28. Audition de M. Yves Dauge, député-maire de Chinon, auteur d'un rapport au Premier ministre en 1999 sur les politiques publiques de prévention des inondations en France (27 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Yves Dauge. Il est l'auteur d'un rapport sur les inondations, paru en 1999, sur les politiques publiques de prévention des inondations en France métropolitaine et Outre-Mer . Outre son mandat de député, il est maire de la ville de Chinon, dans l'Indre-et-Loire.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Yves Dauge .

M. Yves Dauge - Je suis l'auteur d'un rapport sur les politiques publiques de prévention des inondations en France métropolitaine et Outre-Mer, qui avait été commandé par le Premier ministre en février 1999. Ce rapport a été remis juste avant les inondations de l'Aude. Si je devais faire une boutade, je dirais : « pour une fois qu'un rapport est publié avant l'événement ! ».

Notre travail a consisté principalement à constater la richesse des connaissances sur la problématique des inondations, notamment les connaissances scientifiques, mais aussi à rappeler que la « mémoire » a été perdue. Nous avons mis l'accent sur la nécessité absolue de créer un lieu de collecte des mémoires et des informations scientifiques. Il faut rassembler toutes les connaissances sur les inondations en un lieu, qui deviendrait un lieu de mémoire, grâce aux moyens modernes de stockage et de diffusion de l'information. Ce lieu de mémoire permettrait, par ailleurs, d'articuler les connaissances entre différentes disciplines qui ne sont pas habituellement connectées. En amont de nos politiques, nous aurions ainsi une base de données immédiatement mobilisable, au service de tous. C'est une innovation. Partout où nous sommes allés, toutes les personnes interrogées ont reconnu que la création d'un lieu de mémoire était une nécessité. J'aimerais que vous puissiez nous aider à approfondir nos idées dans ce domaine.

Par ailleurs, il nous a semblé utile de traiter la question des responsabilités : « qui fait quoi ? ». Loin de moi l'idée de dire que tout est simple, et qu'il n'y a qu'à prendre des mesures, tant le champ de réflexion est vaste et les enjeux complexes. Cela suppose, néanmoins, une certaine organisation au niveau étatique, notamment au niveau interministériel. J'ai clairement identifié un ministère. Certains considèrent que ce rôle doit revenir au ministère de l'Intérieur, car il s'agit après tout de la sécurité du territoire. D'autres estiment que le ministère et de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement serait plus approprié, parce que la volonté de faire baisser la vulnérabilité au regard du risque d'inondation doit être au coeur des politiques de prévention. Il s'agit là clairement de la prévention du risque. Mais il faudra aussi réfléchir à une meilleure intervention des services au moment des crises. Pour ma part, je pense que nous pouvons beaucoup avancer sur le terrain de la réduction de la vulnérabilité. Il nous faudrait un ministère leader, jouant le rôle de chef de file dans ce domaine : le ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, avec son relais régional, pourrait jouer ce rôle. Il conviendrait, par ailleurs, de se caler sur la géographie des bassins. Il faut travailler jusqu'au territoire le plus proche. A ce propos, avant même de parler de la commune et du plan d'exposition aux risques, nous avons affirmé la nécessité de développer les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Je pense que des actions doivent être entreprises au niveau territorial le plus proche des bassins versants. Dans la chaîne, c'est, je pense, le maillon manquant. Nous n'avons pas critiqué le fait d'élaborer des plans d'exposition aux risques. Cela étant, nous estimons que si l'on veut traiter efficacement des problèmes d'inondation, il n'est pas nécessaire de se précipiter pour élaborer des plans d'exposition au risque. Il faut, au préalable, définir une stratégie géographiquement pertinente. Les comités de bassins existent. Pourquoi ne pas revenir à des pratiques d'antan ?

Je tiens à préciser qu'au niveau des SAGE, nous n'avons pas de maîtres d'ouvrage. De manière générale, on nous rétorque qu'il suffit aux communes de se regrouper. Vous connaissez bien le sujet : au niveau du PER, c'est l'Etat qui est prédominant en matière de prise de décision, même s'il le fait en collaboration étroite avec les élus locaux. Dans le fond, on nous renvoie à l'initiative communale. Cela est certes intéressant, mais en toute honnêteté, cela pose problème.

Il faudrait que nous insistions sur le niveau géographiquement pertinent, sur la définition des stratégies, en mettant à profit les connaissances et la mémoire. Le schéma que nous proposons repose sur des mécanismes simples :

- la collecte et la diffusion d'informations ;

- la capacité de disposer en temps réel de l'information scientifique et de la mémoire perdue ;

- la mise du système sous l'autorité d'un ministère unique ;

- la déclinaison dans les régions ;

- la définition de territoires pertinents.

Le schéma d'aménagement viendrait sous-tendre tout ce dispositif. Je me demande, pour ma part, si l'intervention de l'Etat ne devrait pas être plus dirigiste. L'on risque en effet d'attendre longtemps avant que quelqu'un ne se décide à mener une étude ! Il faudrait que l'Etat mobilise des crédits d'études très importants, sans oublier que nous manquons de maîtres d'ouvrage. L'on pourrait, éventuellement, se tourner vers les comités de bassin.

Bien entendu, il faudrait se pencher attentivement sur les enjeux de la vulnérabilité et de la prévention. A cet égard, il faut comprendre qu'aucune commune ne pourra traiter ces deux problématiques dans sa propre géographie. L'échelle du bassin serait plus pertinente. Le SAGE présenterait, à notre sens, l'intérêt de déboucher tout à la fois sur un programme de prescriptions pour la planification et sur un programme de servitudes. A ce propos, il faudrait pouvoir imposer l'indemnisation des habitants soumis à une servitude. En effet, il serait anormal d'imposer des servitudes à un territoire et à des propriétaires, s'ils ne sont pas indemnisés. Il faut construire de grands réservoirs ainsi que des déversoirs. Dans la Loire, de nombreux ouvrages de déversoirs sont en cours. A cet égard, l'intérêt porté à la réfection et à l'entretien des ouvrages est récent. Dans les vallées qui devaient servir de déversoirs, l'on a tout de même construit. Il faudrait, dans ces cas, instaurer un régime de servitudes. Les SAGE pourraient jouer un rôle actif en ce sens. Ils pourraient aussi déterminer les fondements de nos travaux préventifs. Pour ma part, je considère que ce serait un « grand programme de petits travaux », englobant des travaux nouveaux, des travaux de restauration et d'entretien. Il n'est pas trop tard, mais il faudrait que l'Etat détermine, en collaboration avec les régions bénéficiant des dispositifs du FEDER, s'il est possible de relancer la deuxième moitié des contrats de plan, pour mener à bien un certain nombre de travaux préventifs, définis dans les SAGE. Je suis conscient qu'il y a des impondérables, mais je reste convaincu que l'on peut prendre un certain nombre de mesures pour réduire la vulnérabilité au risque et entretenir nos ouvrages.

Nous avons abordé la question des assurances. Notre régime d'assurance est tellement parfait qu'il déresponsabilise les acteurs ! De surcroît, la banalisation de la notion de catastrophe naturelle aboutit à des dérives : tout le monde prétend avoir été victime d'une catastrophe naturelle, et s'attend à être indemnisé. Nous sommes au coeur d'un vrai débat politique. J'ai plaidé, pour ma part, pour que l'on ne qualifie de catastrophe naturelle que les événements qui le sont véritablement. En France, l'on recense 600 catastrophes naturelles par an (par arrêté préfectoral). Soit on instaure un système de couverture pour des risques naturels qui ne seraient pas qualifiés de catastrophes naturelles, soit on n'assure que ce qui est véritablement une catastrophe naturelle. Il faudrait mieux gérer l'argent correspondant à la surtaxe sur nos feuilles d'assurance (actuellement de 12 points). Il serait alors utilisé pour couvrir les vraies catastrophes naturelles. Très franchement, le système, tel qu'il est actuellement, est voué à l'implosion. Il fonctionne comme la sécurité sociale : à un moment le trou devient intenable, et le système ne fonctionne plus.

Par ailleurs, nous pensons qu'il faudrait dire aux gens que pour être couverts une seconde fois, ils doivent avoir entrepris des travaux pour diminuer leur vulnérabilité. Cela revient à instaurer un mécanisme incitateur. Certains habitants vivent en zone inondable, et sont régulièrement inondés. Ils plaident à chaque fois la catastrophe naturelle -ce qui n'est pas systématiquement le cas- et se font régulièrement indemniser. Parallèlement, ils ne prennent aucune mesure de protection. Encore une fois, outre la définition de la notion de catastrophe naturelle, il faut associer la couverture du risque à un mécanisme incitateur. C'est ainsi qu'on luttera contre les dérives actuelles.

J'en reviens à la question du niveau de couverture et de risque. Le risque zéro n'existant pas, il faut, à notre sens, développer une culture du risque, si possible maîtrisé. Cette culture serait perçue non pas comme un élément contraignant et négatif, mais comme un élément positif de la politique d'aménagement du territoire, de l'élaboration d'un schéma d'aménagement, d'une politique de développement... Se pose alors la question du risque socialement acceptable. Dans le contexte actuel, le maire et le préfet sont les principaux acteurs. Ils ont tendance, l'un et l'autre, mais surtout le préfet, à fixer le risque au niveau le plus haut. Ils se disent que s'ils ne mettent pas la barre très haut, ils seront tenus pour responsables en cas d'inondation. Dans la vallée de la Seine, j'ai pu me rendre compte que la ville de Vaudreuil n'aurait jamais dû être construite.

Dans le système actuel, où l'on tend à fixer un haut niveau de risque, on dérive vers des situations aberrantes. Pour notre part, le préfet ne doit pas être seul décideur en la matière. Nous préconisons un vrai débat public. Une mission avait été mise en place, suite à l'adoption de la loi Barnier, sur la question du débat public. Il faut organiser le débat à différentes échelles, notamment à l'échelle du SAGE, et favoriser l'intervention d'un médiateur. L'ensemble des connaissances et la mémoire seraient ainsi mis sur la table, pour travailler sur des données objectives. Nous sortirions ainsi de l'atmosphère tendue et polémique dans laquelle nous sommes plongés actuellement. C'est dans cet esprit, et c'est suite à nos travaux, que l'ouvrage de M. Champion a été publié par le CEMAGREF.

Nous avons demandé que soient systématiquement réalisés des retours d'expérience sur les inondations. Il faut absolument fixer un niveau de risque acceptable, en mettant sur la table des données objectives. Les bassins et les communes doivent s'entendre pour déterminer ce niveau de risque acceptable. L'on pourrait autoriser la construction d'une route, de maisons ou d'entreprises dans une zone sous certaines conditions, sous certaines prescriptions. Mais chacun doit savoir qu'une route, à tel endroit, n'a pas été rehaussée à un niveau suffisant pour la protéger contre les inondations. Chacun doit en être informé parce que le même citoyen qui insiste pour obtenir un permis de construire viendra, demain, vous attaquer parce que sa maison a été inondée. Il faut sortir de cette contradiction une fois pour toutes. De toute façon, en Val-de-Loire, on ne peut pas garantir le risque zéro. Le jour où surviendra une grande catastrophe, tout le monde sera inondé. Il vaut mieux dire aux habitants que l'on a défini un périmètre à risque. A cet égard, l'atlas du risque est un excellent outil.

Encore une fois, il faut rassembler toutes les parties autour d'une table et discuter, sous l'autorité d'un médiateur, de ce qui s'est passé, de ce qui est souhaitable. Je pense qu'il faut laisser des marques visibles dans le paysage. J'ai fait installer, dans toutes les communes du Val-de-Loire, des repères en tuffeau sur lesquels on mentionne les crues. Ces sortes de totems rappellent à chacun où il vit, et le risque qu'il court. Nous sommes allés encore plus loin en disant que lors d'une vente, une indication sur la vie de la propriété doit être portée à la connaissance de l'acquéreur. Je serais par ailleurs favorable à ce que l'on indemnise les servitudes dans certaines zones.

Le système que je viens de décrire est cohérent, depuis l'amont jusqu'à l'aval : traitement de la connaissance et de l'information, rôle des SAGE, retour au débat public au niveau local... Quel est le rôle du préfet ? S'il n'y a pas de consensus, le préfet est celui qui prend une décision, en dernier ressort. Sa décision, dans ce cadre, sera plus légitime et plus sûre au plan juridique. Les juges diront que le préfet a pris sa décision au terme d'un processus de médiation et de confrontation. Il aura ainsi pris une décision raisonnable, qui sera moins maximaliste, mais plus sûre au plan juridique. De leur côté, les citoyens auront en principe accepté une certaine part de risque en retour. Au préalable, la collectivité leur aura exposé le risque encouru collectivement, ainsi que les prescriptions permettant de limiter les effets du risque.

En résumé, je pense que je suis en mesure de développer un nouveau type d'aménagement, fondé sur un nouveau mécanisme de décision, sur la connaissance scientifique et la mémoire. En d'autres termes, un aménagement beaucoup plus transparent et objectif. C'est ainsi que l'on pourra sortir du débat passionné et tendu du moment.

Je dirai, pour finir, un mot sur le système d'alerte et de traitement des crises. De manière générale, la gestion des crises en France n'a pas fait l'objet de critiques virulentes. Dans l'ensemble, on estime que les préfets, les services et les différents acteurs font un travail satisfaisant. En revanche, le système d'alerte est désuet : il est impossible d'alerter les citoyens en temps réel, sans parler des contraintes techniques. Pourtant, un système d'alerte efficace est nécessaire dans la gestion des crises. La encore, il faut faire jouer le couple préfet-maire. Le maire est en première ligne pour faire un travail psychologique avec les habitants, mais il a besoin du préfet pour traiter d'autres problèmes, à l'échelle du département. L'information continue et en direct des citoyens pendant la crise est aussi fondamentale. L'inondation de l'Aude en est un exemple pertinent, mais aussi terrifiant. De nombreux habitants, paniqués, ont pris leur voiture, allant droit vers le danger. Si on avait pu les informer des risques qu'ils couraient en prenant la voiture, si on avait pu communiquer avec eux, on aurait évité un grand nombre de morts. Malheureusement, les lignes étaient cassées, il n'y avait pas d'électricité. Comme en temps de guerre, seule la radio était en service, mais personne n'avait utilisé la radio. Il fallait leur intimer l'ordre de rester chez eux. C'est ce qui me fait penser que l'on devrait se fixer un objectif « zéro mort » et que, pour cela, tout réside dans la communication et l'information en temps réel. Dans ma région, on nous ressasse sans arrêt la perspective d'une catastrophe. Il y a eu deux catastrophes au siècle dernier, à deux années d'intervalle. Des villes dont le chiffre de la population équivaut à celui de Roanne avaient alors disparu de la carte. Imaginez alors les effets d'une nouvelle catastrophe ! Je me suis enquis auprès du préfet d'Orléans sur ce qui était fait pour simuler les catastrophes. En réalité, rien n'est mis en place. Ce serait donc un véritable exercice d'improvisation. Comment évacuerait-on les habitants ? Les routes sont coupées. A Tours, il y a un mètre d'eau. Sur le Val-de-Loire, que ferait-on ? Je recommande une extrême vigilance sur la gestion des crises. Je reconnaît que les préfets, les services et l'armée, pour ne citer que ces acteurs, font de leur mieux, mais il faut encore s'améliorer.

Il faut ensuite gérer la période qui suit la crise, notamment au plan psychologique. Il convient aussi lancer des programmes de reconstruction (d'installations, de logements...), et élaborer des plans de réaménagement. Il ne s'agit pas uniquement d'indemniser les sinistrés, mais aussi de partager avec eux une nouvelle vision du département. Il faut, après la catastrophe, concevoir un nouveau projet de développement du territoire. Si on ne s'inscrit pas dans une démarche constructive, porteuse d'avenir, on se contente, au bout du compte, d'indemniser les habitants, les abandonnant ensuite à leur traumatisme.

M. le Président - Je vous remercie pour cette présentation, qui a éclairé certains passages de votre rapport.

M. Hilaire Flandre - Je voudrais intervenir sur l'importance du dispositif de communication durant la crise. Dans les Ardennes, on a eu à déplorer cinq décès. Trois décès étaient dus à un accident de voiture (des jeunes ont percuté un parapet et sont passés par-dessus) dans les zones inondées. Les deux décès restants étaient dus à la disparition du pont, durant l'inondation. Je ne suis pas sûr, pour ma part, que le fait d'annoncer le danger peut contribuer à réduire le nombre de morts.

Par ailleurs, concernant le système d'alerte, je suis, comme vous, assez sceptique. Dans notre département, on annonce les crues de la Meuse, qui viennent de l'amont. On sait, dans les cinq heures qui suivent, à quel niveau elles devraient être. Mais il faut tenir compte d'une force d'inertie absolue, qui est d'autant plus accentuée que nous n'avons pas la culture du risque.

Enfin, s'agissant de la gestion de la période qui suit la crise, je ne suis pas sûr qu'il faille recourir pour autant à un escadron de psychologues, éparpillés dans le département de la Somme.

M. Yves Dauge - Je ne faisais pas tant allusion au recours à des psychologues, mais à une mobilisation autour d'un projet, qui va au-delà d'un simple projet de réparation. L'ampleur des dommages causés par les inondations de l'Aude doit contraindre chacun à réfléchir à un projet commun, pour commencer une nouvelle histoire commune. Dans l'Aude, les habitants se sont tous accordés pour dire qu'une catastrophe de cette ampleur ne s'était jamais vue, de mémoire d'homme. Or depuis 1950, on recense au moins cinq crues de cette nature. Pourquoi la mémoire collective est-elle aussi courte ? Non seulement beaucoup ont oublié ces événements, mais certains habitants se sont installés il y a peu de temps dans le département. Lorsque ces catastrophes surviennent, chacun a envie de partir. Je n'insisterai jamais suffisamment là-dessus : il faut leur notifier de rester chez eux, d'attendre qu'on leur donne des instructions, avant de se lancer sur les routes.

M. Roland Courteau - Pour avoir des crues de l'ampleur de celles que nous avons connues en 1999, il faut remonter à un voire deux siècles en arrière. Je le disais d'ailleurs devant le responsable de d'Office national des forêts : les mêmes causes ont produit les mêmes effets, et produiront les mêmes effets demain. Je voudrais revenir sur les décès en voiture. Ceux qui ont été noyés sur les routes étaient dans des départements limitrophes à l'Aude, dans le Tarn par exemple. A Cuxac-d'Aude, les morts que l'on a déplorés étaient essentiellement des personnes âgées, qui avaient été piégées par la remontée brutale des eaux, par l'effet de vague qui avait été provoqué par la rupture des digues. Ainsi, ces gens se sont noyés parce qu'ils ont été piégés, et non pas parce qu'ils se sont précipités sur les routes. Par ailleurs, si ces personnes avaient été prévenues une demi-heure avant de l'arrivée d'une vague, causée par la rupture des digues, elles auraient pris la route, et c'est alors que l'on aurait eu à déplorer des dizaines, voire des centaines de morts.

Un autre point me paraît essentiel : durant la crise, les réseaux de télécommunications ne sont pas fiables. Les téléphones fixes et portables ne marchent pas, il n'y a pas d'électricité... Il faudrait peut-être penser à remplacer les matériels de communication (par un système de radio, comme durant les périodes de guerre). Il faudrait aussi disposer d'un réseau d'alerte fonctionnant en continu, et permettant d'alerter le plus en amont possible. Enfin, il faudrait évacuer la population tant qu'il n'y a pas de danger immédiat.

M. Ambroise Dupont - Je voulais revenir sur l'un des aspects évoqués par Monsieur Dauge, que j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt. Dans son propos, on perçoit une connaissance poussée du terrain et l'on reconnaît le travail rigoureux du rapporteur. Le partage des responsabilités entre les représentants de l'Etat qui décident de l'octroi d'un permis de construire, d'une part, et le pétitionnaire, qui sollicite cette autorisation, d'autre part, m'a beaucoup interpellé. La procédure d'information sur la vie de la parcelle a-t-elle déjà démarré ? Commence-t-on par le SAGE, par le plan d'exposition au risque, ou commence-t-on simplement par l'information du maire sur le risque d'inondation d'une voie ? Il me paraît important de travailler sur les dispositifs d'indemnisation. A mon sens, il faudrait s'accorder sur un système qui donne une plus grande responsabilité au pétitionnaire, qui prend le risque de construire dans une zone dont il sait pertinemment qu'elle peut être inondée. Les assurances doivent-elles couvrir tous les risques et à quel niveau ? Faut-il, au contraire, mettre en place un système dégressif, en fonction des travaux entrepris ? Bien évidemment, les travaux n'empêcheront pas l'inondation à certains endroits. A mon avis, ces deux pistes doivent être approfondies, et c'est sur cette base qu'il faut formuler des propositions.

M. Yves Dauge - Il faut en effet approfondir ces pistes de réflexion. Je suis membre d'une commission d'enquête, présidée par M. Eric Doligé, et nous travaillons dans cette direction. Il faut certes aller vite, mais le Gouvernement tarde à passer aux actes, même si je reconnais qu'il faut s'accorder le temps de la réflexion avant de rédiger des textes. Parallèlement, je ne comprends pas certaines mesures. Récemment, j'ai revu des interlocuteurs du service de l'aménagement du territoire. Je les ai vivement encouragés à formuler des propositions au prochain comité d'aménagement du territoire, qui doit se tenir le 9 juillet. Je dois l'avouer, je suis quelque peu agacé de constater que depuis février 1999, notre rapport n'a pas encore été suivi d'effets. Je ne prétends pas que les pistes figurant dans le rapport sont abouties. Il revenait, à mon sens, à la structure interministérielle de travailler en relation avec les élus pour les affiner, car l'opinion est dans l'expectative. Des mesures de bon sens pourraient être prises : l'adoption de mesures législatives sur les indemnisations, l'identification des catastrophes, l'appui sur les SAGE, le passage à une action plus directive de l'Etat, si cela est nécessaire, l'élaboration d'une politique d'aménagement du territoire plus respectueuse des zones inondables, la fixation d'un niveau de risque acceptable.... Ce sont autant de pistes de réflexion, qui font la richesse du débat public sur la prévention et la gestion des inondations. Un dossier de conflit pourrait devenir un dossier de débat et de confrontation positives. Les catastrophes doivent être l'occasion de revenir à un débat politique associant tous les acteurs. Il faut pour cela responsabiliser nos concitoyens, qui croient qu'ils sont couverts et qu'ils seront toujours indemnisés en cas de catastrophe.

M. Ambroise Dupont - Dans nos zones rurales, l'avis du maire, qui connaît l'histoire de la voirie de sa commune, pourrait-il suffire à responsabiliser le pétitionnaire ? J'avais donné un avis favorable à un permis de construire, parce que j'estimais qu'il n'y avait pas de risque humain. Le chemin pouvait certes être inondé, mais au bout de deux heures, l'eau était évacuée. Par la suite, la DDE a donné un avis défavorable. Dès lors, je ne peux plus outrepasser cette décision.

M. Yves Dauge - Soit vous êtes dans le cadre du plan d'occupation des sols, soit vous êtes dans le cadre du plan d'exposition au risque. Dans le premier cas, c'est le maire, bien que l'Etat soit associé à cette décision, qui rend son verdict. Un plan d'occupation des sols bien élaboré permet de gérer une bonne partie de la question des responsabilités. Le maire est en mesure d'arrêter un niveau de risque acceptable, après avoir mis sur la table toutes les informations, pour que tout le monde prenne conscience que l'on va construire dans une zone présentant un risque d'inondation. Dans le second cas, c'est le préfet qui est en cause. Mais sa démarche doit être similaire à celle du maire, pour sécuriser juridiquement sa décision. Cette sécurité juridique est liée au processus de débat, d'information et d'explication préalables. Les décisions doivent être prises en toute connaissance de cause. Il est intéressant de lier la notion de risque acceptable à la sécurité juridique des décisions.

M. Ambroise Dupont - Il y aura toujours un problème : un pétitionnaire qui aura obtenu un permis de construire dans une zone à risque, et qui aura été informé du risque qu'il encourt, pourra toujours trouver des circonstances aggravantes (irrigation des fermiers en amont, construction d'un barrage...) pour se retourner contre la commune.

M. le Président - Vos différents propos montrent qu'il faut se pencher attentivement sur la question des responsabilités.

M. Ambroise Dupont - Dans ma commune, on a dûment informé les habitants qui souhaitaient construire dans une zone à risque. Une fois que la maison a été construite, la situation n'était pas alarmante tant que l'eau ne dépassait pas le niveau de la rampe d'accès. Cependant, de l'eau coulait dans le garage. Ils nous ont demandé une pompe d'assèchement, mais nous leur avons répliqué que ces travaux leur incombait. Dans ce cas précis, nous avons été heureux que tout se passe sans heurts, mais cela aurait pu ne pas être le cas.

M. Paul Raoult - Je voudrais intervenir sur les syndicats intercommunaux, que l'on parvient difficilement à mettre en place. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons négocié d'importants contrats de curage des rivières, mais il reste encore quelques communes, au milieu du cours d'eau, qui font blocage. De manière générale, les communes amont ne comprennent pas pourquoi elles devraient payer. Le pouvoir régalien doit avoir la capacité, à un moment donné, de s'imposer à tous, au nom de l'intérêt public. Je ne nie pas le principe fondateur de la liberté communale, mais cette liberté signifie-t-elle pour autant que l'on doit inonder son voisin ? Dans le cas que je viens de décrire, si on n'arrive pas à débloquer la situation, on va, dans les dix prochaines années, au-devant de catastrophes.

M. Yves Dauge - On peut apporter plusieurs éléments de réponse à ce problème. Le statut des cours d'eau peut être un facteur de blocage. A l'évidence, on ne peut pas s'attendre à ce que les propriétaires privés gèrent des travaux de curage de cette envergure.

M. Paul Raoult - Les travaux de curage de nos rivières sont pris en charge par le syndicat intercommunal. Malgré cela, certains propriétaires font blocage : au beau milieu du cours d'eau, on ne peut pas curer certains tronçons, simplement parce que le propriétaire s'oppose à ce que nous passions. Nous nous retrouvons ainsi avec 3 millions de francs, que nous ne pouvons pas dépenser entièrement.

M. le Président - S'il n'y a plus de questions, je vous propose de clore cette série d'auditions.

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