INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat a autorisé, le 18 avril dernier, la Commission des Affaires économiques, à créer une mission d'information sur la lutte contre l'épizootie de fièvre aphteuse qui s'est déclarée dans notre pays le 12 mars 2001. Cette mission avait notamment pour objet d'apprécier la pertinence des décisions prises par les pouvoirs publics, de se prononcer sur les conditions et les délais d'indemnisation, et sur l'opportunité d'une vaccination du cheptel. Tel est l'objet du présent rapport, dont la publication a été approuvée par la Commission des Affaires économiques le jeudi 21 juin 2001.

Au cours de ses travaux, la mission d'information a entendu plus de cinquante personnalités issues de l'administration, des organisations professionnelles agricoles et alimentaires, du monde scientifique et du secteur associatif. Elle a également eu des contacts avec le Comité vétérinaire permanent de l'Union Européenne. Elle a enfin effectué, le vendredi 4 mai 2001, une mission en Seine-et-Marne à l'invitation du Sénateur Jacques Larché, Président du Conseil général, et une visite sur le foyer observé à la limite de la Mayenne et de l'Orne, le vendredi 11 mai dernier, à la demande du Sénateur Jean Arthuis, Président du Conseil général de la Mayenne (cf. annexes 1 et 2). Votre mission tient à adresser ses remerciements au Président Jacques Larché et au Président Jean Arthuis, pour l'accueil qui leur a été réservé sur le terrain.

Ce rapport tend, sur la base d'une analyse réalisée sans a priori, a présenter le déroulement de la récente épizootie aphteuse et, eu égard à ses conséquences dramatiques, à ouvrir des pistes de réflexion susceptibles de guider l'action des pouvoirs publics dans les négociations internationales qui ne manqueront pas de s'engager dans les mois à venir. Il a également pour objet de présenter l'incidence concrète de toutes les décisions prises par les pouvoirs publics.

CHAPITRE PREMIER -

LA FIÈVRE APHTEUSE :
ENTRE ENZOOTIE ET ÉRADICATION

I. UN ENNEMI BIEN CONNU

Parmi les maladies dont sont victimes les animaux domestiques, telles que la brucellose ou la peste porcine, la fièvre aphteuse n'est sans doute pas la plus dangereuse pour la vie des sujets qu'elle atteint. Il n'en demeure pas moins que cette infection, bien connue des scientifiques, a frappé les esprits par son extrême contagiosité, par sa persistance à l'état panzootique dans de nombreuses régions du globe, et par les pertes qu'elle occasionne pour l'économie rurale et la filière agro-alimentaire.

A. UNE MALADIE AUSSI ANCIENNE QUE L'ÉLEVAGE

La fièvre aphteuse atteint les espèces animales à onglons : bovins, ovins, porcins, buffles, caprins et camelins, pour les animaux domestiques, cerf, chevreuil et sanglier, parmi 70 espèces sauvages. Elle ne touche pas, en revanche, les chevaux, les carnivores et les oiseaux. Chez les bovins et les porcs, elle se caractérise par l'apparition d'aphtes dans la bouche, sur les pieds et sur les mamelles , ainsi que par divers symptômes : abattement, fièvre, absence d'appétit. Les espèces peu sensibles, telles que les ovins, ne sont pas ou peu touchées par les aphtes -environ 5 % des moutons atteints présentent des signes cliniques de la maladie- tout au plus sont-elles sujettes à de petits ulcères qui, situés sur les pieds et dans la bouche, se résorbent rapidement, et subissent-elles, en outre, des avortements ou l'apparition de sujets morts-nés.

D'après M. Bernard Toma, Professeur à l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort, l'homme est très résistant à la fièvre aphteuse, mais peut exceptionnellement exprimer cliniquement l'infection par des aphtes dans la bouche, sur la paume des mains et la plante des pieds. Selon lui, un grand nombre de symptômes observés sur les humains ressemblent à la fièvre aphteuse, de sorte qu'on ne peut affirmer qu'un sujet a contracté cette maladie, qu'après des examens de laboratoire ; aussi note-t-il :

« En fait, aucun élément nouveau n'est à noter dans ce domaine au cours des dernières années. Probablement, la conclusion partagée par une majorité d'auteurs est la bonne, à savoir : la fièvre aphteuse cliniquement exprimée est tout à fait exceptionnelle (mais possible) chez l'homme (Donaldson et Knowles, 2001) 1 ( * ) . En particulier, l'isolement de virus à un titre élevé à partir des lésions d'une personne ne peut guère s'expliquer autrement (Armstrong et al., 1967 2 ( * ) ). » 3 ( * )

Pour le docteur F. Moutou, chef de l'unité épidémiologie de l'Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire, on n'a recensé dans toute l'histoire humaine que 46 cas de fièvre aphteuse. Au cours de la dernière épizootie, treize suspicions 4 ( * ) de cette affection concernant des hommes auraient été évoquées puis infirmées.

La maladie, dont la durée d'incubation varie de 3 à 8 jours en moyenne, connaît quatre stades 5 ( * ) :

- l'incubation (cinq jours chez les bovins et les ovins, et 10 jours chez les porcins), durant laquelle le virus se développe sans qu'aucun signe se manifeste ;

- l'invasion : son seul symptôme est une légère hyperthermie, mais les animaux excrètent le virus ;

- le stade clinique : apparition d'aphtes sur les pattes, dans la bouche, sur les mamelles pour les vaches ;

- le stade immun : l'animal est guéri mais peut toujours présenter un risque épidémiologique.

La virulence de la maladie varie selon les espèces. Le taux de mortalité est de 13 % chez les jeunes animaux et de 6 % chez les animaux adultes . La plupart des animaux guérissent sous trois à quatre semaines, mais peuvent conserver des séquelles d'un épizode aphteux. La croissance des jeunes est ralentie, le taux d'avortement augmente de 10 %, tandis que la production laitière diminue de 10 % environ.

L'origine de la maladie est connue depuis 1897 , lorsque Loeffler et Frösch démontrent qu' elle est causée par un virus appartenant à la famille des picornaviridés. Doté d'une grande variabilité génétique , ce virus est caractérisé par sept sérotypes. Ces sept types sont respectivement désignés sous les appellations : O, A, C, SAT 1, SAT 2, SAT 3 et Asia 1.

L'Europe fut longtemps caractérisée par la présence des types O, A et C, qui sont également endémiques en Amérique du Sud et en Asie, où sévit également le type Asia 1. L'Afrique connaît, quant à elle, des manifestations de tous les types précités, à l'exception du type Asia 6 ( * ) .

Le virus de la fièvre aphteuse se conserve dans les liquides physiologiques, le mucus nasal, le lait, les matières fécales. Il est résistant au milieu extérieur, insensible à la lumière du jour et peut être transmis par :

- le contact direct entre animaux (notamment avec les animaux en incubation dont rien ne montre qu'ils sont infectés) ;

- le contact indirect avec des supports divers , qu'ils soient inanimés ou vivants : voitures, camions, personnes, animaux sensibles ;

- la voie aérienne (on pense qu'en 1981, le virus fut transporté par le vent entre l'île de Wight et la Bretagne, distante de 280 kilomètres).

Selon les travaux précités 7 ( * ) , le virus est inactivé en milieu acide (d'un PH inférieur à 6,8), ainsi que par les bases (soude caustique à 1 %).

Pour le professeur Bernard Toma, « l'extraordinaire contagiosité » du virus de la fièvre aphteuse procède de trois facteurs :

- sa résistance au milieu extérieur ;

- la brièveté de l'incubation , qui permet à un sujet infecté d'excréter du virus peu de temps après sa contamination ;

- l 'excrétion massive d'agent infectieux dans le milieu environnant, due à la localisation superficielle des lésions aphteuses.

Les porcs excrètent le plus de virus : de 1.000 à 3.000 fois plus que les bovins ou les ovins 8 ( * ) . Ils émettent jusqu'à 10 8,6 doses infectieuses en culture de cellules (DICC), unité qui mesure le titre en virus infectieux, contre seulement 10 5 DDIC pour les bovins. C'est pourquoi les porcheries infectées sont les sources essentielles de la dissémination aérienne de la maladie, de véritables « aspirateurs à virus », pour reprendre la formule d'une personnalité entendue par votre mission d'information.

Les bovins sont , quant à eux, du fait de leur forte capacité respiratoire, l'espèce réceptrice la plus sensible.

* 1 A. Donaldson et N. Knowles - Foot -and-mouth disease dans man, Vet. Rec., 10 March 2001, 319.

* 2 R. Armstrong et al., - Foot-and-mouth Disease dans Man, Brit. Med. J., 1967, 4, 529-530.

* 3 « Les leçons d'une épizootie », Bulletin des GTV n° 10, 2001.

* 4 Cf. Le Figaro du 27 avril 2001.

* 5 Sources : D. Mahul, J.-C. Poupa et P. Rainelli, « Evaluation des conséquences économiques d'une épizootie de fièvre aphteuse », dans INRA Sciences sociales, n° 6, décembre 1997.

* 6 Cf. Etienne Thiry et Ratiba Baazizi, « La fièvre aphteuse, les propriétés de virus expliquent sa grande contagiosité », dans Bulletin des GTV, n° 4, novembre 1999, page 51.

* 7 Ibidem, pages 51-52

* 8 Cf. S. Maragon et al., « The 1993 Italian foot-and-mooth disease epidemic [...] » dans The Veterinary Record, july 16, 1994, page 57.

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