CONCLUSION

Les déclarations et les initiatives du nouveau chef de l'Etat ne sont pas encore suffisamment nombreuses pour faire apparaître une ligne d'action bien arrêtée.

Il serait donc prématuré de se prononcer sur le cap que suivra le président Bachar. Du moins, votre délégation a pu prendre une mesure plus précise de la marge d'action dont dispose le successeur d'Hafez al-Assad pour imprimer sa marque sur la politique syrienne. Elle présentera les conclusions qu'elle tire de son déplacement en Syrie sous forme de trois observations.

. Première observation : les perspectives de changement soumises à plusieurs contraintes.

L'héritage des trente années de pouvoir d'Hafez al-Assad compte, à l'actif, une indéniable stabilité politique mais aussi, au passif, un système politique marqué par de nombreux blocages.

La prise de fonction du Président Bachar al-Assad a montré la solidité du régime. Cependant, toute ouverture politique et économique risque de remettre en cause les intérêts du cercle restreint qui constitue aujourd'hui le principal appui du chef de l'Etat. Sans doute lui faudra-t-il d'abord élargir ses appuis avant d'engager les réformes nécessaires. L'appel à la patience lancé par le nouveau Chef de l'Etat ne doit pas être interprété, selon un des membres du gouvernement interrogé par votre délégation, comme un refus de réforme. Le changement, s'il se concrétise, prendra du temps et, à échéance rapprochée, la continuité l'emportera.

La population se satisfera-t-elle de perspectives aussi lointaines ? Certes, elle est aujourd'hui soumise à un encadrement rigoureux. Cependant, le pouvoir tolère aussi certaines entorses aux règles en vigueur. A titre d'exemple, les antennes paraboliques, en théorie prohibées, couvrent un nombre croissant d'habitations. De même, bien que toute manifestation d'appartenance religieuse soit proscrite par le système éducatif, le voile est désormais admis à l'école. D'une manière générale, de l'avis de nombreux observateurs, l'Islam rencontre un écho croissant au sein de la société syrienne. Le pouvoir a su ainsi témoigner d'une certaine souplesse. Saura-t-il, cependant, garder sous contrôle les aspirations de la population syrienne alors que la figure tutélaire et largement incontestée du président Hafez al-Assad a disparu ?

Parallèlement, en effet, l'environnement régional connaît d'importantes mutations : ainsi les pays voisins de la Syrie (le Liban, la Turquie, la Jordanie) ont choisi la voie de la libéralisation pour moderniser leur économie.

Une opinion publique syrienne mieux informée aspire à l'élévation de son niveau de vie. Le gouvernement a d'ailleurs récemment consenti une augmentation des traitements de la fonction publique. Pourra-t-il se dispenser de réformes plus profondes ?

Au-delà du souhait de l'amélioration matérielle des conditions de vie, l'espoir d'une plus grande ouverture politique a trouvé une première expression publique avec le manifeste pour l'instauration d'un Etat de droit rendu public en septembre 2000 et signé par 99 intellectuels. L'écart risque ainsi de se creuser entre les aspirations de la population et le rythme incertain du changement.

. Deuxième observation : la continuité dans les orientations de politique étrangère.

Les interlocuteurs de votre délégation qui s'exprimaient avant l'aggravation de la tension dans la région ont réitéré les positions traditionnelles de la Syrie sur les deux grands sujets de politique étrangère que sont le Liban et la paix avec Israël.

Ainsi, les forces syriennes, présentes dans le pays du cèdre à la demande des autorités libanaises, se retireront dès que ces mêmes autorités en auront exprimé le souhait. Compte tenu de l'influence de Damas sur le pouvoir politique à Beyrouth, il ne fait pas de doute que la Syrie reste maître de son retrait du Liban. Rien n'indique aujourd'hui qu'elle envisage une évolution de sa présence militaire.

S'agissant du processus de paix avec Israël, les interlocuteurs de votre délégation ont rappelé que la Syrie était disposée à reprendre les discussions dès que possible, sur la base de la reconnaissance préalable par Israël de la frontière du 4 juin 1967. Sans doute, la paix présenterait-t-elle de nombreux avantages pour la Syrie. Elle pourrait aussi ne pas être sans effet déstabilisateur. En effet, le régime a fondé en partie sa légitimité vis-à-vis de l'opinion syrienne et son influence dans le monde arabe, sur une position d'intransigeance à l'égard d'Israël. Comme l'a observé un ministre syrien devant votre délégation, les Syriens ont été " abreuvés d'anti-israélisme et de nationalisme arabe " pendant des décennies. La position prééminente de l'armée en Syrie repose aussi, en partie du moins, sur la situation de " paix armée " avec l'Etat hébreu. Dans ces conditions, les conséquences intérieures d'un accord de paix seront sans doute soigneusement pesées. La paix, si elle devait se conclure, ne susciterait sans doute pas un sentiment d'enthousiasme dans l'opinion publique. Il est vrai que le Président Bachar, dans l'hypothèse de la signature d'un accord, pourrait obtenir l'adhésion des Syriens en se prévalant de la fidélité à une orientation fixée par son père dont l'action reste incontestée.

Pour l'heure, la relance des négociations dans le contexte marqué par les affrontements entre Israéliens et Palestiniens est exclue. Cependant, il faut souligner que les Syriens ont observé une certaine retenue depuis les événements d'octobre dernier et se sont alignés sur la position plutôt modérée adoptée par le Sommet de la Ligue arabe, le 21 octobre. Sans doute faut-il voir là tout autant le signe de la défiance habituelle des dirigeants syriens vis-à-vis de l'action de Yasser Arafat que la volonté de ne pas commettre l'irréparable avec Israël, afin de préserver autant que possible les acquis indéniables obtenus au cours des différents cycles de négociation avec l'Etat hébreux.

. Troisième observation : une volonté déterminée de renforcer les liens avec la France.

La Syrie redoute de se laisser enfermer dans un tête à tête avec Israël et les Etats Unis qui la soumettrait à une pression trop forte. C'est pourquoi elle ne peut trouver qu'avantage à une plus grande implication de l'Union européenne dans le cadre du processus de paix. La participation de la Syrie au partenariat euro-méditerranéen répond ainsi davantage à des considérations politiques qu'économiques -même si les perspectives d'une aide financière ne sont naturellement pas tenues pour négligeables par Damas. L'objectif de libre échange, inscrit dans le futur accord d'association, ne semble pas susciter un grand enthousiasme de la part des autorités syriennes et les négociations en cours sur ce texte traînent en longueur.

La Syrie compte beaucoup sur la France pour favoriser le rapprochement souhaité avec l'Europe. En effet, à la période de tension des années 80 a succédé un réchauffement sensible depuis dix ans de nos relations.

S'il existe encore des appréciations différentes, notamment sur la présence militaire au Liban, le climat entretenu paraît propice au renforcement de nos liens. La France y a, pour sa part, tout avantage. La capacité de Paris d'obtenir une écoute attentive des autorités syriennes peut permettre à notre pays de jouer un rôle utile de médiation reconnu d'ailleurs, de manière positive et pour la première fois, par un Premier ministre israélien lors de la visite de M. Barak à Paris en 1999.

La qualité des relations avec la Syrie constitue, dès lors, un atout indéniable pour mieux faire entendre la voix de la France et de l'Union européenne dans le processus de paix.

Ce renforcement peut s'appuyer sur une coopération culturelle dynamique qu'il convient encore d'intensifier. A cet égard, votre délégation souhaiterait attirer l'attention sur quelques aspects ponctuels, certes, mais importants. Les crédits devront d'abord être réajustés en raison de l'effet change négatif lié à la hausse du dollar. Ensuite, la construction de l'Ecole française de Damas devrait être accélérée ; la Syrie a fait un geste significatif en libérant un terrain occupé jusqu'à présent par des militaires et attend désormais des initiatives concrètes de la part de notre pays. Dans le domaine des visas, on doit déplorer l'insuffisance notable des effectifs de notre consulat de Damas.

Sur le plan économique, il faut se féliciter du dynamisme dont témoigne notre ambassade à Damas, même si l'intérêt des investisseurs français dépendra avant tout de l'évolution d'un cadre réglementaire et législatif jugé aujourd'hui trop contraignant.

Au-delà des confrontations, le passé a façonné entre la France et la Syrie de véritables affinités, en particulier dans le domaine de la langue et de la culture. Il appartient aujourd'hui à nos deux pays de faire fructifier ce legs et de poursuivre leur rapprochement. L'ouverture démocratique, économique et diplomatique de la Syrie, si elle se concrétise, permettrait certainement de progresser dans cette voie.

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