2. Fonctionnement : redéfinir le rôle des pensionnaires comme de la direction

Depuis dix ans, on s'interroge sur la situation juridique des pensionnaires, qu'il conviendrait de clarifier.

Votre rapporteur spécial estime qu'il faut également, pour les raisons que l'on a déjà mentionnées, se poser la question du profil de la direction.

(1) Diversifier le statut des pensionnaires

Le rapport déjà cité de M. Michel Berthod, qui n'a été porté à la connaissance de votre rapporteur spécial que de façon fortuite, qualifiait, le statut actuel « d'étrange chimère administrative » dans la mesure où le pensionnaire est une sorte de « fonctionnaire à durée déterminée », non astreint en pratique à toute obligation de service fait.

Selon ce rapport - dont il est étonnant qu'il ait eu si peu de suite, s'agissant d'une commande ministérielle -, il conviendrait de choisir entre deux conceptions du séjour :

« - Une « fin d'études » : la rémunération des pensionnaires devrait avoir la nature d'une bourse, et il n'y aurait pas lieu de modifier les limites d'âge actuelles (20-35 ans) ;

- Une période « sabbatique », permettant à des artistes et des chercheurs déjà engagés dans la vie professionnelle de mener à bien la réalisation d'un projet : les pensionnaires devraient être des salariés liés contractuellement à l'Académie, et on pourrait relever les limites d'âge à 25-40 ans, voire supprimer le plafond. ».

Votre rapporteur spécial considère que cette question de statut et donc de droits et d'obligations des pensionnaires vis-à-vis de l'État doit être abordée à travers de ce qui est offert aux résidents et attendu d'eux.

La notion de résident , conforme à l'usage dans nombre de fondations, semble plus appropriée et permet une diversification des hôtes de la Villa tant du point de vue du statut ou du niveau que de la durée de séjour .

Les choses seraient sans doute plus claires si les pensionnaires se trouvaient dans l'une des trois situations suivantes :

•  un statut de boursier , en vertu duquel les stagiaires - en l'occurrence des étudiants en thèse ou des jeunes artistes - recevraient une allocation déterminée en fonction de la nature de leur projet, sur le modèle de ce qui existe pour la délivrance des bourses de la Villa Médicis « hors les murs » ;

•  un statut de contractuel pour une durée déterminée - en général 1 an -, qui permettrait d'accueillir des artistes ou professionnels confirmés, avec, soit un régime d'année sabbatique, soit de tuteurs chargés de suivre des résidents boursiers ;

•  le détachement pour les pensionnaires déjà fonctionnaires en leur permettant de conserver leur rémunération et de bénéficier d'une indemnité de résidence éventuellement aménagée.

En tout état de cause, il est important de disjoindre leur rémunération de celle des fonctionnaires en poste à l'étranger et d'éviter, en particulier, comme le préconisait le rapport Berthod, l'application du décret n° 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'État à caractère administratif en service à l'étranger.

On peut se demander en effet si l'on peut appliquer sans nuances des statuts à des personnels qui ont choisi de profiter des possibilités offertes par une résidence à l'étranger et pour lesquels l'expatriation n'est pas une contrainte.

De même, le plafonnement à l'indice 590 de la rémunération prise en compte pour le calcul du traitement des pensionnaires déjà fonctionnaires - qui résulte de l'arrêté du 5 février 1976 - n'aurait plus lieu d'être et l'on devrait officiellement reconnaître la possibilité du détachement, ce qui n'est actuellement pas le cas en droit.

Enfin, le statut de boursier devrait permettre de substituer au traitement actuel, la combinaison d'une allocation de séjour identique pour tous à d'éventuels suppléments familiaux près, et d'une aide au projet , qu'il s'agisse d'une aide à la réalisation d'une oeuvre ou d'un voyage.

Un tel système favoriserait d'abord une diversification des profils et donc de la durée de séjour des pensionnaires.

Actuellement, la durée des séjours est un enjeu et une source de conflits entre la direction et les pensionnaires qui estiment que celle-ci n'est jamais assez longue. Votre rapporteur spécial estime que la Villa devrait offrir toute une gamme de durées de résidences , pouvant aller de séjours de 2 ou 3 mois pour des étudiants des Beaux Arts, de l'École du Patrimoine ou de l'École du Louvre à l'issue de leurs études, à deux ans pour des pensionnaires déjà professionnalisés lorsque la nature de leur travail justifie une présence à Rome aussi longue.

L'idée directrice serait donc de différencier les profils des résidents, qui pourraient être donc non seulement des jeunes sans expérience professionnelle , mais également des personnes ayant besoin d'une période sabbatique , qu'il s'agisse d'artistes, d'architectes, de musiciens ou d'historiens d'art. Cela pourrait conduire à supprimer les limites d'âge.

Dans cette optique, les stages longs concerneraient moins les thèses pour lesquelles on pourrait organiser des systèmes de séjours courts successifs que des personnes en congé sabbatique - artistes confirmés ayant besoin de prendre du champ ou des professionnels de l'histoire de l'art qui auraient besoin d'approfondir ou de diversifier leurs recherches - ou des personnalités invitées. Cette différenciation des statuts va de pair avec celle des rémunérations.

C'est de la confrontation entre jeunes -et brillants- sujets, professionnels expérimentés et résidents de haute notoriété - intellectuels, artistes, professeurs - que pourraient naître ces rencontres imprévisibles de nature à faire de la Villa un lieu de bouillonnement fécond et donc de rayonnement culturel durable, dès lors, surtout, que l'on sera en mesure d'assurer certaines affinités entre tous les résidents de quelqu'horizon qu'ils viennent, ce qui est sans doute faire preuve d'un certain optimisme...

(2) Renforcer l'autorité du directeur et/ou les liens avec la France

La cohérence et l'homogénéité des promotions sont actuellement très variables selon les années. Nul doute que la diversification des profils et des durées que l'on vient de préconiser, de façon à mieux répartir l'avantage que constitue un séjour à la Villa entre toutes les personnes susceptibles d'en profiter, n'est pas en elle-même de nature à renforcer la cohésion des promotions.

Une façon d'éviter que la différenciation des durées de séjours et le profil des candidats ne dilue la personnalité de la Villa, serait de renforcer, selon les cas de figure, l'autorité du président du jury ou du directeur, qui seraient ainsi le dénominateur commun des différents pensionnaires, indépendamment de la durée de leur séjour.

Il s'agit de s'assurer, dès la sélection des candidats, que ceux-ci aient si ce n'est des références esthétiques communes du moins travaillent d'une façon ou sur des champs compatibles. Ce n'était pas nécessaire au temps des concours des prix de Rome dans la mesure où les différents acteurs partageaient à peu près la même esthétique et s'exprimaient suivant les mêmes règles du jeu. Et cela était tellement vrai que de là naquit l'académisme...

L'hétérogénéité des formes actuelles d'expression artistique ne garantit pas, aujourd'hui, ce langage commun ou même une possibilité de dialogue, qui, toutefois, pour être enrichissant, doit associer des personnalités d'horizons intellectuels et plastiques d'une certaine diversité.

Mais, seule la désignation d'une personnalité responsable assurerait in fine cette référence commune indispensable si l'on veut faire jouer pleinement le caractère pluridisciplinaire des séjours à la Villa, qui reste un des apports fondamentaux des systèmes de résidence.

Le directeur pourrait, directement ou indirectement, et dès lors qu'il serait pleinement impliqué dans le choix des candidats, créer cet état d'esprit collectif et donc ces possibilités d'échanges, de nature à rendre les séjours plus féconds, indépendamment de leur durée.

Des étudiants avancés côtoieraient de jeunes professionnels comme des personnes - professionnels en congé sabbatique ou tuteurs rétribués - ayant atteint une certaine maturité dans leur expression artistique ou leur métier. Ce mélange de générations devrait favoriser les échanges, tandis qu'un certain esprit de promotion pourrait être encouragé, notamment par l'organisation de voyages en commun à travers l'Italie.

Il est frappant en effet que les possibilités de voyages en Italie prévues par le règlement intérieur 19 ( * ) , semblent relativement peu utilisées. En dépit de l'individualisme inhérent notamment aux vocations artistiques, les pensionnaires auraient tout à gagner à des voyages préliminaires comme il en existe dans certaines grandes écoles : ils apprendraient à mieux se connaître et pourraient découvrir que l'Italie est un pays d'une richesse culturelle presque inépuisable, un véritable « musée diffus » selon la formule d'André Chastel.

Renforcer, en particulier, l'autorité du directeur, en faire le lien personnel, au-delà de leurs spécialités respectives, entre les pensionnaires, permettraient de résoudre la quadrature du cercle de l'opportunité d'exiger que les bénéficiaires rendent compte de leur travail et d'instaurer, naturellement, cette « réciprocité » dénoncée par Renaud Camus.

Ce serait au directeur qui aurait indirectement présidé à leur choix, de s'assurer qu'ils utilisent effectivement la possibilité de travailler qui leur a été offerte. Ainsi, la Villa pourrait-elle rester cet espace de liberté à l'abri des préoccupations de rentabilité.

Le directeur, investi d'un rôle d'impulsion et d'animation, serait le garant de la cohésion de l'ensemble du système. Mais il ne serait pas seul. Il devrait s'appuyer sur tout un réseau de professionnels renommés, qui pourraient l'aider à la fois au niveau du recrutement et jouer ce rôle de « tuteur » évoqué notamment dans le rapport Berthod.

Ce n'est pas, a priori, aux pensionnaires, comme c'est le cas actuellement, de choisir le nom des personnalités susceptibles d'être des hôtes en résidence, ce qui est matériellement difficile à organiser. Au contraire, ce serait plutôt au directeur d'orienter le choix des pensionnaires en fonction des personnalités qu'il est possible de faire venir à la Villa.

La fondation Getty -qui est un modèle de référence, même s'il faut se garder d'en imiter trop strictement les méthodes, ne serait-ce que, parce que Rome n'étant pas Los Angeles, il n'est pas besoin d'offrir autant de moyens matériels pour y attirer les talents- choisit ses résidents, du professeur de renom invité au jeune stagiaire de quelques semaines, en fonction du thème annuel de recherche ; il devrait être envisageable que les membres du jury sélectionnent les candidats en fonction de la personnalité des artistes ou professionnels confirmés qui se sont engagés à résider à la Villa.

(3) Envisager une évolution et une diversification du profil de l'équipe de direction à moyen terme

Les dépenses de personnels engagées pour la gestion de la Villa sont relativement conséquentes par rapport à celles affectées à la rémunération des pensionnaires. Aux traitements des fonctionnaires expatriés, dont la masse importante tient aux indices des fonctionnaires en poste, s'ajoutent les salaires des personnels italiens - 32 personnes - dont le nombre tient à la nécessité d'entretenir des bâtiments historiques, ainsi que d'assurer le support administratif de la gestion quotidienne des pensionnaires, d'un lieu d'exposition et d'accueil d'hôtes reçus dans le cadre de l'activité de la Villa.

Le volume et la structure de ces dépenses de personnel sont-ils, eu égard à la faiblesse des marges de manoeuvre budgétaire, en rapport avec le service de l'institution ? La question mérite d'être posée.

Le premier souci consiste à redéployer le personnel local. C'est ce que vient de faire la direction actuelle et on ne peut que l'en féliciter.

Le ministère pourrait engager une réflexion sur le profil des futurs directeurs : après un grand artiste et un historien d'art, après un homme de médias et deux hommes de culture, écrivains, issus de la haute administration et ayant exercé des responsabilités importantes dans le domaine culturel, il conviendrait sans doute de choisir entre deux profils possibles :

• une personnalité de prestige , artiste de renom international -comme l'était Balthus- ou un professionnel ayant occupé des fonctions médiatiques touchant aux arts plastiques, qui pourrait sur son nom ou par son exemple mobiliser autour de lui des talents de toute nature, dès lors que cette personnalité manifesterait la disponibilité nécessaire ;

• un homme de réseaux , qui ne serait pas nécessairement connu du grand public, mais qui, parce qu'issu du sérail, aurait l'expérience et, surtout, les connections nécessaires pour s'entourer des conseillers spécialisés, faire venir des résidents de tous horizons, et assurer, enfin, l'insertion des anciens pensionnaires artistes ou créateurs, dans le circuit culturel et économique.

On peut remarquer que, à des degrés et selon des modalités diverses, les successeurs de Balthus ont été des hommes de réseaux.

* 19 L'article 15 définit le régime des voyages d'étude. Après accord du directeur, les pensionnaires peuvent obtenir une allocation d'incitation au voyage d'étude dont le montant est de 5.000 francs payables sous forme de frais de mission régis par le décret n° 86-416 du 12 mars 1986. Ce voyage qui doit s'insérer dans le cadre de leur programme de travail peut intervenir jusque dans les deux mois qui suivent immédiatement la fin du séjour.

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