IV. DES MOYENS LARGEMENT DÉPASSÉS PAR L'AMPLEUR DES PROGRAMMES EUROPÉENS

Notre action est tournée vers l'Union européenne, mais est également quelque peu dépassée par celle de l'Union européenne elle-même. En effet, les moyens dont disposent les représentations de l'Union européenne dans les pays candidats à l'adhésion sont sans commune mesure avec ceux dont disposent les ambassades nationales des différents Etats membres. Sur le terrain, la compétition qui peut avoir lieu au niveau national ou au niveau international vis-à-vis de l'attribution des fonds européens se retrouve sous la forme d'une lutte d'influence pour conduire les projets de pré-adhésion financés par l'Union européenne. La diversité des projets et des responsables de ces programmes rend une évaluation de ce dispositif peu aisée. Cette initiative originale produit indéniablement des effets bénéfiques dans des administrations sclérosées par des décennies de système communiste : aide à la prise de décision, préparation à la gestion des fonds européens...

Les jumelages institutionnels organisés dans le cadre du programme PHARE visent à renforcer la capacité institutionnelle et administrative des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, et à établir des administrations locales modernes et efficaces, qui puissent appliquer pleinement l'acquis communautaire. Un jumelage comprend le détachement d'experts de l'Union européenne (appelés " conseillers pré-adhésion) dans les pays d'Europe centrale et orientale concernés, dont la mission est de travailler à un projet spécifique dans un ministère ou, plus rarement dans une administration locale. La durée de cette mise à disposition va de quelques jours jusqu'à 12 ou 24 mois selon le projet considéré. En 1999, 2,4 millions de francs ont été consacrés par la France au financement de missions d'identification de jumelages dans le cadre du programme PHARE, afin de participer aux appels d'offre de jumelages avec les pays candidats.

Sur les deux premières vagues de projets, la France a participé à 46 des 112 jumelages institutionnels, dont 28 comme chef de file et 18 comme partenaire dans le cadre d'un consortium. Elle s'est ainsi placée en deuxième position derrière l'Allemagne. Les jumelages montrent ainsi que l'expérience française est appréciée dans de nombreux secteurs : organisation économique et financière, normalisation, contrôle des eaux, transport, énergie et agriculture notamment.

Dans un entretien publié dans " La Lettre d'Egide " 7 ( * ) , M. Claude Cornuau conseiller de la Commission européenne pour la coopération administrative avec les pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne, considère que le système de jumelage est " une occasion sublime pour les Etats membres d'étendre leur influence ". Il ajoute que " les projets de jumelage sont une nouvelle donne pour l'offre française, car ils s'adressent uniquement à l'administration et à ses opérateurs. Cela leur permet d'offrir plus facilement leur expertise aux PECO [pays d'Europe centrale et orientale] sur des financements communautaires. ". Il convient d'ajouter que ces jumelages institutionnels, en développant la notoriété de l'expertise administrative française, préparent également les coopérations intra-communautaires avec les futurs états membres de l'Union européenne.

Si ces programmes de pré-adhésion sont essentiels pour développer l'influence de la France dans les administrations des pays candidats, votre rapporteur spécial considère que le statut de la France dans le cadre d'une Union européenne élargie ne saurait être assuré qu'en développant également les actions de coopération bilatérale, et en affirmant la spécificité de la France au sein de l'ensemble européen .

La programmation financière des aides de pré-adhésion de l'Union européenne

Le Conseil européen de Berlin des 24 et 25 mars 1999 a défini les perspectives financières de l'Union européenne pour l'ensemble des politiques communes et l'élargissement pour la période 2000-2006, en maintenant le plafond des ressources propres de l'Union, fixé à 1,27 % du PIB des Etats membres.

Les dépenses liées à la préadhésion et à l'adhésion s'élèvent respectivement à 21,84 milliards et 58,07 milliards d'euros et représentent 11,37 % des crédits d'engagement prévus pour la période 2000-2006. On remarquera que les candidats à l'adhésion bénéficieront donc d'à peine plus de 10 % des crédits d'engagement, alors que leur population totale dépasse 20 % de la population de l'Union. De même, ils ne bénéficieront que de 7 % des crédits agricoles de la PAC alors que leur population active agricole représente plus de 50 % de celle de l'Union européenne.

Le dispositif financier destiné aux pays candidats à l'adhésion pour la période 2000-2006 implique un doublement des aides de préadhésion par rapport à la période antérieure, avec la création de deux instruments spécifiques en sus du programme PHARE : le " SAPARD " (instrument de préadhésion agricole) et l'" ISPA " (instrument structurel de préadhésion). Par ailleurs, la programmation envisage une hypothèse d'adhésion de nouveaux Etats à partir de 2002, conduisant à terme à une dépense après l'adhésion environ cinq fois plus importante qu'avant l'adhésion.

Les partenariats pour l'adhésion fixent les priorités pour l'intégration au marché unique, à partir desquels est organisée l'assistance financière de l'Union européenne au dix pays candidats à l'adhésion (Chypre et Malte étant traités à part des autres candidats), soit un montant de 21 milliards d'euros entre 2000 et 2006 (Programme PHARE : 10,5 milliards d'euros ; aide à l'agriculture : 3,5 milliards d'euros ; instrument structurel : 7 milliards d'euros).

Le programme PHARE : une clarification des objectifs bienvenue

Le programme PHARE, qui avait été critiqué au cours de la période 1995-1999, est recentré autour de deux priorités pour la période 2000-2006 : d'une part, la formation des cadres pour 30 % du budget, afin de consolider les institutions démocratiques et les administrations publiques et les familiariser avec l'acquis communautaire, et d'autre part, le financement des investissements pour 70 % du budget, dans des domaines où il est indispensable d'éviter au maximum des périodes de transition après l'adhésion. De plus, ces projets d'investissement sont systématiquement cofinancés par les pays candidats.

L'instrument structurel de pré-adhésion (ISPA) : une goutte d'eau au vu des besoins des pays candidats ?

Il convient de souligner que de nombreuses dispositions relatives à l'ISPA reprennent celles du Fonds de cohésion en vigueur dans les pays membres de l'Union européenne. En particulier, les projets financés doivent concerner les domaines de l'environnement et des transports, seule une part minime de ce fonds (2 %) pouvant financer des études préparatoires et des dépenses d'assistance technique.

Les taux du concours communautaire au titre de l'ISPA peuvent représenter jusqu'à 85 % de la dépense publique. Cette exigence de cofinancement vise à conférer à l'ISPA un effet de levier que la Commission européenne souhaite renforcer en incitant les bénéficiaires à recourir à d'autres formes de financement tels que les prêts de la banque européenne d'investissement (BEI), de la banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et de la banque mondiale notamment.

En matière d'environnement et d'infrastructures de transport, les besoins des pays candidats sont considérables. En effet, la Commission évalue à près de 100 milliards d'euros (soit 1.000 euros par habitant) le total des besoins en investissement pour satisfaire à l'acquis communautaire en matière d'environnement. De même, en matière d'infrastructures de transport, la Commission évalue entre 50 et 90 milliards d'euros la dépense nécessaire pour mettre aux normes de l'Europe occidentale les routes et les voies ferrées dans les pays candidats à l'adhésion à l'Union.

La comparaison entre le montant des investissements nécessaires et les financement disponibles dans le cadre de l'ISPA permet de constater l'impossibilité pour les pays candidats de se mettre aux normes en matière d'infrastructures de transport et en matière d'environnement préalablement à leur adhésion.

L'instrument en faveur de l'agriculture et du monde rural (SAPARD) :

Dans le domaine agricole, les aides communautaires ont pour but, d'une part, de résoudre les problèmes d'adaptation du secteur de l'agriculture et des zones rurales des pays candidats, et, d'autre part, de contribuer à la mise en oeuvre de l'acquis communautaire concernant la politique agricole commune et les autres politiques agricoles. Les aides communautaires sont accordées dans le cadre d'un programme de développement rural pour une période de 7 ans au maximum à compter du 1 er janvier 2000.

L'aide à la pré-adhésion financée par le FEOGA-garantie sous la forme d'avances, de cofinancements et de financements est répartie entre les pays bénéficiaires en fonction de critères objectifs, tels que la population agricole, la superficie agricole, le produit intérieur brut en parité de pouvoir d'achat... La contribution communautaire ne dépasse pas 75 % des dépenses publiques totales éligibles, à l'exception des dépenses d'assistance technique pour lesquelles elle peut atteindre 100 % du coût total éligible.

Les pays candidats à l'adhésion connaîtront des difficultés d'intégration en matière agricole compte tenu de la faiblesse de leurs structures et des écarts de prix pour les principaux produits. L'industrie agro-alimentaire de ces pays éprouvera donc des difficultés d'ajustement considérables au moment de leur intégration dans le marché unique, en particulier dans les secteurs qui subiront des hausses des prix des produits de base et dans les pays où le secteur primaire est faible. Ces considérations ont amené la Commission à proposer des aides au développement de leurs structures agricole et de transformation, ainsi que de leur milieu rural, afin de les préparer progressivement à une pleine intégration dans le marché commun agricole.

L'aide de pré-adhésion a considérablement progressé depuis 1995. Il n'en demeure pas moins qu'elle demeure globalement insuffisante pour permettre la mise à niveau des pays candidats, que ce soit en matière d'infrastructures de transport, d'environnement ou d'agriculture.

Votre rapporteur spécial veut souligner à nouveau que nos postes dans les pays candidats à l'Union européenne sont soumis à une tension considérable quant à leur budget d'intervention en matière culturelle. Il considère qu'il est indispensable de mettre fin à cette hémorragie, qui oblige les services culturels à rechercher de manière systématique des partenariats pour la mise en oeuvre de leurs actions. Or, si la France ne paraît, dans aucun des pays candidats, pouvoir se substituer aux influences allemandes et américaines, elle a des atouts à faire valoir . D'abord, parce qu'elle bénéficie d'un capital de sympathie important, notamment auprès de la jeunesse. Ensuite, parce que sa présence économique est importante, notamment dans les secteurs de l'hôtellerie, de la grande distribution et de la banque. Enfin, parce qu'elle est perçue comme un contrepoids nécessaire à l'influence allemande d'une part, et à l'influence américaine d'autre part . En effet, la situation géographique de l'Allemagne, au coeur de la " Mitteleuropa ", et sa présence économique dans les pays d'Europe centrale et orientale, lui confèrent un statut de partenaire privilégié. Or, les pays candidats ne souhaitent pas que l'Allemagne occupe une position par trop dominante au sein d'une Union européenne élargie, en particulier pour des raisons historiques bien compréhensibles. La France constitue, compte tenu de son poids politique et économique, mais également de son histoire et de sa culture, un partenaire susceptible de faire contrepoids à l'Allemagne. Pour les pays candidats, le développement des relations de coopération avec la France participe d'une volonté d'ouverture vers un espace culturel francophone et un facteur de rééquilibrage de la présence allemande en Europe de l'est. En particulier, l'acquisition du statut d'Etat observateur de l'Organisation internationale de la francophonie par la Pologne, la République tchèque et la Slovénie, témoigne de cette volonté d'ouverture.

L'influence américaine dans les pays d'Europe de l'est est sensible dans les secteurs de la défense et des affaires étrangères d'une part, et dans le secteur des médias et de la communication d'autre part. La volonté des pays d'Europe centrale et orientale d'adhérer à l'OTAN (organisation du traité de l'Atlantique nord) - plusieurs d'entre eux en sont devenus membres dès 1999 - explique la présence d'experts militaires américains sur le territoire de ces pays, afin de mettre en oeuvre le concept d'interopérabilité entre les forces armées des différents pays membres de l'OTAN. Dans ce contexte, la France, de par son industrie militaire et son statut sur la scène internationale, s'impose comme la seule alternative à l'hégémonie américaine. Dans le secteur des médias et de la communication, l'industrie cinématographique et télévisuelle américaine s'est largement imposée dans les pays d'Europe centrale et orientale, notamment en République tchèque. La France est peu présente dans ces domaines, et doit développer ses efforts en faveur de la distribution des films français dans les réseaux commerciaux locaux. Le succès des festivals du films français organisés chaque année dans les capitales des pays d'Europe centrale et orientale souligne au demeurant l'intérêt porté pour la production française.

La perspective de l'adhésion ne doit pas conduire nos ambassades à se transformer en " courroies de transmission " de l'Union européenne. Ce serait une erreur, dans un ensemble dont le centre de gravité va se déplacer vers l'Est, de ne pas faire valoir nos atouts et notre culture spécifique. Ce n'est en effet qu'en intensifiant nos coopérations bilatérales que nous pourrons développer notre influence politique dans ces pays appelés à nous rejoindre dans la grande maison européenne.

* 7 La Lettre d'Egide n°18 : " L'expertise administrative française dans les programmes communautaires ".

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