Rapport d'information n° 182 (2000-2001) de M. Hubert HAENEL , fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, déposé le 11 janvier 2001

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N° 182

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 janvier 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne sur la transposition des directives communautaires,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Henri Weber.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Financial Times du 27 décembre dernier révélait à ses lecteurs que Lord Falconer, le ministre chargé de superviser la mise en oeuvre des directives au Royaume-Uni, avait tenu au cours des derniers mois des séminaires au cours desquels il avait exhorté les fonctionnaires britanniques à ne pas faire preuve de trop de zèle dans la transposition de la législation communautaire, leur expliquant qu'il est préférable de risquer un recours devant la Cour de Justice que d'entraver l'industrie par une réglementation européenne excessivement lourde.

Aux yeux de beaucoup de nos partenaires, la France paraît experte à ce jeu. Dans le tableau d'affichage du marché intérieur que publie chaque semestre la Commission européenne depuis novembre 1997, notre pays est en effet passé de la dixième à la onzième place, puis à la treizième et enfin, avec le dernier tableau d'affichage rendu public en novembre 2000, à la quatorzième place. Seule la Grèce accuse aujourd'hui un déficit de transposition supérieur au nôtre. Encore convient-il d'ajouter que la France, avec 89 lettres de mise en demeure pour 1998-1999, arrive au premier rang pour le nombre des procédures d'infraction !

Ainsi que le souligne la Commission dans les commentaires de son tableau d'affichage : " En France, les transpositions partielles se combinent aux transpositions en retard, ce qui suggère des difficultés récurrentes dans le processus de transposition. "

Cette situation a été longuement évoquée à la tribune du Sénat, puis de l'Assemblée nationale, en octobre et décembre derniers, à l'occasion de l'examen du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire .

Comme le signalait alors le ministre des Relations avec le Parlement, " au 30 septembre 2000, notre pays comptait " un stock " de 176 directives à transposer, dont 136 étaient, à cette date, à proprement parler " en retard " de transposition (...). Parmi ces directives, certaines remontent au début des années quatre-vingt. "

Et le ministre d'énumérer alors les conséquences déplorables d'un tel état de fait :

- la création d'une forte insécurité juridique, puisque la jurisprudence développée par la Cour de Justice permet l'application de certaines dispositions des directives dès la fin du délai de transposition, même si cette dernière n'a pas été faite ;

- la fragilisation de la position de la France vis-à-vis de la Commission et de nos partenaires lorsqu'une nouvelle directive est en cours de négociation alors même que nous n'avons pas encore achevé la transposition de la directive précédente sur ce même sujet ;

- enfin, la multiplication des procédures contentieuses et le risque, à terme, d'être condamné au versement d'amendes ou d'astreintes.

I. LES PROPOSITIONS FORMULÉES LORS DES DÉBATS SUR LE PROJET DE LOI D'HABILITATION

Au cours des débats parlementaires, plusieurs intervenants ont regretté que le projet de loi autorisant le Gouvernement à transposer certaines directives par ordonnances ne s'accompagnât d'aucune proposition ni d'aucun engagement du Gouvernement de nature à assurer que les dysfonctionnements qui avaient conduit à ces retards ne dureraient pas.

Ainsi que je le soulignais moi-même dans la discussion générale sur le projet de loi :

" La plus grande carence de ce projet de loi est qu'il ne s'accompagne d'aucune mesure pour que la situation qu'il veut assainir ne se reproduise pas. Le Parlement était en droit d'attendre de votre part, Monsieur le Ministre, l'engagement que cela ne se renouvellera pas et la façon de procéder.

Les mêmes causes ayant les mêmes effets, si rien n'est fait, les directives non transposées vont recommencer à s'amonceler, jusqu'à une prochaine loi d'habilitation. "

Il m'avait semblé nécessaire de mettre l'accent sur ce point car le ministre délégué chargé des Affaires européennes, lors de son audition le 17 octobre par les commissions du Sénat, avait expliqué les retards dans l'application du droit communautaire " par des comportements internes à l'administration et par la lenteur de la procédure parlementaire " , et s'était seulement déclaré " ouvert à la recherche de solutions qui permettraient d'éviter de reproduire le retard actuel " . Et le ministre des Relations avec le Parlement n'avait pas cru nécessaire, lors de sa présentation du projet de loi à la tribune du Sénat le 25 octobre, d'avancer l'ombre d'une proposition de réforme.

Le Gouvernement ayant été sollicité par de nombreux orateurs lors des débats au Sénat et à l'Assemblée nationale, le ministre des Relations avec le Parlement devait cependant avancer certaines interrogations - à défaut de propositions - devant l'Assemblée nationale le 5 décembre :

" Pour l'avenir, il faudra trouver de nouvelles procédures car la situation que le Gouvernement vous demande de régler par cette habilitation ne doit plus se renouveler.

Faudra-t-il, comme en Allemagne, imaginer une procédure de discussion accélérée permettant d'introduire un même texte de transposition simultanément dans les deux chambres ?

Faudra-t-il, comme en Italie, habiliter chaque année en bloc l'exécution des obligations communautaires dans des secteurs multiples ?

Faudra-t-il prévoir pour les projets de loi transposant des directives une saisine pour avis de votre délégation pour l'Union européenne, comme le propose son président, M. Alain Barrau, ou bien encore appliquer davantage la procédure d'examen simplifiée, qui a été introduite dans le règlement de l'Assemblée en mai 1991 mais qui reste sous-utilisée ?

Le débat est ouvert, ici comme dans les autres pays de l'Union, jusque même en Grande-Bretagne où la Chambre des communes, la mère de tous les parlements, autorise pourtant des délégations législatives afin que le Gouvernement transpose par voie réglementaire des textes communautaires de nature technique.

Plus profondément, ce débat montre qu'il faut s'interroger sur la place que la représentation nationale doit prendre dans la mise en oeuvre du droit communautaire.

Les réponses que nous pouvons apporter ont sûrement à être recherchées dans le domaine du règlement de l'Assemblée. Peut-être ont-elles aussi une dimension constitutionnelle ? Cette réflexion doit être menée. Elle nous concerne tous parce qu'elle porte sur la façon de répondre aux exigences de la construction juridique communautaire dans laquelle nous sommes engagés et aussi de mieux garantir pour l'avenir les prérogatives du Parlement. "

Par ailleurs, dans le cours du débat, M. Alain Barrau, faisant valoir qu'il était de sa fonction de président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne de " faire des propositions pour essayer de ne plus être collectivement confrontés à cette situation " , énuméra plusieurs réformes " pour éviter que la situation actuelle ne se reproduise, de manière quasi-mécanique, dans quelques années " .

Il évoqua d'abord rapidement des améliorations à rechercher dans les modalités de préparation des textes de transposition par le pouvoir exécutif :

- révision des procédures et renforcement du rôle du Secrétariat général du comité interministériel (SGCI),

- remède à apporter aux insuffisances dans la préparation des projets de loi,

- inclusion systématique, dans les projets de loi, de la transposition des directives ayant un rapport avec ces projets.

Puis il développa deux suggestions relatives à l'intervention du Parlement :

- la création d'une commission permanente compétente sur les questions européennes.

" Cette commission suivrait depuis l'origine, secteur par secteur, le développement des procédures juridiques correspondant aux politiques communautaires. Elle pourrait être, sous réserve de l'évocation du débat en séance publique et en prévoyant bien sûr l'intervention des autres commissions permanentes, l'instance chargée de préparer et d'adopter les résolutions que tel ou tel des projets d'acte communautaire rendrait souhaitable d'adopter.

Elle pourrait également donner son avis sur les projets ou propositions de loi pour lesquels un problème de transposition du droit communautaire viendrait à se poser. Enfin, elle examinerait naturellement de plein droit les projets de loi de transposition au fond. "

Conscient du délai nécessaire à la révision constitutionnelle permettant de mettre en place une telle commission, M. Alain Barrau proposa alors une autre solution s'inscrivant dans le cadre juridique actuel : un renforcement du rôle des délégations pour l'Union européenne.

- la modification de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires de manière à permettre aux délégations pour l'Union européenne de chaque assemblée de se saisir pour avis des projets et propositions transposant les textes européens dans notre droit.

" Si ce texte de proposition de loi était adopté, ce qui est tout à fait possible dans le cadre constitutionnel actuel, la délégation pourrait s'attacher, dans l'examen des projets de loi de transposition, à vérifier qu'ils touchent tous les domaines et toutes les règles dont les directives européennes devaient imposer l'adaptation. Ainsi, elle remplirait, une fois de plus, le rôle de veille, de réflexion et d'alerte que lui reconnaît la loi, cette fois-ci non pas en amont de l'adoption de la directive sur la plan européen, comme l'a institué la révision de l'article 88-4 de la Constitution à laquelle nous avons procédé, vous vous en souvenez, il y a quelques mois, mais en aval après l'adoption des directives elles-mêmes au niveau européen. "

Enfin, le ministre des Relations avec le Parlement revint sur le sujet lors de l'examen au Sénat, le 21 décembre, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi autorisant le recours aux ordonnances :

" Il est indispensable qu'une réflexion soit menée dans les deux chambres du Parlement sur les modalités de transposition des directives européennes. En effet, elles sont nombreuses, le travail parlementaire ne permet pas de les examiner une par une, et il faut donc envisager une révision des procédures.

De premières améliorations pourraient être recherchées dans les modalités de préparation des textes de transposition par le pouvoir exécutif. Il faudrait, dans ce cadre, envisager, à l'échelon des commissions ou des délégations pour l'Union européenne, un examen en amont, dès que les directives ont été signées, de façon qu'elles n'arrivent pas en bloc sur le bureau des assemblées.

Il faut inclure la dimension européenne dans tous les projets de loi. Il faut également intégrer la nécessité d'inscrire à l'ordre du jour les transpositions, fût-ce par le biais de textes spécifiques. "

Il est intéressant de constater que la plupart des propositions formulées - et surtout celles exprimées par le Gouvernement - semblent reposer sur l'idée que la cause principale du retard des transpositions de directives tient à l'encombrement chronique de l'ordre du jour des assemblées parlementaires.

Dès lors, et les propos du ministre des Relations avec le Parlement paraissent aller en ce sens, une référence, un modèle vient à l'esprit : la transposition des directives en Italie.

II. L'EXEMPLE ITALIEN : LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EN ITALIE

Il faut dire que les performances italiennes de ces dernières années en matière de transposition sont tout à fait remarquables. Alors que le déficit de transposition (c'est-à-dire le pourcentage de mesures encore non transposées) était pour l'Italie de 7,6 % en novembre 1997, il est tombé à 3,2 % en novembre 2000. Rappelons en comparaison que la France n'a vu, dans le même temps, son déficit diminuer que de 7,4 % à 4,5 %. L'Italie, qui était derrière la France au tableau d'affichage de novembre 1997, est très largement devant elle au tableau de novembre 2000.

On comprend dès lors que l'exemple italien fasse recette et que, dans certains milieux administratifs français, on évoque avec gourmandise la loi La Pergola.

Mais qu'est-ce que la loi La Pergola ?

La loi La Pergola est la loi du 9 mars 1989 sur la participation de l'Italie au processus d'élaboration des normes communautaires et sur la procédure d'exécution de ses obligations communautaires.

Que prévoit-elle ?

Les dispositions prévues par la loi La Pergola

La loi La Pergola prévoit que, chaque année, avant le 31 janvier, le ministre responsable des questions européennes vérifie, avec les administrations concernées, la conformité de l'ordre juridique interne aux normes communautaires et soumet à l'approbation du Conseil des ministres un projet de loi portant adaptation de l'ordre juridique interne à l'ordre juridique communautaire, le projet de " loi communautaire ". Ce projet de loi doit être déposé au Parlement avant le 31 mars.

D'après la loi La Pergola, le projet de " loi communautaire " comporte :

- les dispositions modifiant ou abrogeant les normes internes de rang législatif, c'est-à-dire les lois ou les décrets législatifs (1) , qui sont en vigueur et qui sont en contradiction avec les règles communautaires ou avec les décisions de la CJCE ;

- la demande de délégation législative (c'est-à-dire de légiférer par décret législatif), laquelle est valable pendant un an, pour les directives portant sur des matières réservées à la loi (2) et dont la transposition requiert l'élaboration de textes complets ;

- l'autorisation de procéder par décret du président de la République délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, pour transposer les directives portant sur des matières qui ne sont pas réservées à la loi.

L'article 4 de la loi précise que le Gouvernement doit annexer au projet de " loi communautaire " la liste des directives dont la transposition par le troisième moyen est demandée au Parlement et que, lorsque ce mode de transposition est utilisé, les commissions parlementaires compétentes doivent donner leur avis dans les 40 jours qui suivent la transmission du projet de décret, sans toutefois que le défaut d'avis parlementaire empêche la publication dudit décret.

(1) Contrairement aux décrets-lois, que le Gouvernement adopte de sa propre initiative dans les cas d'urgence et qui doivent être convertis en lois par le Parlement dans les 60 jours qui suivent leur publication pour ne pas devenir caducs, les décrets législatifs requièrent une délégation du Parlement au Gouvernement qui résulte d'une loi ordinaire fixant la durée et l'objet de la délégation. La délégation ne peut pas porter sur des matières couvertes par la " réserve législative absolue ". Par ailleurs, la loi de délégation peut imposer d'autres contraintes au Gouvernement, comme l'obligation de consulter les commissions parlementaires.

(2) Il s'agit des matières couvertes par la " réserve législative relative ", pour lesquelles la loi détermine les principes fondamentaux, mais sans fixer les règles.

De fait, en vertu de la loi La Pergola, le Parlement italien n'intervient dans la transposition que pour les directives qui ne requièrent que quelques corrections législatives ; en revanche, pour les autres directives, il se contente d'autoriser le Gouvernement à procéder par décret législatif ou par décret du Président de la République. La seule limite à la délégation législative réside dans la " réserve législative absolue " qui ne couvre que quelques matières (liberté individuelle, inviolabilité du domicile, liberté et secret de la correspondance...) dont la Constitution prévoit qu'elles doivent être entièrement régies par la loi.

Autant dire que le Parlement italien se voit réduit à un rôle marginal dans la transposition des directives.

Mais il semble que cela paraisse encore trop contraignant aux yeux de l'exécutif italien. En effet, constatant que la " loi communautaire " a été souvent adoptée avec retard, le Gouvernement italien a, le 10 novembre dernier, adopté en Conseil des ministres un projet de loi de modification de la loi La Pergola visant à réduire encore le rôle du Parlement lors de la transposition des directives .

Afin que les directives soient transposées plus rapidement, sans qu'il soit besoin d'attendre le vote de la " loi communautaire " annuelle, ce projet prévoit notamment la possibilité que les directives adoptées conjointement par le Parlement européen et le Conseil selon la procédure de codécision puissent être transposées par des décrets du président de la République délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, dans la mesure où ces directives portent sur des matières qui sont régies par la loi, mais ne sont pas couvertes par la " réserve législative absolue ". Les assemblées ne conserveraient que la possibilité de demander, dans les soixante jours suivant la publication de ces directives au Journal Officiel des Communautés européennes, une transposition selon la procédure prévue par la loi La Pergola. Quant aux directives portant sur des matières non régies par la loi, elles seraient transposées par des arrêtés des ministres concernés.

Il est plaisant de constater que, sans doute dans le but de favoriser un bon accueil parlementaire à ce projet de loi, on lui a donné comme objectif d'accroître le rôle du Parlement national dans la phase de préparation des textes communautaires et de le réduire lors de la transposition des directives. La partie relative à l'accroissement du rôle du Parlement en amont concerne l'information de ce dernier sur les projets d'actes communautaires, avec la possibilité, pour le Gouvernement, dans les cas particulièrement importants, d'opposer en COREPER la réserve d'examen parlementaire. Le Parlement aurait alors l'obligation de donner son avis... dans les trois jours !

Tout exécutif, c'est naturel, cherche à se dégager autant qu'il le peut des obligations que le Parlement est, tout aussi naturellement, porté à faire peser sur lui. Il est donc bien normal que le Gouvernement français mette en avant l'extraordinaire rattrapage italien en matière de transposition pour faire valoir les avantages d'une mise à l'écart du Parlement en ce domaine.

On comprendra toutefois que, pour notre part, nous ne soyons guère tentés de trouver dans l'exemple italien les remèdes à la situation française.

Mais a-t-on bien observé l'exemple italien ?

N'est-il pas surprenant que la loi La Pergola date de mars 1989 et que ce ne soit guère que depuis 1998 que l'Italie ait engagé ce rattrapage ?

En fait, le véritable artisan de la nouvelle situation italienne est Enrico Letta, ministre des Politiques communautaires du premier gouvernement de Massimo D'Alema. Forte personnalité, Enrico Letta, plus jeune ministre du gouvernement, a de fait totalement transformé le ministère des Politiques communautaires qui joue à présent un rôle central dans le dispositif italien, tout à la fois d'impulsion et d'arbitrage. Des décrets ont d'ailleurs consacré, au début de l'année 2000, les compétences de coordination du ministre des Politiques communautaires, au moment où Enrico Letta quittait ce poste pour le ministère de l'Industrie.

L'expérience italienne apporte ainsi une illustration archétypique de la phrase que la Commission plaçait en tête de sa dernière analyse de la transposition des directives relatives au marché intérieur :

" Trois ans après le premier tableau d'affichage, il est devenu clair que les administrations nationales ne peuvent réduire sensiblement leur déficit de transposition de la législation relative au marché intérieur que si une activité administrative intense est associée à un soutien politique aux plus hauts niveaux. "

Il nous semble que, s'il est bon de regarder l'Italie comme un modèle, c'est plutôt à cet égard que pour la réduction du rôle du Parlement national dans la transposition.

III. LES CAUSES DU DÉFICIT DE TRANSPOSITION EN FRANCE

Lorsque l'on relit les débats qui se sont déroulés au Sénat et à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi d'habilitation, on constate que les développements qui ont été consacrés au retard français en matière de transposition se sont concentrés sur la phase parlementaire du processus. Dans l'esprit du Gouvernement notamment, il semblerait que le problème résidât essentiellement dans l'encombrement chronique et irrémédiable de l'ordre du jour des assemblées.

Or cette analyse néglige deux points importants qui relativisent considérablement la responsabilité de l'agenda parlementaire. D'une part, le fait que le problème n'est que rarement d'ordre parlementaire et qu'il est essentiellement d'ordre administratif. D'autre part, le constat que, lorsqu'il est parlementaire, il révèle plutôt un embarras politique du Gouvernement que les effets de la surcharge des assemblées.

1. Un dysfonctionnement administratif

Il est important de noter que, dans la masse des directives en retard de transposition, la part de celles appelant une transposition par voie législative est très minoritaire .

Ainsi que le disait le ministre des Relations avec le Parlement lors du débat devant le Sénat :

" Au 30 septembre 2000, notre pays comptait " un stock " de 176 directives à transposer, dont 136 étaient, à cette date, à proprement parler " en retard " de transposition. Parmi celles-ci, reconnaissons-le, plusieurs ont un caractère réglementaire et imposent au Gouvernement une vigilance renouvelée, mais un bon tiers de ces textes présentent un caractère principalement législatif, selon nos règles constitutionnelles. "

Certes, la présentation du ministre est habile : " plusieurs ont un caractère réglementaire (...) mais un bon tiers de ces textes présentent un caractère principalement législatif " . En fait, cela signifie que deux-tiers des textes pour lesquels il y a un retard de transposition ont un caractère réglementaire . Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant car l'on sait que 35 à 40 % seulement des directives comportent des dispositions de nature législative. Mais cela montre que le retard dans les transpositions a avant tout une cause administrative et non une cause parlementaire et l'on ne peut que regretter que cela n'ait pas été davantage souligné lors des débats du trimestre dernier.

Encore convient-il de déterminer les causes de ce dysfonctionnement administratif . A cet égard, un retour en arrière n'est pas inutile car le problème n'est pas nouveau.

Jusqu'en 1986, chaque ministère était responsable, dans son domaine de compétence, de la transposition des directives. Constatant que les délais fixés par les directives pour les transpositions étaient de plus en plus souvent dépassés et que la Commission commençait d'engager des procédures contentieuses, le Premier ministre, par une circulaire du 5 mai 1986, mit en place une procédure centralisée reposant sur le secrétariat général du Gouvernement et le SGCI, c'est-à-dire sur deux organes dépendant directement de lui.

Cette première tentative de réforme se révélant très vite insuffisante, le Gouvernement saisit la section du Rapport et des Etudes du Conseil d'Etat qui rendit en décembre 1989 son verdict sur les " problèmes posés par la transcription en droit interne des directives communautaires " .

L'analyse du Conseil d'Etat

Parmi les causes de dysfonctionnement diverses qu'il relevait alors (après avoir pris garde de mentionner que " ces dysfonctionnements ne sont pas dus à une mauvaise volonté délibérée qui caractériserait l'administration française dans l'application de la norme communautaire " ), le Conseil d'Etat distinguait des causes permanentes et structurelles :

- insuffisante formation des fonctionnaires sur la question de droit communautaire,

- insuffisance des moyens matériels et humains affectés à la mise en oeuvre des directives,

- contraintes des procédures consultatives de droit interne,

- insuffisante participation de l'ensemble des administrations concernées à la négociation même de la norme communautaire,

avant d'énumérer les causes liées à un mauvais déroulement de la procédure de transcription elle-même :

- la tendance à " trop en faire ". " Il arrive que certaines administrations cherchent à saisir l'occasion que présente la transcription d'une directive pour réformer ou réaménager l'ensemble des règles de droit applicables dans le secteur considéré, bien au-delà des dispositions auxquelles il est strictement nécessaire de toucher pour se mettre en conformité avec la directive. "

- le retard mis à résoudre certaines questions juridiques. " Il a pu arriver que les difficultés juridiques liées au choix à opérer ne soient aperçues qu'à un stade avancé de l'élaboration des textes. "

- les faiblesses du dispositif mis en place en 1986. On peut se demander " si le procédé de transmission par lettre avec demande d'échéancier est suffisamment incitatif, et si le suivi de l'élaboration des textes par les organes de coordination interministérielle est assuré avec une rigueur suffisante " .

Et le Conseil d'Etat concluait par quatre suggestions susceptibles d'apporter " des améliorations possibles " :

- prévenir les difficultés dès le stade de la négociation de la directive communautaire,

- abréger les circuits de transmission,

- renforcer le rôle de coordination du SGCI et du secrétariat général du Gouvernement,

- améliorer les moyens dont disposent les administrations qui doivent faire face à des tâches importantes de transcription.

A la suite de ces recommandations, le Gouvernement prit une nouvelle circulaire en janvier 1990 " relative à la procédure de suivi de la transposition des directives communautaires en droit interne " .

Cette circulaire, complétée entre-temps par une autre circulaire en mars 1994, a été remplacée par une nouvelle circulaire du 9 novembre 1998, qui définit donc aujourd'hui la doctrine et la règle de conduite de l'administration française.

Que dit cette circulaire ?

Elle pose d'abord, pour la négociation des directives, un principe fondamental selon lequel " il est essentiel de prendre en considération, dès le stade de l'élaboration et de la négociation des projets de directive, les effets sur le droit interne des dispositions envisagées et les contraintes ou difficultés qui pourront en résulter " .

A cet effet, elle rappelle :

- " que l'activité normative de la Communauté doit être gouvernée par les principes de subsidiarité et la proportionnalité " ;

- qu'il est souhaitable " que les fonctionnaires chargés de suivre la préparation d'un projet de directive soient ceux à qui il reviendra d'assurer la transposition en droit interne de la directive adoptée " ;

- qu'il est " nécessaire en particulier de s'assurer, dès le début de la négociation, que les formulations ou définitions envisagées ne risquent pas de soulever des difficultés d'interprétation ou de créer des incohérences au regard des dispositions existantes en droit interne " .

Afin de permettre le respect de ces règles générales, la circulaire prévoit que chaque proposition de directive devra faire l'objet d'une étude d'impact juridique comprenant :

• la liste des textes de droit interne dont l'élaboration ou la modification seront nécessaires en cas d'adoption de la directive,

• un avis sur le principe du texte, sous l'angle juridique et celui de la subsidiarité,

• un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales,

• si les informations nécessaires sont disponibles, une note de droit comparé.

Et la circulaire ajoute que cette étude d'impact juridique " s'efforcera également d'identifier les difficultés que pourrait soulever la transposition en droit interne des dispositions de cette proposition de directive " . Et de conclure " l'étude d'impact devra être adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de connaître la proposition de directive. Elle permettra d'éclairer la négociation elle-même et facilitera, ultérieurement, la transposition en droit interne. "

Enfin, la même circulaire prévoit que la transposition " préparée, ainsi qu'il a été dit, dès le stade de la négociation, doit être entreprise aussitôt que la directive a été adoptée " . Et elle souligne que " les difficultés de nature juridique et administrative traditionnellement rencontrées dans cet exercice sont principalement dues à des interrogations sur le choix du niveau de texte adéquat dans la hiérarchie des normes internes ainsi qu'à des hésitations ou des désaccords sur le rôle qui incombe à chaque ministère " .

Et de prévoir que, dans le délai de trois mois, chaque ministère participant à la transposition élaborera " un échéancier d'adoption des textes relevant de ses attributions accompagné, pour chacun de ces textes, d'un avant-projet de rédaction et d'un tableau de concordance permettant d'identifier clairement les dispositions transposées " . Le rédacteur de la circulaire, rompu aux habitudes administratives, a même pris le soin de préciser que l' " on s'attachera à déterminer avec réalisme les délais requis pour l'élaboration des textes " !

Qu'ajouter à cela ? Rien, à l'évidence. Tout est gravé dans le marbre et publié au Journal officiel. Une première fois en 1990, puis, sous une forme améliorée, en 1998.

Alors, pourquoi un mécanisme aussi subtil et détaillé aboutit-il à une situation aussi désastreuse au tableau d'affichage des transpositions ?

Tout simplement parce que cette circulaire, qui recense toutes les recommandations que l'on pourrait être tenté de faire pour remédier à notre triste situation, est purement et simplement inappliquée !

On serait ainsi tenté de dire : " que le premier qui a vu une étude d'impact juridique sur une proposition de directive lève le doigt " . Car, depuis dix ans, cette disposition est restée lettre morte !

En veut-on quelques exemples criants ?

a) Les directives dans le domaine vétérinaire

A propos des " désaccords sur le rôle qui incombe à chaque ministère " , chacun sait que si plus de vingt directives relatives au renforcement de la sécurité pour l'alimentation animale n'ont pas été transcrites, c'est parce que deux administrations s'en disputent la responsabilité. Comme le relevait très justement Rafaële Rivais dans Le Monde du 15 octobre 1999 :

" Il s'agit d'une part de la direction générale de l'alimentation, qui relève du ministère de l'agriculture, et d'autre part de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui relève du ministère de l'économie. Sachant que l'administration qui transpose un texte est celle qui le fera appliquer, chacune a rédigé un projet prévoyant que ses propres fonctionnaires procéderont aux contrôles nécessaires. Elles attendent depuis plusieurs années un arbitrage de Matignon. "

b) La directive sur la brevetabilité du vivant

A propos de la nécessité " de s'assurer, dès le début de la négociation, que les formulations ou définitions retenues ne risquent pas de soulever des difficultés d'interprétation ou de créer des incohérences au regard des dispositions existantes en droit interne " , on ne peut que s'arrêter un instant sur le cas de la directive 98/44 sur la brevetabilité du vivant qui a été adoptée en juillet 1998 après dix ans de débats et qui aurait dû être transposée avant le 30 juillet 2000.

Interrogée le 7 juin 2000, dans le cadre des questions au Gouvernement, par le député André Aschieri, la garde des sceaux, Mme Elisabeth Guigou, faisait la réponse suivante :

" La directive européenne est, en effet, incompatible avec nos lois. Elle l'est avec les lois sur la bioéthique de 1994, avec le code de la propriété industrielle qui interdit la brevetabilité du génome humain, ainsi qu'avec les dispositions de l'article 16-5 du code civil qui prohibe la commercialisation du corps humain, de ses éléments ou de ses produits. Et cette interdiction, nous le savons, correspond à des impératifs éthiques et culturels qui sont profondément ancrés dans la conscience de nos concitoyens.

C'est pourquoi la transposition de la directive, dans le respect de ces principes essentiels de notre droit, rencontre des obstacles considérables et soulève de très gros problèmes. Il faut donc qu'un débat s'instaure dans notre pays sur ce sujet. Je vous indique que le Gouvernement a sollicité l'avis du comité consultatif national d'éthique sur cette question, que cet avis est attendu très prochainement, que l'Académie de médecine et l'Académie des sciences se sont également saisies de cette question et que nous disposons d'ores et déjà du rapport du Conseil d'Etat du 25 novembre 1999 sur la révision des lois de bioéthique qui exprime déjà de grandes réserves et constate l'incompatibilité de cette directive avec nos lois. "

Tout donne à penser, dans la réponse de la garde des Sceaux, que c'est un an après l'adoption de cette directive que l'on a pris conscience qu'elle était incompatible avec le droit français.

Là encore, on ne résistera pas à citer le journal Le Monde du 16 juin 2000 :

" Sans doute restera-t-il à saisir les véritables raisons qui ont pu conduire la France à soutenir l'adoption d'une directive que l'on savait incompatible avec notre droit. On fait valoir, dans l'entourage de Mme Guigou, que cette situation n'est pas unique, que le texte de la directive était complexe, accompagné de nombreux considérants, et qu'il existe un art de la transposition permettant de concilier les textes européens et le respect des grands principes éthiques ".

c) L'application aux mutuelles des directives sur l'assurance

Ce cas est-il isolé ? Hélas, non ! Un même constat peut être effectué pour l'application aux mutuelles des directives sur l'assurance. Le plus extraordinaire (mais, là encore, il ne s'agit pas d'un exemple unique) tient alors au fait que c'est la France qui, à la demande des mutuelles, a sollicité et obtenu que celles-ci soient incluses dans le champ d'application de ces directives. Or, ce n'est que plus d'un an après l'adoption de ces directives que le Gouvernement commande un rapport sur les difficultés soulevées par leur application aux mutuelles. Il s'ensuivra plus de sept ans de réflexion diverses ainsi qu'une procédure contentieuse !

Comment est-il concevable que, lorsque l'on a fait une démarche pour inclure les mutuelles dans le champ d'application de ces directives, on n'ait aucunement pris garde, par exemple, que " la gestion, au sein des mutuelles, d'activités d'assurance et d'oeuvres sociales contrevient à l'exigence communautaire de séparation des activités " ou que " leur système de réassurance n'est pas conforme au droit communautaire " ainsi que le ministre délégué chargé des affaires européennes le soulignait dans une réponse à une question écrite publiée au Journal officiel en avril 2000 ?

d) La directive sur la protection des données personnelles

Faut-il rappeler aussi l'exemple, non moins surprenant, de la directive 95/46 sur la protection des données personnelles ? L'initiative en revient à la France, à la suite d'un travail de lobbying intensif de la CNIL qui, voulant prôner et diffuser le modèle français, réussit à convaincre les autorités politiques de notre pays de la nécessité d'une directive à ce sujet. Mais, comme c'est souvent le cas, les négociations ont finalement conduit à une directive dont les dispositions sont non seulement incompatibles avec notre propre législation mais posent, là encore, de redoutables problèmes juridiques.

A-t-on réellement, là aussi, envisagé clairement, lors de la négociation, les difficultés de transposition ? Personne ne peut reprocher à nos diplomates de rechercher des compromis. Mais qu'au moins ils soient suffisamment informés que, sur tel ou tel point, une transposition risque de poser problème sans quoi ils risquent fort d'accepter des compromis qui, par la suite, se révéleront impraticables à l'échelon national.

2. Un manque de courage politique

Le second point qui me paraît avoir été quelque peu laissé dans l'ombre lors de ces débats réside dans la constatation que lorsque le Parlement effectue avec retard une transposition de directives, ce n'est pas en raison de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées.

Je passe sur le fait que, souvent, la transposition législative n'intervient tardivement que parce que le Gouvernement n'a déposé le projet de loi de transposition qu'avec retard. Le dépassement des délais ne tient pas à la durée de la phase parlementaire, mais au fait que, en raison de la négligence du Gouvernement, les assemblées n'ont pu intervenir plus tôt. Les causes en fait sont les mêmes que pour les retards affectant les directives dont la transposition se fait par voie réglementaire.

Mais surtout, pour les textes dont l'importance politique est notable, le retard provient essentiellement du manque de volonté et de courage du Gouvernement qui semble se dérober devant des arbitrages qui ne sont pourtant que la conséquence nécessaire des compromis qu'il a acceptés à Bruxelles.

Qui nous fera croire que c'est l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées qui a empêché de transposer la directive " Natura 2000 ", alors que chacun sait que ce sont les protestations que suscitait le projet de créer un réseau européen écologique qui ont incité à geler l'application de cette directive ?

Qui nous fera croire que c'est la durée des débats parlementaires qui a empêché de transposer plus tôt la directive de 1976 sur l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes qui autorise celles-ci à travailler la nuit alors que chacun sait que c'est la peur de mécontenter la CGT et FO qui a fait reculer le Gouvernement ?

Qui nous fera croire que c'est la charge de travail du Parlement qui a retardé la transposition des directives ouvrant le marché de l'électricité ou du gaz à la concurrence ?

Dans chacun de ces cas, il paraît évident que le Gouvernement préférerait ne pas transposer ou, s'il fallait vraiment passer par là, le faire par la voie réglementaire et éviter un débat au Parlement. Mais la démocratie y gagnerait-elle ?

Je me garderai bien de dire que cette inclination à la " procrastination " est le fait du seul Gouvernement actuel. Il suffit de rappeler à cet égard le cas de la directive " fixant les modalités d'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un Etat membre dont ils n'ont pas la nationalité " . Cette directive fut adoptée le 19 décembre 1994 et la date limite fixée pour sa transposition était le 1 er janvier 1996. Or, si le Gouvernement de l'époque a déposé le 2 août 1995 sur le bureau de l'Assemblée nationale le projet de loi organique tendant à transposer cette directive, jamais il n'a voulu l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale , en dépit des nombreuses questions écrites ou orales qui lui furent posées en ce sens. Ce n'est qu'après les élections législatives de 1997 que le nouveau Gouvernement, après avoir redéposé au Sénat un projet de loi identique au précédent, l'inscrivit à l'ordre du jour de notre Assemblée.

C'est donc près de trois ans après l'adoption de la directive et plus d'un an et demi après la date limite de transposition que le projet de loi a été examiné en première lecture.

Pourquoi ce retard ? Parce que le Gouvernement de 1994 avait, lors des négociations de cette directive à Bruxelles, délibérément ignoré les demandes figurant dans les résolutions adoptées à ce propos par l'Assemblée nationale et le Sénat et qu'il craignait un débat parlementaire difficile au cours duquel sa propre majorité lui aurait demandé des comptes.

En septembre 1997, il y avait une nouvelle majorité à l'Assemblée nationale et un nouveau Gouvernement qui n'avait pas à se justifier du comportement de son prédécesseur trois ans plus tôt. L'inscription à l'ordre du jour des assemblées ne posait plus problème.

Comme aurait dit Molière : " Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette ".

IV. QUELS REMÈDES ?

Au terme de cette analyse des piètres performances de notre pays en matière de transposition des directives, il convient de formuler quelques propositions.

De même que pour l'approche des causes du déficit français de transposition, il paraît utile de distinguer la phase administrative et la phase parlementaire.

1. Pour les dysfonctionnements administratifs

En ce domaine, comme nous l'avons constaté, non seulement le diagnostic a été établi, mais la thérapie a été clairement déterminée. Le patient, c'est-à-dire l'administration, dispose de son ordonnance, la circulaire du 9 novembre 1998. Toutes les suggestions que l'on serait tenté d'avancer y figurent.

Le problème tient au fait que le patient refuse de suivre le traitement. Et que le Gouvernement qui, aux termes de l'article 20 de la Constitution " dispose de l'administration " , semble indifférent ou hors d'état de ramener celle-ci à la raison.

La saine pratique du régime parlementaire veut alors que le Parlement joue le rôle d'aiguillon et de contrôleur et qu'il incite le Gouvernement à réagir.

Puisque la circulaire du 9 novembre 1998 prévoit fort justement que l'on doit établir des études d'impact juridique comprenant notamment la liste des textes de droit interne concernés et un avis sur le principe du texte, mais que ces études d'impact juridique, qui devraient tout à la fois éclairer la négociation et faciliter la transposition, ne sont pas en fait préparées par l'administration, il me semble que nous devrions contraindre le Gouvernement à fournir une telle étude aux délégations pour l'Union européenne des deux assemblées pour tout projet de directive ayant une incidence sur des dispositions législatives de droit interne. Le Gouvernement aura alors un bon motif d'exiger de l'administration qu'elle s'exécute et, s'il n'agit pas suffisamment en ce sens, nous serons en position d'exiger qu'il le fasse.

Et agissons de même pour les échéanciers d'adoption des textes de transposition que, selon la même circulaire, chacun des ministères participant à la transposition devrait dresser dans le délai de trois mois suivant l'adoption d'une directive.

Sans doute pourrait-on concevoir d'introduire ces exigences dans l'article 88-4 de la Constitution. Mais le réalisme et le souci de l'efficacité m'amènent plutôt à suggérer leur insertion dans l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires , c'est-à-dire dans le texte législatif qui régit les compétences et le fonctionnement des délégations pour l'Union européenne.

Dès lors que ce texte poserait l'obligation pour le Gouvernement de transmettre aux délégations ces études d'impact juridique et ces échéanciers de transposition, il serait, d'une part, plus facile pour les délégations de se prononcer sur les projets de directive qui sont soumises aux assemblées en application de l'article 88-4 et il leur reviendrait naturellement, d'autre part, la mission de suivre pas à pas les progrès des travaux administratifs de transposition.

Après le deuxième alinéa du IV de l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, insérer les deux alinéas suivants :

" Sur tout projet ou proposition d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne ayant une incidence sur des dispositions de nature législative, le Gouvernement leur communique, dans le délai d'un mois à partir de la communication de ce projet ou de cette proposition au Conseil de l'Union, une étude d'impact juridique comprenant la liste des textes législatifs de droit interne dont l'élaboration ou la modification sera nécessaire en cas d'adoption du texte, un avis sur le principe du texte sous l'angle juridique et celui de la subsidiarité, et un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales. Cette étude d'impact juridique est adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de connaître la proposition ou le projet.

Dans les trois mois suivant la notification d'une directive, le Gouvernement leur communique un échéancier d'adoption des textes législatifs permettant sa transposition en droit interne ".

2. Pour la phase parlementaire des transpositions

Faut-il, comme le suggérait le président de la délégation de l'Assemblée nationale, créer une commission permanente chargée de suivre depuis l'origine le développement des procédures juridiques correspondant aux politiques communautaires, de préparer et d'adopter les résolutions européennes et d'examiner au fond les projets de loi de transposition ?

Le sujet mériterait à coup sûr réflexion, mais on peut se demander si une telle modification institutionnelle porterait remède au déficit de transposition. Car nul n'a songé jusqu'ici à mettre en cause la disponibilité de nos six commissions permanentes pour examiner les projets de loi de transposition.

Le problème résulte en fait, soit du dépôt trop tardif de ces projets de loi pour des raisons administratives, soit de leur non-inscription à l'ordre du jour des assemblées pour des raisons politiques. Et l'on peut penser que la création d'une commission européenne n'y apporterait aucun remède.

Faut-il, comme le suggère également M. Alain Barrau, permettre aux délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat de " se saisir pour avis des projets ou propositions de loi transposant ou mettant en oeuvre des actes de la Communauté européenne ou de l'Union européenne " ?

On voit mal ce qu'une telle modification apporterait réellement de nouveau. D'ores et déjà, en effet, l'ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit que les délégations pour l'Union européenne " peuvent être consultées par une commission spéciale ou permanente sur tout acte ou tout projet d'acte de l'Union ou tout projet de texte législatif ayant trait aux domaines couverts par l'activité de l'Union ". Les projets de transposition entrant à l'évidence dans cette dernière catégorie, il est donc aujourd'hui possible à la commission permanente saisie d'un tel projet de solliciter l'avis de la délégation. Permettre aux délégations de se saisir pour avis proprio motu changerait-il vraiment grand chose ? On peut en douter.

Faut-il alors, comme le Gouvernement semble enclin à le souhaiter, limiter le nombre des textes soumis au Parlement pour transposition et recourir plus fréquemment à une habilitation ?

L'adoption, l'année dernière, de deux projets de loi d'adaptation au droit communautaire, l'un relatif aux transports, l'autre à l'agriculture, a montré comment le Parlement pouvait transposer rapidement et de manière rationnelle de nombreuses directives, souvent de nature très technique, sur la base d'un seul vecteur législatif.

Au demeurant, il n'est pas certain, comme on l'a vu précédemment, que cela permettrait de réduire le déficit français de transposition, mais il est sûr que cela ne contribuerait pas à la démocratisation de l'Union européenne.

En revanche, comme on l'a vu plus haut, il convient d'éviter que le Gouvernement, par crainte de heurter des composantes de sa majorité ou des partenaires économiques ou sociaux, n'empêche l'inscription d'un projet de loi de transposition à l'ordre du jour des assemblées.

A cet effet, la proposition de loi constitutionnelle, déposée par notre collègue Aymeri de Montesquiou, me paraît particulièrement judicieuse. Cette proposition tend en effet à instaurer une inscription automatique à l'ordre du jour des assemblées des textes de transposition dès lors qu'est constatée une carence du Gouvernement .

Selon le texte de la proposition d'Aymeri de Montesquiou, tout projet de loi de transposition devrait être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé pour la transposition.

Et, si cette disposition n'était pas respectée, toute proposition de loi ayant le même objet serait inscrite de plein droit à l'ordre du jour prioritaire.

En d'autres termes, si le Gouvernement ne respectait pas l'obligation qui lui est faite, il serait pénalisé en perdant la disposition d'une partie de l'ordre du jour prioritaire. Et le Parlement pourrait ainsi, sans être soumis à l'aval du Gouvernement, passer outre l'inertie gouvernementale.

*

Voilà quelques propositions, simples peut-être, mais réalistes, qui devraient permettre d'éviter que, d'ici quelques années, le Gouvernement du moment ne revienne devant le Parlement solliciter une habilitation à transposer par ordonnances un nouveau flux de directives.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

(réunion du 10 janvier 2001)

M. Aymeri de Montesquiou :

Après cet exposé exhaustif de la situation, je voudrais revenir sur deux points :

- d'une part, je tiens à souligner le caractère apolitique de ma proposition de révision constitutionnelle. En effet, l'ensemble des gouvernements successifs porte la responsabilité des mauvais résultats de la France en matière de transposition des directives européennes ;

- d'autre part, je voudrais insister sur l'ampleur du phénomène. Il existe actuellement un stock de 176 directives communautaires qui sont en attente de transposition, dont 136 pour lesquelles le délai de transposition a été dépassé.

De plus, certaines de ces directives sont très précises et pourraient faire l'objet de mesures de transposition quasiment en l'état. Les raisons de ce retard tiennent donc plus à des considérations d'ordres politique et administratif, que juridique, comme le souligne le rapport présenté par le Président. Or, les conséquences de ce retard sont problématiques. Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que les directives, même lorsqu'elles n'ont pas été transposées, pouvaient être invoquées directement par le citoyen.

Pour combler ce retard, différents moyens ont été mis en oeuvre, comme les projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire ou le recours aux ordonnances.

Toutefois, ces moyens n'ont pas fait leurs preuves. De plus, quel que soit le Gouvernement en place, le Parlement est toujours réticent à l'égard des ordonnances qui s'assimilent à un dessaisissement du Parlement par l'exécutif. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé d'ajouter un article 88-5 dans la Constitution, qui contiendrait la disposition suivante :

" Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive adoptée en application des traités visés au présent titre doit être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition.

A défaut, toute proposition de loi ayant le même objet est inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire ".

Comme vous pouvez le constater, cette révision laisse un délai suffisant au Gouvernement pour déposer un projet de loi, mais donne au Parlement un rôle d'aiguillon en la matière.

Malgré tout, cette proposition présente l'inconvénient de nécessiter une révision de la Constitution. Certes, le texte constitutionnel a été révisé à de nombreuses reprises et certaines de ces révisions avaient un caractère plus technique, comme, par exemple, celle sur la date d'ouverture des sessions parlementaires. En outre, certaines révisions de la Constitution ne concernaient pas l'ensemble des citoyens, comme celle relative au statut de la Nouvelle-Calédonie, alors que les directives concernent directement la vie quotidienne de tous les citoyens.

M. Simon Sutour :

Je me réjouis que l'on poursuive ainsi le débat sur la transposition des directives qui a eu lieu récemment au Sénat et à l'Assemblée nationale. Lors de son audition par la commission des lois du Sénat, le ministre délégué chargé des Affaires européennes, avait d'ailleurs souhaité qu'une réflexion soit menée sur cette question.

Il considérait, en effet, que le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire était indispensable mais ne constituait pas une solution satisfaisante pour l'avenir.

Néanmoins, le caractère consensuel du débat me semble contestable. Je rappellerai que la discussion de ce projet de loi a suscité des controverses à l'Assemblée nationale. Ayant moi-même participé aux travaux de la Commission mixte paritaire, qui avait abouti à un accord, j'ai pu constater que certains députés de l'opposition étaient, par la suite, revenus sur leur position.

Je considère donc que, si le rapport du Président et la proposition de M. Aymeri de Montesquiou me semblent intéressantes, il convient aussi de prendre en considération ces propositions formulées par le président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, M. Alain Barrau. Il me paraît également nécessaire de connaître la position du Gouvernement sur cette question. En effet, je souhaiterais que ce processus se déroule de manière véritablement consensuelle en tenant compte de l'avis de chacune des parties concernées.

M. Yann Gaillard :

Ce débat me laisse très perplexe. De manière quelque peu provocatrice, pourquoi ne pas proposer de rendre les directives directement applicables dans l'ordre interne ? Après tout, ces directives ont été adoptées par un mécanisme démocratique, qui associe le Conseil et le Parlement européen, dans le cadre de la codécision.

Tant qu'à organiser la dépossession des Parlements nationaux, autant le faire jusqu'au bout, plutôt que de nous transformer en notaires de notre propre insuffisance.

Mme Marie-Claude Beaudeau :

Ayant été saisie par plusieurs organisations lors de la discussion du projet de loi du Gouvernement à propos de la directive relative à la protection des jeunes au travail, j'ai pu constater la complexité de ce texte et la difficulté de connaître ses implications sur la réglementation en vigueur en France, notamment sur le Code du travail.

Je pourrais dire la même chose, en ce qui concerne la directive concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées au allaitantes au travail. Je suis donc très étonnée de l'absence d'étude d'impact.

Je crois qu'il s'agit d'une affaire sérieuse qui touche à la confiance entre les citoyens et leurs représentants et qu'il est nécessaire de faire des propositions, afin qu'au moins ces études d'impact soient rendues obligatoires.

M. Claude Estier :

Je rejoins les observations formulées par M. Sutour.

Je voudrais simplement ajouter que ce sujet doit être abordé en liaison avec le Gouvernement. En effet, il convient de ne pas se faire trop d'illusions sur la proposition de révision constitutionnelle qui restera lettre morte.

M. Robert Del Picchia :

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Beaudeau sur la nécessité d'une explication claire du contenu des directives, qui sont souvent trop complexes pour les citoyens et parfois même pour les experts.

Je ne partage pas, en revanche, le pessimisme de mon collègue sur la révision constitutionnelle, car il s'agit tout simplement de la création d'un mécanisme d'alerte.

M. Maurice Blin :

Je souhaiterais poser deux questions :

- d'une part, la transposition d'une directive doit faire l'objet d'un débat public ou peut-on imaginer une procédure plus rapide ? En effet, une directive ne tombe pas du ciel. Elle a pu être inspirée par un Etat. Elle bénéficie, de plus, d'un préjugé favorable, puisque le Gouvernement l'a approuvée. Il s'agit donc d'une procédure comparable à celle des projets de loi ;

- d'autre part, je souhaiterais connaître la manière dont les autres Etats membres mettent en oeuvre la transposition des directives européennes.

M. Hubert Haenel :

Je voudrais rappeler, pour répondre à votre première interrogation, que c'est la Commission européenne qui a le monopole de l'initiative pour l'adoption formelle des directives.

Par ailleurs, les raisons principales du retard de la France en matière de transposition sont, d'une part, le désintérêt de l'administration, et, d'autre part, des désaccords sur le fond.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je suis parti d'un constat bien connu de chacun et dépourvu de toute arrière pensée politique : le retard chronique de la France en matière de transposition des directives.

A cet égard, je voudrais saluer l'idée provocatrice de M. Yann Gaillard, mais je ne crois pas que l'opinion française soit favorable au fédéralisme.

J'ai donc proposé un système qui évite le recours aux ordonnances, pour les dispositions de nature législative.

M. Hubert Haenel :

Je crois que tout le monde est d'accord sur la nécessité de remédier à ce problème et je pense qu'il est nécessaire de travailler sur cette question avec le Gouvernement.

La proposition de révision constitutionnelle, présentée par M. Aymeri de Montesquiou, a déjà été déposée devant la commission des lois constitutionnelles et de la législation.

J'ai l'intention de déposer ma propre proposition de loi ordinaire visant à modifier l'ordonnance du 17 novembre 1958 afin qu'elle soit discutée devant la même commission.

Ces deux textes pourront ensuite être inscrits à l'ordre du jour de la séance mensuelle réservée au Parlement.

La délégation a alors approuvé le rapport d'information.

A N N E X E S

ANNEXE I :

CIRCULAIRE DU 9 NOVEMBRE 1998 RELATIVE À LA PROCÉDURE DE SUIVI DE LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES EN DROIT INTERNE

Mesdames et Messieurs les ministres,

Les normes communautaires interviennent dans des domaines plus divers que par le passé. Leur intégration dans le droit interne réclame, plus souvent qu'autrefois, la collaboration de plusieurs départements ministériels. Enfin, les développements qu'a récemment connus la construction européenne, et, en particulier, l'effort entrepris pour construire le cadre nécessaire à la mise en place du Marché unique, se sont traduits par l'édiction d'un nombre important de directives.

Le travail de transposition présente, de ce fait, une difficulté accrue. Il importe, cependant, de le mener à bien dans les délais requis. Il y va, tant du respect de nos engagements communautaires, auquel il convient de veiller d'autant plus qu'au second semestre de l'an 2000 la France prendra la présidence de l'Union européenne, que d'un impératif de sécurité juridique. Des contentieux récents ont en effet montré qu'un défaut de transposition peut être cause d'une grave incertitude sur la norme applicable et compromettre la validité des décisions prises par l'Etat voire, dans certains cas, par les collectivités locales.

Ainsi apparaît-il nécessaire de définir une méthode de travail commune à tous les ministères, qui permette d'assurer une coordination et un suivi efficaces du travail de transcription des directives en droit interne.

Tel est l'objet de la présente circulaire, qui se substitue à celle du 25 janvier 1990.

1. Négociation des directives

Chaque ministère assume, dans son domaine propre, la responsabilité de la transposition du droit communautaire en droit interne. Cette responsabilité doit s'exercer en amont de l'adoption des directives par le Conseil. Il est essentiel, en effet, de prendre en considération, dès le stade de l'élaboration et de la négociation des projets de directive, les effets sur le droit interne des dispositions envisagées et les contraintes ou difficultés qui pourront en résulter.

1.1. Règles générales

Je rappelle, en premier lieu, que l'activité normative de la Communauté doit être gouvernée par les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il convient donc d'examiner chaque proposition de directive à la lumière de ces principes, qui conduisent à écarter du champ des directives les questions qui peuvent être réglées au niveau national par chaque Etat membre.

Il est souhaitable, en deuxième lieu, que les fonctionnaires chargés de suivre la préparation d'un projet de directive soient ceux à qui il reviendra d'assurer la transposition en droit interne de la directive adoptée. Si l'organisation de votre administration conduit à une séparation de ces tâches, je vous recommande de réfléchir à une réforme sur ce point ou, à tout le moins, de veiller à une étroite collaboration entre le service chargé de négocier et le service qui a pour mission d'élaborer et d'appliquer la réglementation interne dans le domaine intéressé.

Enfin, il va de soi que la qualité de la rédaction du droit communautaire doit faire l'objet d'une très grande attention. Il est nécessaire en particulier de s'assurer, dès le début de la négociation, que les formulations ou définitions envisagées ne risquent pas de soulever des difficultés d'interprétation ou de créer des incohérences au regard des dispositions existantes en droit interne.

1.2. Etude d'impact juridique

Le secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI) demandera à chacun des ministères intéressés de fournir, dans le délai d'un mois à partir de la communication de la proposition de directive, la liste des textes de droit interne dont l'élaboration ou la modification seront nécessaires en cas d'adoption de la directive. Cette étude d'impact juridique comprendra également un avis sur le principe du texte, un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales ainsi que, si les informations nécessaires sont disponibles, une note de droit comparé. Elle s'efforcera également d'identifier les difficultés que pourrait soulever la transposition en droit interne des dispositions de cette proposition de directive. S'il apparaît, en l'état du projet, que l'insertion dans le droit interne du texte communautaire est susceptible de soulever des problèmes juridiques délicats, le Conseil d'Etat pourra être utilement saisi, dès ce stade, d'une demande d'avis.

L'étude d'impact devra être adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de connaître la proposition de directive. Elle permettra d'éclairer la négociation elle-même et facilitera, ultérieurement, la transposition en droit interne.

2. Transposition des directives

2.1. Principes

Il convient d'assurer la mise en oeuvre d'un ensemble de principes, nécessaires pour garantir la qualité de l'adaptation du droit interne, dans le respect des délais imposés.

La transposition, préparée, ainsi qu'il a été dit, dès le stade de la négociation, doit être entreprise aussitôt que la directive a été adoptée. Un effort de programmation est, à cet égard, indispensable, tant pour permettre au ministère qui a principalement la charge de la transposition d'organiser efficacement son travail que pour assurer la bonne insertion des résultats de ce travail dans les procédures interministérielles. Il convient, enfin, d'être à même d'identifier en temps utile et de lever rapidement les difficultés de nature juridique et administrative traditionnellement rencontrées dans cet exercice. Elles sont principalement dues à des interrogations sur le choix du niveau de texte adéquat dans la hiérarchie des normes internes ainsi qu'à des hésitations ou des désaccords sur le rôle qui incombe à chaque ministère.

Je vous rappelle, à cet égard, la nécessité de prendre en compte la position adoptée par le Conseil d'Etat, lorsque la directive est au nombre de celles dont il a été saisi dans le cadre de la procédure instituée par la circulaire du 21 avril 1993 relative à l'application de l'article 88-4 de la Constitution.

Les règles qui suivent, au respect desquelles je vous demande de veiller strictement, ont été conçues pour répondre à cet ensemble de préoccupations. Leur mise en oeuvre sera plus facile et leur efficacité accrue si l'organisation de votre administration centrale permet d'identifier une structure spécialement chargée de veiller à la coordination des travaux de transposition pour l'ensemble des matières concernant le ministère. Ce rôle peut, le cas échéant, être confié à la direction en charge des affaires juridiques ou des questions internationales. Il doit vous permettre d'avoir une vue d'ensemble de ces travaux, sans pour autant priver les directions et services matériellement compétents de la responsabilité qui leur incombe dans l'adaptation du droit correspondant à leur secteur d'attributions.

2.2. Echéancier de transposition

Dès que la directive aura été notifiée à la France, son texte sera transmis au ministère désigné en qualité de chef de file, aux autres ministères intéressés et au secrétariat général du Gouvernement (SGG). Dans le délai de trois mois, au plus tard, suivant cette transmission, qui incombera au SGCI, chacun des ministères participant à la transposition adressera à ce même secrétariat général un échéancier d'adoption des textes relevant de ses attributions, accompagné, pour chacun de ces textes, d'un avant-projet de rédaction et d'un tableau de concordance permettant d'identifier clairement les dispositions transposées. Une synthèse de ces éléments sera régulièrement effectuée par le SGCI et communiquée au SGG.

On s'attachera à déterminer avec réalisme les délais requis pour l'élaboration des textes. Toutes mesures devront, en particulier, être prises afin de concilier les procédures de consultation applicables à certains textes, par exemple la consultation d'instances représentant les professions, avec le respect des délais de transposition.

C'est à ce stade qu'il convient également d'identifier les difficultés liées à l'interprétation du texte communautaire. En cas de difficulté sérieuse, on en saisira sans attendre le SGCI et, le cas échéant, la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères.

2.3. Réunion de transposition

Après réception des documents susmentionnés et, en tout état de cause, à l'issue du délai de trois mois prévu pour leur transmission, le SGCI réunira le ministère chef de file et les ministères intéressés afin d'arrêter l'échéancier, avant transmission à la Commission, et d'examiner les modalités de sa mise en oeuvre.

Cette réunion permettra, d'autre part, d'identifier les difficultés de nature juridique que pourrait soulever l'insertion dans le droit interne des nouvelles dispositions. Le SGCI saisira, le cas échéant, le secrétariat général du Gouvernement de ces difficultés. Il l'informera également de l'existence d'éventuels désaccords entre les ministères, afin que ceux-ci puissent, en tant que de besoin, être rapidement soumis à mon arbitrage.

Enfin, dans le cas particulier où la directive comporte des dispositions prévoyant que certaines des questions relevant de son champ d'application feront l'objet d'un nouvel examen à une échéance prédéterminée (clause dite " de rendez-vous "), le SGCI veillera à ce que toutes mesures soient prises pour que le délai ainsi accordé soit employé à préparer la position de la France dans les discussions à venir.

2.4. Suivi de la transposition

Il incombera au SGCI de renseigner au fur et à mesure, en lien avec les ministères intéressés, le tableau de transposition de chaque directive. Une synthèse de ces tableaux par ministère sera transmise semestriellement au secrétariat général du Gouvernement. Celui-ci la portera à la connaissance des membres de mon cabinet pour les matières relevant de leur secteur ainsi que du directeur du cabinet des ministres et secrétaires d'Etat concernés.

En outre, le SGCI provoquera, trois mois avant l'expiration du délai de transposition, une réunion avec les ministères intéressés, si des mesures restent à prendre. Les désaccords qui n'auraient pu être levés antérieurement et qui subsisteraient au terme de cette réunion seront soumis sans délai à mon arbitrage.

3. Prévention du contentieux communautaire

Vous vous attacherez à prendre toutes dispositions susceptibles de prévenir le développement du contentieux.

Vous veillerez, en particulier, à ce que les mises en demeure ou avis motivés émanant de la Commission reçoivent une réponse dans le délai requis.

La pratique des réunions dites dans le langage communautaire " réunions paquets ", qui permettent de procéder à un examen périodique, avec la Commission, de l'ensemble des affaires susceptibles de prendre un caractère contentieux, mérite d'être développée. Vous prendrez toutes dispositions pour que votre département ministériel soit efficacement représenté à ces réunions.

*

Un an après l'entrée en vigueur de la présente circulaire, le SGCI, me fera rapport des conditions de son exécution.

Je vous demande de diffuser très largement cette circulaire et de veiller à sa bonne application par l'ensemble des services placés sous votre autorité.

Lionel Jospin

ANNEXE II :

ETUDE DU CONSEIL D'ETAT SUR LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA TRANSCRIPTION EN DROIT INTERNE DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES

Décembre 1989

L'application dans l'ordre juridique interne des normes édictées par les institutions communautaires dans l'exercice des compétences qu'elles tiennent des Traités suppose dans bien des cas l'intervention de dispositions nationales tendant à l'exécution ou à la transcription de la norme communautaire.

Cela n'est en principe pas nécessaire pour les règlements communautaires, qui sont directement applicables dans chaque Etat membre aux termes de l'article 189 du traité CEE. Il peut cependant se produire, exceptionnellement, qu'un règlement appelle des dispositions internes d'application. Sans qu'il y ait alors lieu de reproduire les dispositions du règlement dans un texte de droit interne, il appartient dans un tel cas au législateur ou à l'autorité réglementaire nationale d'adopter les dispositions fixant les modalités d'application de la norme communautaire. Les problèmes juridiques particuliers qui sont susceptibles de se poser dans une telle hypothèse feront l'objet d'une étude séparée.

Mais ce sont surtout les directives qui, liant les États membres quant au résultat à atteindre mais leur laissant une certaine marge de décision quant aux moyens d'y parvenir, appellent systématiquement - en dehors du cas très exceptionnel où le droit interne serait déjà parfaitement en accord avec les nouvelles prescriptions communautaires - l'intervention de textes de droit interne dits de "transcription".

C'est à l'examen des mécanismes actuels de transcription des directives communautaires et des moyens d'en améliorer le fonctionnement qu'est consacré le présent rapport.

Après le constat d'une situation relativement peu satisfaisante, on cherchera à en déterminer les causes, puis à définir les remèdes possibles.

LE CONSTAT : UNE SITUATION ASSEZ PEU SATISFAISANTE

Les procédures de transcription des directives communautaires ont fait l'objet, spécialement depuis quelques années, d'un effort certain de rationalisation (A) ; il ne semble cependant pas que celui-ci ait suffi à établir une situation satisfaisante en ce qui concerne le respect des délais à l'intérieur desquels devraient intervenir les textes de transcription (B).

A - Une procédure coordonnée et rationalisée

La procédure actuellement en vigueur résulte, pour l'essentiel, d'une circulaire du Premier ministre du 5 mai 1986 (n° 3140/SG). Elle repose sur deux principes fondamentaux : la responsabilité de l'élaboration des textes de transcription incombe au premier chef au ministère principalement intéressé par l'objet de la directive ; le secrétariat général du gouvernement (SGG) et le secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI) exercent conjointement un certain rôle d'impulsion et de coordination.

La responsabilité principale du "ministère-pilote"

C'est le département ministériel intéressé à titre principal par la matière de la directive qui est chargé de préparer les textes de droit interne qu'appelle la transcription de celle-ci.

A cette fin, il lui appartient de mettre en oeuvre les procédures habituellement employées pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires, la préparation d'un projet de loi ou de décret nécessaire à la transcription d'une directive communautaire ne se distinguant pas, a priori, de celle d'un texte ordinaire.

C'est ainsi que le "ministère-pilote" prendra l'attache des autres départements ministériels concernés, s'il y a lieu, et assurera le déroulement de la procédure de concertation interministérielle, et au besoin l'organisation de réunions de coordination.

Le rôle d'impulsion et d'arbitrage du SGG et du SGCI

Néanmoins, pour tenir compte des nécessités particulières de la matière et veiller à ce que les délais de transcription impartis par les directives soient effectivement respectés, il a été décidé que le secrétariat général du gouvernement et le SGCI exerceraient conjointement un rôle d'impulsion et un certain contrôle sur le bon déroulement de la procédure.

Le SGCI , qui est seul habilité à transmettre les courriers ministériels à la Commission des communautés ou à la représentation permanente de la France à Bruxelles, et par lequel transitent toutes les correspondances de la Commission à destination des administrations françaises, reçoit des Communautés la directive signée.

Il transmet celle-ci au secrétariat général du Gouvernement, en l'accompagnant d'une brève note de présentation et de fiches indiquant sa date d'entrée en vigueur, le département ministériel principalement responsable de la transcription et les autres départements concernés, ainsi que le nom de ses correspondants dans les différents ministères.

Le secrétaire général du Gouvernement adresse une lettre au directeur du cabinet du ministre principalement responsable, en lui rappelant ses obligations de transcription et en attirant son attention sur les délais à respecter. Il lui demande de lui faire parvenir dans un bref délai (de l'ordre d'un mois en pratique) un calendrier prévisionnel des différentes étapes de la transcription, établi selon la nature et l'importance des textes à intervenir. En l'absence de réponse, un rappel est adressé dans un délai variant en pratique de deux à six mois.

Les principaux éléments de la réponse du ministre ont été, dans certains cas, consignés dans des tableaux permettant d'avoir une vue globale du processus de transcription et communiqués au SGCI.

Le secrétariat général du Gouvernement est chargé de veiller au respect de l'échéancier ; il lui appartient aussi de veiller à la correction juridique des projets de textes qui ont été préparés ; en cas de divergence entre les ministères intéressés il saisit le cabinet du Premier ministre afin qu'il soit procédé aux arbitrages nécessaires.

B - Des résultats partiellement insatisfaisants

Pour rationnelle que soit la procédure ainsi organisée, il ne semble pas qu'elle ait abouti en pratique à des résultats entièrement satisfaisants, ce qui peut exposer l'Etat à diverses sanctions juridictionnelles.

Des retards trop fréquents

Un trop grand nombre de directives ne sont pas correctement transcrites dans les délais requis.

Si l'on ne considère que les directives adoptées depuis l'entrée en vigueur du système institué par la circulaire de 1986, il apparaît d'ores et déjà que pour plusieurs dizaines d'entre elles la transcription n'a pas été effectuée dans les délais.

Au début de l'année 1989, la mise en oeuvre de 300 directives environ donnait lieu à des différends entre la Commission et les États membres ; pour 70 d'entre elles, la France était en cause.

Enfin, de 1985 à 1987, on note que la Commission a adressé au gouvernement français 125 mises en demeures fondées sur une absence de transcription ou une transcription incorrecte de directives communautaires, et il ne semble pas que la situation d'ensemble se soit sensiblement améliorée dans la période la plus récente.

Il faut cependant noter qu'il en va autrement lorsqu'une volonté politique se manifeste clairement dans le sens d'une exécution complète et rapide de nos obligations communautaires : c'est ainsi que les chiffres récemment rendus publics par la Commission des communautés dans sa communication du 7 septembre 1989, qui concernent les 68 directives relatives à l'achèvement du marché intérieur actuellement applicables, font apparaître une mise en oeuvre satisfaisante de la part de la France.

Le risque de sanctions juridictionnelles

Il est à peine besoin de rappeler que cet état de choses, indépendamment des inconvénients d'ordre politique qu'il comporte, expose l'Etat français à diverses sanctions juridictionnelles, dans l'ordre communautaire comme dans l'ordre interne.

Dans l'ordre communautaire , la Commission ou tout autre État membre peut mettre en oeuvre devant la cour de Justice la procédure de l'action en manquement prévue par les articles 169 et 170 du traité CEE, puisque le défaut de transcription ou la transcription incomplète ou incorrecte d'une directive constitue une méconnaissance de l'article 189 du Traité. La Commission a utilisé cette procédure à l'encontre de l'Etat français, après mise en demeure et avis motivé restés sans effet, à cinq reprises en 1986, à quinze reprises en 1987, et à cinq reprises en 1988 à raison de différends portant sur la transcription de directives.

Dans l'ordre interne , toute personne intéressée pourrait demander au Gouvernement, une fois expiré le délai de transcription prévu par la directive, de mettre en oeuvre les dispositions nécessaires, en abrogeant ou modifiant le cas échéant les dispositions antérieures incompatibles avec la directive, et déférer un éventuel refus à la juridiction administrative (CE. Ass. 3 février 1989, Cie Alitalia, Rec. p.44 ). Par ailleurs, l'omission de prendre les mesures réglementaires de transcription dans les délais serait fautive et, dès lors, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.

DES CAUSES DE DYSFONCTIONNEMENT DIVERSES

Ces dysfonctionnements ne sont pas dus à une mauvaise volonté délibérée qui caractériserait l'administration française dans l'application de la norme communautaire ; bien au contraire, dans la grande majorité des cas, le souci de respecter la règle européenne est indéniable.

Pas davantage ne peut-on imputer les retards à des réticences que manifesterait le Parlement à adopter les dispositions qui lui sont présentées.

Sans doute le Parlement est-il de plus en plus souvent amené à constater qu'il est incité à tirer au plan législatif les conséquences de normes communautaires à l'élaboration desquelles il n'a pas été associé, et peut-il en tirer le sentiment d'être ainsi dépossédé d'une partie de sa fonction législative.

Cette question essentielle pour les équilibres institutionnels mérite de faire l'objet d'une réflexion spécifique.

Néanmoins, cette situation n'a été, par elle-même, à l'origine d'aucun retard dans l'adoption des dispositions législatives nécessaires à l'application des directives.

On ne saurait non plus imputer les insuffisances constatées aux difficultés objectives que comporte l'opération de transcription, même s'il est clair que ces difficultés existent, spécialement lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre une directive qui se réfère à des catégories juridiques et emploie une terminologie étrangère au droit français, ce qui est assez souvent le cas. Il est toutefois significatif que dans bien des cas la transcription de la directive intervient dans des délais assez brefs après une mise en demeure de la Commission, et plus vite encore à la suite de l'introduction d'un recours en manquement, ce qui suggère que le retard initial s'expliquait moins par des difficultés objectives que par une certaine négligence.

En réalité, la recherche des causes qui expliquent le bilan peu satisfaisant qui a été dressé plus haut conduit, semble-t-il, à distinguer des causes permanentes et structurelles, préexistant en quelque sorte à l'édiction de la norme communautaire (A), et des causes liées au mauvais déroulement de la procédure de transcription elle-même (B).

A - Des causes permanentes et structurelles

Il semble qu'il faille relever la combinaison de quatre causes structurelles de la mauvaise application des directives.

L'insuffisante formation des fonctionnaires sur les questions de droit communautaire

Il apparaît, ainsi que cela avait déjà été relevé dans l'étude du Conseil d'Etat de 1987 sur la formation juridique des fonctionnaires, que les fonctionnaires ne sont, trop souvent, pas suffisamment sensibilisés aux nécessités qui découlent des obligations communautaires de la France, faute d'une formation suffisante en la matière.

Sans doute des efforts ont-ils été récemment accomplis, notamment par l'introduction d'un enseignement de droit communautaire à l'Ecole Nationale d'Administration, et par diverses actions de formation permanente ; mais ils ne produiront leurs effets que progressivement et, en outre, ils demeurent encore insuffisants.

L'insuffisance des moyens matériels et humains affectés à la mise en oeuvre des directives

À cet égard, il est frappant de constater que si certaines administrations sont particulièrement bien pourvues et sont, par suite, en mesure de faire face à une charge de travail importante (mais qui peut être conjoncturelle) résultant de la nécessité de transcrire des directives touchant au secteur dont elle a la charge (c'est le cas, par exemple, de la Commission centrale des marchés qui a pu s'acquitter dans des conditions satisfaisantes du travail considérable que représente la transcription des directives sur les marchés publics), la plupart d'entre elles, absorbées dans leurs tâches de gestion ordinaires, ne disposent à l'évidence pas de moyens équivalents pour faire face à un surcroît de travail important : il en va ainsi, notamment, des administrations sociales, de celles de l'environnement et des départements et territoires d'outre-mer.

Les contraintes des procédures consultatives de droit interne

Il est probable que dans certains cas, la nécessité de procéder à des consultations multiples explique en partie le retard mis à l'édiction de certaines dispositions, mais sans pour autant le justifier : il va de soi que ces consultations, dont la nécessité est connue à l'avance, doivent être intégrées à l'échéancier prévisionnel, et que, dans toute la mesure du possible, il y a lieu d'utiliser la possibilité d'engager simultanément plusieurs consultations.

L'insuffisante participation de l'ensemble des administrations concernées à la négociation même de la norme communautaire

Le lien entre l'élaboration et l'application de la norme communautaire n'est pas suffisamment perçu. Bien souvent, des difficultés surgissent au stade de la transcription soit parce que certaines administrations, indirectement concernées, n'ont pas suffisamment participé à la négociation de la directive, soit parce que les administrations qui ont suivi la négociation n'ont pas elles-mêmes assez étudié les implications en droit interne de telle ou telle des solutions adoptées au plan communautaire.

B - Des causes liées à un mauvais déroulement de la procédure de transcription elle-même

Plusieurs facteurs de retard peuvent intervenir dans le déroulement même de la procédure de transcription.

La tendance à "trop en faire"

Il arrive que certaines administrations cherchent à saisir l'occasion que présente la transcription d'une directive pour réformer ou réaménager l'ensemble des règles de droit applicables dans le secteur considéré, bien au-delà des dispositions auxquelles il est strictement nécessaire de toucher pour se mettre en conformité avec la directive.

Une telle démarche n'est pas condamnable en soi. Mais elle entraîne naturellement des difficultés, et donc des longueurs supplémentaires : il convient donc certainement d'y renoncer toutes les fois qu'elle pourrait mettre en danger le respect des délais impartis.

En revanche, il est bien vrai que l'édiction des dispositions nouvelles doit, pour la clarté du droit, s'accompagner d'un "toilettage" systématique des textes, en vue d'éviter de laisser subsister des dispositions redondantes ou, pire encore, contradictoires.

Il faut donc trouver un juste équilibre entre une transcription trop étroite et une révision excessivement large des dispositions concernées, et ce peut être là une source certaine de difficultés.

Le retard mis à résoudre certaines question juridiques

Le choix entre la voie législative et la voie réglementaire, entre le décret et l'arrêté, ou, le cas échéant, la détermination de la combinaison nécessaire entre ces instruments juridiques, peuvent soulever de délicats problèmes.

Il a pu arriver que les difficultés juridiques liées au choix à opérer ne soient aperçues qu'à un stade déjà avancé de l'élaboration des textes la remise en cause du choix initial entraîne alors un allongement considérable des délais, spécialement si l'on s'aperçoit tardivement que la voie législative est nécessaire.

D'une façon générale, il semble que les services, à vocation horizontale, de la direction des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères (DAJ) et de la Chancellerie, ne soient pas consultés aussi souvent qu'ils devraient l'être au début du processus de transposition : celle-ci soulève fréquemment des difficultés d'interprétation du droit communautaire, à propos desquelles la DAJ devrait être consultée, ou des questions de droit interne impliquant l'intervention de la direction des Affaires criminelles (lorsque les mesure à prendre doivent comporter un dispositif répressif) ou de la direction des Affaires civiles et du Sceau (lorsque des questions touchant au droit commercial ou au droit civil sont en jeu).

Les faiblesses du dispositif mis en place en 1986

Quoiqu'il ait marqué un incontestable progrès, le système mis en place en 1986 n'a pas fonctionné sans défaillances.

En premier lieu, il semble que la transmission des directives par le SGCI au secrétaire général du Gouvernement, en vue de leur envoi par ce dernier au département ministériel principalement intéressé, n'ait pas toujours été effectué sans défaut, ou sans délai.

En deuxième lieu, l'on peut se demander si, par lui-même, ce circuit n'allonge pas inutilement la procédure, retardant le moment où le ministère concerné pourra s'atteler à la tâche qu'il devra conduire.

Enfin, l'on peut également se demander si le procédé de transmission par lettre avec demande d'échéancier est suffisamment incitatif, et si le suivi de l'élaboration des textes par les organes de coordination interministérielle est assuré avec une rigueur suffisante.

DES AMÉLIORATIONS POSSIBLES

A - Prévenir les difficultés dès le stade de la négociation de la directive communautaire

C'est dès le moment de l'élaboration de la norme européenne qu'il faut s'efforcer de prévoir les incidences sur le droit interne des dispositions en cours de négociation.

•  Cela suppose en premier lieu , une consultation plus attentive de l'ensemble des administrations susceptibles d'être concernées par la norme en cours d'élaboration, et non pas seulement du département principalement intéressé. Ainsi éviterait-on de s'apercevoir parfois, une fois la directive adoptée, que son application suppose des modifications du droit interne auxquelles on n'avait pas songé en cours de négociation.

•  Cela suppose aussi que chacune des administrations associées à la négociation étudie plus systématiquement et de façon plus approfondie que ce n'est généralement le cas à l'heure actuelle les incidences des dispositions en cours de négociation sur le droit interne.

À cet égard, il faut relever que, depuis peu, le SGCI demande aux administrations concernées de produire, dès le début de la négociation, une "étude d'impact" décrivant les incidences qu'aurait l'adoption du projet de directive sur les règles internes.

Le procédé est excellent : il conviendrait que ces "études d'impact" se renforcent, prennent davantage en compte que ce n'est, semble-t-il, le cas à l'heure actuelle l'aspect juridique des questions posées, notamment en s'employant systématiquement à définir la nature des textes à adopter ou à modifier dans l'ordre interne, et surtout qu'elles soient remises à jour au fur et à mesure de l'évolution de la négociation communautaire, au lieu de se limiter au projet de directive dans son état initial.

La direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères pourrait à cet égard apporter un utile soutien aux ministères techniques principalement intéressés, de même qu'elle intervient couramment comme conseil juridique pendant toute la phase d'élaboration des normes communautaires.

•  Enfin, dans certains cas particulièrement délicats, les problèmes juridiques posés par un projet de directive pourraient faire l'objet (comme ce fut parfois le cas dans le passé) d'une demande d'avis présentée aux formations administratives du Conseil d'Etat. Tout en restant exceptionnelle, une telle consultation pourrait être mise en oeuvre chaque fois que l'importance de la question soulevée le justifie, c'est-à-dire sans doute plus souvent que ce n'est le cas à l'heure actuelle.

B - Abréger les circuits de transmission

Il n'est pas évident que l'allongement de la procédure résultant, dans le système actuel, de l'obligation pour le SGCI de transmettre la directive reçue de Bruxelles au secrétariat général du Gouvernement, à charge pour ce dernier de la communiquer au ministère intéressé, se justifie réellement.

Il n'y aurait sans doute pas d'inconvénient (et il y aurait un gain de temps) à ce que la directive signée soit directement transmise par le SGCI à l'administration concernée. Le secrétariat général du Gouvernement, chargé de veiller au calendrier de transcription, serait immédiatement et complètement informé. En tout état de cause, il y aurait lieu de distinguer entre les directives dont la transcription ne nécessite que des textes réglementaires "simples" et celles qui imposent l'élaboration de projets de loi ou de décrets en conseil des ministres. Pour la seconde catégorie, le secrétariat général du Gouvernement doit naturellement effectuer un suivi complet, sous l'angle du droit comme sous celui de la compatibilité avec le programme de travail du Gouvernement.

C - Renforcer le rôle de coordination du SGCI et du secrétariat général du Gouvernement

Il convient de maintenir au département ministériel principalement intéressé la responsabilité de la conduite du processus de mise en oeuvre de la directive. Le principe doit demeurer que chaque administration est maîtresse de l'élaboration des textes qui l'intéressent au premier chef.

Cela n'interdit pas de renforcer le rôle d'impulsion et de coordination des organes interministériels.

Dans cette optique, il paraîtrait souhaitable, en généralisant une procédure déjà mise en oeuvre à titre expérimental, de prévoir l'organisation systématique d'une première réunion, pour chaque directive à transcrire, deux à six mois après la première transmission de la directive au "ministère-pilote". Cette réunion, qui pourrait se tenir sous l'égide du SGCI, en présence des fonctionnaires compétents du SGG, rassemblerait les responsables chargés, dans les diverses administrations concernées, de la préparation des textes nécessaires à la mise en oeuvre de la directive. Précédée d'une étude approfondie des questions juridiques susceptibles de se poser, elle permettrait de mieux sensibiliser les responsables à la nécessité impérieuse de respecter l'échéancier fixé. Cet échéancier doit prévoir l'éventualité du recours à l'arbitrage du Premier ministre, selon les procédures habituellement diligentées par le secrétariat général du gouvernement.

Il va de soi, enfin, que la mise en place d'un instrument informatique permettant de suivre la transcription des directives au jour le jour constituerait pour le secrétariat général du Gouvernement et le SGCI une aide précieuse. Sa création, envisageable à échéance assez rapprochée, ne devrait pas soulever de problème majeur.

D - Améliorer les moyens dont disposent les administrations qui doivent faire face à des tâches importantes de transcription

•  C'est d'abord un effort constant qu'appelle la formation et l'information des fonctionnaires dans le domaine du droit communautaire : cette question, d'une importance capitale, nécessite à elle seule une étude approfondie.

Il est certain, en tout cas, que cet effort devrait porter aussi bien sur la formation initiale que sur la formation continue (à ce dernier titre, l'enseignement dispensé devrait tout particulièrement s'attacher aux techniques et au modalités d'introduction dans l'ordre interne des normes communautaires, ainsi qu'au contenu même du droit communautaire, dans ses différentes branches), et être consenti en faveur non seulement des cadres administratifs, mais aussi des cadres techniques.

•  Dans l'immédiat, pour permettre aux administrations de faire face à une surcharge de travail exceptionnelle due à la nécessité de transcrire une directive importante, surcharge qui est par définition prévisible, le SGCI devrait disposer d'un groupe d'agents, titulaires ou contractuels, spécialement formés aux techniques du droit communautaire, et qui, en fonction de la hiérarchie des urgences, seraient mis à la disposition de tel ou tel ministère.

•  Enfin, l'intérêt qui s'attache à la consultation des administrations juridiques à vocation horizontale (cf. ci-dessus), justifierait que celles-ci (DAJ du ministère des affaires étrangères, services de la Chancellerie) voient leurs effectifs sensiblement renforcés à cette fin.

*

La "législation communautaire" a connu, au cours des dernières années, un développement rapide, et l'administration française se trouve placée de ce fait devant des données profondément nouvelles, tant au plan quantitatif qu'au plan qualitatif. Quantitativement, le nombre des directives qu'il y a lieu de transposer chaque année est aujourd'hui sans commune mesure avec ce qu'il était au cours des premières années de la construction communautaire. Qualitativement, le droit communautaire affecte des domaines de plus en plus étendus, et intéresse, par suite, un nombre croissant de départements ministériels.

Face à ces contraintes nouvelles, il n'est pas douteux que l'organisation administrative mise en place pour répondre aux besoins résultant de notre appartenance à la Communauté, qui est demeurée pour l'essentiel la même depuis les premières années de la construction européenne, doit faire l'objet d'un profond effort d'adaptation et de rénovation, qui suppose un réexamen d'ensemble à la lumière des exigences actuelles.

ANNEXE III :

LE PROJET DE LOI COMMUNAUTAIRE ITALIEN
POUR 2001

Le projet de loi communautaire pour 2001 a été adopté en conseil des ministres le 1 er décembre 2000. Il se compose de deux chapitres et de trois annexes :

- le premier chapitre comporte les dispositions générales relatives à la transposition par délégation législative ou par décret du président de la République ;

- le second chapitre se compose de 14 articles, chacun d'eux étant consacré à une loi ou à un décret législatif dont la modification est requise pour mettre le droit italien en conformité avec le droit communautaire ;

- les annexes A et B donnent la liste des 16 textes pour la transposition desquels la délégation législative est demandée ;

- l'annexe C est consacrée au seul texte dont la transposition par décret du président de la République est souhaitée.

Le projet de loi est accompagné d'un exposé des motifs, qui énumère les 32 directives qui peuvent être transposées directement par l'administration, nationale, régionale ou provinciale.

ANNEXE IV :

PROPOSITION DE LOI PRÉSENTÉE PAR M. ALAIN BARRAU EN VUE D'AMÉLIORER LE CONTRÔLE DU PARLEMENT SUR LA TRANSPOSITION DES NORMES EUROPÉENNES DANS LA LÉGISLATION FRANÇAISE

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La question de la participation des parlements nationaux à la construction européenne a pris une importance croissante au cours de la dernière décennie, en raison, d'une part, de ce qu'il est convenu d'appeler le " déficit démocratique " de l'Union européenne et, d'autre part, de l'extension du champ des compétences qui lui sont confiées, laquelle entraîne naturellement une inflation des normes européennes.

Avec la création, par la loi du 6 juillet 1979, des délégations pour l'Union européenne au sein de chaque assemblée, et surtout avec les révisions constitutionnelles du 25 juin 1992 et du 25 janvier 1999, a été mise en place une procédure originale, permettant d'associer le Parlement à l'élaboration des textes européens.

Le travail d'instruction systématique effectué par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, le dépôt de propositions de résolutions renvoyées aux commissions compétentes et l'adoption de ces résolutions, éventuellement en séance publique, ont permis au Gouvernement de prendre en compte la position de la représentation nationale lors de l'adoption de règlements ou de directives au sein du Conseil européen.

Cependant, les difficultés rencontrées pour transposer dans notre législation et notre réglementation les directives communautaires - au 30 septembre 2000, 176 directives étaient en attente de transposition - montrent que le dispositif mis en place au fil des ans n'est pas pleinement satisfaisant.

Certes, le retard accumulé est d'abord imputable aux gouvernements qui se sont succédé et qui n'ont pas pris les mesures nécessaires pour traduire dans notre droit des textes qu'ils avaient pourtant adoptés au niveau européen.

Pour résoudre ce problème, il faudrait sans doute qu'une circulaire du Premier ministre enjoigne à tous les membres du Gouvernement, lorsqu'ils préparent des projets de loi, d'y inclure systématiquement la transposition des directives portant sur les domaines ayant un lien avec l'objet du texte en préparation. Si une telle formule avait été retenue depuis une vingtaine d'années, il ne fait pas de doute que la très grande majorité des directives dont la transposition par voie d'ordonnances est prévue dans le projet de loi d'habilitation déposé par le Gouvernement au cours de l'été seraient d'ores et déjà incluses dans notre droit positif.

En ce qui concerne le Parlement, force est de constater que le dispositif mis en place pour l'associer, en amont, au processus d'adoption des actes européens n'a pas été prolongé par la prise de mesures permettant, en aval, d'assurer dans de meilleures conditions la transposition de ces actes dans notre droit.

Or, l'amélioration du contrôle parlementaire sur la législation européenne suppose que l'Assemblée nationale ait les moyens d'assurer le suivi des textes, depuis leur élaboration jusqu'à leur application.

Confier à une commission spécialisée le soin d'accomplir cette mission serait sans doute la meilleure solution.

Une telle commission serait systématiquement saisie des projets d'actes européens et des projets de lois transposant ces actes dans notre droit.

Elle aurait par ailleurs pour rôle de suivre de manière permanente l'évolution et l'application des normes européennes.

Cependant, l'article 43 de la Constitution limitant à six le nombre des commissions permanentes dans chaque assemblée, la création d'une commission pour les affaires européennes supposerait une révision de la Constitution. Cette révision est souhaitable - la limitation constitutionnelle du nombre des commissions étant devenue absurde - mais elle n'est pas d'actualité.

Dans ces conditions, il vous est proposé, plus modestement, de permettre aux délégations pour l'Union européenne créées au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat de se saisir pour avis des projets ou propositions de loi transposant ou mettant en oeuvre des actes de la Communauté européenne ou de l'Union européenne.

Ainsi, les organes actuellement chargés d'examiner de manière systématique les projets d'actes européens auront-ils également, à l'avenir, la possibilité de donner un avis sur la transposition de ces actes dans notre législation.

Ce dispositif ne porte nullement atteinte aux pouvoirs des commissions permanentes de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Bien évidemment, la commission compétente au fond aura à établir le rapport sur le texte en discussion et d'autres commissions pourront, le cas échéant, se saisir pour avis. Mais la délégation pour l'Union européenne, qui aura examiné le projet de directive avant son adoption par le Conseil européen, pourra éclairer utilement l'Assemblée nationale sur sa portée et faciliter ainsi sa transposition.

Tel est l'objet de la proposition de loi suivante qu'il vous est demandé d'adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Dans l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré, après le V, un paragraphe V bis ainsi rédigé :

" V bis. - Les délégations peuvent se saisir pour avis des projets ou propositions de loi transposant ou mettant en oeuvre des actes de la Communauté européenne ou de l'Union européenne. "

ANNEXE V :

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE PRÉSENTÉE PAR M. AYMERI DE MONTESQUIOU TENDANT À PERMETTRE À LA FRANCE DE RESPECTER LES DÉLAIS DE TRANSPOSITION DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que s'est achevée la présidence française de l'Union européenne, notre pays demeure en 12ème position dans le tableau de suivi des directives : cent soixante-seize directives sont encore en attente de transposition, la date de transposition étant dépassée pour 136 d'entre elles et la plus ancienne remontant à 1981. On ne peut que regretter cette situation, la France apparaissant sous cet aspect peu respectueuse de la législation communautaire.

Pourtant, la primauté du droit communautaire sur le droit interne a été admise dans l'arrêt Costa/Enel du 15 juillet 1964 qui signalait : "issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère". Les juges nationaux sont les garants de cette primauté.

On doit parallèlement signaler que le droit dérivé unilatéral a une importance de plus en plus grande en droit interne. Si les règlements s'appliquent dès leur publication dans tous leurs éléments directement à l'égard des citoyens, les directives, en revanche, sont obligatoires à l'égard des seuls Etats et doivent par conséquent être transposées pour devenir effectives à l'égard des citoyens.

A propos des directives, plusieurs remarques doivent être formulées :

- Tout d'abord, les institutions communautaires ont adopté des directives d'un contenu de plus en plus précis au point de ne laisser aucune marge d'appréciation aux instances nationales. La directive est devenue ainsi un texte comportant un nombre considérables d'articles et, en définitive, dans certains cas, se suffisant à lui-même. Son introduction dans l'ordre interne se résume parfois à une reproduction du texte communautaire, habillé selon les formes internes. Au demeurant, même dans ces conditions, la France ne satisfait pas à ses obligations.

- Certaines sont d'ailleurs si précises que la Cour de Justice des Communautés Européennes a considéré, face à la lenteur de transposition de certains États, qu'à l'identique des règlements, elles pouvaient être invoquées directement par le citoyen alors même qu'elles n'avaient pas été transposées (décision Van Duyn c/Home office du 4 décembre 1974).

- Néanmoins, au niveau interne, le Conseil d'Etat ne fait pas la même interprétation en se référant aux termes précis du traité. Ce dernier donnant aux directives une force obligatoire à l'égard des seuls États, il refuse l'effet direct de celles-ci à l'égard des actes individuels (CE 22 décembre 1978 Cohn-Bendit, CE 13 décembre 1985 Zadkine).

Cependant, si les États restent libres tant que l'échéance d'application n'est pas atteinte (5 avril 1979, Ministère public/Ratti), passé ce délai, les citoyens peuvent intervenir à l'égard de l'Etat défaillant.

Plusieurs voies de droit sont ouvertes pour en obtenir l'application.

- Les ressortissants peuvent ainsi contester la légalité des mesures réglementaires au regard des dispositions d'une directive ignorée par l'Etat (CE 28 septembre 1984 Confédération nationale).

- Ils peuvent également s'opposer en utilisant toute voie de droit à l'application d'une règle de droit national contraire à une directive, notamment l'exception d'illégalité.

- Ils peuvent parallèlement inviter les autorités dotées du pouvoir réglementaire à prendre les mesures d'application d'une directive ou à rectifier les règles devenues obsolètes suite à l'adoption d'une directive.

- Au demeurant et surtout, l'Etat peut voir sa responsabilité engagée vis-à-vis de ses nationaux pour non transposition d'une directive (CJCE 19 novembre 1991 Francovich et Bonifaci/République italienne ).

Or, en pratique, malgré ce dispositif relativement protecteur, les gouvernements, et les gouvernements français en particulier, tardent à faire transposer les directives.

Pour combler le retard, des moyens ont été mis en oeuvre.

- Les projets de loi portant Diverses Dispositions d'Adaptation au Droit Communautaire ont été créés. Ils permettent de réunir sous un même projet de loi la transposition de directives touchant aux mêmes secteurs.

- L'utilisation des ordonnances pour prendre des mesures législatives dans l'urgence, en l'espèce pour transposer de nombreuses directives, a été demandée par le Gouvernement. Même si ce moyen demeure exceptionnel, il apparaît aller à l'encontre de l'article 34 de la Constitution, la compétence législative relevant du seul Parlement. En effet, le retard pris pour la transposition ne doit pas entraîner le dessaisissement du Parlement par l'Exécutif : " Nemo auditur propriam turpitudinem allegans " .

Devant l'insuffisance de résultats et l'inadéquation des procédés, la France ayant reculé dans le tableau de transposition des directives ces deux dernières années, il apparaît indispensable de prévoir un nouveau dispositif permettant une transposition des directives dans les délais requis. La France, pionnière de l'Europe, ayant oeuvré pour faire avancer l'intégration européenne, ne doit plus être montrée du doigt pour ignorance du droit communautaire.

L'Exécutif ne remplissant pas ses engagements communautaires avec satisfaction, le Parlement doit être en mesure de pallier sa carence afin que la France ne figure plus parmi les mauvais élèves européens.

Un tiers des directives à transposer présente un caractère législatif. Lorsque le Gouvernement tarde à faire transposer une directive relevant de la compétence du Parlement, celui-ci doit être amené à l'examiner automatiquement.

Ce nouveau dispositif possède deux avantages touchant à ses moyens et à sa finalité:

- respect des prérogatives du Parlement : il permet un déroulement normal de la procédure législative. Les textes feront l'objet d'un véritable débat.

- efficacité : il instaure une inscription automatique de projets de loi tendant à transposer les directives. Une échéance étant fixée pour chaque texte, la France ne connaîtrait plus de retard important.

C'est pour ces différentes raisons, qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi constitutionnelle.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Dans le titre XV de la Constitution, après l'article 88-4, il est ajouté un article 88-5 ainsi rédigé :

" Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive adoptée en application des traités visés au présent titre doit être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition.

A défaut, toute proposition de loi ayant le même objet est inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire. "

LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES

Le simple constat que deux tiers des textes pour lesquels il y a un retard de transposition ont un caractère réglementaire et non législatif montre clairement que le retard dans les transpositions a avant tout une cause administrative et non une cause parlementaire.

Une circulaire du Premier ministre, publiée au Journal officiel en 1990, puis, sous une forme améliorée, en 1998, définit avec minutie les règles de conduite que devrait respecter l'administration française pour assurer une bonne transposition des directives. Mais cette circulaire reste inappliquée.

Par ailleurs, pour beaucoup de textes de transposition appelant l'intervention du Parlement, le retard provient du manque de volonté et de courage du Gouvernement qui semble se dérober devant des arbitrages qui ne sont pourtant que la conséquence nécessaire des compromis qu'il a accepté.

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