CONCLUSION

La communication de la Commission sur les services d'intérêt général en Europe apparaît clairement comme un texte de commande , sans doute un peu trop prudent, mais qui fait quand même progresser le débat.

L'apaisement doctrinal qui s'exprimait en 1996 dans sa première communication sur le sujet, est ainsi confirmé . Le manichéisme n'est pas possible en matière de services publics : les défenseurs de la concurrence comme les défenseurs de l'intervention publique ont des arguments fondés à faire valoir.

On peut toutefois regretter que la communication de la Commission ne comporte pas de véritables avancées juridiques . Jusqu'à présent, les divergences doctrinales n'ont pas été vraiment surmontées, mais aplanies par des compromis pragmatiques entre les Etats membres. Ces compromis ne sont plus suffisants aujourd'hui, et une doctrine proprement européenne des services publics reste à définir.

Pour l'instant, beaucoup d'ambiguïtés demeurent. C'est pourquoi il faut demeurer vigilant et juger la Commission à ses actes, et non pas sur ses déclarations. A cet égard, ses récentes propositions tendant à libéraliser davantage le transport ferroviaire, ou les services postaux, ne sont pas sans poser quelques problèmes. Le sujet des services publics, dès lors que l'on n'en reste pas au niveau des grands principes, est encore loin d'être consensuel en Europe.

A la lumière d'aujourd'hui, la crise provoquée au cours de la dernière décennie par l'ouverture forcée des marchés monopolistiques par la Commission a été salutaire. Personne ne conteste plus aujourd'hui l'intérêt d'introduire une dose de concurrence et d'émulation dans le fonctionnement des services publics . Mais les adaptations demandées aux services d'intérêt général existants doivent être prévisibles et assorties de délais raisonnables , afin de pouvoir être intégrées dans les stratégies des entreprises qui en sont chargées. Une formule qui résume bien l'objectif à atteindre est la suivante : " plus d'Europe dans les services publics et plus de service public dans l'Europe ".

La France, à travers l'action de ses gouvernements successifs et avec le soutien constant de son Parlement, est l'un des Etats membres les plus soucieux de promouvoir les services publics en Europe - car il ne s'agit plus désormais de se contenter de les " défendre ". Dans ce domaine, notre pays a une tradition juridique solide , et plus variée qu'une certaine focalisation du débat sur les services publics nationaux à statut le laisse paraître. Les Français peuvent aussi légitimement s'enorgueillir des succès rencontrés par leurs entreprises en charge de services publics sur le marché européen. Celles-ci ont su, pour la plupart, s'adapter à la nouvelle donne communautaire afin de devenir plus performantes.

Toutefois, votre rapporteur croit indispensable pour la France d'éviter toute morgue. Le service public " à la française " a sans doute ses qualités propres, mais ne peut prétendre à l'exemplarité sur tous les points. Au contraire, il faut reconnaître que les contraintes communautaires ont permis aux services publics français de beaucoup s'améliorer, et admettre qu'ils ont aussi à apprendre des pratiques de leurs homologues des autres Etats membres.

Le débat sur les services publics se trouve ainsi relancé à un moment charnière de la construction européenne, alors que le marché intérieur est en voie d'achèvement tandis que des politiques structurelles communes sont ébauchées ou relancées, telles que la politique d'aménagement du territoire, la politique des transports, la politique de l'énergie ou l'initiative e Europe pour hâter l'entrée des pays de l'Union dans la société de l'information.

Mais le chantier européen de l'ouverture des secteurs économiques naguère monopolistiques est encore loin d'être achevé. L'accord sur le " paquet ferroviaire " auquel sont récemment parvenus le Conseil et le Parlement européens, après une discussion longue et ardue, est encourageant. De nouvelles étapes, tout aussi difficiles à négocier, s'annoncent également pour les secteurs des télécommunications et des services postaux. Quant au marché intérieur de l'électricité, il s'apprête à gagner un degré de maturité supplémentaire, avec le lancement d'une politique, encore timide, de promotion des énergies renouvelables.

Institutionnellement, la prochaine étape prévisible de ce débat sera le Conseil européen de Nice, les 7 et 8 décembre 2000, même si les services d'intérêt général n'étaient pas initialement inscrits à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale. Il semble toutefois douteux qu'il se trouve une majorité d'Etats membres pour accepter de " charger la barque " des négociations avec un sujet aussi peu consensuel que les services publics, alors que l'indispensable accord sur les " reliquats " du Conseil européen d'Amsterdam s'annonce particulièrement délicat à obtenir.

Il n'en reste pas moins pertinent de s'interroger dès maintenant sur l'opportunité d'inscrire dans le traité instituant la communauté européenne des dispositions en faveur des services publics un peu plus " consistantes " que l'article 16. Ainsi, la jurisprudence de la Cour de justice, les politiques décidées par les Etats membres et le Parlement européen, et même, pourquoi pas, les initiatives de la Commission pourraient s'appuyer utilement sur ces nouvelles dispositions, à définir. Mais, sur ce point non plus, il ne semble pas y avoir pour l'instant d'accord entre les Quinze.

Toujours sur le plan juridique, la reconnaissance d'un droit d'accès aux services publics au profit de chaque citoyen européen - ou plus exactement, de chaque habitant de l'Union européenne - est une perspective prometteuse, ouverte par le projet de Charte des droits fondamentaux. Mais tout dépend de la valeur que les Etats membres décideront de conférer au projet de Charte à l'issue du sommet de Nice.

Les gestionnaires de services d'intérêt général, par la voix de leurs institutions représentatives au niveau communautaire, ont émis le voeu d'une directive cadre générale sur les services publics en Europe.

Les avantages de cette proposition sont évidents. Un texte de cette nature permettrait de fixer les principes communs à tous les services d'intérêt général, au-delà du foisonnement des directives sectorielles, et garantirait aux opérateurs une plus grande sécurité juridique que celle qui peut résulter de la libre interprétation par la Commission de principes contradictoires. Mais ses inconvénients sont tout aussi évidents. Une directive cadre générale " cristalliserait ", à la date de son adoption, le consensus minimal existant entre les Etats membres sur la question des services d'intérêt général, gommerait les différences naturelles entre les différents secteurs, et risque de priver, finalement, les gestionnaires de services publics de la souplesse d'adaptation nécessaire à la satisfaction de leurs missions.

Enfin, deux autres aspects du thème des services d'intérêt général en Europe apparaissent très importants, et appellent un suivi particulier à l'avenir. Il s'agit, d'une part, de la contribution des services publics au bon fonctionnement des économies de marché performantes dont les pays candidats doivent impérativement se doter avant d'entrer dans l'Union européenne et, d'autre part, de la mise en place de services publics communs, dans les domaines où l'action communautaire apparaît plus efficace que l'action des Etats membres. Ainsi, les services d'intérêt général pourraient, à terme, ne plus être simplement une dérivée, à la fois secondaire et conflictuelle, des politiques du marché intérieur et de la concurrence, mais une véritable politique européenne du service public.

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