L'élan indéniable qu'avait suscité en Syrie l'élection du premier ministre Barak est assez rapidement retombé. Un climat de défiance s'est instauré entre les deux partenaires. Israël " souhaite la paix et les territoires ", selon le premier ministre, M. Miro. Le processus de négociation par étapes, dans lequel s'étaient engagés les Palestiniens, a valeur de repoussoir pour les Syriens car il ne donne aucune garantie sur la reconnaissance par Israël des revendications fondamentales de l'autre partie. Il conduit ainsi aux désillusions dont on mesure aujourd'hui les graves conséquences.

Quelle peut être la position de la Syrie face à l'aggravation de la tension entre Syriens et Palestiniens ?

Il faut observer que la Syrie n'a pas, pour l'heure, cherché à souffler sur les braises. Elle n'a aucun intérêt à provoquer un conflit avec Israël. D'une part, le rapport des forces militaires ne lui est pas favorable. D'autre part, les autorités de Damas souhaitent sans doute préserver les acquis des dernières négociations.

Par ailleurs, si la population, comme dans tout le monde arabe, éprouve une sympathie immédiate pour la cause palestinienne, les dirigeants syriens paraissent quant à eux pour le moins réservé sur la personne de M. Yasser Arafat et les orientations adoptées par le président de l'Autorité palestinienne.

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