II. L'EXEMPLE ITALIEN : LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EN ITALIE

Il faut dire que les performances italiennes de ces dernières années en matière de transposition sont tout à fait remarquables. Alors que le déficit de transposition (c'est-à-dire le pourcentage de mesures encore non transposées) était pour l'Italie de 7,6 % en novembre 1997, il est tombé à 3,2 % en novembre 2000. Rappelons en comparaison que la France n'a vu, dans le même temps, son déficit diminuer que de 7,4 % à 4,5 %. L'Italie, qui était derrière la France au tableau d'affichage de novembre 1997, est très largement devant elle au tableau de novembre 2000.

On comprend dès lors que l'exemple italien fasse recette et que, dans certains milieux administratifs français, on évoque avec gourmandise la loi La Pergola.

Mais qu'est-ce que la loi La Pergola ?

La loi La Pergola est la loi du 9 mars 1989 sur la participation de l'Italie au processus d'élaboration des normes communautaires et sur la procédure d'exécution de ses obligations communautaires.

Que prévoit-elle ?

Les dispositions prévues par la loi La Pergola

La loi La Pergola prévoit que, chaque année, avant le 31 janvier, le ministre responsable des questions européennes vérifie, avec les administrations concernées, la conformité de l'ordre juridique interne aux normes communautaires et soumet à l'approbation du Conseil des ministres un projet de loi portant adaptation de l'ordre juridique interne à l'ordre juridique communautaire, le projet de " loi communautaire ". Ce projet de loi doit être déposé au Parlement avant le 31 mars.

D'après la loi La Pergola, le projet de " loi communautaire " comporte :

- les dispositions modifiant ou abrogeant les normes internes de rang législatif, c'est-à-dire les lois ou les décrets législatifs (1) , qui sont en vigueur et qui sont en contradiction avec les règles communautaires ou avec les décisions de la CJCE ;

- la demande de délégation législative (c'est-à-dire de légiférer par décret législatif), laquelle est valable pendant un an, pour les directives portant sur des matières réservées à la loi (2) et dont la transposition requiert l'élaboration de textes complets ;

- l'autorisation de procéder par décret du président de la République délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, pour transposer les directives portant sur des matières qui ne sont pas réservées à la loi.

L'article 4 de la loi précise que le Gouvernement doit annexer au projet de " loi communautaire " la liste des directives dont la transposition par le troisième moyen est demandée au Parlement et que, lorsque ce mode de transposition est utilisé, les commissions parlementaires compétentes doivent donner leur avis dans les 40 jours qui suivent la transmission du projet de décret, sans toutefois que le défaut d'avis parlementaire empêche la publication dudit décret.

(1) Contrairement aux décrets-lois, que le Gouvernement adopte de sa propre initiative dans les cas d'urgence et qui doivent être convertis en lois par le Parlement dans les 60 jours qui suivent leur publication pour ne pas devenir caducs, les décrets législatifs requièrent une délégation du Parlement au Gouvernement qui résulte d'une loi ordinaire fixant la durée et l'objet de la délégation. La délégation ne peut pas porter sur des matières couvertes par la " réserve législative absolue ". Par ailleurs, la loi de délégation peut imposer d'autres contraintes au Gouvernement, comme l'obligation de consulter les commissions parlementaires.

(2) Il s'agit des matières couvertes par la " réserve législative relative ", pour lesquelles la loi détermine les principes fondamentaux, mais sans fixer les règles.

De fait, en vertu de la loi La Pergola, le Parlement italien n'intervient dans la transposition que pour les directives qui ne requièrent que quelques corrections législatives ; en revanche, pour les autres directives, il se contente d'autoriser le Gouvernement à procéder par décret législatif ou par décret du Président de la République. La seule limite à la délégation législative réside dans la " réserve législative absolue " qui ne couvre que quelques matières (liberté individuelle, inviolabilité du domicile, liberté et secret de la correspondance...) dont la Constitution prévoit qu'elles doivent être entièrement régies par la loi.

Autant dire que le Parlement italien se voit réduit à un rôle marginal dans la transposition des directives.

Mais il semble que cela paraisse encore trop contraignant aux yeux de l'exécutif italien. En effet, constatant que la " loi communautaire " a été souvent adoptée avec retard, le Gouvernement italien a, le 10 novembre dernier, adopté en Conseil des ministres un projet de loi de modification de la loi La Pergola visant à réduire encore le rôle du Parlement lors de la transposition des directives .

Afin que les directives soient transposées plus rapidement, sans qu'il soit besoin d'attendre le vote de la " loi communautaire " annuelle, ce projet prévoit notamment la possibilité que les directives adoptées conjointement par le Parlement européen et le Conseil selon la procédure de codécision puissent être transposées par des décrets du président de la République délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, dans la mesure où ces directives portent sur des matières qui sont régies par la loi, mais ne sont pas couvertes par la " réserve législative absolue ". Les assemblées ne conserveraient que la possibilité de demander, dans les soixante jours suivant la publication de ces directives au Journal Officiel des Communautés européennes, une transposition selon la procédure prévue par la loi La Pergola. Quant aux directives portant sur des matières non régies par la loi, elles seraient transposées par des arrêtés des ministres concernés.

Il est plaisant de constater que, sans doute dans le but de favoriser un bon accueil parlementaire à ce projet de loi, on lui a donné comme objectif d'accroître le rôle du Parlement national dans la phase de préparation des textes communautaires et de le réduire lors de la transposition des directives. La partie relative à l'accroissement du rôle du Parlement en amont concerne l'information de ce dernier sur les projets d'actes communautaires, avec la possibilité, pour le Gouvernement, dans les cas particulièrement importants, d'opposer en COREPER la réserve d'examen parlementaire. Le Parlement aurait alors l'obligation de donner son avis... dans les trois jours !

Tout exécutif, c'est naturel, cherche à se dégager autant qu'il le peut des obligations que le Parlement est, tout aussi naturellement, porté à faire peser sur lui. Il est donc bien normal que le Gouvernement français mette en avant l'extraordinaire rattrapage italien en matière de transposition pour faire valoir les avantages d'une mise à l'écart du Parlement en ce domaine.

On comprendra toutefois que, pour notre part, nous ne soyons guère tentés de trouver dans l'exemple italien les remèdes à la situation française.

Mais a-t-on bien observé l'exemple italien ?

N'est-il pas surprenant que la loi La Pergola date de mars 1989 et que ce ne soit guère que depuis 1998 que l'Italie ait engagé ce rattrapage ?

En fait, le véritable artisan de la nouvelle situation italienne est Enrico Letta, ministre des Politiques communautaires du premier gouvernement de Massimo D'Alema. Forte personnalité, Enrico Letta, plus jeune ministre du gouvernement, a de fait totalement transformé le ministère des Politiques communautaires qui joue à présent un rôle central dans le dispositif italien, tout à la fois d'impulsion et d'arbitrage. Des décrets ont d'ailleurs consacré, au début de l'année 2000, les compétences de coordination du ministre des Politiques communautaires, au moment où Enrico Letta quittait ce poste pour le ministère de l'Industrie.

L'expérience italienne apporte ainsi une illustration archétypique de la phrase que la Commission plaçait en tête de sa dernière analyse de la transposition des directives relatives au marché intérieur :

" Trois ans après le premier tableau d'affichage, il est devenu clair que les administrations nationales ne peuvent réduire sensiblement leur déficit de transposition de la législation relative au marché intérieur que si une activité administrative intense est associée à un soutien politique aux plus hauts niveaux. "

Il nous semble que, s'il est bon de regarder l'Italie comme un modèle, c'est plutôt à cet égard que pour la réduction du rôle du Parlement national dans la transposition.

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