i) M. Remi BARRÉ, Directeur de l'Observatoire des sciences et des techniques - Mercredi 28 mars 2001

M. Francis Grignon - Pouvez-vous nous présenter les enseignements des statistiques sur les dépôts de brevets d'origine française ?

M. Rémi Barré - Les brevets sont des instruments de protection juridique sur de la connaissance technologique. Leur dépôt aboutit à la constitution des bases de données qui permettent de construire de bons indicateurs d'activité technologique.

Pour répondre à votre question, il ne faut cependant pas sous-estimer les biais statistiques que peuvent introduire le comportement des entreprises. Par exemple, quelle que soit la filiale où est réalisée une invention, IBM dépose ses brevets par son siège aux Etats-Unis (tous les brevets d'IBM auront donc un déposant américain), alors que d'autres entreprises auront une politique toute différente, et déposeront leurs brevets par leurs filiales dans chaque pays. L'OST calcule deux types d'indicateurs : l'un mesure le nombre de brevets contrôlés par les pays et agrège tous les brevets déposés par un groupe au lieu de la maison-mère, afin de contourner cette difficulté statistique. L'autre mesure le nombre de brevets inventés par les pays, ce qui est possible du fait que les dépôts de brevets font obligatoirement mention de la localisation de l'inventeur, ceci permet une analyse sur l'aptitude des différents pays à être des lieux d'invention, où se réalise la recherche technologique.

M. Francis Grignon - Y-a-t-il des différences par pays dans le taux d'obtention des demandes de brevets déposées ?

M. Rémi Barré - L'OST s'y intéresse peu. Mais la réponse est positive. Je souligne par ailleurs que la procédure américaine n'est pas transparente car il n'y a pas de publication de la demande de brevet comme cela a lieu en Europe au bout de dix-huit mois. En outre, le système américain favorise les entreprises américaines qui ont des délais d'obtention plus courts.

Aux demandes de brevets européens, il faut ajouter les demandes passant par la voie PCT et désignant l'Europe, qu'on appelle les « Euro PCT ». Les statistiques de l'OST donnent un panorama assez inquiétant de la position de la France comme lieu d'invention et de création technologique. Cette position se dégrade depuis plusieurs années.

M. Francis Grignon - Pour quelles raisons ?

M. Rémi Barré - Il existe peu d'études complètes, mais plusieurs hypothèses doivent à mon sens être évoquées :

- avec la multiplication des fusions, les multinationales françaises ont peut être tendance, en rationalisant leurs activités, à diminuer leur activité de recherche dans l'hexagone ;

- les fusions ont peut être pour conséquence de diminuer le volume net de recherche des groupes, la question étant de savoir si la France est ou non diminuée plus que proportionnellement, c'est-à-dire si elle perd ou non de son attractivité pour les activités de recherche ;

- l'Etat a baissé depuis cinq à sept ans de 10 milliards de francs par an son financement de la recherche et développement dans le cadre des grands contrats militaires. Il s'agit d'un bouleversement qui a probablement des implications importantes sur la base technologique nationale ;

- il peut exister des « effets de structure », la France se spécialisant dans des domaines technologiques où le dépôt de brevet est moins fréquent. Dans le secteur de la mécanique par exemple, les dépôts de brevets sont des plus fréquents alors que les brevets en chimie-pharmacie sont plus rares, beaucoup plus coûteux et plus chers en développement ;

- il peut s'agir d'un effet de stratégie et de l'évolution vers le secret de quelques grands groupes français. Je rappelle, par exemple, que Michelin ne dépose pratiquement pas de brevets.

Il faudrait vérifier ces hypothèses mais il existe peu d'études sur ce point, ce qui est regrettable.

M. Francis Grignon - Voyez-vous des freins particuliers en France au dépôt de brevets : manque de spécialistes, coûts excessifs, insuffisance de la protection juridictionnelle ?

M. Rémi Barré - Toute facilitation est la bienvenue, mais on se leurre à mon avis en pensant qu'une baisse du coût du brevet européen améliorera la position relative de la France par rapport aux autres pays. En effet, le coût du brevet européen est le même pour toutes les entreprises déposantes et n'explique pas la position relative de la France.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous du problème du régime linguistique du brevet européen ? Est-ce à votre avis un vrai enjeu économique ?

M. Rémi Barré - Je pense qu'un industriel qui a des ambitions européennes doit être capable de travailler en anglais, même s'il est français.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous d'un multilinguisme réduit à trois ou quatre langues ?

M. Rémi Barré - Il ne serait à mon avis pas accepté par les petits pays d'Europe, ce qui est parfaitement compréhensible. Je pense qu'il a de toutes les façons un coût : ce coût est-il raisonnable pour les entreprises ?

M. Francis Grignon - N'avez-vous pas peur de l'effet de contagion du régime linguistique du brevet vers celui des normes par exemple. Le tout anglais n'est-il pas inquiétant à cet égard ?

M. Rémi Barré - Il n'a à mon sens pas d'inconvénients majeurs. Il permet au contraire une communication directe entre spécialistes au sein des instances internationales, notamment européenne.

M. Francis Grignon - Disposez-vous d'une analyse sectorielle de la position relative de la France pour le dépôt de brevets ?

M. Rémi Barré - La France n'est pas en bonne situation dans le domaine de l'informatique et des technologies de l'information, où les Etats-Unis et les pays nordiques dominent. Sur certains segments (les télécoms par exemple), la France tire toutefois son épingle du jeu. En biotechnologie nous sommes également en position fragile, les Anglais étant sensiblement mieux placés que nous en Europe dans ce secteur. Cependant, dans les secteurs tels que automobile, mécanique, chimie, aéronautique... la France n'est pas mal placée. Je considère cependant qu'il n'est pas forcément opportun de multiplier à l'infini les dépôts de brevets. La question du dépôt par les chercheurs publics me paraît par exemple devoir être examinée avec circonspection.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page